Le projet de Jean Nouvel pour le Philharmonique de Paris

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Communiqué de jpM
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L’architecte français a remporté le concours pour réaliser d’ici à 2012 le futur auditorium symphonique parisien de 2400 places.

 

L’architecte Jean Nouvel a remporté jeudi le concours pour réaliser d’ici à 2012 la Philharmonie de Paris, l’auditorium symphonique de 2.400 places que la ville désirait pour figurer au premier rang des capitales mondiales de la musique.Le bâtiment, pour lequel a été réservé un terrain de deux hectares dans le XIXe arrondissement de Paris, doit ouvrir au public en 2012 après des travaux d’un coût estimé à 200 millions d’euros. Le concours a attiré les plus grands cabinets d’architecture. Six d’entre eux avaient été admis à concourir, parmi 98 candidatures: Coop Himme(l)blau (Autriche), Zaha Hadid (Royaume-Uni), MVRDV (Pays-Bas), Jean Nouvel, Christian de Portzamparc et Francis Soler (France).Jean Nouvel, architecte-urbaniste âgé de de 61 ans, s’est distingué en réalisant plusieurs équipements culturels d’envergure, comme l’Institut du Monde Arabe (1987) et le Musée du Quai Branly (2006) à Paris. Dans le domaine de la musique, il a rénové en profondeur l’Opéra de Lyon (1993) et a construit le Centre Culturel et de Congrès (2000) de Lucerne (Suisse).Parmi ses projets figure également le Concert Hall de Copenhague (2008). Pour la Philharmonie de Paris, Nouvel travaillera avec le cabinet d’acoustique australien Marshall Day. La construction du bâtiment sera financée à égalité par l’Etat (45%) et la ville de Paris (45%), la région Ile-de-France devant apporter les 10% restants.«Le marché de maîtrise d’œuvre doit maintenant être négocié et conclu. Seule la signature de ce marché confirmera le choix de l’architecte», a précisé l’association Philharmonie de Paris dans un communiqué. Le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres et le maire de Paris, Bertrand Delanoë, qui ont coprésidé jeudi le jury du concours, ont estimé dans un communiqué commun que le projet de Jean Nouvel «marquera l’entrée nord-est de la capitale par un geste architectural audacieux».La Philharmonie de Paris sera le lieu de résidence permanente de plusieurs formations musicales, dont l’Orchestre de Paris, et pourra accueillir les plus prestigieuses phalanges symphoniques françaises et internationales. Le bâtiment sera doté d’un pôle pédagogique ouvert aux professionnels de la musique, aux étudiants des conservatoires comme au public scolaire et aux amateurs, et d’espaces réservés à de grandes expositions liées à la programmation musicale, qui comprendra aussi le jazz, la chanson et les musiques du monde.

Photographies mars 2015 après inauguration :

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Un bâtiment en forme de colline pour la future Philharmonie de Paris .

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Le futur auditorium, qui doit ouvrir ses portes en octobre 2012, a été pensé « comme une butte » de 36 mètres de haut, sur laquelle on peut monter, a indiqué M. Nouvel devant la presse. Cette « colline » est constituée de superpositions de plans obliques en pavés de fonte d’aluminium gris. A l’intérieur, la salle de concert de 2.400 places, modulable en fonction des musiques présentées –symphonique d’abord, mais aussi jazz ou musiques du monde– sera de conception « enveloppante », a-t-il dit. Le spectateur, qui ne sera jamais à plus de 38 mètres du chef d’orchestre, pourra lui faire face, être placé derrière lui ou le surplomber. Un ensemble de réflecteurs acoustiques, sortes de « nuages » suspendus au dessus de la scène, seront également modulables. L’ensemble du bâtiment, réparti sur deux niveaux principaux jouant sur les degrés et les passerelles, représente une surface totale de 19.600 m2. Doté de salles de répétition, de boutiques et d’une bibliothèque de partitions, il abritera un pôle éducatif avec salles de cours ou de conférences pour les étudiants, le public scolaire ou les amateurs, et un pôle d’expositions. La construction, sur un budget de 200 millions d’euros, sera financée à égalité par l’Etat (45%) et la ville de Paris (45%), la Région Ile-de-France devant apporter les 10% restants. L’avant-projet définitif sera déposé en septembre 2008. Le chantier doit démarrer en septembre 2009 pour ouverture de l’auditorium en octobre 2012.

