Heidegger commente la collection de Hitler

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Le deuxième texte du recueil Questions III et IV de Martin Heidegger, intitulé pompeusement  L’Expérience de la pensée, est constitué d’un face à face entre des pages poétiques et des aphorismes de « grandpenser ». Quelque chose me gênait que je n’arrivais pas à identifier et à nommer clairement. Puis je me suis souvenu du film documentaire sur l’art nazi L’architecture du chaos (réalisation de Peter Cohen). On y apprend notamment qu’Adolf Hitler collectionnait de grands tableaux de paysages de montagne : Alpes majestueuses, fiers et tumulteux glaciers, biches buvant à la source au soir couchant, aryenne blonde et nue plongeant dans l’eau pure d’un lac.

Mais c’est bien sûr! Les pages poétiques de gauche du texte de Question III constituent une sorte de contrepoint heideggero-poétique à la collection d’art d’Adolf! (1)

Exemple :

Quand, aux premiers beaux jours, des narcisses isolés fleurissent, perdus dans la prairie, et que sous l’érable la rose des Alpes sourit…

Le grand penseur de l’art qu’est Heidegger refait le coup de la collection personnelle d’Adolf version « grandeur interne ». Laquelle est censée surtout se déployer dans les pages de droite  comme expérience de la pensée.

Et là on a le droit d’être inquiet. C’est ce Heidegger là que Fédier semble avoir pris pour maître :

Trois dangers menacent la pensée.

Le bon et salutaire danger est le voisinage du poète qui chante.

(…)

Le mauvais danger, le danger confus, est la production philosophique.

(Heidegger)

Tout est bien en place, dans ce dispositif, pour organiser quand il le faut une chasse à l’homme contre les « philosophes » qui n’entendent pas se plier à la mythologie totalitaire adolfo-heideggérienne.

Je demande solennellement d’une voix faible, d’une petite voix, à quelques heideggériens de cesser de fabriquer des lecteurs imbéciles et abrutis.

Je ne les soupçonne aucunement d’une quelconque sympathie pour le nazisme. Je pense seulement qu’ils défendent certaines positions dans le champ philosophique en acceptant de transmettre leur propre aveuglement aux jeunes générations.

Il est facile mais coupable de surfer sur l’ignorance du nazisme pour vendre un Heidegger en père Noël.

Ce que j’ai sous les yeux en ce moment est littéralement immonde. Et Heidegger se fout royalement du monde. J’ai l’impression, en le lisant, d’écouter une bande son accompagnant la visite de la collection personnelle du Führer.

Heidegger a inventé la kitschontologie notamment pour couvrir la dimension criminelle de son activité de légitimation et d’introduction philosophique du nazisme.

La bande qui a inventé la fabrique de cadavres sans dépouille est chevaleresque : elle a lutté pour les narcisses et les érables des Alpes!

Heidegger est un poète SS.

Quelle catastrophe pour lui et pour la philosophie.

Pouah!

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(1) Je précise qu’il ne faut pas lire cette phrase de manière littérale. Je dis qu’il y a une convergence entre la « poésie » de Heidegger et le goût de Hitler pour les grands tableaux de montagne. Un grand monsieur qui aurait rompu avec le nazisme aurait pu nous éviter cette convergence. Heidegger est soit un imbécile soit un nazi. C’est un nazi.

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Supplément

Alors que Derrida a fini par reconnaître le nazisme profond du texte heideggérien, il s’est trompé quand il dit que Heidegger aurait évité une « repentance » dans le souci de ne pas noyer une déclaration dans le bruit ambiant. Je pense surtout que cela aurait brouillé son projet d’introduction du nazisme dans la philosophie. Non seulement la critique post-tournant, notamment à propos de la technique et du Gestell, lui a permis d’englober la violence nazie dans une totalité où se dilue la responsabilité des allemands, et notamment celle de certains grands intellectuels, elle l’a autorisé également à dissimuler le projet d’introduction du nazisme.

Le texte L’expérience de la pensée est à cet égard hautement significatif. Alors que, sans passer par une repentance, Heidegger aurait pu – aurait du? – nous proposer une analyse approfondie de l’art sous le pouvoir nazi, il a l’incroyable culot, à notre barbe et à notre nez, de signifier sa fidélité à Hitler. Et cela sous la forme d’une kitscherie qui rend hommage au goût de Hitler pour la peinture de paysages montagnards. J’ai souligné la menace latente que certains propos font peser sur la « philosophie ».

On dira que l’interprétation est forcée, paranoïaque, « délirante ». C’est peut-être le texte heideggérien qui est affolé par la coexistence impossible, chaotique, de la tradition philosophique et de la fidélité  à Hitler et à l’hitlérisme.

Quand on étudie Heidegger sous l’angle politique et historique on n’étudie pas en réalité un « philosophe dans la tourmente » (Marcel Conche) mais une pièce maîtresse du nazisme lui-même.

