Sur le cercle carré de l’heideggerland

.
.
.

Il y a trois grandes manières d’envisager ce qu’il en est d’Heidegger nazi et d’Heidegger philosophe.

1. Heidegger est un grand philosophe, voire le plus grand du XX° siècle, donc il n’a pas pu être nazi. S’il s’est égaré un temps, ce que certains auteurs contestent même, il s’est vite repris et est devenu un « résistant spirituel » avisé.

2. Heidegger est un grand nazi, voire le plus grand « penseur » de l’hitlérisme, donc non seulement il ne mérite pas le titre de philosophe mais ses textes doivent être étudiés pour l’essentiel comme des documents qui relèvent de l’histoire du nazisme.

3. Heidegger est à la fois un grand philosophe et un grand nazi. L’attitude responsable consiste à apprendre, en approndissant « sans limites » (Derrida) la teneur exacte du nazisme heideggérien, à faire la part des choses.

Sur 1. La publication de La logique comme question  en quête de la pleine essence du langage, cours de 1934 postérieur à la démission du rectorat, fait voler en éclat le mythe d’un Heidegger démissionnaire et spirituellement résistant. A la lumière des recherches récentes il n’était pas difficile, cependant, d’imaginer Heidegger ne résistant en réalité qu’à la machinerie verbale et bureaucratique du jeune état hitlérien.

Heidegger  a été un nazi acharné. Il a toujours été notamment soutenu par les étudiants nazis les plus radicaux. Et sa « résistance »  avait en réalité une signification criminelle. Il n’a eu de cesse de militer pour la solution finale, pour toutes les solutions finales.

Il a cru qu’il était possible de réaliser le « scénario Spengler », l’aspect suicidaire en moins. (Sur le plan personnel « l’être-pour-la-mort » Heidegger semble avoir été particulièrement attaché à la vie. C’est au moins ce qu’on ne peut lui reprocher).

La défaite militaire du Reich a définitivement montré, cependant, qu’il était désormais impossible à un seul groupe de détenir les clés de la puissance meurtrière dominante. Le spenglérisme non suicidaire redevient une utopie au plus mauvais sens du terme qui soit.

Sur 2. Ce point de vue est fondé moralement. Il est justifié que des lecteurs refusent à Heidegger le titre de philosophe. Mais il est inutile de s’attarder sur le fait que le concept de Heidegger grand philosophe, voire Heidegger en plus grand philosophe du XX° siècle, est parfaitement en place.

Une sorte de course semble avoir été lancée dont l’enjeu pourrait être d’une extrême gravité.

* Heidegger représente vraiment un danger. Sa reconnaissance mondiale, soigneusement tenue à distance jusqu’à présent, de son nazisme, pourrait bien constituer dans l’avenir le terrain où pourrait prospérer un néo-nazisme de culture massif.

* Précisément certains néo-nazis de tête, sachant trés bien faire, continueront à faire briller le concept de Heidegger « plus grand philosophe du XX° siècle ». Laissant à d’autres relais le soin d’articuler ce concept avec le néo-nazisme de traduction politique. Heidegger est naturellement bien plus commode à manipuler comme machine de guerre qu’Hitler.

* Beaucoup de lecteurs n’aperçoivent que des échos affaiblis, et souvent peu compréhensibles, de cette lutte. Le probléme n’est cependant pas derrière nous, mais devant nous. La temporalité du nazisme heideggérien, et d’un certain néo-nazisme, est conforme à la vision heideggérienne de la temporalité. Le texte heideggérien est un signal « d’historialité » et peut à nouveau être mis à contribution pour créer des dispositifs de pouvoir de type nazi. La pensée heideggérienne de l’être, sur sa face nazie, est une pensée de la domination, et de la domination fondée sur une biopolitique d’extermination. Le néo-nazisme d’inspiration heideggérienne aurait-il ainsi sa place dans une préparation à un conflit de civilisation?

Sur 3. C’est le point de vue le plus « intéressant » à approfondir. Et cela dans le sens où il nous mettrait face à une réalité occidentale qui a sa tradition de conjugaison de grandeur et d’ignominie, de « grandeur interne » et de « bassesse externe ».

Heidegger, s’il est un grand philosophe et un grand nazi, c’est qu’il s’est pensé comme un philosophe pour dominateurs et dominants. Précisément les dominateurs ont un besoin vital de « grande pensée ». Il est cohérent qu’Heidegger ne soit pas « cadrable » en tant que philosophe universel. C’est le plus grand penseur du XX° siècle mais surtout pour un groupe qui s’est pensé lui-même au sommet de la pyramide humaine.

Dans ce sens là il n’y a pas de contradiction entre Heidegger grand philosophe et Heidegger grand nazi. Sa philosophie est une machine de guerre destinée précisément à reproduire et à consolider la domination d’un groupe particulier.

Il reste, bien entendu, qu’il est parfaitement légitime de refuser une telle conception de la philosophie. N’oublions pas précisément que Heidegger  a voulu refermer la pensée sur son canton en prétendant passer au-delà de la philosophie elle-même. Ce geste représente une menace.

On protestera en disant que les textes de Heidegger sont précieux aujourd’hui à toute l’humanité. Il semble par exemple qu’il soit en voie de bonne diffusion en Afrique. Heidegger et l’Afrique… voilà un sujet de recherche curieux et « brûlant ».

Mais, surtout, Heidegger est mal revenu de sa croyance en la supériorité du nazisme quant à l’usage de la technique. Comme son parti n’a pas réussi à tuer assez de monde, les armes de destruction massive ont définitivement échappé au monopole occidental…

Le vieillard du Spiegel se félicitait pourtant encore de la manière dont les nazis s’étaient servi de la technique.

Si un conflit majeur de civilisation éclate sera-ce ainsi comme entre bandes nazies rivales?

Conclusion. Les thèses du point 1 servent surtout à faire des « idiots utiles ». Ce qui se joue se trouve à l’articulation entre les points 2 et 3.

Cela ne se décréte pas. Mais il faudrait imaginer notre réception du Heidegger enseignable et enseigné après la mise à jour de la consistance de son nazisme.

.
.
?

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s