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Il n’y a pas si longtemps un secrétaire général du Parti Communiste Français, Georges Marchais, disait du socialisme soviétique qu’il était « globalement positif ». Tant pis pour les millions de victimes du goulag et des épurations.
Georges Marchais ne pouvait pas un seul instant oser dire que le stalinisme avait trouvé dans la thèmatique révolutionnaire communiste le masque idéal de son dispositif d’oppression et de domination. C’est aux staliniens qu’il devait sa carrière et, notamment, de délicieuses croisières danubiennes en compagnie de Ceaucescu.
Les heideggériens sectaires sont nos staliniens d’aujourd’hui. Ils démolissent d’autant plus les travaux « Faye » que cela leur donne des raisons apparentes pour ne pas faire du nazisme de Heidegger un objet de recherche et de méditation. Et quand ils interviennent sur le sujet c’est pour broder en mythomane sur le thème du « bonheur heideggérien ». Même que, pour Marcel Conche, Heidegger fut un Père Noël à la pointe de la « résistance spirituelle » au nazisme.
Et comme beaucoup de lecteurs en quête de sens ont envie de croire au Père Noël le conte à dormir debout a quelque chance de faire des adeptes. On comprend la difficulté qu’il y a à admettre le nazisme profond de Heidegger. Le contraire montrerait à l’évidence que Heidegger aurait échoué à « introduire le nazisme dans la philosophie ».
Faut-il se résoudre à cette évidence à savoir que, quand on fait une carrière heideggérienne, on ne peut être en mesure de reconnaître qu’on l’a faite en se juchant sur le dos d’un nazi?
C’est un aspect de la catastrophe que représente le nazisme de Heidegger. La philosophie se compromet avec la mythologie la plus délétère.
Mais cela ne dérange aucunement certains heideggériens : la « philosophie » est, paraît-il, pour une large part une ennemie de la pensée.
Devant les tribunaux virtuels heideggeriens ne cessent de comparaître des philosophes qu’on accuse tout simplement de ne pas savoir ce « qu’on appelle penser ». Voir, quand ils sont rationalistes, d’être les ennemis les plus acharnés de la pensée elle-même. Quand aux scientifiques : Darwin, Einstein, Euclide, Newton, Gauss, Galilée… par essence ils ne pensent tout simplement pas.
Pensée? Pour Heidegger la pensée est une mytho-poétique exprimant la vocation du peuple-völkish à la domination.
Dans la main droite : la croix gammée. Dans la main gauche : le Quadriparti.
Tel est l’intérieur-extérieur de l’ontologie politique heideggérienne.
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La comparaison ne me paraît pas forcée : que l’on pense aux oeuvres complètes de Lénine, crapule par ailleurs plus intéressante historiquement que le prof carriériste de Fribourg, et dont « l’oeuvre » a eu un impact autrement supérieur.
Qui aurait pu admettre il y a quelques décennies que les oeuvres complètes, la « Gesamtausgabe » de Lénine, pourrait n’être plus considérée comme la clé du monde moderne ? Ou à tout le moins comme un grand ennemi à combattre ? Cela sera sans doute le cas de la « Gesamtausgabe » de Heidegger dans une génération : observée avec curiosité, on se demandera comment le trucage à pu marcher.
En parlant de trucage, j’ai lu la préface de F. Fédier, « publiée » sur Parolesdesjours. On a donc désormais accès au texte qui a valu au livre de FF et sa clique de ne pas être publié chez Gallimard, et à la lire on comprend.
Un seul point drôle : c’est François Fédier, avant Emmanuel Faye, qui a confondu le premier celui qui tient le site Parolesdesjours (« Lécrivain » Stéphane Zagdanski) et son frère, Serge Zagdanski (la confusion a valu à Emmanuel Faye une bordée d’injures de Stéphane.Z., lisible sur Parolesdesjours) : je cite le texte : « L’ouverture sur le réseau internet d’un site comme celui du clairvoyant Serge Zagdanski (http://parolesdesjours.free.fr/scandale.htm), rend caduque toute tentative de verouillage de l’information. Sur ce site, tout le monde peut consulter à loisir l’ensemble des textes et des lettres dont la publication a été censurée par les divers médias qui se sont fait les promoteurs du pamphlet d’E.Faye » (ibid., note 15 p. 25).