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Les Ateliers Jean Nouvel remportent le concours de la philharmonie de Paris

Le jury du concours de maîtrise d’oeuvre pour la réalisation de la salle philharmonique de Paris, réuni jeudi sous la présidence du ministre de la culture et du maire de Paris, a désigné comme lauréat les Ateliers Jean Nouvel.

L’équipement, qui ouvrira au public en 2012 dans le Parc de La Villette, sera le lieu de résidence permanente de plusieurs formations musicales, dont l’Orchestre de Paris. Il pourra accueillir 2.400 spectateurs. Il servira également d’outil pédagogique à destination des professionnels de la musique, des étudiants de conservatoire comme du public avec l’organisation de grandes expositions en lien avec la programmation musicale.

Le classement du concours
1. Ateliers Jean Nouvel (France), architectes et Marshall Day Acoustics Ltd, acousticiens
2. Francis Soler (France)
3. Christian de Portzamparc (France)
4. Zaha Hadid (Royaume-Uni)
5. Coop Himmelb(l)au (Autriche)
6. MVRDV (Pays-Bas)

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 Jean Nouvel :

« La Philharmonie de

Paris sera un bâtiment populaire »

LE MONDE | 13.04.07 | 15h28  •  Mis à jour le 13.04.07 | 15h28

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Stupéfiante. La Philharmonie de Paris dessinée par Jean Nouvel promet de faire parler d’elle tant son allure surprend. Une semaine après le choix du projet de l’architecte, l’une des vedettes mondiales du secteur à près de 62 ans, sa maquette a été dévoilée, jeudi 12 avril, à la Cité de la musique, dans le parc de La Villette (19e arrondissement), à deux pas de

 l’emplacement du futur édifice.

Sur ce terrain triangulaire de 2 hectares au bord du périphérique, Nouvel propose une vaste et haute « colline » de plans superposés en pavés de fonte d’aluminium, aux pentes fractionnées, surmontée d’une grande « enseigne ». Sous ce toit ouvert à la promenade, une peau courbe et plissée d’aluminium et de verre enveloppe un programme colossal : 20 000 m2,

 203 millions d’euros,

une grande salle de 2 400 places, des bureaux, des espaces d’accueil et de répétition, un restaurant, des  boutiques…

Les travaux doivent commencer en septembre 2009 pour une ouverture au public en octobre 2012. En attendant, Jean Nouvel explique son projet.

Vous parlez de « colline de La Villette » ?

Je voulais qu’on puisse monter sur le bâtiment comme sur un rocher, c’est une continuation du parc de La Villette. Ce point de vue en hauteur permettra de lire le territoire du parc. Grâce à cette ouverture du toit au public et à la prolongation du jardin sous l’édifice, décollé du sol, ce sera un bâtiment populaire.

Pourquoi ce bloc d’aluminium ?

Je l’appelle « mono matière mutante » ! Tout le bâtiment est en aluminium, mais traité de façons différentes, en pavés dessinant des motifs au sol, en plaques courbes parfois lisses, parfois poncées. Le but n’est pas de trouver une texture industrielle mais de produire un effet d’envol, des jeux de teinte et de lumière. Les pavés de fonte d’aluminium sont à la fois très pérennes, antidérapants et ils forment une masse compacte intéressante d’un point de vue acoustique.

Vous avez particulièrement soigné la grande salle de 2 400 places. Dans quel esprit ?

Le concours appelait à créer une nouvelle typologie de salle, qui sorte des modèles « boîte à chaussures » ou « terrasse ». Nous avons exploré avec les acousticiens des solutions qui permettent de créer de l’intimité malgré les grandes dimensions. La salle reproduit les courbes et les plis de l’extérieur, enveloppe entièrement la scène placée au milieu, avec un jeu de balcons suspendus comme des nuages et de réflecteurs acoustiques orientables.

Aucun spectateur ne sera à plus de 32 mètres de la scène. Et le parterre est modulable afin d’accueillir non seulement de la musique symphonique, mais du jazz, des petites formations…

Les détails de formes et de couleurs sont-ils déjà très arrêtés ?

