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Sauf si l’Europe se laissait aller à son « penchant criminel » – le désespoir identitaire supposé tenir lieu d’intelligence politique – il arrivera un jour où ce qui se passe à propos de l’enseignement de Heidegger apparaîtra profondément choquant. Précisément parce qu’il s’agit de philosophie et de pensée le scandale Heidegger est plus grave et inadmissible que le négationnisme ordinaire.
Quelques dates :
2005 : publication de Heidegger, l’introduction du nazisme dans la philosophie d’Emmanuel Faye.
2006 : publication au seuil de Grammaire et étymologie du mot « être ». Alain Badiou et Barbara Cassin, dirigeants de la collection, se désolidarisent de Pascal David à propos de la biographie de Heidegger. En note je publie cette biographie (1).
2007 : nouvelle édition, chez Nathan et dans la collection Les intrégrales de philo de Qu’est-ce que la métaphysique? de Martin Heidegger. Cette nouvelle édition reprend telle quelle une première édition de 1998. Le livre, accessible aujourd’hui en poche d’Emmanuel Faye, ne figure pas dans la bibliographie.
—> Cette page de blog est consacrée à l’analyse d’un large extrait de la biographie de Heidegger publiée dans Les intégrales.
Mise à part naturellement la littérature « calomnieuse » le marché actuel du mythe « pédagogique » heideggérien oscille entre le modèle Jeanne d’Arc et le modèle professeur Tournesol.
François Fédier, Marcel Conche, Françoise Dastur font du côté de Jeanne d’Arc. Reprenant une déclaration écrite de Heidegger au rectorat de Fribourg en 1945 ils affirment que Heidegger a fait en réalité de la « résistance spirituelle ».
Je ne voudrais absolument pas recevoir un enseignement de la part de personnages qui n’ont pas trouvé mieux que d’apporter leur crédit à la déclaration d’un nazi. D’autant plus quand ce nazi est un « nazi en philosophie ».
Mais on voit bien que, ce faisant, cela leur permettait de dérouler un récit mythologique confortable. Heidegger par ci, Heidegger par là… c’était un « résistant spirituel ». C’est lui qui l’a dit!
Marc Froment-Meurice a opté quant à lui pour le modèle « professeur Tournesol ».
A première vue la réédition de 2007 corrigerait la fable publiée au Seuil en 2006 puisque le nazisme de l’auteur n’est pas nié. Nous aurons à juger si cela n’est pas en réalité plus grave.
Comment est nié le nazisme de Heidegger? Comment est-il affirmé, critiqué, refusé, combattu?
Lisons donc la biographie de Froment-Meurice.
Nous la prenons au moment où l’auteur évoque la rencontre de Davos de 1929 et qui a opposé Cassirer et Heidegger.
Les deux hommes s’affronteront (…) sans trop de heurts, à propos de Kant, mais l’impression générale sera celle d’une lutte de géants, d’un moment historique crucial, critique, mais en un sens qui allait prendre un tour dramatique.
« Lutte de géants », « tour dramatique »… on s’adresse à de jeunes lecteurs n’est-ce pas? On se croirait presque dans un jeu vidéo. A nos consoles!
Heidegger voit venir ce moment de la décision, où il ne pourra plus rester indéfiniment au-dessus de la mêlée. En 1927, il pouvait encore limiter la « décision » à la pure formalité d’une structure. Mais, avec la crise et le chaos où est plongé le pays tout entier, il pense que le moment est venir d’ agir.
Voilà l’hitlérisme sournoisement réduit à une réponse à une crise. Rien, absolument rien n’est dit sur les sympathies de Heidegger pour le mouvement völkisch, lequel a des racines anciennes. Les intentions criminelles constitutives de ce mouvement sont travesties en « action ». Et pour bien faire passer le message rapprochement est fait, très pédagogiquement, avec Marx :
Un peu comme Karl Marx, il aurait pu dire : « Pendant longtemps les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde; désormais il s’agit de le transformer. »
Silence sur l’antijudaïsme, sur les annonces hitlériennes. Silence sur ce qu’est le politique, l’extrême-droite, la destruction du politique.
