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Dans un entretien diffusé sur le canal de l’académie française Stephane Courtois se démarque clairement des travaux classiques d’Hannah Arendt sur les origines du totalitarisme.
Il soutient que celle-ci, si elle évoque l’impérialisme et l’antisémitisme, aurait raté de satisfaire à son propre titre en n’identifiant pas l’émergence du phénomène totalitaire quelque part au début du XX° siècle sous la houlette de Lenine, émule de Marx.
Lenine est nommément désigné comme étant en quelque sorte l’inventeur du totalitarisme.
Je veux surtout noter le caractère problématique d’une telle affirmation. La notion de totalitarisme est acceptée sans problème et désigne un phénomène qui se constitue comme tel à un moment déterminé et du fait d’un acteur précis. Lenine, marxiste, est l’inventeur du totalitarisme.
La question serait de savoir si nous sommes là en présence d’une hypothèse scientifique – Courtois est au CNRS – ou d’un récit, un de plus, aux fonctions idéologiques précises.
Les recherches d’Arendt ne sont pas irréprochables. Mais elle avait fait le geste d’initier une généaologie de la violence moderne et contemporaine, violence qui se serait nouée de manière systèmatique dans le cadre des systèmes totalitaires.
Le léninisme fait sans doute partie du processus. Mais il me semble qu’il est régressif de vouloir trancher dans l’histoire avec autant d’assurance.
Je veux dire que la violence moderne « occidentale » constitue une réalité complexe aux sources et aux motifs multiples. Les responsabilités des léninistes ne sauraient effacer par exemple l’abjection des conduites de certains colonisateurs.
On pourrait tout aussi bien affirmer que c’est Léopold, roi des Belges, qui a inventé au XIX° siècle, au Congo, et donc bien avant Lenine, le « totalitarisme ».
Mais les congolais, comme l’avait remarqué Hergé, sont des indigènes d’Afrique et n’appartiennent pas à la longue histoire du christianisme. Dans son récit Courtois insiste bien sur le fait que Lenine a voulu détruire l’église orthodoxe.
Là, on marche alors qu’on est censé se moquer totalement de ce qui est arrivé à des congolais qu’on faisait pourtant cruellement trimer pour extraire le caoutchouc. Toutes les sociétés qui ont été broyées par l’impérialisme sont des victimes négligeables dés lors qu’il apparaît commode, surtout s’il s’agit de faire un pont à Nolte, de dire que le totalitarisme a été un jour inventé par Lenine comme le thermomètre à mercure a été inventé par Farenheit.
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Notons que Stéphane Courtois a, entre autres titres de gloire, celui d’avoir introduit Ernst Nolte en France alors qu’il avait perdu toute crédibilité en Allemagne, au milieu des années 90 … rien à voir, dira-t-on. Et si …
Sinon dans le genre sommité, j’ai trouvé ceci sur le site « paris4 Philo ». Il s’agit d’une recension du livre de François Fédier et de ses copains parue dans la très considérée revue Esprit, par un certain Thierry Paquot, philosophe plus spécialisé dans l’urbanisme, mais ce n’est pas grave cela ne l’empêche pas de faire une recension sur la question Heidegger et le nazisme.
Ce qu’il y a de fascinant dans ce texte, c’est que l’auteur, qui n’est visiblement pas germaniste, avoue sa totale incompétence, et ne rentre à aucun moment dans l’argumentation d’Emmanuel Faye au sujet de laquelle il ne fait que balancer les âneries habituelle. Mais il ne rentre pas non plus dans l’argumentation du livre qu’il recense, et là est le plus extraordinaire, bien plus que dans les basses attaques contre Emmanuel Faye. On peut ainsi y lire « Il serait fastidieux de relever tous les cas décortiqués par les coauteurs ». Oui, pour le moins fastidieux quand on a pas travaillé et qu’on a pas l’intention de le faire. Est-ce de ce fait que M. Paquot ne se demande pas pourquoi Gallimard n’a pas accepté de publier le livre qu’il recense (pour une analyse de fond des dérives de F. Fédier qui ont conduit à ce refus, voir par exemple sur ce blog le texte de R. Linde, que l’on ne peut accuser de mal traduire …) ? Ou est-ce un silence complice ? La charité exige qu’on le qualifie simplement d’incompétent, elle n’excuse cependant pas tout.
Quand à ceux qui s’esbaudissent sur ce genre de texte, j’ai déjà dit ce que j’en pensais. Mais je suis consterné qu’une revue qui dispose encore d’un nom puisse publier ainsi une telle chose comme « recension ».
N’est-ce pas en dernière instance l’incompétence qui nous menace le plus, et ouvre la porte au pire ?
J.V.