Nous en sommes encore au stade conceptuel. Nous avons défini les grandes options. Mais beaucoup de points restent à fixer, comme la structure, en béton ou en acier. On peut dire que la salle sera en bois clair, avec une lumière enveloppante qui viendra de l’arrière et un fond de salle blanc appelé à recevoir des jeux de couleur ou des projections vidéo.

Ce bâtiment surprend aussi parce qu’il est très différent de vos oeuvres précédentes.

J’espère que toutes mes réalisations sont uniques et surprenantes ! On y retrouve toutefois certaines de mes préoccupations habituelles : le travail sur la texture, l’immatérialité…

La Philharmonie sera située entre la Cité de la musique construite par Christian de Portzamparc et le périphérique. Comment vous inscrivez-vous dans ce voisinage ?

Il n’était pas question pour moi de faire une annexe de la Cité de la musique. Cependant, un jeu de rampes et de compositions, de rythmes et de fractionnements répondent et se connectent au bâtiment de Portzamparc. Je me démarque par la matérialité de la Philharmonie, qui doit devenir la pièce majeure de l’ensemble.

J’ai donc conçu un bâtiment plus monumental que le programme ne le prévoyait, même si le toit reste dans la hauteur parisienne réglementaire de 37 mètres. La grande enseigne qui le surmonte jusqu’à 52 mètres compose un signal qui accentue sa présence urbaine. Et il sera très visible et identifié comme un monument parisien depuis le périphérique.

Certains ont regretté que le concours pour la Philharmonie ne retienne pas de jeunes architectes. Que répondez-vous à la remarque « Encore Nouvel… » ?

Je regrette qu’il n’y ait pas plus de concours réservés aux jeunes architectes. Mais je crois que des programmes aussi complexes que celui-ci ne peuvent pas être réalisés par des débutants sans équipe et sans bagages. L’Opéra Bastille (remporté par Carlos Ott à l’âge de 36 ans) a été raté en partie à cause de ça.

Par ailleurs, en quarante ans de carrière, je n’ai réussi à faire que trois bâtiments à Paris : l’Institut du monde arabe (1987), la Fondation Cartier (1994) et le Musée du Quai Branly (2006). On ne peut pas dire que je monopolise le marché !

Propos recueillis par Grégoire Allix et Renaud Machart

Article paru dans l’édition du Monde du 14.04.07.

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On peut entendre Jean Nouvel parler de son projet pendant quelques minutes :.

Téléchargement NouvelPHilar160407B0N.mp3

En faisant un clic droit sur Téléchargement, puis un clic gauche sur « enregistrer la cible sous… » on peut enregistrer le fichier son directement dans ses documents.

(Cliquer sur Téléchargement pour  écouter).

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Quelques temps après…

Jean Nouvel : « Pourquoi je n’étais pas à l’inauguration de la Philharmonie »

LE MONDE | • Mis à jour le

Réagir ClasserL'architecte Jean Nouvel à l'Elysée à Paris, le 23 juin 2014.
L’architecte Jean Nouvel à l’Elysée à Paris, le 23 juin 2014. AFP/ERIC FEFERBERG

« Il faudra bien roder la salle, la faire tester par des orchestres pour régler l’acoustique. Inutile de commencer trop tôt. Au printemps 2015, en fin de saison, on ferait venir les plus grands orchestres du monde pour des concerts exceptionnels, mais à des prix réduits. La vraie saison débuterait en septembre avec l’Orchestre de Paris. » A l’automne 2013, ce furent les recommandations lumineuses de Pierre Boulez au président de la Philharmonie, son ami Laurent Bayle, propos publiés par le magazine Vanity Fair en septembre 2013. Aujourd’hui la vraie saison commence début janvier, la Philharmonie ouvre trop tôt. Sans tests.

Contre tous les conseils de son architecte depuis 2013, le bâtiment a été ouvert dans un planning ne permettant pas de respecter les exigences architecturales et techniques. La Philharmonie s’est tiré une balle dans chaque pied. Par décision régalienne du directeur général de la Philharmonie qui, selon les statuts de l’association privée (loi 1901), décide seul dans le cadre du budget qui lui est attribué. L’architecte devant contrôler et signer les dépenses a été écarté. L’argent public est ainsi dépensé au jour le jour, secrètement, sans contrôle extérieur à l’association.

