Quelques gags pro-heideggeriens

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° Heidegger, en démissionnant en 1934 de ses responsabilités rectorales au sein de l’université hitlérienne, serait rentré  en « dissidence spirituelle ».

° Et alors que les quelques phrases qu’il a prononcé après la guerre à propos du génocide, lorsqu’il n’avait plus à craindre l’appareil du parti, sont pires que ses longues plages de silence il aurait été à ce point surveillé et brimé de 1934 à 1945 que cela en ferait un modèle de « résistant spirituel ».

° Heidegger est le penseur de notre temps.

° Heidegger est le plus grand philosophe du XX° siècle.

° Heidegger est celui qui nous donne les moyens de penser l’horreur d’Auschwitz. (A propos de ce sinistre gag je ne peux m’empêcher de soutenir exactement l’inverse : en noyant le génocide dans des généralités sur l’ére de la technique, ne manqueraient-elles pas d’une certaine pertinence, l' »explication » heideggerienne de l’horreur constitue un obstacle majeur à son intelligibilité et un chef-d’oeuvre de négationnisme. Malgré la « grandeur » des textes de Heidegger son explication peut se résumer en fin de compte à ce splendide paradoxe : quand quelqu’un tire sur quelqu’un avec un révolver c’est la faute du révolver. Il ne lui semble pas être venu à l’esprit que, compte tenu précisément de l’efficace de ce qu’il nomme le Ge-stell, il nous incombe d’autant plus que nous n’en soyons pas des complices-victimes consentantes en donnant libre cours à nos instincts les plus sombres. Hélas il y a tout une thématique heideggerienne de « ce qui s’épanouit » qui justifie au contraire que le peuple historial ait à accomplir sa « mission ». Et quand celle-ci est achevée le même peuple historial, en la personne de son Führer spirituel déclare, navré, que c’est la faute du révolver. Telle est l’utilité de Heidegger. Je l’ai déjà dit : Heidegger est l’ingénieur spirituel en chef de la « fabrique de cadavres ».)

°…

Mais alors qui est Heidegger? C’est un nazi « délicieusement » coulé dans la panoplie d’un philosophe. Avec lui tout devient cynique et sale. Heidegger, en ce sens, est bien la « fin de la philosophie », mais c’est une fin tragique et hideuse heureusement strictement limitable à la figure de Heidegger lui-même. Il est cette fin. (Hegel, à ses côtés, est un doux rêveur.) Mais cette fin se termine elle-même avec lui.

Telle est la tâche du futur : penser le surmontement de cette fin.

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8 commentaires

  1. Bonsoir M. Skildy,

    Je suis comme vous, je n’arrive vraiment pas à faire la moindre lecture charitable de la manière avec laquelle Heidegger a osé parler lors des conférences de Brême du génocide du peuple juif. Qu’un homme, et je dis bien un homme, peu m’importe ici qui il est par ailleurs, et même s’il est le plus grand philosophe de tous les temps, (à la limite ça ne pourrait être qu’une circonstance aggravante que je n’ai pas envie d’exploiter justement) ait pu tenir les propos qu’il a tenus, alors que beaucoup d’Allemands étaient en train, courageusement, de faire face à leur passé, cet homme je le ressens comme un être (oui un être) méprisable.
    Cordialement
    R. Misslin

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  2. bonjour à tous,

    un mot pour dire qu’il aurait été préférable de citer les auteurs de ces phrases ; car cette omission discrédite la rigueur que vous revendiquez quand à vos analyses sur le nazisme heideggerien.
    mr misslin pourquoi meprisez vous heidegger ? Pourquoi plutot ne pas en rire puisque c’est aujourd’hui le gag qui vous sert d’argument ?
    toutefois, j’apprecie votre intervention quand au colloque iranien sur la shoah. Je trouve ça non pas scandaleux, mais pitoyable. C’est triste tout simplement ; spinoza nous avait prevenu des ravages de l’ignorance.
    A skildy à propos du revolver ; demandons nous aussi à quel point nous nous empressons de fabriquer des revolvers ?

    ____________________________________________

    Réponse de Skildy :

    Pour Heidegger la haine antisémite est normale. C’est à cause du « révolver » qu’elle a l’inconvénient de fabriquer des cadavres. Cela répond  à votre question.

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  3. Bonjour à tous,
    Je suis en train de lire le superbe livre de Paul Veyne, « L’empire gréco-romain », (Seuil 2005). Paul Veyne décrit l’évolution qui s’est produite avec Socrate, Platon, Aristote et Théophraste, en soulignant que si « un héros d’Homère était pieux par les sacrifices qu’il faisait souvent, un contemporain de Platon ou de Théophraste est pieux parce qu’il porte en lui une disposition intérieure…Autrefois la piété était simplement une des tâches extérieures qu’un homme devait remplir, un brigand pouvait sacrifier souvent et se montrer par là pieux; mais maintenant que la piété est intérieure et provient d’une âme vertueuse, une systématisation éthique de la conduite se met en place. »
    Et Paul Veyne de conclure:
    « Il suffit de penser à notre gêne devant le cas de Heidegger: si la philosophie n’est pas un rôle extérieur, un savoir technique comme la mécanique des fluides ou la linguistique romane, si, au contraire, elle émane de la vie intérieure d’un homme, alors l’existence d’un philosophe nazi (et resté impénitent) est impensable, obscène. Une image idéale, un idéal du moi, ne tient que si elle est sans tache et cohérente. »
    Comme quoi il ne suffit pas de se présenter comme un homme authentique pour l’être, « ce ne peut être que de la tartufferie » comme s’exprime P. Veyne dans le même passage.
    Cordialement
    R. Misslin

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  4. skildy,
    votre reponse ne me suffit pas, mais au fond je ne souhaite pas de reponse. Avec des a cause de , a cause de je ne crois pas que l’on s’approche de la pensee de heidegger.
    Et je ne pense pas non plus a un heidegger haineux.

