L’œuvre complète de Martin Heidegger est l’encyclopédie de la « science allemande » en tant qu’elle comprend en son noyau le savoir de ce qu’est le triangle Peuple-Etat-Chef – ein Volk, ein Reich, ein Führer – celui-ci reposant lui-même sur une vision inégalitaire en vertu de laquelle le « peuple élu » par et pour l’être est légitimé à pratiquer un nouvel esclavagisme de masse ainsi qu’un racisme et un antisémitisme meurtriers et exterminateurs. Les centres d’extermination, tel Treblinka, sont au cœur de cette conception de la domination.
Dans les Cahiers noirs Heidegger se revendique à maintes reprises de ce savoir – farouchement opposé à la connaissance – en tant que, précisément, il comprend la légitimation du racisme et de l’antisémitisme. La particularité allemande acquiert une épaisseur ontologique telle qu’en comparaison un peuple dit sans racine, en réalité un pseudo-peuple du point de vue nazi, est d’entrée de jeu marqué pour être voué à la servilité et par-dessus tout à la mort.
J’utilise le terme «paralogique » de « science allemande » pour indiquer trois choses. 1 – Le nazisme y est associé de manière essentielle tout en étant comme « relevé » dans des formes qui en font disparaître l’abjection. Il acquiert cette « vérité » et cette « grandeur interne » auxquelles Heidegger est si attaché.
2 – La notion rend compte du fait que sa matière philosophique, massivement instrumentalisée, est tournée contre la philosophie elle-même. C’est une manière sophistiquée et en un sens fantastique de clore cette « science allemande ». Elle n’est ni science, qui ne pense pas ; ni philosophie, qui est négativement métaphysique.
3 – Elle explique que pendant encore longtemps il sera possible d’absorber de l’heideggérisme en niant ou en considérant comme insignifiants les liens que le discours du chef spirituel Heidegger entretien avec la vision du monde nazie. Les liens sont profonds et le plus souvent secrets même si les Cahiers noirs les révèlent dans une crudité qui semble encore aveugler nombre de lecteurs.