Un acte d’amour pour la musique

Pourtant, la Philharmonie est un projet public, financé par 100 % d’argent public, né d’une généreuse ambition, né d’un acte d’amour pour la musique. Jacques Chirac, Dominique de Villepin, Renaud Donnedieu de Vabres, Bertrand Delanoë, sensibles aux arguments de Pierre Boulez, conscients de l’absence en France d’une véritable salle philharmonique, décident que la musique, au même titre que les arts plastiques, a droit à son lieu de parfaite expression, construit sur les bases d’un programme d’aujourd’hui, révolutionnaire, révélant le caractère ouvert d’un lieu pour tous et capable d’accueillir un répertoire étendu de la musique classique à la musique contemporaine, dans sa forme expérimentale ou ses expressions les plus populaires.

Ils décident d’inventer un nouvel instrument, une salle à géométrie variable qui respecte les exigences de fidélité des plus fameuses salles de concert du monde et, pour bien montrer qu’ils ne se trompent pas de siècle, ils choisissent comme site le Parc de La Villette, limitrophe de la Seine-Saint-Denis, lieu vivant, de rencontres entre toutes générations et origines sociales. Tout cela ne manque pas de panache : c’est de nature à donner à notre pays et à sa capitale une image et un lieu mondialement attractifs.

L’architecte bouc émissaire

Fin 2011, la crise s’installe, le projet prend du retard, le premier ministre souhaite arrêter le projet, mais Nicolas Sarkozy, « présidentiellement », tranche et confirme l’ambition initiale. Après l’élection de François Hollande, certains ont craint l’arrêt, la mort du projet. Ce dernier fut conservé avec un argument enthousiasmant de la nouvelle ministre de la culture : il est trop tard pour l’arrêter. Dans la nouvelle majorité, plus personne ne défend ce projet, la Ville de Paris refuse de suivre l’Etat dans son investissement. La crise provoque une demande sacrificielle au nom de l’économie, de l’effort national. La crise économique n’est pas automatiquement crise culturelle, crise architecturale, elle demande stratégie et invention : mais, dans le même temps, c’est la peur de la révélation de l’évolution des coûts, on recherche un bouc émissaire, l’architecte est parfait pour ce rôle.

Décrit comme star-artiste-capricieuse, on le dénigre, on le met à l’écart secrètement, contractuellement, avec menace d’éviction. C’est alors l’entrée dans l’illégalité de l’association de la Philharmonie pour cacher en période électorale les coûts réels. La crise justifie tous les sacrifices, d’où la convocation d’un cost killer qui, avec le directeur général de la Philharmonie, prendront des décisions économiquement désastreuses. Au nom du sacrifice, ils feront en fait le sacrifice du sacrifice : le sacrifice des économies en allongeant les délais et les coûts.

 

La Philharmonie de Paris avant son ouverture, le 13 janvier 2015.

Une nouvelle culture « Sam Suffit »

Les atteintes à l’œuvre se multiplient, Mme Aurélie Filippetti, à qui elles sont montrées, me répond : « Les gens trouveront cela très bien quand même », jugement de la ministre de la culture, ministre de l’architecture, ministre des auteurs devant un auteur architecte bafoué. Nouvelle culture « Sam Suffit ». Forts de ce soutien, directeur et cost killer se sentent des ailes, ils taillent dans la bête. L’architecture est martyrisée, les détails sabotés, les contribuables auront donc à payer, une fois encore, pour corriger ces aberrations décisionnelles.

Pourtant, aujourd’hui, l’architecture forte et symbolique d’un tel programme devient une destination internationale et, en économie globale, crée de la richesse et de la rencontre sociale. Car la Philharmonie de Paris est en fait un véritable Centre Pompidou de la musique avec un espace devant le parc de plus de 200 mètres de long de 20 à 30 mètres de large, qui est un lieu gratuit avec des images et des musiques projetées dans des espaces ouverts ou fermés, lieu vivant, permanent, en liaison avec un belvédère à 37 mètres de hauteur, avec vue sur le nord et l’est du Grand Paris.