    ——————–

    Vous êtes dans le mythe du philosophe. Heidegger n’avait pas besoin d’être haineux (quoique…) il lui suffisait de cautionner la haine entretenue par un nazisme dans la foi duquel il a toujours vécu.

    Quant à la pensée de Heidegger… Précisément je n’étudie pas la « pensée » de Heidegger mais son « dispositif », dispositif qui comprend une philosophie à laquelle il assigne, en bon « ingénieur » de son dispositif, le rôle de légitimer et de « négationner » la « mission » qui est celle du mouvement : détruire les non-hommes, ceux qu’il suffit de conditionner en cadavres parce qu’ils ne peuvent pas mourir.

    Quant à ceux qui veulent encore penser avec Heidegger je leur demanderais seulement qu’ils contribuent à sa « dénazification ». Et là il y a beaucoup de travail, et un travail gros de questionnements philosophiques.  

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  5. Bonsoir M. Skildy,
    C’est tout à fait cela, le « mythe du philosophe », et Heidegger s’est drapé toute sa vie dans cette robe-là, la robe de celui qui vit dans les parages de l’Etre, de la Vérité, du Sens, là où la basse humanité se vautre dans les choses, le mensonge, l’absurde. En s’attribuant ainsi soi-même la bonne conscience de l’esprit éclairé au-dessus du commun des habitants de la caverne, on s’auto-immunise: il faut bien que la robe serve à quelque chose.
    Cordialement
    R. Misslin

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  6. Bonsoir M. Skildy,

    Avez-vous lu « Heidegger et l’idéologie de la guerre » de D. Losurdo? (PUF, 1998). Je voudrais remercier Mourat pour nous en avoir recommandé la lecture. Je vous pose la question, parce que ce livre traite à merveille, d’après moi, l’idée de « dispositif » que vous avancez vous-même. Car, on voit à quel point il est tout à fait invraisemblable de séparer le penseur Heidegger de l’idéologue. De plus, on voit très nettement aussi combien les soi-disant thèmes heideggeriens comme « communauté », « fidélité », « destin » etc de SùZ sont tout simplement des emprunts à la Kriegsideologie. D’où le commentaire suivant de Losurgo: « Habermas a soutenu récemment la thèse selon laquelle ce serait seulement à partir de 1929 que débute(chez Heidegger) « une transformation de la théorie en idéologie. » Ce type de lecture, qui permet à Habermas de situer « Etre et temps » sur le terrain de la pure « théorie » n’est guère convaincant. »
    C’est le moins qu’on puisse dire, ou plutôt, c’est c’est tout le contraire qu’il faut mettre en avant: la soi-disant théorie joue le rôle d’un véritable cache-sexe de l’idéologie de Heidegger. Celle-ci peut se résumer en quelques mots: la haine de la modernité à tous les points de vue: politique, culturel, social, ontologique. Heidegger, sans doute marqué de façon indélébile par ses origines sociales et par son éducation catholique ne pouvait pas concevoir comme authentique une autre forme de société que celle basée sur une foi, donc une culture, un chef, un peuple et un sol (rural bien entendu). Il aurait mieux valu qu’il écrive des romans, par exemple: « A la recherche de l’Etre perdu ». Car, l’être qu’il appelait tellement de ses voeux, véritable pôle d’identification imaginaire (imago), c’était celui que les sociétés modernes avaient perdu, à ses yeux, le dieu, la poésie, l’esprit de communauté, le salut, la terre. La mort du dieu, c’est l’avènement de la modernité, et l’homme Heidegger, sans la divinité est un être névrosé. En réalité, derrière l’idéologie, derrière la pensée, derrière toute cette mise en scène soi-disant philosophique, il y a un homme blessé. Or, toute blessure déclenche des réactions de défense, d’où ce caractère foncièrement « réactionnaire » de cet homme et de son oeuvre.
    Cordialement
    R. Misslin

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  7. Bonjour à tous,

    Un bon mot d’O. Wilde pour égayer cette fin d’année:
    « C’est l’amour et non la philosophie allemande qui nous donne l’explication de ce monde, quelle que soit l’explication de l’autre monde. »
    Cordialament
    R. Misslin

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  8. Bonjour,
    Je me suis moi-même intéressé à la question de l’implication de Heidegger en politique. Lu quelques livres que la plupart ont lu. Pour ma part, je ne me lasse pas d’être doucement « surpris » par la passion avec laquelle les gens réagissent à cette question, par les arguments qu’ils avancent, pensant sans doute contribuer à l’élévation ou à l’inhumation du philosophe, ce qui n’est pas le cas, il reste une énigme, mais cela n’a rien d’insolite. Il est patent que lorsqu’on parle de Heidegger, l’on parle d’abord de soi, et non pas seulement de l’obligation morale. Il est question me semble-t-il de la représentation que l’on se fait de ce qu’est un homme, de ses devoirs, responsabilités, etc.
    Car ce qui saute aux yeux à force de lectures sincères, c’est bien que l’Homme, vous et moi bien sûr, est bien là, là où s’est tenu Heidegger tout au long de sa vie, c’est-à-dire ici et là, et que les choses ne sont pas simples pour tout le monde, parce que les hommes sont semblables et dissemblables… les points de vue sur la questionne peuvent par conséquent pas être univoques.
    Inutile de soutenir une position…heideggerienne, pour prendre la hauteur nécessaire à la pratique de la philosophie… la meilleure façon de comprendre Heidegger sans le suivre, c’est peut-être de montrer que ce qu’il a fait ou pas fait, nous amène précisément à penser.

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