Des flots d’encre ont coulé sur ce que Heidegger, plus tard, caractérisera sèchement comme « la plus grande bêtise » de sa vie, l’engagement aux côtés des nazis en 1933. Bien avant le brûlot malhonnête et souvent inexact de Victor Farias, Heidegger et le nazisme, paru en 1987, la polémique avait commencé.
Pourquoi et en raison de quoi le livre de Farias est-il qualifié de « brûlot »? Et, qui plus est, de « brûlot malhonnête »? Jamais, puisque Heidegger est une figure philosophique majeure, l’auteur appliquera l’épithéte de malhonnête à Heidegger lors même, comme on le verra, qu’il met en doute certaines de ses affirmations. Farias est malhonnête, Heidegger un grand philosophe. Et un grand philosophe est une chose d’une telle substance que, quand il ment, ce n’est pas par malhonnêteté.
En janvier 1946, Les Temps Modernes publiaient deux articles (l’un pour, l’autre contre) « Heidegger et le nazisme ». Ils étaient précédés par les lignes suivantes – une note de la rédaction, que Sartre n’a peut-être pas rédigée lui-même, mais qu’il a sans doute inspirée : « La presse française a parlé de Heidegger comme d’un nazi : c’est un fait qu’il a été inscrit au parti nazi. S’il fallait juger d’une philosophie par le courage ou la lucidité politique du philosophe, celle de Hegel ne vaudrait pas cher. Il arrive que le philosophe soit infidèle à sa meilleure pensée quand il en vient aux décisions politiques ».
La note concluait sur un ton optimiste en déclarant que lorsqu’on aura fait l’analyse de « l’essentiel » de la pensée de Heidegger (que l’on tenait alors pour « existentialiste »), on l’aura lavée de toute suspicion. « Davantage : cette analyse montrera peut-être qu’une politique « existentielle » est aux antipodes du nazisme ».
La suite vise-t-elle aussi, en reconnaissant l’engagement heideggérien dans le nazisme, à discréditer par la bande le projet de « politique existentielle »? Mais, surtout, la manière avec laquelle est reconnu le nazisme de Heidegger est-elle à la hauteur de la menace qu’il peut encore de nos jours représenté?
Espoir déçu, et sans doute erroné. S’il est vrai qu’il ne faut pas confondre l’homme et la philosophie, cet argument ne peut avoir qu’une portée limitée, et ne devrait pas servir d’excuse pour éviter le problème. Dans les termes mêmes d’ Etre et temps, on peu interpréter l’engagement de Heidegger comme la confusion de l’existential (ontologique) et de l’existentiel (ontique); confusion qui demeure toujours possible pour autant que, précisément, l’existential est conçu comme une structure formelle et abstraite, vide qui peut se combler par n’importe quel contenu concret.
Le principe de la non confusion de l’homme et de sa philosophie est précisément à relativiser. Il est incroyable, surtout à propos d’une philosophie de l’existence, que Froment-Meurice préconise la disjonction entre les deux. Ne frise-t-on pas le ridicule quand, de plus, on met en avant les catégories d’existential et d’existentiel pour décrire la confusion dont se serait rendu coupable Heidegger? S’il y a un « existentialisme » heideggérien il est nazi et Heidegger n’est pas un grand philosophe qui s’est pris les pieds dans son propre tapis. L’ontologie heideggérienne est sous l’autorité d’une pré-compréhension de l’ être dont certaines caractéristiques ont à voir avec ce pré-nazisme que fut le mouvement völkisch.
Froment-Meurice donne le sentiment qu’il a tout fait pour éviter le « noeud » heideggérien à savoir la constitution d’un dispositif d’introduction du nazisme dans la philosophie. La façon même avec laquelle Heidegger fait la différence entre l’ontologique et l’ontique repose sur une pré-compréhension qui constitue déjà comme telle, dans le dispositif discursif lui-même, un engagement nazi ou pré-nazi ou, plutôt, l’engagement du nazisme ou du pré-nazisme völkisch dans l’espace philosophique.
Dans le cours nazi de 1934 (La logique… ) la différence ontologique/ontique devient même un principe de « sélection »!
Bon, Froment-Meurice tente le tout pour le tout.