Un bâtiment prématuré

Ouvrir le programme de la Philharmonie de Paris sans ces espaces ne fait aucun sens et représente une atteinte à l’œuvre architecturale. A ce sujet, je ferai valoir mon droit moral sur la conformité de l’œuvre, ainsi que sur d’autres points cruciaux, pour obtenir des finitions dignes des foyers et de la salle. Ce sont les conditions de sauvetage de l’important investissement que représente ce magnifique programme. Il est grand temps, avant cette soirée d’ouverture, d’annoncer, comme le suggérait Pierre Boulez, que la Philharmonie de Paris est en rodage. Ce bâtiment est prématuré. Avec le temps, et beaucoup de soins, comme pour les enfants prématurés, ses stigmates disparaîtront…

Nous sommes dans la préouverture, véritable prélude aux futures symphonies dédiées à toutes les générations à venir et, en cette période de deuil, je trouve notre Philharmonie très « Charlie » par sa situation, par sa générosité intergénérationnelle, par son ouverture sur les diversités sociales et culturelles.

Entre contrefaçon et sabotage

Le mépris, ces deux dernières années, pour l’architecture, pour le métier d’architecte et pour l’architecte du plus important programme culturel français de ce début de siècle, m’interdisent d’exprimer mon accord et ma satisfaction par ma participation à la soirée d’ouverture, dans une architecture qui oscille souvent entre la contrefaçon et le sabotage. Cette situation doit ouvrir un débat sur les missions de l’architecte, du maître d’ouvrage et de l’entrepreneur dans notre société, ainsi que sur le contrôle de l’utilisation de l’argent public dans les constructions publiques.

Jean Nouvel, architecte

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Pour le dossier :
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La symphonie inachevée de Jean Nouvel

LE MONDE | • Mis à jour le | Par Frédéric Edelmann

 

Vue d'ensemble de la Philharmonie de Paris par Jean Nouvel, le 14 janvier 2015.

C’est vrai, le public est impatient. Voilà des années qu’il attend sa Philharmonie à Paris. Du coup, la maîtrise d’ouvrage a mis la pression. Pour des raisons difficilement déchiffrables, la date du mercredi 14 janvier a été choisie pour l’ouverture du nouveau monument parisien, alors que, depuis quelques mois au moins, il était devenu probable que le chantier ne serait pas terminé, ne laissant guère de chances à Jean Nouvel de présenter sous son meilleur jour ce projet qui lui tient à cœur. Par le biais d’une tribune publiée par Le Monde, l’architecte manifeste son courroux, en annonçant qu’il snoberait le concert inaugural.

Lire aussi : Jean Nouvel : « Pourquoi je n’étais pas à l’inauguration de la Philharmonie »

Mardi 13 janvier, une bonne vingtaine de chariots élévateurs continuaient à s’agiter autour du bâtiment, tandis qu’à l’intérieur, ouvriers et agents d’entretien se livraient à un étrange ballet, les premiers plâtrant, peignant, vissant, les seconds s’évertuant à effacer la poussière fournie par les premiers. Sur un mode faussement enjoué, les représentants de la nouvelle institution, envoyés en éclaireurs pour accueillir notamment les premiers visiteurs, assuraient cependant que tout serait prêt à temps. Et dans le même instant, le camouflage des grands jours se mettait en place, masquant derrière de grands draps blancs les éléments inachevés, comme s’il s’agissait d’un décor de fête.

La fin réelle…

Une foule de « détails » restent à achever, au dehors comme au dedans. Pour autant, on peut désormais se faire une idée de ce que sera l’édifice une fois terminé. Avec un handicap certain : il reste impossible d’imaginer l’état de supposée perfection qui devrait être demain le sien. Sans doute tout sera achevé… après l’inauguration. Mais on peut craindre aussi que la lassitude conjuguée des bailleurs de fonds, des concepteurs, des constructeurs et des usagers ne conduise à reporter indéfiniment la fin réelle du chantier. Faut-il alors se donner comme prochain rendez-vous l’ouverture du restaurant, des cafés et des bars, désormais prévue pour mars ? L’Orchestre de Paris et les musiciens appelés à adopter la Philharmonie pourront alors sabler le champagne quelques semaines après avoir « essuyé les plâtres », comme on dit des chantiers un peu frais.

