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Je viens de prendre connaissance de l’article de J-Luc Nancy paru dans les Cahiers philosophiques n°111 consacré à Heidegger : Heidegger, politique et philosophie.
Je précise que, dans la mesure où ce qui fait problème et scandale, c’est « l’engagement nazi » de Heidegger, les Cahiers ont choisi de se mettre du côté du « philosophe » plutôt que d’interroger explicitement ce qu’il en est du « nazisme heideggérien ». Après tout la revue publie des numéros thématiques : la science, la danse, la décision etc.
Cette présentation ne permet pas encore, en France, que se développe un vrai débat sur cette question qui, à tout le moins, ne saurait être considérée comme un détail de l’histoire de la philosophie récente.
Le cadrage de ces Cahiers 111 permet ainsi à Jean-Luc Nancy d’écrire :
« Plus tard, et après l’épisode nazi, dans son commentaire de l’hymne hölderlinien Le Rhin, Heidegger parlera encore de la communauté des soldats au front, alors même qu’il aura largement délaissé le thème du Dasein et plus encore celui du Mitdasein. On peut voir en effet dans les Beiträge une persistance du premier sans reprise du second, en même temps qu’apparaît une nouvelle insistance sur le peuple, soucieuse d’en produire une compréhension opposée à celle du nazisme (d’un mot, le peuple comme « voix » et non comme « race »). Autrement dit, Heidegger aura persisté – et même au-delà de cette période de la guerre, comme je l’ai fugitivement suggéré – dans le souci de penser un avec qui fût à la hauteur de l’essentialité dont il l’avait investi. » (Les Cahiers philosophiques n° 111, par 75.)
Ce passage appelle plusieurs remarques :
1. Un philosophe qui a eu un « épisode nazi » peut-il être crédible et « fiable »?
2. L’existence d’un tel « épisode nazi » ne contredit-elle pas le cadrage du nazisme de Heidegger précisément sur un épisode?
3. Un tel épisode n’exigerait-il pas que soit examiné de manière très précise et très informée le « hors-champ » de cet épisode? Pourquoi Heidegger, par exemple, n’aurait-il pas connu un « épisode négationniste »?
4. Cela supposerait, par exemple, que soient prises aux sérieuses certaines des recherches d’E. Faye. Mais on se souvient de la manière cavalière avec laquelle JL Nancy a, dans Le Monde, jeté à la poubelle l’ouvrage de Faye. Même si Nancy écrit dans Le Monde, les Cahiers philosophiques sont supposés être d’une autre probité et d’une autre tenue que Le Monde en tant que, notamment par Roger Pol-Droit, il a donné un écho favorable aux thèses de Faye.
5. Ainsi il m’apparaît au minimum léger, irresponsable et déficient de s’en tenir à la thèse de « l’épisode ». L’épisode étant reconnu par l’auteur, j’estime qu’il se met en contradiction, compte tenu de ce qu’est le nazisme – et de ce que sont les nazis de « grande pointure » – en n’étendant pas sa recherche sur le nazisme heideggérien au-delà de ce supposé épisode.
6. Au reste on remarque que l’expression « épisode nazi » arrive comme par la bande. Comme pour refermer d’avance la recherche sur le nazisme heideggérien. Mais le thème de la revue, « politique et philosophie », permettait précisément que fût ainsi « communiqué » aux lecteurs un « Heidegger mode d’emploi ».
7. Il n’est au reste pas étonnant que l’article de JL Nancy ait par ailleurs toutes les qualités requises d’un bon article heideggérien. Il faut bien cela pour « fourguer » le concept d’épisode.
8. On ne saurait expliquer autrement l’embarras, l’étonnement feint et la piteuse solution dite « de l’homme » qu’on trouve également dans les Cahiers dans l’entretien avec Postel et où Nancy parle, à propos de Heidegger d’… »un aveuglement beaucoup moins explicable à la brutalité politique, pratique, physique et morale des nazis et plus particulièrement à leur antisémitisme. Sur ce plan, c’est de l’homme seul qu’il s’agit, et cet homme est inexcusable comme tous ceux – notamment la quasi-totalité des philosophes allemands du temps, pour ne rien dire des autres intellectuels, et pour ne rien dire de l’opinion internationale – qui ont laissé les SA s’emparer du pouvoir des rues pour préparer celui du Reich. Mais de cet homme à ce que j’ai esquissé plus haut comme analyse d’une situation de pensée, la conséquence n’est pas bonne. »
9. Dire que c’est anti-nazi de remplacer une définition du peuple par la « race » par une définition par la « voix » dénote une incompréhension du rôle qu’un Heidegger a joué et joue encore dans le « dispositif nazi ». La langue allemande, pour Heidegger, est érigée de manière parfaitement raciste comme étant la seconde langue de l’être après le grec. La « voix » est la version spiritualisée de la « race ». Par ailleurs la bassesse externe du nazisme n’avait-elle pas toujours besoin d’une « grandeur interne »? Telle était et telle est encore la tâche de Heidegger.
A cela j’ai déjà opposé sur le blog plusieurs hypothèses de travail.
° Heidegger n’a jamais cessé d’être nazi.
° Il s’est félicité d’Auschwitz et a même regretté sa fermeture précoce.
° La Lettre sur l’humanisme, par exemple, est un « contre-procès de Nüremberg » parfaitement dégoutant.
° L’heideggérisme est en lui-même un dispositif de relève de l’hitlérisme. Heidegger vivant assurait la relève d’Hitler mort. Mais il assurait aussi la relève en tant que « grand philosophe ». Il procédait ainsi à la relève, par « grandeur et vérité interne » interposée, d’un nazisme superficiellement vaincu et effondré. Et puis, et ce n’est pas tactiquement négligeable, il relevait le nazisme avec toutes les épices possibles de « l’histoire de l’être » façon Heidegger. De quoi maintenir en vie, pour « mille ans »?, un nazisme de salon, avec son langage secret, mais non moins menaçant que celui des « skeans ».
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