Le texte de T. Paquot tel que je l’ai trouvé sur Paris 4 -Philo, donc :
Dans le numéro d’ « Esprit » de juillet dernier, Thierry Paquot, à l’occasion de la parution du livre « Heidegger à plus forte raison », déclare terminée la polémique déclenchée par le livre d’E.Faye « Heidegger, l’introduction du nazisme dans la philosophie » (merci à Lucie et à Tomy qui nous ont transmis le texte de cet article) :
« L’affaire Heidegger », suite et fin ?
De façon récurrente, les médias français traitent de l’affaire Heidegger et ce depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Qu’on se souvienne des articles d’Alexandre Koyre (Crîtique, 1946) de Karl Löwith (Les Temps modernes, 1946), de Georges Friedmann (Hommage à Lucien Fabvre 1953), puis de l’ouvrage de Victor Farias (1987) avant celui d’Emmanuel Faye (Heidegger / l’introduction du nazisme dans la philosophie), publié en 2005 parmi bien d’autres. Ce dernier va beaucoup plus loin que ses prédécesseurs qui, bien souvent, se contentaient de se questionner sur l’attitude de Martin Heidegger lors de l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler. Pourquoi un philosophe – déjà renommé – acceptait-il le poste de recteur d’une université en voie de nazification ? Parce qu’il croyait que le nouveau pouvoir allait engager une véritable réforme des universités au nom de la germanité ? En fait, Heidegger, très vite, démissionne de sa fonction et dans ses enseignements, se démarque de la pensée nazie, comme en témoignent ses étudiants de cette époque et ses cours.
Pourtant, et c’est là toute la thèse de Faye, Heidegger n’a pas été seulement quelques mois durant uu membre cotisant au parti nazi, il aurait élaboré une philosophie fondamentalement fasciste et infectée d’idéologie du nouveau pouvoir. En d’autres termes, c’est la philosophie de Martin Heidegger qn’il convient de combattre et d’éradiquer, en ne l’enseignant plus, par exemple. C’est la pensée de Martin Heidegger qui nourrit la bête immonde, sa responsabilité est alors encore plus grande et gravissime.
Cet ouvrage a bénéficié d’un exceptionnel soutien médiatique. Xavier Lacavalerie, dans Télérama (n°2891), affirme sans sourciller cette stupidité : « On sait que Heidegger était, sinon l’auteur, du moins l’instigateur direct de certains discours du Führer », Le Nouvel Observateur (25 avril 2005) titre quant à lui « Heidegger a-t-il été l’idéologue d’Hitler ? », et Le Monde des livres (25 mars 2005) abonde également dans ce sens et corrobore le sous-titre du livre d’Emmanuel Faye. Les détracteurs de l’auteur de Sein und Zeit multiplient les interventions (débats publics. colloques, articles…) et n’hésitent pas à traiter certains traducteurs de Martin Heidegger, comme François Fédier par exemple, de révisionnistes.
Ce dernier, avec un groupe d’heideggériens de qualité (Massimo Amato, Philippe Arjakovsky, Marcel Conche. Henri Crétella, Françoise Dastur, Pascal David, Hadrien France-Lanord, Matthieu Gallou, Gérard Guest et Alexandre Schild), produit une réponse argumentée aux propos d’Emmanuel Faye et de ses partisans. L’ouvrage est annoncé chez Gallimard, principal éditeur en langue française des oeuvres du philosophe allemand, qui finalement recule devant la crainte d’un scandale et l’abandonne à Fayard.
Heidegger à plus forte raison se présente donc non seulement comme une défense du théoricien du Dasein, mais comme une attaque contre Emmanuel Faye, sa manipulation des textes cités, ses traductions orientées, ses raccourcis, ses omissions, ses aveuglements, son obsessionnel parti pris antiheideggerien qui n’exclut aucune mauvaise foi…
Disons-le une fois encore, aucun lecteur de Martin Heidegger ne peut ignorer cet épisode plus que discutable de 1933-1934, d’autant que les textes incriminés sont disponibles et que le dossier est accessible depuis longtemps. La question fondamentale est effectivement celle que pose Emmanuel Faye, après bien d’autres : la philosophie de Heidegger a-t-elle à voir, de près ou de loin, avec l’idéologie nazie ? Il répond « oui ». Les pièces qu’il fournit pour justifier sa charge sont discutables, trop souvent la polémique l’emporte sur la sérénité qu’une telle accusation exige. Le principal intérêt des textes rassemblés par François Fédier réside dans l’analyse très fine des « preuves » utilisées par Emmanuel Faye dans sa démonstration. Le raisonnement circulaire du genre « Heidegger a soutenu le régime nazi car il était plus nazi que lui » n’est guère crédible. De même, l’usage répété d’amalgames douteux (Heidegger cite X qui est sympathisant nazi et pas Y qui ne l’est pas, c’est donc qu’il l’est aussi, ou encore Heidegger cite justement Y et pas X c’est pour mieux ruser et se blanchir !) ne prouve rien, au contraire même.