Seul élément majeur achevé, la grande salle de 2 400 places livre un paysage d’une grande beauté, en attendant d’avoir confirmation de ses qualités acoustiques. Cette dernière exigence est ce qui a engendré sa forme à la fois asymétrique, ondoyante et courbe en chacun de ses points. Le principe de l’asymétrie n’est en soi pas une nouveauté. Hans Scharoun l’avait déjà mis en œuvre pour la grande salle de Berlin, en 1963. Scharoun avait aussi expérimenté ce qui est une autre caractéristique de la Philharmonie de Paris : l’installation de l’orchestre au milieu même du public. A ceci près que la jauge parisienne peut être modulée pour atteindre 3 650 places lors des concerts amplifiés. Autre qualité de cette Philharmonie : la faible distance (32 mètres) entre l’orchestre et le spectateur le plus éloigné, quand on trouve 40 voire 50 mètres dans nombre d’autres salles.

Edifice complexe

Le volume global, soit 30 500 m3, n’est pas nécessairement perceptible depuis les sièges. Comme Nouvel l’avait imaginé, par exemple pour l’Opéra de Lyon, l’espace alloué au public comme aux musiciens se trouve « accroché » à l’intérieur d’une boîte plus vaste, impliquant la création de passerelles pour entrer dans la salle. A la valeur acoustique qu’il faut sans doute leur prêter, il faut ajouter une qualité spatiale et lumineuse, qui trouve à s’exprimer aussi dans le choix des couleurs de la salle, dans les tons blanc cassé ou ocre, selon la lumière. Ambiance accueillante et chaleureuse, bien loin du noir de l’Opéra de Lyon ou du blanc sec de la salle de Lucerne, pour ne citer que deux œuvres signées Nouvel. Au plafond flottent quelques cumulus blanc plâtre, à vocation acoustique, et un bouclier technique qui dissimule les éléments techniques. Au fond, derrière l’orchestre, une série de tuyaux malingres représente la batterie de l’orgue dissimulée derrière des volets. L’instrument, la grande salle de la Philharmonie, est donc là, magnifique, qui ne demande plus qu’à être rodé.

Lorsqu’on s’éloigne de la salle, cependant, l’édifice révèle une complexité croissante. La multiplication des fonctions, qui fait de la Philharmonie de Paris (nom qui se substitue à celui de Cité de la Musique) une institution hors pair, engendre jusqu’à nouvel ordre une impression labyrinthique : pôle éducatif, salles de répétition et de conférence, studios de musique, espace d’exposition, salle happy few destinée aux sponsors et mécènes, restaurants, librairies, loges, etc., à quoi vient s’ajouter tout l’ensemble de la Cité d’origine, construite par Christian de Portzamparc. C’est tout cet univers qui souffre le plus de la précipitation du chantier. Et qui aggrave le grand sentiment de désordre qui émane de la structure extérieure du bâtiment.

Une machine de guerre

C’était prévisible. Les maquettes du concours étaient éloquentes, qui faisaient du projet Nouvel un oiseau d’assez mauvais augure. Dès l’origine, l’architecte français semblait se placer dans une surenchère formelle par rapport à ses tout aussi prestigieux confrères : le Walt Disney Concert Hall de Frank Gehry, à Los Angeles, l’opéra de Zaha Hadid, à Guangzhou, la Philharmonie de Hambourg, d’Herzog et de Meuron, en chantier depuis 2007 pour une ouverture prévue en 2017, enfin l’Opéra d’Oslo, de l’agence Snohetta (sélectionnée pour construire le prochain siège du groupe Le Monde à Paris), qui imaginait avant Nouvel un toit accessible au public.

A Paris, la Philharmonie se présente comme une grosse machine de guerre proprement illisible, armure ou bunker, au dessin violent et agressif, brassant l’air sur un mode explosif. Recouvert en partie de milliers d’oiseaux stylisés en fonte d’aluminium, il délivre le message de leur couleur triste, échelonnée entre le gris et le noir. D’autres fragments de cette façade peuvent se lire comme de grands yeux brillants et tuméfiés, n’indiquant en tout cas rien de ce qu’ils dissimulent à l’intérieur. L’équipe Nouvel et, dans la foulée du jury, sa maîtrise d’ouvrage, se sont mis en tête que le public, au-delà de ses goûts musicaux, viendrait forcément chercher de nouvelles vues sur ce coin oriental de Paris. La toiture offre donc une succession de zigzags piétonniers et tranchants, qui achèvent de faire perdre tout repère sur les pentes de ce drôle d’édifice.

  • Frédéric Edelmann
    Journaliste au Monde

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A la Philharmonie, le feuilleton continue

LE MONDE | • Mis à jour le | Par Laurent Carpentier

L'espace éducatif de la Philharmonie de Paris, conçu par Jean Nouvel.