Justement, examinons brièvement les faits. Heidegger ne les a certes pas niés, mais il les a singulièrement minimisés et même parfois carrément défigurés ou passés sous silence.
Voilà : puisqu’il faut que Heidegger soit un grand philosophe coupable seulement d’un engagement condamnable – mais ce caractère n’est pas vraiment souligné par l’auteur – et non d’un projet « fondamental » d’introduction du nazisme Heidegger, à la différence de Farias, n’est pas dit « malhonnête » même quand il minimise et défigure! Il est vrai que, chez un nazi, ce genre de malhonnêteté constitue une routine de défense habituelle.
Pour commencer, il adhère au parti nazi (NSDAP) le 1er mai 1933 (date symbolique) et y restera inscrit jusqu’à la fin.
Cette information doit être complétée par un des résultats de la recherche d’Emmanuel Faye : « Le fils Heidegger lorsqu’il a publié des textes de l’année 33 a affirmé au tome 16 que son père n’avait pas de tendance fasciste et qu’il n’avait voté en 32 que pour le petit parti des vignerons du Würtemberg. Or, dans mon livre, j’apporte la preuve pour la première fois que Heiddeger a voté dés 32 pour la NSDAP, pour le parti nazi. Et il le dit dans une lettre inédite à […] Bultmann que j’ai pu consulter. Que se passe-t-il ? Et bien aussitôt le fils Heidegger a été obligé de se rétracter. Et dans une lettre à la Frankfurter Allgemeine il dit : effectivement mon père a voté pour le parti nazi en 32 mais c’était obligé par sa femme Elfride. » (Emmanuel Faye in le débat avec François Fédier sur Bibliothèque Médicis.)
Il y a décidément beaucoup de « malhonnêteté » autour de Heidegger.
Il expliquera son adhésion par son élection au poste de recteur le mois précédent. Hitler est au pouvoir depuis le 30 janvier. Partout, et le plus souvent par la violence, les nazis se saisissent des leviers de l’ Etat – avec la complicité de presque tout le monde, communistes y compris. Heidegger tentera de faire croire qu’il a été élu recteur pour, justement, « sauver les meubles », et préserver l’autonomie de l’Université menacée par la barbarie. Premier mensonge, et peut-être le plus gros, d’où découlent les autres.
Bon… mais si un Farias est malhonnête qu’est un « grand philosophe » quand il ment de cette manière? C’est vrai et je viens de le dire : Heidegger n’a jamais été malhonnête : il a toujours été nazi.
La vérité – et elle ne fait plus aucun doute – c’est que Heidegger a été nazi, profondément, radicalement, peut-être justement si radicalement que son nazisme, que certains ont appelé « à usage privé », est entré en contradiction, assez vite, avec la réalité du nazisme, dont au reste Heidegger n’avait (pas plus que la majorité des observateurs contemporains, partisans ou opposants) aucune idée. Son être-nazi relevait d’une pure projection, que l’on pourrait qualifier de fantastique et fantasmatique.
Incroyable! Il y a d’abord une disjonction entre l’oeuvre philosophique et l’homme. Puis cet homme a un « être-nazi », mais un « être-nazi » tel que, le pauvre, il est entré en contradiction avec le nazisme réel à cause de la radicalité de son nazisme.
Bref le grand philosophe est une sorte de professeur Tournesol qui ne sait pas toujours ce qu’il fait. Quel potage!
Et si c’était précisément le radicalisme du nazisme de Heidegger qui était une cause de certaines frictions, par ailleurs constantes dans l’appareil du parti nazi? Et si c’était ce radicalisme qui contribua à accentuer le caractére criminel du nazisme réel?
L’expression de nazisme à « usage privé » est lamentable. Elle interdit qu’on puisse faire l’hypothèse que Heidegger savait ce que devait être davantage le nazisme réel. Pour notre part nous sommes convaincus qu’il lui a reproché de n’être précisément pas assez radical, pas assez meurtrier.
