Sous couvert de la dénonciation de l’antisémitisme de Heidegger Jean-Luc Nancy nie son nazisme et en fait même un antinazi. Froment-Meurice, en son temps, en faisait un nazi radical mais non antisémite ! Est- simplement indigent ou particulièrement pernicieux ?

Dans Exclu le juif en nous, page 11, Jean-Luc Nancy fait cette déclaration : « Le cas de Heidegger est exemplaire en ceci que le même individu a pu élaborer une pensée du « peuple » résolument opposée à tout biologisme racial (et en cela opposée au nazisme) tout en ayant recours, à propos des juifs, à des préjugés racistes aussi misérables qu’un don pour la manigance ou une cupidité financière – caractères dont on voit mal pourquoi ils ne seraient pas aussi biologiques, instinctifs s’ils sont réels. Sinon ils seraient forgés pour les besoins de la dénonciation – et c’est bien qu’ils sont en effet.

Faisant ce geste, Heidegger ramassait pour le compte d’une pensée élevée et hautaine ce qui traînait dans les ruisseaux de l’antisémitisme le plus banal, le plus répandu, vulgaire ou ordinaire, qui infectait l’esprit public de l’époque… et qui continue d’infecter le nôtre ».

Je fais ici clairement un procès d’intention à Nancy : c’est moins le rejet de l’antisémitisme qui motive son livre que la volonté de répéter sa ritournelle absurde sur l’anti-nazisme de Heidegger.

Le club des heideggériens – qui, il est vrai, transcende la clivage juif/non-juif – trouve là une occasion de plus de se réjouir. Mais à quel prix!

Tout d’abord il est faux que Heidegger ait évacué de ses spéculations toute référence au biologique. Dans La logique comme question en quête de la pleine essence du langage – qui est en réalité un traité de nazisme heideggérien – il vante par exemple la « voix du sang ».

Emmanuel Faye a montré, par ailleurs, qu’il ne désapprouve pas la conception nietzschéenne du « surhomme » : « Il montre, dit Heidegger à propos de Nietzsche, l’image du maître de la terre, de l’homme héroïque, qui se sait comme un destin. Avec hauteur, il sonne la fin du verbiage de la noblesse de l’esprit (je souligne) : il n’y a pas d’esprit authentique, c’est d’abord le sang (das Geblüt) qui ennoblit l’esprit – je souligne« .

Et Faye de conclure : « … nous le voyons – Heidegger – dans le cours non professé de 1941, rapporter le surhomme à la « sélection raciale de l’homme », sans exprimer l’ombre d’une réserve à l’égard de la façon raciste de comprendre Nietzsche ». (Heidegger, l’introduction du nazisme dans la philosophie, première édition, page 413).

Qui plus est, de manière générale, il resterait à prouver qu’un antisémitisme spirituel, non biologique, est moins grave qu’un antisémitisme dit banal ou vulgaire (Nancy) parce que plus noble et procédant d’une vue hautaine. Non seulement il n’est pas plus acceptable mais il peut s’avérer tout aussi criminogène. Associé à l’antisémitisme « bio » il peut même favoriser la traque criminelle des juifs de culture et de pensée. Lorsque Heidegger, en 1934, a parlé favorablement de l’anéantissement/extermination totale völligen Vernichtung – il le fait en comprenant tout ce qui ressort d’une spiritualité et d’une intellectualité juives. Comme penseur n°1 du Reich – c’était au moins son ambition – Heidegger pouvait ainsi se prévaloir d’être en mesure de pouvoir exterminer du « juif »! Les juifs sont rivés à l’étant et sont incapables de s’ouvrir à la question de l’être. C’est ce qu’il reproche nommément à Husserl, qui fut son maître. Il ne fait pas que le critiquer : dans le contexte du Reich il l’extermine!

L’idéologie nazie ne constitue pas par ailleurs un bloc absolument uniforme et homogène. Le nazisme heideggérien est une  composante « universitaire » des plus « remarquables » de ce territoire de l’abject.

Il associe il est vrai des marqueurs spirituels au fond biologique « standard ». Au reste quand Nancy s’interroge sur la possibilité pour que les déclarations antisémites de Heidegger puissent aussi relever d’un racisme biologique il pointe le doigt sur une lune qui lui échappe.

En réalité Heidegger affirme par ces déclarations étonnamment banales et vulgaires sa volonté d’appartenance au « peuple » y compris en ce qu’il a de « populiste ». C’est de la politique. Mais Nancy ne veut pas voir qu’il existe effectivement un antisémitisme plus intellectualisé et « spirituel » chez Heidegger. Il ne veut pas le voir car cela remet en cause la « politique de l’être » heideggérienne. Il y a de l’antisémitisme « hautain » du côté de la différence ontologique; du côté de la critique de la technique; du côté de la conception heideggérienne de l’art.

C’est à Munich, dans une école d’art, que Heidegger a prononcé, et après la guerre,  sa célèbre conférence sur la technique. Munich ce n’est pas rien dans l’histoire du nazisme. En terminant sa conférence par un éloge de l’art grec Heidegger faisait se tourner les regards vers l’exposition sur l’art dégénéré. Et là on est en plein antisémitisme d’apparence ou d’expression spirituelle. Et cette conférence fut décisive pour cristalliser la haine antisémite.

Il n’y a pas d’oeuvre d’art sans rapport à la Terre a déjà dit Heidegger. Et là les cosmopolites et les sans racines ne peuvent rien.

Il faut étudier l’antisémitisme de Heidegger bien au-delà des déclarations des Cahiers noirs. Elles peuvent induire en erreur en faisant croire que, au-delà de leur banalité, il n’y a pas chez Heidegger d’antisémitisme. Et c’est une illusion dangereuse.

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