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Jean-Luc Nancy n’est décidément pas très sérieux. A moins que l’on considère l’esprit de boutique comme critère de la sériosité.
Soit la transcription d’un fragment d’un entretien qu’il a eu avec Alain Finkielkraut et Jean Birnbaum dans le cadre de l’émission Réplique de France Culture intitulée : Quand la pensée de Derrida voyage.
Il s’agissait de distinguer entre déconstruction et critique, déconstruction et démolition.
« L‘hybris (démesure) de la déconstruction c’est ce qui commence dès qu’on entend déconstruction comme critique et finalement comme démolition. J’aimerais revenir à la distinction que faisait alors pour sa part Heidegger entre le mot allemand destruktion ça c’est une affaire de langue. Destruktion en allemand ne veut pas dire ce que veut dire Zerstörung c’est à dire démolition, mais, vraiment, décomposition de la structure. C’est pour cela que avant même de parler de critique, même si c’est pour simplifier, je crois qu’il faut commencer par dire que ce qui est en question c’est même pas une auto critique de l’occident. (…) Il s’agit plutôt d’un démontage des structures dans l’intention de voir ce qui les ajointe, les fait tenir. Mais, d’une certaine façon, il n’y a aucune démolition. A la limite, encore une fois on ne va pas faire parler les fantômes, si Derrida était là je lui dirais « la déconstruction, à la fin, reconstruit. Elle remet ensemble qu’est-ce qu’elle a démonté ». (…)
Déconstruction c’est ni retour en arrière ni démolition pour laisser un champ vide. C’est « comment cela à fonctionner, et qu’est-ce qu’il y a derrière »… Comment [par exemple] l’édifice des Lumières est construit et, là-dedans, est ce qu’on peut discerner des zones d’ombre. » (1)
C’est donc trés sérieux. On apprend ainsi que Destruktion en allemand ne signifie pas destruction au sens de démolition mais décomposition de la structure.
J’ai donc ouvert un dictionnaire, certes un PONS de 1999, et je n’ai pas pu trouver le mot allemand Destruktion, seulement destruktiv qui signifie négatif. Dans l’allemand courant de 1999, et selon l’édition Pons, Destruktion n’est pas un mot allemand et ne peut donc pas signifier décomposition de la structure.
La solution est que Heidegger, notamment dans Les problèmes fondamentaux de la phénomènologie transcendantale, aurait utilisé le mot français de destruction. Le soi-disant mot allemand qui voudrait dire décomposition de la structure est en réalité un mot français utilisé par Heidegger. Destruktion signifierait destruction puisqu’aussi bien Heidegger a utilisé intentionnellement et en toute connaissance de cause le mot français.
Le plus vraisemblable est que Nancy a réitéré par là sa volonté de ne pas entendre parler du nazisme de Heidegger. Or, avant même que ce dernier ait explicitement rallié Hitler, il avait déjà mis en oeuvre un programme « théorique » de liquidation-destruction de la « conscience judéo-chrétienne » et de sa métaphysique. Qui plus est j’ai acquis la conviction, en lisant des textes postérieurs à 1945, que Heidegger « capitalisait » Auschwitz allant même jusqu’à faire entendre que les portes d’Auschwitz auraient été fermées trop tôt.
Bien entendu la déconstruction n’est précisément pas la Destruktion heideggérienne, Derrida ayant déconstruit, sans le détruire, Heidegger lui-même! Et pour reconnaître par ailleurs son nazisme, et en tant que son nazisme est précisément enté sur une métaphysique non déconstruite.
La thèse serait que, au moins pour une part, la Destruktion heideggérienne serait bien une destruction, non une déconstruction. Elle est métaphysique et, selon moi, d’essence nazie.
Dans sa volonté d’étouffer le scandale Heidegger, sans doute dans l’espoir de continuer à apparaître comme le seul critique sérieux de celui-ci, Nancy maquille la Destruktion-destruction de Heidegger en déconstruction déjà derridienne.
Il s’appuie, comme beaucoup d’heideggériens, sur l’ignorance générale en matière d’histoire et d’analyse du nazisme. Il prête à ses lecteurs un « Hitler-Heidegger connaît pas »! Mais, en plus, il embrouille la question de la part heideggérienne de la généalogie de la déconstruction derridienne laquelle, effectivement, n’est pas une destruction-Destruktion.
Et ce n’est pas parce que Heidegger a utilisé un mot français qu’il aurait anticipé le sens qu’a déconstruction chez Derrida.
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Une germaniste chevronné pourrait-il vérifier s’il n’existe pas, dans une langue plus savante que mon Pons 1999, un Destruktion allemand qui signifierait « décomposition de la structure »?
Peut-être trouvera-t-on un Destruktion d’origine heideggérienne. Mais alors il faut tenir compte que Heidegger a opté pour un terme français. C’est un mot français et s’il est devenu allemand avec Heidegger, c’est pour devenir aussi un mot du nazisme théorique.
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(1) Et alors qu’il y avait la possibilité d’évoquer la question du nazisme de Heidegger comme thème d’une déconstruction du discours heideggérien – entreprise initiée comme telle par Derrida par exemple dans Esprit – Nancy prèfère pointer sur les Lumières. Compte tenu de la manière avec laquelle il a reçu le livre de Faye on peut se demander s’il n’y a pas une crainte que le nazisme de Heidegger jette un discrédit sur une déconstruction d’inspiration heideggérienne des Lumières et de leur héritage. On pourrait tout aussi bien estimer que seule la prise en compte de toutes les questions que pose le nazisme de Heidegger serait à même de redonner de la vie à la démarche déconstructiviste. Ici Jean-Luc Nancy me semble très en dessous des enjeux esquissés par Derrida lui-même à propos du nazisme de Heidegger.
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En gros il n’y a pas grand monde de sérieux alors puisque tous les spécialistes accordent à Heidegger le bien-fondé de l’utilisation de ce mot…
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Skildy :
Cela n’a rien à voir avec un mot supposé allemand qui est probablement un mot français recruté par Heidegger.
Quant au « bien-fondé »… Le nazisme de Heidegger est aussi l’indication d’un mode d’emploi de la Destruktion. Rappelez-vous Nietzsche dont la critique pré-déconstructiviste du judéo-christianisme n’a pas empêché, n’en déplaise à sa frangine, de trouver l’antisémitisme écoeurant et condamnable.
Ma lecture est que, sur une déconstruction de type philosophique et théorique, le nazi Heidegger ajoute une tonalité clairement destructive-exterminatrice.
Duplicité habituelle de Heidegger. Il donne lui même les indications pour transformer la « pensée » en « crapulerie ».
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Bonjour M. Skildy,
Il faut avoir un vif besoin de s’accrocher à un prophète pour ne pas s’apercevoir que le comportement et la soi-disant pensée de Heidegger sont wesentlich marqués par la duplicité. Il se croyait malin par là. Nazi, pas nazi, théologien, pas théologien, philosophe, pas philosophe, nationaliste jusqu’à l’os, mais non, comment pouvez-vous croire cela? On peut appeler ça un comportement de balançoire. Je suppose qu’il pensait se mettre ainsi à l’abri. Ca n’a pas aussi bien marché qu’il pouvait l’espérer. Heureusement pour lui, les gardiens de la grotte sont là pour le vénérer dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
R. Misslin
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