En tous cas, après la révélation des horreurs nazies, on est en droit d’attendre d’un grand homme de pensée autre chose qu’une « poésie » qui évoque autant les grands paysages naturels alpins que ces mêmes paysages sous forme de tableaux que  collectionnait avec passion Hitler.

Je maintiens l’essentiel de la thèse de cette note : L’expérience de la pensée met en scène, et dans le secret, la fidélité de Heidegger à Hitler.

3 commentaires

  1. ça tourne quand même au délire pur et simple…

    ___________________________

    Réponse de Skildy :

    Pensez ce que vous voulez. Si Heidegger est nazi tout est possible et il est le premier à perdurer dans le délire hitlérien. Ne pas s’en rendre compte procède d’une singulière aptitude à IGNORER ce que fut le nazisme y compris dans sa dimension culturelle.

    Là où vous avez raison c’est que la présence du nazisme dans le texte heideggérien est, par nécessité même d’introduction, floue et ambigüe.

    Le texte cité peut être mis en exergue, comme le fait d’ailleurs l’édition de Questions III et IV, et être lu par exemple comme un poème heideggerien de résistance à la destruction de la terre… Et l’on peut faire un portrait de Heidegger en Père Noël y compris en « récupérant » tel ou tel thème pour la bonne cause de l’écologie fondamentale.

    Mais un grand philosophe, qui ne serait pas contenté de prendre des distances avec le nazisme – prendre des distances ne prouvent rien – mais serait devenu un véritable penseur non-nazi et anti-nazi se serait débrouillé pour éviter de faire un commentaire de la collection personnelle de peinture de Hitler… (J’espère que vous avez compris la dimension métaphorique de la phrase.)

    Encore une fois pour moi Heidegger est un fidèle invétéré du nazisme. Il truffe, à la manière nazie, ses textes des « petits cailloux » de la « révolution hitlérienne ».

    De même il aurait évité que le Quadriparti – qui prouve que les « 4 » constituent une Nécessité absolue de penser? – ressemblât à une croix gammée. Il suffit qu’on puisse faire le rapprochement avec le svastika pour que cela prouve l’intention de Heidegger de rendre la comparaison possible. Un grand philosophe passé à l’anti-nazisme ne fait pas une pareille connerie. Et la réception de Heidegger en « grand penseur » permet à la fois d’occulter le processus d’introduction et de traiter de délirants ceux qui essaient d’en repérer les constituants.

    Votre remarque n’est qu’une injure de plus dans le catalogue des heideggéro-négationnistes.

    (Le dernier Fédier est un beau foutoir. J’y reviendrai de temps en temps).

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  2. Le véritable négationniste c’est celui qui nie la multitude de textes heideggeriens qui rattachent la deshumanisaton du totalitarisme à la marche de la métaphysique depuis le subjectivisme cartésien jusqu’à la Mobilisation totale de Jünger, pour se concentrer sur, justement, des supposés « cailloux »dont vous forcez l’interprétation en espérant que tout le monde acquiscera sans plus de réflexion et de recul.
    Il ne vous est jamais venu à l’esprit que Heidegger ne souhaitait pas spécialement finir à Dachau, et qu’il devait régulièrement prouver son alliance avec les fantoches nazis dans ses cours? Ses étudiants de l’époque, comme Biemel, sont unanimes : ils ont reconnus dans ceux-ci une résistance particulièrement fine et insidieuse à la volonté de puissance souveraine et meurtrière des nazis.
    Si Heidegger souhaitait quelque chose en politique , ce n’était certes pas une démocratie libérale, mais ce n’était pas non plus une tyrannie meutrière. Toutes ses interprétations de la volonté de puissance sont là pour le rappeller. Encore ne faut-il pas se complaire dans un négationnisme sordide : celui des textes publiés.

    ___________________

    Réponse de Skildy :

    1) Je considère que, sans autre recherche, des propositions comme « Ses étudiants de l’époque, comme Biemel, sont unanimes… » sont parfaitement non fiables.

    2) Vous reprenez à votre compte l’argumentaire Teitgen-Vietta. Ce Vietta qui est publié par Alain de Benoist et pour lequel les malheurs postérieurs à la seconde guerre mondiale relèguent loin derrière ceux de la guerre. Si ce n’est pas du négationnisme…

    3) Aus der Erfahrung des Denkes (L’expérience de la pensée) a été écrit en 1947, deux ans après l’effondrement du Reich. Il a été publié en 1954 chez Günther Neske à Pfullingen. Heidegger y réaffirme sa fidélité absolue au Führer via sa « pouésie » montagnarde et en désignant l’ennemi : la « philosophie ».

    ;

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  3. Avec SD, on sait qui est le « véritable négationniste »… :
    « c’est celui qui nie la multitude de textes heideggeriens qui rattachent la deshumanisaton du totalitarisme à la marche de la métaphysique depuis le subjectivisme cartésien jusqu’à la Mobilisation totale de Jünger »

    rien à dire de plus …
    M.

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