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Beaucoup d’heideggériens de culture – pour les distinguer des heideggériens idéologues à mon avis nazis ou nazifiés – sont consternés et en colère. Le livre de Faye et l’écho qu’il rencontre provoque une vague d’anti-heideggérisme que certains heideggériens n’hésitent pas à mettre en scène comme une chasse au sorcière ou une traque policière.
Quand j’écris sur le blog : « Les SS sont les chiens du berger de l’être », cela provoque sans doute de l’agacement, de l’indignation, du mépris, de l’incompréhension, de l’écoeurement, de l’inquiétude, du dédain.
Reconnaissons que la place d’un philosophe dans la culture, et dans la culture universitaire – et alors même que la France aurait accompli son chemin de repentance – n’est pas facile à assumer, voire à justifier, dés lors qu’au minimum le soupçon existe que sa « philosophie » serait en réalité – pour l’essentiel? aussi?.. – un stratagème de légitimation et d’introduction du nazisme.
Et même si Jacques Derrida a reconnu le nazisme de Heidegger, et dans une forme qui lui est propre, beaucoup d’heideggériens, parfois dits « de gauche », semblent dresser un barrage de protection à l’encontre des « effets » que ne peut pas ne pas provoquer ce que nomme Emmanuel Faye : le nazisme de Heidegger en l’espèce de l’introduction du nazisme dans la philosophie. Et ce n’est pas parce qu’il est impossible de prendre le Heidegger français en défaut d’idéologie nauséabonde que cela n’aurait pas quelque chose à voir avec la loi. Comment respecter Heidegger s’il n’est qu’un Hermann Göring en philosophie? Comment respecter le penseur s’il compte sur le respect, et l’admiration, pour transmettre aux jeunes générations la perle rare du nazisme?..
Ce n’est pourtant pas contre ceux qui cherchent, avec les mots qui conviennent, la vérité politique de Heidegger qu’il faut reprocher la formation naissante d’une vague d’anti-heideggérisme et de discrédit mais à ceux qui ont jugé bon que, sur le marché des idées, le « grand penseur du XX° siècle », le « plus grand philosophe du XX° siècle », cela même qui semblait justifier leurs travaux et donner sens à leur démarche, méritait qu’on entretienne le mythe d’un Heidegger en « père Noël ».
La biographie parue en introduction de Grammaire et étymologie du mot être est en ce sens autant consternante que significative.
Je ne vois pas d’objection, avec la présentation critique qui s’impose, de se féliciter de l’existence philosophique de textes de Heidegger.
Mais, et alors même qu’en Allemagne Heidegger était un auteur de fait marginalisé, des épigones français, dont certains noms a priori prestigieux se sont compromis avec le négationnisme, ont construit un mythe de Heidegger destiné à ne pas perturber son image de grand penseur.
On ne peut qu’avoir le regret de constater la complicité entre un Heidegger nazi mais tactiquement dissimulé, et un Heidegger commenté à gauche mais au nazisme minimisé et le plus souvent soigneusement contenu dans le dérapage du rectorat.
L’impression trés désagréable existe qu’il y aurait pu avoir un calcul du genre : tant qu’on peut (faire) croire au père Noël profitons-en!
Je crois, en philo-sophe – mais j’ai déjà dit pourquoi Heidegger se méfiait de la philosophie – que nous devrions consentir à l’historicité de la réception de Heidegger.
« L’introduction du nazisme dans la philosophie par Heidegger » est une question philosophique centrale et non marginale.
Comment pouvons-nous transmettre Heidegger en faisant l’économie d’avoir à chercher, sans a priori « négationniste », à « falsifier » la thèse de Faye?
Je veux dire qu’il faut approfondir la thèse et déployer dans tous ses attendus, méthodes, moyens et conséquences, ce qu’il en serait de la pensée de Heidegger « dans le cas où », effectivement, elle serait essentiellement animée par le projet d’introduction-légitimition-fondation de la biopolitique d’extermination.
Le quadriparti est bien un svastika. Il suffit même qu’on puisse le penser – les sectateurs diront alors qu’on « calomnie » – pour reprocher fondamentalement à Heidegger d’avoir fait en sorte qu’on puisse le penser.
Et cela suffit.
Après Dieu Heidegger est mort.
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Supplément
Il est tragi-comique de constater que certains « grands penseurs » semblent accorder plus d’importance à l’éventuelle mort de Heidegger qu’à celle de Dieu. Heidegger se serait-il pensé comme un Dieu de substitution?.. Mais alors Dieu n’est pas encore assez mort.
Question : la meilleure façon qu’aurait Dieu de mourir ne serait-elle pas que tous les hommes finissent par lui ressembler comme puissance d’infinie bonté et d’infini amour?
C’est-à-dire dans la négation des limitations des « races » et de toute territorialisation d’inspiration völkish?
Mais en attendant le démontage des armes il faut reconnaître impérativement le droit aux individus, notamment en s’associant, à assurer leur « sécurité sociale ». Et là nous voilà à nouveau avec l’histoire. Et avec les risques que constituent les justifications de la biopolitique d’extermination, toujours prête à déchaîner les passions majoritaires contre des minorités instituées en danger.
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