L’éthique de Heidegger : une farce sinistre

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Heidegger, grand philosophe classique du XX° siècle, a paraît-il une éthique. Un philosophe, un grand,  que serait-il sans éthique?!

Cette éthique, comme le note Giorgio Agamben, aurait quelque chose à voir fondamentalement avec la mort, avec l’expérience d’ « être-pour-la-mort ». Le mot dernier de l’éthique dirait, face à l’anonymat du On – on vit, on aime, on meurt… –  l’appropriation de l’impropre qu’est la mort. C’est à ce point que le Dasein joue le sens de son existence, en rachetant « son fourvoiement dans le monde du On… »

Agamben précise que le camp est précisément « le lieu où il est impossible de faire l’expérience de la mort comme possibilité la plus propre et indépassable, comme possibilité de l’impossible ». Dans le camp il n’y a même pas de danger. « Là où est le danger, là surgit ce qui sauve », aime à dire Heidegger avec Hölderlin. Or, précisément, le principe du camp annihile même le danger. Si l’empire du On est le danger – dont on peut se sauver par une mort « propre », appropriée et de réappropriation existentielle; si l’ennemi est le danger rencontré sur le champ de bataille – dont on peut se sauver par le combat sacrificiel; le camp abolirait totalement le danger. Le camp ne serait pas dangereux : il serait au-dessus du danger. Le « musulman », le captif qui a renoncé à toute forme d’espoir et de résistance, exprime ce qu’il en fut de  ces lieux qui étaient d’autant moins dangereux qu’ils étaient conçus pour que la mort propre (appropriée) soit impossible.

Le nazisme profond de Heidegger transparaît peut-être ici dans toute sa laideur. Le texte si controversé de la conférence de Brême, (Le Danger), peut être lu comme un texte de jouissance morbide. Le nazi Heidegger se délecte de ce que le camp exclut du champ de son éthique – en tant que fondée sur l’ « être-pour-la-mort ». Lisons la délectation : « Ils meurent? Ils périssent. Ils sont éliminés. Ils meurent? Ils deviennent des produits manufacturés dans une fabrication de cadavres. Ils meurent? Ils sont liquidés imperceptiblement dans les camps d’extermination. […] Mais mourir signifie : endurer la mort dans son être propre. Pouvoir mourir signifie : pouvoir cette endurance résolue. Et nous le pouvons seulement si notre être peut l’être de la mort. […) Partout, l’immense malheur des innombrables et terribles morts non mortes, et pourtant l’essence de la mort est interdite à l’homme. »

Avant de continuer rappelons le « dilemne » essentiel du lecteur.

Soit Heidegger n’est pas nazi et on peut le croire. Soit Heidegger est nazi et il convient alors de lire ses textes avec la plus extrême circonspection.

… Je choisis la deuxième solution. Il fallait bien qu’il maquille quelque peu sa jubilation. Et c’est pourquoi il parle de « l’immense malheur des innombrables et terribles morts non mortes… » En réalité il savoure sa phrase. Heidegger étant… Heidegger et un nazi l’affirmation est même au-delà de l’hypocrisie ordinaire. C’est un comble de saloperie. C’est le spasme froid de la victoire de la guerre nazie contre les juifs d’europe.

Je n’argumente pas, dira-t-on. Mais Heidegger n’a eu de cesse de traquer ontologiquement les coupables de déracinement. Ils étaient l’incarnation du danger pour le Volk et la marque même de la sous-humanité. Ceux qui étaient étrangers au paysage völkisch étaient si peu des Mensch – des hommes – que le camp n’aura fait que faire surgir la vérité de leur non-être.

Remarquons au passage l’immonde circularité du dispositif : le camp prouve, en tuant la possibilité d’une mort propre (appropriée), le non-être du déracinement. Et cela même prouverait la souveraineté ontologique du Volk.

Pour le dire autrement : l’identité imaginaire völkisch serait prouvée par la (pseudo)nécessité du camp en tant que fabrique de cadavres. Telle est la systémique nazie heideggérienne. « Nous sommes le Volk souverain par la seule vertu du fait que nous sommes capables de la solution finale. »

L’éthique heideggérienne (beurk) a donc sa raison pratique : je tue par le camp, donc je suis völkisch.

Tel est le cercle du mal heideggérien.

Au fond il suffit de constater qu’après 1945 Heidegger n’a fait aucune place à la révolte et à la résistance – surtout quand elle s’exprimait culturellement, par exemple à Teresienstadt – pour que l’éthique heideggérienne apparaisse comme une fumisterie sans nom. Et pas seulement parce qu’elle est la justification du crime de masse.

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