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Il faudrait examiner l’ensemble des arguments avec lesquels certains auteurs justifient l’existence d’une éthique heideggérienne.
Mais lisons d’abord et surtout le fragment de la Lettre sur l’humanisme où le problème est posé par Heidegger lui-même.
Si donc, conformément au sens fondamental du mot ethos, le terme d’éthique doit indiquer que cette discipline pense le séjour de l’homme, on peut dire que cette pensée qui pense la vérité de l’Etre comme l’élément originel de l’homme en tant qu’eksistant est déjà en elle-même l’éthique originelle. (Lettre…, page 151 Aubier/Bilingue 1964).
Apprécions d’abord comment Heidegger articule la notion de « vérité de l’Etre » à celle « d’éthique originelle ». Nous l’avons déjà dit cette notion de « vérité de l’Etre » est un euphémisme avec lequel Heidegger crypte le nazisme en sa puissance meurtrière et exterminatrice. C’est le nom de code de l’idée de solution finale, présente chez Heidegger dés les années 20, et remise ici sur le marché de l’idéologie philosophique en 1945, au moment même où se tenait le procès de Nüremberg. (Honneur et fidélité!).
On comprend d’autant mieux pourquoi, malgré des formulations à fort accent axiologique, Heidegger a souvent indiqué qu’il ne fallait pas lire Sein und Zeit de manière axiologique et encore moins d’y entendre comme une morale. Précisément le « séjour de l’homme » – mais le mot d’homme est ici sciemment trompeur – n’a surtout rien à faire de la morale. Car ce séjour désigne en réalité l’ensemble des « justifications » de l’existence des camps et de la chambre à gaz.
La notion heideggérienne d’ éthique originelle est en ce sens absolument opposée à une approche universaliste de toute éthique et de toute morale.
L’éthique originelle heideggérienne est en ce sens une anti-morale. Le terme d’éthique est resémantisé de manière à contourner la « catastrophe » que représente, pour les nazis et pour Heidegger, le « concept » d’une morale universelle. L’éthique originelle heideggérienne est une agression meurtrière contre les droits humains.
Cette pensée toutefois n’est pas seulement éthique du fait qu’elle est ontologie. Car l’ontologie ne pose jamais que l’étant dans son être. Or, aussi longtemps que la vérité de l’Etre n’est pas pensée, toute ontologie reste sans son fondement.
Heidegger peut-il faire autre chose que de tourner en rond au moment où certains de ses amis personnels comme le maréchal Göring sont condamnés à mort?
Il insiste à la fois lourdement et briévement. Il y aurait éthique originelle, pour l’ontologie, parce que l’ontologie est une pensée du séjour de l’homme. Ce dont le mot ethos vient – trés opportunément et trés commodément – témoigner à la barre. Mais il importe que l’ontologie n’oublie pas qu’elle est pensée de la « vérité de l’Etre ».
C’est cette « vérité de l’Etre » qu’auraient manifestée les documents sur les camps projetés au cours du procès… et qui n’auraient bouleversé que les « oublieux » de l’être…
C’est pourquoi la pensée qui tentait avec Sein und Zeit de penser en direction de la vérité de l’Etre s’est désignée comme ontologie fondamentale.
Voilà qui est maintenant trés clair : « ontologie fondamentale » est le nom heideggérien du nazisme. Et c’est de « l’éthique originelle ».
Reconnaissons que Heidegger a ici la franchise de ne pas parler d’éthique universelle. Mais il est vrai qu’il ne faut pas trop, à ses yeux, abuser de certains mirages. Le nazisme, en philosophie, ne peut que se mi-dire. Et Heidegger prend également soin de ne pas trop l’étouffer. (Honneur et fidélité!)
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