Il n’a au moins pas fait mystère de ses convictions initiales – presque une religion. Dans un texte rédigé en 1945 pour la commission de dénazification, Heidegger se justifie ainsi : « Je voyais à l’époque dans le mouvement parvenu au pouvoir une possibilité de rassembler et de rénover le peuple depuis l’intérieur; un chemin pour trouver sa détermination historique et occidentale. »
Là on a le droit de s’interroger sur où veut précisément en venir Froment-Meurice. Il n’explique même pas que, dans le langage nazi, « occidental » peut signifier précisément « purifié du judaïsme », ce dernier étant mis dans un paquet parfois nommé « élément asiatique ». Et on verra plus tard que notre grand commentateur-présentateur dédouanne Heidegger d’avoir été antisémite.
Dans Etre et temps, il avait écrit que le Dasein « se choisit ses propres héros »; il ne fait pas de doute qu’Hitler était apparu, aux yeux de Heidegger comme de la grande majorité des Allemands, comme un héros, capable de rendre à l’Allemagne humiliée par le traité de Versailles et désespérée par la crise économique et ses six millions de chômeurs sa dignité et sa place dans le concours des « grandes » nations. Mais lorsque Heidegger parlait des héros en 1927, il entendait les grandes figures historiques que l’exitant peut seulement répéter – et pour un philosophe, ce sont d’abord les philosophes qui sont les héros. Heidegger n’a jamais daigné lire Mein Kampf et a commis la même tragique et, littéralement, idiote erreur que Platon lorsque celui-ci a pris le tyran Denys de Syracuse pour un héros capable d’instituer la polis idéale.
Voilà ce qui s’appelle « nier par l’aveu ». Le récit officiel académique est donc que notre grand philosophe pour la jeunesse a commis une erreur idiote et tragique. Et comme personne n’est malhonnête dans l’histoire à part Farias il faut croire Froment-Meurice quand il reprend à son compte l’idée que Heidegger n’aurait pas daigné lire Mein Kampf.
Bref « l’être-nazi » de Heidegger est une étrange bestiole. Il est à la fois dehors et dedans le mouvement réel. Pourtant…
Le rectorat fut inauguré en grandes pompes par un discours solennel, enthousiaste et presque mégalomaniaque dans sa rhétorique héroïque : « L’auto-affirmation de l’Université allemande » qui pourrait s’entendre assez bien comme « L’auto-affirmation de Martin Heidegger ». Il y déclare, d’entrée de jeu, que les Führers (politiques) doivent être eux-mêmes guidés (en allemand, le Führer est le guide) « par le caractère inexorable de la mission spirituelle qui astreint le peuple allemand à l’empreinte de son histoire. » Une traduction prosaïque serait : Hitler doit m’écouter, moi qui sais – en tant que philosophe, c’est mon métier, bien plus : ma vocation – ce qu’il en est de la « mission spirituelle » de mon peuple. Heidegger, Führer spirituel du Führer spirituel du Führer temporel?
Un auditeur déclarera qu’il ne savait pas, après avoir entendu ce discours, s’il devait aller s’inscrire aux S. A. ou relire les Présocratiques.
Heidegger, à l’académie, doit donc être un peu déjanté, nazi radical mais plus mégalo que criminel. Froment-Meurice n’interroge pas les expressions inquiétantes de « mission spirituelle » et de « empreinte de son histoire ». Mais il est vrai que si on fait l’hypothèse, que je crois fondée, que ces expressions sont déjà, en 1933, un appel à la « solution finale », cette présentation de Heidegger en choux-chèvre ne serait pas tenable.
Mais que peut être un « être-nazi » de Heidegger, radical mais qui n’appellerait pas, avec les euphèmismes universitaires adéquats, à la « solution finale », « concept » qui figure pourtant clairement dans Mein Kampf?
L’extravagance d’une telle prétention allait bientôt éclater au grand jour. Après dix mois de proclamations enflammées, éventuellement de tentatives aberrantes de « concrétisation » – qui ressemblaient davantage à du scoutisme : camps de jeunes avec guitares, chants et veillées -, Heidegger finit par démissionner. Mais nullement pour les raisons qu’il invoquera plus tard : à savoir qu’il s’était opposé au parti qui refusait la nomination de deux doyens politiquement suspects; ni davantage parce qu’il se serait opposé aux mandarins trop conservateurs et imbus de leurs privilèges (la « liberté académique » qu’il fustigeait dans son discours de rectorat). Le réalité, décidément impénétrable pour un « pur » philosophe, et que Herr Professor planait six mille pieds au-dessus des humains, et que, dans le Parti, personne n’avait lu ni même entendu parler des Présocratiques.