Là où c’est moins drôle, c’est quand on lit p. 8 la phrase qui a valu à son auteur d’être refusé par Gallimard, et on comprend que l’accusation d’E. Faye était fondée : à aucun moment F.Fédier n’admet le négationnisme de J.Beaufret, prétendant de manière intenable qu’il ignorait à qui il avait affaire avec Faurisson, et il avance bien que nier l’existence de chambres à gaz n’est pas nier l’holocauste… je ne m’attarde pas sur cette « argumentation », tout ayant déjà été dit à ce sujet, et notamment ici par Skildy. Heureusement pour F.Fédier, il nous dit connaître des survivants de l’holocauste : « l’un d’eux m’a écrit (je tiens la lettre à la disposition de quiconque voudra la vérifier) : je sais que Jean Beaufret aurait donné sa vie pour moi » »(p. 8) -quite à employer ce genre d’arguments, on se demande pourquoi il ne donne pas la lettre en question…
Sinon le travail d’E.Faye est comparé à celui de la « Guépéou » (p. 12). Mais il est évident que lorsque l’on critique un nazi, on doit l’être soi-même :
ainsi « E.Faye se rend-il compte qu’il use des mêmes procédés que les criminels qu’il entend combattre ? » (p. 23). P. 11 on apprend d’ailleurs que E.F. ferait de Heidegger « la matrice d’où le mal est sorti », ce qui est bien sûr faux.
La suite :
» un anti-heideggérien est un adversaire frénétique de Heidegger, selon la même mécanique que celle par laquelle un antisémite est un ennemi frénétique de ce qu’il tient absolument à faire passer pour l' »esprit », la « nature », le « caractère » – détestables, évidemment, « par principe » – des êtres qu’il groupe sous le vocable de « Juifs » (p. 26).
Comme c’est vraiment trop énorme, il tempère de suite :
« Heidegger n’a pas été persécuté [c’est au moins bien de le reconnaître…] ; les « heideggériens »‘ ne sont pas pourchassés » ;
passons …de toutes façons « Tant que l’on reprochera à Heidegger d’avoir été criminel, je répliquerai que ce reproche est irrecevable, et qu’en ce sens absolument précis, Heidegger est irréprochable. » (p.26).
Sinon on apprend que le terme « völkisch » n’était pas employé par les seuls nazis sous Weimar, mais par des mouvances « très diverses »… : « Ces mouvances vont du parti nazi à des groupes dont la sensibilité ne peut en aucune manière être assimilée à l’antisémitisme » (p. 14).
à bon, lesquels ?? on ne le saura pas. Mais si « ce tome 16 [des oeuvres complètes] est un modèle d’honnêteté intellectuelle » (sic., p. 11), que voulez vous…
Sinon le niveau d’impropriété de cette préface par rapport au livre d’Emmanuel Faye (tout comme tout ce « Heidegger à perdre la raison ») est tout simplement incroyable. Rien bien sûr sur la « völlige Vernichtung », l’extermination totale de l’ennemi. Un détail de l’histoire aussi.
Mais je suis anti-heideggérien, et ceux-ci sont « jetés dans une insécurité foncière », « à cause de la finitude de l’être », alors que ce qui est en question, c’est « …comment, par quelle loyauté, l’insoutenable, incessamment, peut devenir la vraie mesure de l’humain » (p. 27)
Oui, comment ? question à deux francs…
Mourat.
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Remarque pour Skildy : la citation « Jean Beaufret aurait donné sa vie pour moi » est donnée p. 8. Bizarrement à la place de ce renvoi c’est un smiley qui apparaît sur mon écran.
Salut,
M.
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