Hitler Heidegger via Fédier

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J’ai dit une fois que Marcel Conche, en faisant de Heidegger un résistant spirituel au nazisme, avait fait de celui-ci un père Noël. La littérature sur Heidegger tient souvent du conte, du mythe, de la fable.

La préface de François Fédier aux Ecrits politiques de Heidegger est un conte à dormir debout. La thèse qui me semble être juste est celle qui fait de Heidegger un héritier du mouvement völkisch. Or celui-ci est déjà depuis longtemps antisémite et cela jusqu’au « voeu » d’extermination. Les völkischiens, Heidegger compris, n’attendaient qu’une bonne occasion. Heidegger est tout le contraire d’un penseur égaré : il est circonspect, prudent mais parfaitement résolu. Il aura notamment patienté le temps qu’Hitler fasse ses preuves pour s’engager à fond. Je dirai plus loin ce que j’entends par là.

Fédier et d’autres utilisent une certaine image du philosophe – Heidegger leur donnant par ailleurs l’exemple – pour faire passer leur  mascotte pour une sorte de « génie crétin ».

La thèse du socle völkisch a d’abord le mérite de mettre un peu de cohérence dans le personnage. Heidegger est un fin stratège : il adore, comme Jünger, la guerre, mais il la fait sur un plan symbolique, celui-ci comportant en son centre une ontologisation de la solution finale (le « commencement originaire ».)

Elle autorise surtout d’appliquer à Heidegger, mais à une échelle encore plus grande, ce que dit Fédier à propos de Hitler lui-même. Lisons : « Le dernier élément, où peut se mesurer pourquoi et comment Heidegger méjuge la situation, c’est l’appréciation qu’il porte alors sur Hitler. On ne peut concevoir erreur plus complète. Elle se résume en une formule : avoir donné trop d’importance au langage que tenait le chancelier. En particulier, Heidegger n’a pas aussitôt compris que Hitler ne s’est jamais senti engagé par quoi que ce soit qu’il ait dit; bref, il n’a pas aussitôt mesuré à quel point était virulent, chez Hitler, ce qui signe l’appartenance au nihilisme : le fait de penser, avec une conviction proprement fanatique, qu’il n’y a pas d’autre domaine de débat que celui du succès ou de l’échec, plus exactement : de la domination ou de l’asservissement. Il n’a pas reconnu en lui ce type d’homme pour qui la vérité n’a plus d’autre sens que pragmatique. » (Fédier, page 75 des Ecrits politiques…)

A la sophistication prés ce que dit Fédier sur Hitler s’applique à Heidegger. Le philosophe n’est pas un « génie-crétin » abusé par un fanatique. Comme Hitler il utilise le langage sur fond d’un refus total, au nom du Volk, de quelque droit de l’homme que ce soit dés lors qu’il n’est pas celui, absolu, de l’homme allemand.  

Heidegger n’a pas méjugé de Hitler : il a seulement attendu quelques temps avant de se rassurer sur sa capacité à réaliser le projet de la solution finale.

La supposée erreur, et quelle erreur – « On ne peut concevoir erreur plus complète » – c’est nous qui la commettons en croyant que Heidegger l’aurait commise. Et, surtout, en croyant Heidegger et les heideggériens quand ils vous racontent que « le philosophe » aurait été un « résistant spirituel ».

C’est Heidegger lui-même qui s’est présenté comme tel en 1945. Mais, en parfait hitlérien, il n’a fait qu’émettre un bobard de plus. Bobard que Conche et quelques autres se sont empressés de colporter.

Suggestion éditoriale faite à Gallimard :

Dans la même collection fondée par Sartre et Merleau-Ponty il faut rééditer la seule préface de Fédier assortie de commentaires et analyses de connaisseurs du nazisme de Heidegger.

