Sur un côté « gênant » de Heidegger

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« La mise à l’écart dont je fais l’objet n’a au fond rien à voir avec le nazisme. On subodore dans la manière dont je pense quelque chose de gênant, sinon même d’inquiétant, dont on aimerait bien être débarrassé ; qu’en même temps on y prête tant d’attention n’en est qu’une preuve de plus. Je n’ai jamais eu, fût-ce un seul jour, le moindre poids auprès d’une quelconque instance importante du parti nazi, sans parler d’y faire passer quoi que ce soit – tout comme j’avais été rejeté sans hésitation par les autorités ecclésiastiques. »

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Telle est la « dite » que Heidegger aurait formulée après la seconde guerre mondiale pour commenter son interdiction d’enseigner.

Et alors que c’est le nazisme qui est en question et l’implication du philosophe dans le « dispositif » hitlérien de grands lecteurs de Heidegger, comme F Dastur, accordent entièrement crédit à sa déclaration.

Son interprétation pose des questions inédites dans l’histoire du commentaire :

1. La première question est bien celle du crédit général que l’on peut accorder à cette déclaration. Quelle que soit l’influence qu’ait pu avoir Heidegger dans l’appareil du parti – et son annexe l’université allemande nazifiée – on ne voit pas comment Heidegger aurait pu le reconnaître.

Compte tenu ce qu’est « l’éthos » nazi on peut même énoncer le principe suivant :

Plus un nazi de tête a eu, quelles qu’en soient les formes, du pouvoir et moins il était dans son rôle de le reconnaître et de le regretter.

2. La deuxième question est alors celle de la possibilité même de comprendre la phrase heideggérienne comme une communication secrète de son nazisme.

3. Cela nous place dans la situation d’avoir à envisager la philosophie heideggérienne comme une nouvelle grande sophistique. Elle inclurait dans ses principes un art du mensonge à l’ère des sociétés de masse.

4. Au-delà même de la portée de « mise-en-souci » quant au monde moderne, son allusion à sa part « gênante », dont il dit que c’est elle qui est visée et non son nazisme (de façade et sans pouvoir selon lui), renvoie directement à une des motivations les plus caractéristiques du philosophe. Il a intégré totalement le spenglérisme, le côté suicidaire en moins. C’est dire que, pour Heidegger, et comme il le répétera bien plus tard au Spiegel en vue de son testament, la technique est bonne aux mains du « peuple de poètes et de penseurs », peuple parlant la « seconde langue de l’être » après le grec, pourvu seulement qu’il sache l’utiliser pour conquérir et garder la Domination. Le côté « gênant » aurait quelque chose à voir avec ceci : « le monde sera défait par le couple diabolique USA/URSS. Il s’imposait que nous, les nazis, aurions du rester en position de pouvoir généraliser Auschwitz à grande échelle ». On comprend alors ce qu’Heidegger a voulu dire quand il a fustigé l’indigence des dirigeants du mouvement nazi. Lui, de son côté, avait vu juste : il aurait fallu que le III° Reich exterminât jusqu’à Moscou. Si possible, probablement, avec une bombe atomique capable de tenir les USA à distance. Sa prédiction relative à un futur état de guerre permanent mondial – et c’est aussi cela qui devrait nous « gêner » – signifie en réalité qu’il regrette que son parti nazi n’ait pas été en mesure de génocider comme il convient.

Telles sont les questions « interprétatives » que je me pose à propos de cette déclaration. Quoiqu’il en soit il est absolument consternant et inquiétant que de grands esprits, réputés grands lecteurs, prennent appui sur la foi en la « parole d’évangile » du « grand philosophe » pour prendre comme de l’argent comptant les déclarations d’un personnage qui, au minimum, a eu le soutien des étudiants nazis les plus acharnés.

Ils ratent par ailleurs la possibilité de rendre publiques des analyses relatives à certaines stratégies discursives.

Car Heidegger n’était absolument pas tenu de dire la vérité.

N’est-ce pas la moindre des choses qu’il faut  attendre de la part de quelqu’un qui avait le plus profond mépris et la plus profonde haine pour la démocratie?

Comme l’a dit le maréchal Göring à Nüremberg : « Au sens de l’accusation je me déclare non coupable »! Et lorsque le nazi est un philosophe surdoué, et non un aviateur morphiné, nous aurions des raisons supplémentaires à prendre ses déclarations avec infiniment plus de circonspection. Pour Heidegger sa philosophie est une machine de guerre. Heureusement qu’il prétendait être au-delà de « la » philosophie.

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1 commentaire

  1. “le monde sera défait par le couple diabolique USA/URSS. Il s’imposait que nous, les nazis, aurions du rester en position de pouvoir généraliser Auschwitz à grande échelle”

    Pourrions-nous connaître votre source, s. v. p. ? cela ne figure pas dans l’interview du Spiegel.

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    Réponse et mise au point de Skildy :

    Dans l’esprit de ma note c’est une interprétation que je présente sous la forme d’une « pensée heideggérienne ».

    C’est en tous cas mon interprétation de l’idée d’Heidegger selon laquelle le nazisme serait allé dans la bonne

    direction en ce qui concerne le rapport à la technique.

    Je suis navré que cela puisse prêter à confusion.

    Je vais publier votre commentaire accompagné de ma mise au point.

    Sk

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