Quand Wang Xiaoshai filme la fin du monde (Ours d’argent, Berlin 2001)

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Le réalisateur Wang Xiaoshuai, en travaillant sur les traces du célébrissime Le voleur de bicyclette de Vittorio de Sica, a filmé une fin du monde.

Un jeune homme d’origine campagnarde est engagé à Pékin pour faire des courses avec un vélo VTT. La compagnie permet aux coursiers d’acheter avec une partie de leur salaire leur propre vélo. A quelques heures de la prise de possession de son outil de travail il se fait voler sa bicyclette. Xiaoshuai filme, dans Beijing Bicycle, toute la violence d’attitude, verbale et physique que la grande ville de Pékin, entrant dans l’ère de la modernité de la voiture, inflige aux plus faibles.

Le spectateur, comme dans le film de de Sica, devient le compagnon d’infortune du volé. Mais, à l’aide de quelques plans, Xiaoshuai nous laisse deviner qu’à côté du destin révoltant du coursier se nouent parfois des tragédies silencieuses et invisibles.

« Petit Guei » – il faudrait vérifier mais il semble que le nom du jeune homme n’est jamais prononcé par les autres sauf par son ami le boutiquier – revient d’une course après avoir, du moins le croit-il, récupérer définitivement son vélo.

Il heurte alors une jeune fille qui tombe au sol et s’évanouit.

Je vais, par quelques phrases lapidaires, décrire ce qui arrive alors au personnage féminin.

1. Elle est heurtée par « petit Guei » en vélo.

2. Elle est transportée et allongée à l’intérieur de la minuscule boutique de l’ami de « petit Guei ».

3. Elle est maquillée « comme une dame », habillée de blanc et d’une écharpe de soie fine de couleurs vives.

4. L’ami de « petit Guei » la réveille.

5. Encore sonnée par le choc elle ne voit pas que son écharpe glisse de son épaule et tombe au sol.

6. Elle rassemble des affaires dispersées par le choc, les met à l’intérieur d’un sac et se chausse des hauts-talons de couleur rouge avec lesquels elle était venue.

7. Plusieurs séquences plus tard on la voit fouiller vainement la boutique à la recherche de l’écharpe oubliée. Son visage est empreint d’angoisse.

8. En réalité c’est une servante. Elle avait l’habitude de sortir habillée avec les vêtements de sa patronne. On voit celle-ci, avec sa fille, surprendre sa servante habillée « en dame » en train de fouiller dans la boutique.

9. On apprendra plus tard qu’elle a été accusée de vol, renvoyée et qu’elle a DISPARU.

Images :

Pek0(Ci-dessus) On remarque l’écharpe de soie autour du cou de la jeune fille que vient de heurter « petit Guei ».

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(Ci-dessus). La jeune fille est étendue à l’intérieur de la boutique. Le foulard est trés présent dans l’image.

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(Ci-dessus). La jeune fille vient de sortir de son évanouissement. En se relevant elle ne verra pas que l’écharpe de soie glisse de son épaule.

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(Ci-dessus). L’écharpe de soie est tombée. Le destin de la jeune fille bascule à ce moment-là. Elle va être accusée par sa patronne de vol et renvoyée…

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(Ci-dessus). Le réalisateur nous montre la jeune fille encore sous le choc, abasourdie. Mais quelque chose vient de se déclencher de beaucoup plus terrifiant que les conséquences momentanées d’une collision avec un cycliste.

Pek105_2(Ci-dessus). La jeune fille rassemble les affaires éparpillées par le choc dans un sac. Elle chaussera également les hauts-talons rouges. Elle ne s’apercevra pas qu’elle a oublié l’écharpe de soie.

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(Ci-dessus). Quelque temps plus tard la jeune fille revient dans la boutique et, sans prononcer un seul mot, cherche désespérement l’écharpe oubliée après le choc.Pek107 Pek108

Pek110                                                                                                                                  

(Ci-dessus). La recherche de la jeune fille est vaine. L’angoisse et le désespoir se lisent sur son visage. Elle n’a jamais rien dit comme si elle était véritablement muette.

Pek111                                                                                                                                 

(Ci-dessus). La patronne de la jeune fille vient de la surprendre dans la boutique maquillée et portant ses vêtements. Elle est trés en colère. La patronne et sa fille montent en voiture tandis que la  jeune servante (en bleue, à gauche de l’image), repart à pied.

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(Ci-dessus). Plus tard l’ami de Guei évoque, avec distance et mélancolie, le destin de la jeune servante. Elle a été accusée de vol et renvoyée. Mais, surtout, elle a DISPARU.

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Le destin de Guei est lui-même terrible. Il finira, poussé à bout, par commettre un meurtre. Il s’est condamné probablement à mort. Il ne s’est pas aperçu qu’en heurtant la jeune servante il a déclenché un processus qui a conduit à sa DISPARITION.

Qu’est-elle devenue?

L’hypothèse alors la plus probable n’est-elle pas qu’elle aura été vendue à un réseau maffieux de prostitution?

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Fin du film/fin du monde?

« Petit Guei » sera agressé par une bande de collégiens arrogants et méprisants. Ils détruiront son vélo, le seul moyen qu’il a de ne pas sombrer dans la misère la plus noire.

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Il se saisira d’une pierre et assommera, sans doute en le tuant, le collègien « nouveau-pékinois » qui s’acharnait sur son vélo. Il se condamne par là à mort.

Pppek 

Voilà la nouvelle Chine. Voilà le « nouveau Monde ».

Guerres pétrolières… Darfour… Destruction de la planète… Exclusion croissante des humbles et des plus fragiles…

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Le nouveau Pékin ressemble à un cortège funèbre qui s’ignore. Mais il ne fait que rejoindre le cortège des cortèges : Londres, Paris, New-York…

Ceci est le dernier plan du film.

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