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Las! Hélas! Trois fois las! Le mythe épais de Heidegger tourne encore bien, ma foi. Respecter l’irrespectable : ce cercle carré exige qu’on arrondisse les angles du nazisme de Heidegger. Il faudrait aussi s’excuser auprès du lecteur de lui infliger une nouvelle incursion en terre fédienne. Les Ecrits politiques de Heidegger, préface François Fédier, ne sont toujours pas réédités et c’est tant mieux. C’était une grosse tache dans la collection fondée par Sartre et Merleau-Ponty. J’espère qu’elle n’y reviendra pas.
On peut résumer ainsi la grande trouvaille de Fédier, à jamais épinglée au ciel de la philosophie française :
S’il ne faut jamais croire ce que vous dit un nazi, vous devez pourtant croire ce que dit Heidegger, par exemple quand il dit, foi de philosophe, qu’il a été un résistant spirituel au nazisme. C’est moi qui vous le dit!
Cela ne serait pas si grave et si plein de menaces de tous ordres qu’on pourrait rire. Lisons comment Fédier termine son éternelle préface à Heidegger en politique :
« Par d’innombrables témoignages, on peut apprendre comment l’ancien recteur s’est alors comporté. Rappelons les termes de cet étudiant du semestre d’été 1944, qui a tenu à les publier en 1989, dans le journal Die Zeit : « »Heidegger, arrivant à sa chaire, ne se livrait pas au petit rituel que tous les autres collègues, sans exception, observaient scrupuleusement durant toutes ces années sombres : lever le bras droit pour ce qu’on appelait le « salut allemand ». »
Se comporter ainsi, assurément, n’est pas héroïque. Pour tous ceux qui veulent bien regarder sans prévention, il s’y manifeste pourtant une très singulière absence de peur (1) : la tenir pour rien ne serait pas décent. » (Les Ecrits… page 95).
Ben voyons… Fédier, l’étudiant disent la vérité. Ils font « pravda » (vérité). Ils émettent des propositions qu’implicitement nous tenons pour être adéquates au réel. (Qu’en penserait le grand philosophe Heidegger?)
Fédier produit même le lecteur idéal : « tous ceux qui veulent bien regarder sans prévention… »
Désolé je suis plein de prévention. Heidegger-Père Noel-Jeanne d’Arc avait une armure magique qui lui a permis de se distinguer aussi bravement – ne pas faire Sieg-Sieg vous fabrique un résistant – pendant une bonne dizaine d’années sans provoquer une Gestapo magiquement transformée en institution crétine.
Si telle a été la marque du professeur Heidegger on peut proposer une autre explication : Heidegger était un nazi de choc, bien que quelque peu étrange, et il n’avait cessé d’être à la tête des « pétitionnaires » en faveur de la solution finale. Il était le grand philosophe national-socialiste dont a parlé le monstre Eugen Fischer. Le génie-nazi avait bien le droit à quelques marques distinctives.
Le non Sieg-Sieg de Heidegger était une marque hiérarchique. D’autant plus mérité qu’après 1945 le professeur a brillamment confirmé ses talents en élaborant une légitimation rampante du pire.
Désolé monsieur Philippe Sollers : Fédier fait partie de ce que vous avez un jour appelé la « France pourrie ».
Je présente mes excuses pour avoir encore une fois parlé de François Fédier.
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(1) Fédier n’ose tout de même pas parler de courage. Et pour cause, l’absence de peur de Heidegger, dite « trés singulière », et qui lui faisait ne pas lever le bras pour faire le salut hitlérien ne s’explique que par sa position de philosophe « chou-chou », quand bien même était-il perçu comme un génie quelque peu fantasque. Mais c’était un échantillon de la race supérieure.
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Derrida, qui n’a jamais fait de Heidegger son « chou-chou « , écrivait très exactement en 1987 :
» Pourquoi l’archive hideuse paraît-elle insupportable et fascinante ? Précisément parce que personne n’a jamais pu réduire toute l’œuvre de pensée de Heidegger à celle d’un quelconque idéologue nazi. Ce « dossier » n’aurait pas un grand intérêt autrement. Depuis plus d’un demi-siècle, aucun philosophe rigoureux n’a pu faire l’économie d’une « explication » avec Heidegger. Comment le nier ? Pourquoi dénier que tant d’œuvres « révolutionnaires », audacieuses et inquiétantes du XXe siècle, dans la philosophie et dans la littérature, se sont risquées, voire engagées dans des régions hantées par ce qui est le diabolique pour une philosophie assurée dans son humanisme libéral et démocratique de gauche ? »
Quant à l’article de Sollers son titre est : » La France moisie « .
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Réponse de Skildy :
La citation de Derrida que vous me transmettez n’annulle pas celle qui est en tête du blog. Je retiens surtout l’expression de « quelconque idéologue nazi ». (Derrida ne nie nullement par ailleurs la monstruosité de l’archive). C’est précisément parce que Heidegger n’est pas un quelconque nazi qu’il faut identifier et déconstruire les « adhérences profondes du texte heideggerien (écrits et actes) avec la réalité et la possibilité de tous les nazismes ». (Derrida).
Sk.
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