Une idée-programme de Derrida sur Heidegger

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En 1987 Jacques Derrida déclarait à Didier Eribon pour le Nouvel Observateur :

« Parce que je crois à la nécessité d’exhiber, si possible sans limites, (nous soulignons) les adhérences profondes du texte heideggérien (écrits et actes) à la possibilité et à la réalité de tous les nazismes, (nous soulignons), parce que je crois qu’il ne faut pas classer la monstruosité abyssale dans des schémas bien connus et somme toute rassurants, je trouve certaines manœuvres à la fois dérisoires et alarmantes. Elles sont anciennes mais on les voit réapparaître. Certains prennent prétexte de leur récente découverte pour s’écrier :

1)      « Lire Heidegger est une honte ! »

2)      « Tirons la conclusion suivante – et l’échelle : tout ce qui, surtout Heidegger, l’enfer des philosophes en France, se réfère à Heidegger d’une manière ou d’une autre, voire ce qui s’appelle « déconstruction » est du heideggérianisme ! »

Il est remarquable qu’après avoir, pour des raisons auxquelles nous pouvons souscrire, critiquer sévérement l’ouvrage de Victor Farias, Jacques Derrida ait reconnu l’existence d ‘ « adhérences profondes du texte heideggérien (écrits et actes) à la possibilité et à la réalité de tous les nazismes ».

La phrase est d’une clarté redoutable et trace la voie d’une obligation : mettre à jour ces adhérences. Notons que Derrida ne parle pas ici de pensée ou d’oeuvre mais de texte heideggérien en ce qu’il comprend et des écrits et des actes. L’idée d’une « introduction du nazisme dans la philosophie » ne peut être considérée ici comme étrangère au constat derridien. Le « deconstructiviste français » admet que le texte heideggérien « recèle » la possibilité de tous les nazismes.Il est vrai que, redoutant autant une globalisation par sottise, par malveillance ou par calcul politico-philosophique, Derrida met à l’écart la déconstruction de la déconstruction (la Destruktion) heideggérienne. Il y aurait ici à faire une généalogie. Notons que parmi les origines récentes de la déconstruction (derridienne) on ne doit pas seulement compter celle de Heidegger. Cette dernière procède au reste d’une interprétation-radicalisation (et d’une politisation) de ce qu’avait esquissé Husserl quand il relisait des grands textes à la lumière de la théorie phénomènologique de l’intentionnalité. La déconstruction derridienne doit autant précisément à Husserl qu’à Freud et Marx. L’hypothèse serait cependant que, chez Heidegger, l’idée philosophique de Destruktion a été comme enrôlée par la révolution conservatrice puis par le nazisme. Aussi pénible cela soit-il à déclarer j’estime qu’Auschwitz se reflète dans  une des facettes de la Destruktion heideggérienne. Celle-ci, chez Heidegger, est bien loin d’une déconstruction au sens que Derrida a donné à ce mot. Elle n’est jamais, pour Derrida, une démolition.A partir de ces déclarations de 1987, sauf travaux importants méconnus de ma part, je ne sache pas qu’une déconstruction ait précisément pris systèmatiquement le parti d’analyser le système des « adhérences profondes du texte heideggérien » avec le nazisme. Si cela est vrai c’est presque incroyable.Le livre de Faye, en ce sens, a au moins le mérite par finir de nommer ce que désigne de manière biaise Derrida : Heidegger introduit le nazisme dans la philosophie.

Si tel est bien le cas il est inacceptable de penser que cela ne devrait avoir aucune conséquence sur la manière de recevoir Heidegger.

Et je ne parle évidemment pas de censure.

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1 commentaire

  1. Sortir un concept comme celui de « Destruktion » de son contexte « logique » est un geste malhonnête. Ce serait comme accuser « la mort de l’homme » de Foucault d’être à l’origine de tout meurtre.

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    Skildy :

    Le contexte n’est pas seulement logique mais aussi idéologique et politique. Il est celui de la révolution conservatrice, du Blut und Boden, et d’interprétation nazillante de Nietzsche.

    Il y a chez Heidegger une part de « déconstruction » au sens de Derrida. Mais il y a aussi de la Destruktion au pire sens du terme.

    Sk

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