Voilà donc maintenant que notre « être-nazi » radical heideggérien est tout de même davantage un « pur philosophe » qu’un « pur nazi ». Le potage est en train de tourner.
Très vite, il se fit un consensus dans les instances dirigeantes : ce Heidegger est certes à cultiver comme une fleur rare, à cause de sa célébrité internationale, et parce que le « mouvement » n’a pas trop de grands noms (la plupart, et d’abord les juifs, s’étant exilés ou étant réduits au silence), mais c’est un fou dangereux. Son national-socialisme est peut-être « authentique », mais certainement pas correct. Par exemple – et bien entendu ce n’est pas un simple exemple – il n’a rien d’antisémite, au point que le mot « juif » ne figure jamais nulle part! Comment peut-on être nazi sans être antisémite?
Récapitulons : Heidegger est un grand philosophe, coupable d’une erreur tragique et idiote, possédant un « être-nazi » qu’il exprime d’une manière si enflammée que cela atteste de sa radicalité et de son authenticité. Toutefois, cependant, il n’était pas antisémite.
Ne sont pas des propositons antisémites des expressions comme « mission spirituelle », « empreinte de son histoire », « détermination historique et occidentale ».
Pour Froment-Meurice faut-il, pour qu’une proposition soit antisémite, qu’elle désigne nommément les juifs?
Heidegger a exprimé son « être-nazi » avec d’autant plus de radicalité et d’authenticité qu’il s’est précisément chargé, grand nazi en philosophie, d’ élaborer le langage (respectable) susceptible de produire une version spirituelle de l’antisémitisme, une version en quelque sorte « nouvelle université ».
Que fait alors Froment-Meurice dans cette introduction destinée aux lycéens et aux étudiants?
N’introduirait-il pas, en philosophie, l’introduction du nazisme dans la philosophie?
Répétons encore une fois qui est notre Heidegger froment-meuricien : grand philosophe, doué d’un « être-nazi » radical et enthousiaste, mais pas antisémite. Bref, en vertu du dépassement heideggérien de la raison – cette ennemie acharnée de la pensée – Heidegger est un nazi non nazi.
C’est un A non-A.
Et c’est pour cela qu’il est digne d’être enseigné.
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(1) Biographie de l’édition du Seuil (par Pascal David) :
« Ayant commis une erreur d’appréciation sur la nature du régime qui s’installe en Allemagne fin janvier 1933, Heidegger, qui ne s’est jamais rallié toutefois à son idéologie et l’a même combattue, accepte d’être recteur de l’université de Fribourg en mai 1933 comme d’être inscrit, sous certaines conditions, au NSDAP, ce qu’il semble avoir compris alors comme une simple formalité administrative et nullement comme l’acte militant d’une adhésion. Contrairement à une légende assez tenace en France, son Discours de rectorat (27 mai 1933) est tout sauf l’expression d’une allégeance envers le nouveau pouvoir. Refusant de céder aux pressions du Parti lui demandant de révoquer les professeurs hostiles au régime comme d’adopter des mesures antisémites dans l’enceinte de l’Université, Heidegger ne tarde pas de démissionner, dès 1934, de ses fonctions de recteur. Il entre alors, avec ses cours sur Hölderlin et Nietzsche notamment, en une forme de dissidence qu’il appellera rétrospectivement « résistance spirituelle ». Suspendu d’enseignement de 1945 à 1951 par les autorités françaises d’occupation, celles-ci reconduisant la sanction prise à son encontre par les autorités nazies qui l’avaient éloigné de l’Université en juillet 1944 pour l’incorporer dans la territoriale (Volkssturm), Heidegger sera réintégré dans ses fonctions en 1951, et enseignera à titre de professeur émérite jusqu’en 1957. Les relations de Heidegger avec la politique auront donc été à la fois tardives, épisodiques et catastrophiques, et elles n’ont pas manqué de susciter en France nombre de controverses. » (Op 22)
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