Les philosophes coauteurs de Heidegger à plus forte raison sont aussi, pour la plupart, des germanistes et ils examinent minutieusement les traductions établies par Emmanuel Faye et dénombrent d’incroyables malversations, triturations tendancieuses et parfois même des malhonnêtetés qui aboutissent toujours à faire dire à l’accusé ce qu’il ne pense pas, mais ce que le lecteur devrait lire afin d’être persuadé de sa culpabilité. Il est vrai que la traduction est un enjeu considérable et qu’elle nécessite une adaptation et une interprétation – et aussi souvent des notes de bas de page explicitant le pourquoi du comment. Emmanuel Faye semble au-dessus de cela. Préoccupé qu’il est à accabler toujours plus sa bête noire ! Il serait fastidieux de relever tous les cas décortiqués par les coauteurs, qui s’efforcent à chaque fois de conceptualiser leurs propositions de traduction. Ils s’amusent également à reproduire des phrases empruntées à des penseurs « politiquement corrects » selon Emmanuel Faye, tels que Raymond Aron, Alain, Artaud, qui pourraient aisément les faire taxer de nazis, ou pire encore d’heideggeriens ! N’est-ce pas Artaud qui déclarait, en 1936, « Toute vraie culture s’appuie sur la race et sur le sang » ? Dans l’oeuvre en cours d’édition de Martin Heidegger, le mot « race » est plutôt rare et généralement débiologisé, quant à « l’enracinement » (dans un sol et par le sang), c’est une conception étrangère à Heidegger, qui considère la langue, et non pas le sol, comme étant l' »habitat de l’être ».
Simple lecteur – qui a fait l’effort de s’informer des agissements de Martin Heidegger durant dix mois au cours de l’année universitaire 1933-1934 – des cours de Heidegger, j’y puise toujours, à chaque relecture, de quoi penser, de quoi penser contre le totalitarisme d’une pensée unique, la tyrannie de la technique, la rationalité froide et de mieux comprendre ce qui défait le monde et subordonne les humains.
Cherchant à construire une philosophie de l’urbain (car je remarque qu’il nous faut penser le devenir urbain de l’être à l’heure de l’organisation planétaire) je repère, ici ou là, dans ses textes de quoi alimenter ma réflexion. De même qu’il a aussi écrit sur la radio, la télévision, l’ordinateur, ce qui est loin d’être partagé par ses collègues philosophes. Et, si ses analyses méritent certainement d’être étoffées, actualisées, développées, elles constituent un point d’appui non négligeable. Après tout Sartre, Merleau-Ponty, Maldiney – tous lecteurs de Heidegger – n’ont rien écrit sur ces thèmes et je ne le leur reproche pas pour autant. Ils m’éclairent sur d’autres sujets.
Cette « affaire » est devenue bien répétitive et, ainsi, peu pertinente. Elle est finie. Il convient de passer à autre chose, de lire philosophiquement Heidegger par exemple, et non pas de se contenter de calomnies ou d’enquêtes policières. Les études rassemblées par François Fédier sont inégales, en taille, comme en force, mais (je laisse de côté la convaincante contribution de Marcel Conche, déjà publiée sous le titre Heidegger par gros temps) si quelques-unes ne renoncent pas à des tournures alambiquées et un vocabulaire abscons, d’autres sont claires et passionnantes (François Fédier, qui paraît à juste titre un peu amer, Philippe Arjakovsky s’arrête sur le cas Jünger et brise bien des idées reçues, Pascal David rectifie plusieurs traductions dont celle concernant Celan, Hadrien France-Lanord démonte l’accusation d’eugénisme pointée contre Heidegger ou encore Gérard Guest liste les erreurs de traduction intentionnelles d’Emmanuel Faye). Relisant Entre nous d’Emmanuel Levinas, je tombe sur cette opinion tranchée : « Heidegger est pour moi le plus grand philosophe du siècle, peut-être l’un des très grands du millénaire ; mais je suis très peiné de cela parce que je ne peux jamais oublier ce qu’il était en 1933, même s’il ne l’était que pendant une courte période. Ce que j’admire dans son oeuvre c’est Sein und Zeit. C’est un sommet de la phénoménologie. Les analyses y sont géniales. » Personnellement, qu’un philosophe soit le plus grand ou pas ne m’intéresse pas, ce type de classification n’apporte rien. Ce qui compte n’est-ce pas la rencontre avec un penseur dont la pensée soit pensante et vous fasse penser? Alors, Heidegger est bien un philosophe pour notre temps.
Thierry Paquot
juillet 2007
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