Portrait de Heidegger par Nietzsche

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… les intentions morales (ou immorales), en toute philosophie, ont constitué le véritable germe vital à partir duquel, à chaque fois, la plante a poussé tout entière.

Que les philosophes peuvent être perfides! Je ne connais rien de plus vénimeux que la plaisanterie que se permit Epicure au sujet de Platon et des platoniciens : il les traita de dionysiokolakes. Littéralement, et à première vue, cela signifie « courtisans de Denys », et donc accessoires à tyran et lèche-bottes; mais par surcroît, cela veut encore dire « ce sont de purs comédiens, il n’y a là pas la moindre authenticité » (car dionysiokolax était un terme populaire pour désigner le comédien).

Nietzsche, Par delà Bien et Mal.

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Est-ce une des raisons pour lesquelles, en pleine guerre, Heidegger a cru nécessaire de « s’occuper » de Nietzsche?

L’hitlérisme heideggérien devait être une chose trés sérieuse  non une bouffonnerie.

Cet aspect trés sérieux, absolument pas comédien, cela s’appelle ontologie, voire ontologie fondamentale.  

Et il y a une « morale » heideggérienne.

Elle est la suivante : est bon ce qui s’oppose au mal et le mal est tout ce qui cherche à relativiser la souveraineté absolue du Volk, celle-ci comprenant le « droit à l’extermination ». « Nous sommes le peuple », dira Heidegger en s’adressant à lui-même et à la SS.

Nietzsche aura eu au moins le mérite de dire la bouffonnerie. Tous ces graves transmetteurs de pensée qui gobent les menteries de Heidegger, qui arrangent son cas, qui blanchissent son nazisme ne contribuent-ils pas à former des bouffons qui s’ignorent? Bien sûr, dans le nombre, il y aura toujours quelques malins pour prendre consciemment le masque.

Ce qui est peut-être levé c’est aussi le secret du petit « malentendu » entre la bureaucratie nazie et Heideggernaze. Cela ne plaisait pas du tout au philosophe d’être précisément considéré comme un bouffon. D’où, pour une part, son énergie à fonder, à creuser l’originaire, à déconstruire 2500 ans (et même plus) de métaphysique. (Peut-être a-t-il alors porté la bouffonnerie à un sommet!)

Non, vraiment, philosophe et nazi, c’est quelque chose de trés trés sérieux!

Heidegger s’est-il malgré tout quelque peu vengé en roulant autant d’admirateurs dans la farine?

Pourtant, et les 1700 pages de Caron aident à bien voir cela, celui qui a dit que « la raison était l’ennemie la plus acharnée de la pensée » a construit une machine a toujours avoir raison (1). En érigeant toute connaissance en métaphysique – c’est en tous cas une interprétation possible – et en « relevant » ce que toute connaissance laisse nécessairement de côté il devient imparable qu’on puisse alors toujours faire prévaloir l’être contre son oubli. Heidegger a raison contre Héraclite, Parménide, Platon, Descartes, Kant, Hegel, Nietzsche. Normal : Hitler représentait l’aurore d’une nouvelle histoire de l’être. C’était cela le grand Tournant. Surtout pas une bouffonnerie!

On mettra en avant la profondeur des analyses de Heidegger.

Mais cela ne sauve pas (de) la supercherie fondamentale. On ne se tire pas comme ça de la métaphysique. Précisément l’ontologie heideggérienne c’est la bouffonnerie sérieuse au service de la souveraineté absolue d’un rassemblement humain nommé Volk et transformé en puissance exterminatrice. Le nazisme heideggérien ou l’insoutenable gravité de l’Etre. (Et c’est le moins qu’on puisse dire!).

Mais aussi la pierre de touche de l’état incroyablement avancé de la décomposition de la « conscience européenne ». De quoi vomir de longues semaines. Car toute désoubliance heideggérienne de l’être n’est qu’un jalon dans un territoire qui comprend l’industrie d’Auschwitz. C’est au reste la seule « ville » qui, aux yeux du Grand Sérieux  de Todnauberg, méritait quelque existence.

Pour les initiés, pour ceux qui savent pourquoi et comment l’étoile de la tombe de Heidegger est une croix gammée, cette « ville » heideggérienne fera toujours partie du programme.

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Supplément :

Il s’agit d’une photographie du Hitler du musée de madame Tussauds à Berlin récemment décapité par un publiciste involontaire.

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On pourrait se demander pourquoi il y a tant de livres sur la table du tueur. Que lisait-il? Que cherchent à faire croire les Tussauds sur les lectures d’Hitler?

Il est vrai que, bien avant cette catastrophe que sont pour certains les blogs et la toile, certains livres ont été des vecteurs du crime de masse d’état. Ainsi de Mein Kampf et des Protocoles  des sages de Sion.

Mais qu’est-ce qui advient, par cette image de musée, au livre?

Il est vrai que des « philosophes » n’ont pas attendu les Tussauds pour se coucher sur la table de Hitler. Par exemple Heidegger.

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(1) On dira que je n’ai rien compris. Heidegger veut précisément échapper au jeu de l’argumentation et de la contre-argumentation. Il n’empêche que sa conception du nihilisme, qui s’appuie sur l’oubli de l’être, apparaît bien comme une évaluation, un « jugement ». On dira aussi qu’il s’agit précisément de consommer le Tournant, d’abandonner une fois pour toutes la métaphysique. Mais la perspective me semble d’autant plus illusoire qu’elle s’articule, au sein du « secret » heideggérien, à la justification de la biopolitique d’extermination, (le plus souvent formulée comme « ontopolitique » chez Heidegger). Ce qu’il conviendrait d’explorer minutieusement c’est le comment et le pourquoi de la conjonction entre le « droit à exterminer » et l’idée de l’oubli de l’être, expression qui est aussi le nom d’une grosse valise nommée métaphysique et à l’intérieur de laquelle on peut mettre presque l’entièreté de la civilisation.

Supposer que seule serait indemne la « parole des poètes » revient à mettre la poésie au service d’une conception dont le moteur « nég-utopique » semble reposer, comme chez certains gnostiques, sur la croyance qu’il faut détruire le « premier monde ».

La folie criminelle de Heidegger repose sur la croyance que le Tournant prendrait quelque consistance comme lecture fervente de Hölderlin sur le fond des fumées d’Auschwitz. Mais il n’y a pas de premier monde à détruire. Il n’y en a qu’un seul.

La seule façon d’explorer les impasses heideggériennes, ce qui fait impasse chez Heidegger, c’est d’en passer par la reconnaissance que l’ontologie heideggérienne est une tentative pour fournir à l’extermination de masse d’état une légitimation.

Nous pourrions dire que, en un sens, la mondialisation est allée plus vite que la Wehrmacht et la SS : Stalingrad, la bombe atomique américaine…

Il faut surtout voir la dimension de stupidité de la tentative de justification du nazisme par les crimes du communisme et les ravages du libéralisme. Il n’y a qu’un seul monde. Même s’il le fait de manière hideuse il se défendra jusqu’au bout car il n’y a pas de deuxième monde possible.

Et, de toutes façons, qu’y a- t-il a de plus hideux qu’Auschwitz?

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