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PS. Il est faux de dire que Hitler « ne s’est jamais senti engagé par quoi que ce soit qu’il ait dit ». Il a dit qu’il exterminerait les juifs d’Europe. Il est vrai que, la promesse électorale étant énorme, elle ne pouvait pas passer pour un engagement. C’est pourtant cet engagement incroyable qui fut presque intégralement tenu. Pour la plus grande satisfaction, notamment, de Martin Heidegger « l’ontologue » du crime de masse, le « penseur » des solutions finales.

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1 commentaire

  1. Simple piqûre de rappel:

    Heidegger vient en droite ligne d’Abraham a sancta Clara, le plus völkisch des Allemands du Heuberg. Mais la négation de la sexualité dite grecque, par l’Eglise, a fait de lui un renégat radical, disciple de Sade et de Nietzsche réinterprétés en termes violemment antisémites sans y paraître. car Sade était opposé aux massacres et aux déportations (cf. Discours contre Dieu -Ed.ADEN p.160) et Nietzsche reconnaissait aux Juifs une grande valeur bien qu’il soufflât sans cesse le chaud et le froid. Heidegger pour des raisons morales et financières (« Allerdings das Kapital! » 1917) polarisa toute sa haine sur les juifs. Il interpréta le « déracinement » sadien et l' »anéantissement » nietzschéen en termes historiaux d’anéantissement du peuple ayant donné naissance au christianisme. De ce point de vue l’antichristianisme de Heidegger est le relais de celui de Nietzsche. C’est Renan qui mit en évidence l’idée que la racine du christianisme était non seulement le judaïsme, mais « le peuple d’Israël ». Dès lors pour sauver la race aryenne ( Heidegger à la suite de Hölderlin dit « la race des Allemands »), le déracinement signifiait l’extermination des Juifs. Mais le dire ne servait à rien . Ce qui comptait c’était de le faire.

    Et le meilleur moyen de réussir dans cette « tâche » immonde et prétendument purificatrice de l’Allemagne, voire de la planète, c’était de se taire. Heidegger écrit dans son cours sur Schelling que le fait de se taire est une forme d’héroïsme. On peut voir ainsi en toute clarté ce que la phrase célèbre de Sade devint dans la pratique de l’histoire heideggérienne: « Ô vous qui avez la faux à la main, portez le dernier coup à l’arbre de la superstition; ne vous contentez pas d’élaguer les branches, déracinez tout à fait une plante dont les effets sont si contagieux. »(Discours contre Dieu, Aden p.150). Heidegger ne voulait pas faire la révolution à moitié. Il voulait faire une révolution « sans retour » (1933 Hymne au feu »); Hitler qui vint vers sa loge-parti en 1919 fut pour lui le démiurge providentiel. Heidegger l’éprouva à plusieurs reprises et, en 1929, il le chargea de la mission fondamentale « dévolue aux Allemands » devenir le « chancelier » de l’Etat souverain pour réaliser la conquête du monde et l’extermination purificatrice par le fer et par le feu. Il fallut quatre ans (1929-1933) pour parvenir au résultat, mais on y arriva.

    Naturellement Heidegger n’était pas le seul intellectuel du cercle de la nouvelle « transcendance » mais c’est lui qui avait le « surplomb de valeur absolue » (Duns Scot ,1915). Hitler dit dans Mein Kampf qu’il fut infiniment heureux en 1919 d’être reconnu à sa juste valeur par ce cercle d’intellectuels, « ces gens instruits ». Sa vanité flattée on pouvait lui faire faire n’importe quoi, lui faire endosser n’importe quel crime. On commença par l’assassinat de Röhm. La première maille tirée, c’est le vêtement entier qui suivit. En toute chose c’est toujours le premier pas qui coûte. Après la surenchère va de soi. mais à quoi bon en dire davantage. Les Français ne veulent voir « ni la lune ni le soleil « dont Hölderlin dit qu’ils sont intimement liés, indissociables. le soleil Heidegger, la lune Hitler. Les étoiles, les demi-dieux nazis. Tout cela est écrit et lu par Heidegger. Encore faut-il vouloir lire et vouloir entendre Heidegger lecteur de Hölderlin et de Hebel.
    La suite au prochain numéro.

    MB.08.05.2008

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