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Il faut d’abord s’entendre sur la notion de « théoricien nazi ». En un sens trivial mais qui se référe tout de même à l’efficace d’un certain type de discours, Hitler fut un théoricien nazi. Rosenberg aussi et, dans le domaine du droit mais avec une toute autre envergure, Karl Schmitt.
Or Heidegger n’apparaît pas, même en « non-nazi », comme un théoricien. C’est un penseur d’une certaine manière « trans-philosophique », certains de ses lecteurs associant à cette qualité le fait qu’il aurait, en critiquant et en déconstruisant la métaphysique, critiquer les fondements de tous les totalitarismes y compris celui de la technique.
Pour être un théoricien nazi il faut satisfaire à plusieurs critères, des plus « basiques » aux plus sophistiqués.
1. Savoir écrire et parler plutôt que de se battre militairement ou même « gouverner ».
Heidegger satisfait à l’évidence à ce premier critère : c’est un homme de lettres et, qui plus est, de renom. Ce dernier trait est essentiel pour la constitution de Heidegger, par Heidegger lui-même, en théoricien nazi.
2. Etre le transmetteur des « idéaux » nazis.
Le deuxième critère est l’objet d’une polémique décisive à la fois centrale et sans doute « éternelle pour longtemps ». Pour notre part le fait qu’il y ait matière à polémique est parfaitement cohérent, même si cela ne prouve encore rien, avec l’existence même d’une théorie heideggérienne du nazisme. Le contraire eût disqualifié cette théorie.
On ne peut ici trancher cette polémique. Donnons seulement comme exemple l’antisémitisme et le racisme. L’argument pro-heideggérien consiste à souligner le fait qu’il n’y a pas, en tous cas de manière développée, un discours raciste et antisémite chez Heidegger.
Cela est exact si on prend comme modèle la théorie de troisième classe d’un Hitler. Mais la théorie de Heidegger est de première classe. Il ne pratique pas un racisme de sang et physio-biologique mais, pour reprendre l’idée à Voegelin, un « racisme d’âme ». De ce point de vue Heidegger s’avère être un théoricien hors pair du racisme et de l’antisémitisme.
3. Instrumentaliser un renom acquis dans la culture pour « honnêtes gens » afin de consolider une réputation de philosophe majeur c’est-à-dire, en sous-main, de « nazi majeur ».
Ce troisième critère est parfaitement rempli par Heidegger. Il aurait pu ne pas intrumentaliser ce renom et être tout de même un philosophe d’un certain prestige. Mais Heidegger est nazi et s’est installé stratégiquement dans sa réputation.
4. Justifier par allusions fines les décisions spécifiques à l’appareil de pouvoir nazi.
C’est ce que nous pensons avoir établi par exemple à propos de l’ Introduction à la métaphysique. Le « penseur du siècle », en s’adressant aux élites nazies, a lancé à sa manière un appel à l’extermination.
Cela prouve « l’utilité » d’un théoricien se présentant comme inutile : faire le lien entre le « sale boulot » de base et les élites du système. Le théoricien ne serait pas tel s’il ne s’impliquait pas à sa manière dans le système des décisions.
5. Théoriser à distance et en retrait d’un nazisme réel mais « invendable » comme tel dans le monde de la culture.
A ce troisième critère Heidegger ne fait pas seulement que satisfaire. Il a été prodigieusement inventif pour sa mise en oeuvre. Sa théorie nazie, inséparable d’un mode spécifique de théorisation, est une théorie comme telle discrète et cachée.
Une fois le stratagème éventé il devient clair que Heidegger, s’il s’adresse aux universitaires « académiques », s’adresse surtout à ceux qui comprennent la théorie nazie qu’il transmet en sous-texte.
6. Un théoricien nazi est d’autant plus un bon théoricien qu’il n’apparaît pas comme tel et est étudié comme un auteur classique.
C’était possible et Heidegger l’a fait. Cela implique notamment l’élaboration d’une thématique de légitimation relativement autonome par rapport aux fondamentaux de la « théorie nazie ». Quitte à confectionner des « problématiques folles ». Je tiens qu’il en est ainsi de la critique heideggérienne de la technique. Mais cela exige des approfondissements ultérieurs.
7. Etre bien entendu conscient de l’utilité politique du, des nazisme(s).
Heidegger n’aurait jamais été un si brillant théorien nazi s’il n’avait pas été au premier chef convaincu de la profonde utilité du nazisme.
Alors, il sert à quoi, le nazisme? Fondamentalement, par une corruption sans précédent des « âmes » soi-disant pures, détruire la société en tant que société politique, la rendre inapte à la démocratie. Notamment en gelant celle-ci dans une critique définitive. Pour utiliser une métaphore actuelle le nazisme, et sa théorisation heideggérienne, est un logiciel de destruction de la société politique. En ce sens Heidegger est un ingénieur, « l’ingénieur des âmes nazies ».
(Certains mettent en avant le fait que Heidegger était en réalité apolitique et c’est pour cette raison qu’il se serait un temps fourvoyé dans la maison Hitler. Rien n’est plus ridicule. Il y a une cohérence profonde entre un semblant d’apolitisme, la haine profonde de la démocratie et de la société précisément politique. Le nazisme est une politique de la destruction du politique. Heidegger est en cela un des théoriciens les plus cohérents du nazisme. C’est, nous l’avons dit à plusieurs reprises : la « magnificence du simple ». La croix gammée est un de ces simples et le Quadriparti en chante la magnificence.)
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Je propose le théorème conclusif suivant : Heidegger est au « nazisme éternel » ce que l’architecture de Speer fut au nazisme historique : un bluff servant tout autant à cacher qu’à justifier l’extermination. Heidegger est le penseur de la thanatocratie, du pouvoir de la mort.
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Euh ok, mais pourquoi tu cites pas des textes-faits historiques pour appuyer ton propos?? Etudiante en philosophie, absolument passionnée par la question du temps, je ne demande qu’à croire avec toi, s’il « le faut » qu’Heidegger est un nazi, mais là, aucun texte, aucune source…
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Réponse :
Dans d’autres notes je lis au contraire certains textes de Heidegger dans la perspective de « l’introduction du nazisme dans la philosophie ». Voir les catégories du blog sur Heidegger.
Skildy
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