A la Philharmonie de Paris, on aimerait en finir avec les orages. Passé les grandes heures de l’inauguration et les lauriers d’une salle unanimement saluée pour son acoustique, les nuages ne cessent pourtant de s’amonceler. Retards énormes dans les travaux, malfaçons en tous genres (le béton qui rebouche les trous dans l’allée, les « oiseaux » de métal de la façade mal fixés et que dérobent des esprits malins…), grève de personnels surchargés de travail déjouée de justesse, festival Days Off rapatrié, cet été, au grand dam de ses organisateurs, dans les locaux de la Philharmonie 2 – l’ancienne Cité de la musique que le nouvel établissement a englobée – pour permettre aux bâtisseurs de finir les travaux et de faire fonctionner les orgues dans la salle…

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    La rampe menant à la Philharmonie est parsemée d’oiseaux, éléments décoratifs qui recouvrent également l’immense structure métallique du toit. Mais ce passage menant aux salles de concert est encore en travaux, trois mois après l’inauguration du lieu. Crédits : SYLVIE KERVIEL/ »LE MONDE »
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    Sur les murets et sur certaines parties du sol, le béton apparaît à la place des oiseaux manquants. Crédits : SYLVIE KERVIEL/ »LE MONDE »
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Et puis, surtout, il y a cet architecte qui poursuit dans les prétoires ce bébé qu’il ne reconnaît pas comme le sien. C’était le 13 février devant le tribunal d’instance de Paris. La Philharmonie avait envoyé pas moins de quatre avocats à la 3e chambre, 4e section, dont un ténor de la question du droit d’auteur, pour se défendre face à ce Jean Nouvel demandant des « travaux modificatifs » sur « vingt-six points de non-conformités » qu’il dénonçait par rapport au projet initial.

Lire aussi : Jean Nouvel : « Pourquoi je n’étais pas à l’inauguration de la Philharmonie »

La cour a rendu, jeudi 16 avril, les conclusions de ses délibérations. Un jugement de Salomon qui satisferait bizarrement tout le monde. D’un côté, il confirme Jean Nouvel dans son statut d’auteur, ce que la partie adverse lui refusait, lui reconnaissant, en somme, le droit de s’indigner et de poser la question. De l’autre, il « déclare la demande de Jean Nouvel irrecevable ». Et le condamne à verser 6 000 euros à la Philharmonie. Julie Jacob, l’avocate de l’architecte précise : « Mais c’est au vu du fait que le bâtiment était inachevé au moment du dépôt de plainte, en décembre 2014, et qu’il lui manquait des pièces pour juger. »

Fantasmes, colères, conflits

Victoire, laisse-t-on entendre à la Philharmonie. Et motus. Laurent Bayle, le président de l’établissement, refuse tout entretien, avant, après, pendant le procès. « On ne commente pas un processus de justice », affirme-t-il au téléphone, qu’il a fini par décrocher de peur qu’on interprète mal son silence. « Ce n’est que partie remise », répond Jean Nouvel, serein. L’architecte est persuadé qu’il obtiendra in fine gain de cause. « Je vais continuer à me battre. C’est un bâtiment qui n’est pas lisible en l’état, pas regardable correctement, j’espère encore que cela puisse se régulariser. Je comprends la décision du tribunal, il lui manquait des pièces que nous avions versées au dossier hors délai du point de vue juridique… Nous allons les fournir. Et essayer de faire en sorte qu’on y arrive avant l’été. »

En somme, le feuilleton continue. Et le paquebot de la porte de Pantin continue de traverser, trois mois après son ouverture, les tempêtes que son coût – difficile à faire comprendre par temps de crise – et ses dérives financières – largement médiatisées – ne manquent de provoquer, attisant fantasmes et colères, conflits et agacements. Des 120 millions d’euros estimés lors du concours d’architecture en 2007, on est passé à 380 millions, assurances, équipements, honoraires du maître d’ouvrage délégué et des bureaux d’études compris.

Laurent Bayle l’a bien saisi, qui aimerait qu’on ne s’intéresse plus qu’au programme. Mais comment faire ? « C’est toujours comme cela…, explique-t-il. Et encore, on est gâtés par rapport à ce qu’a vécu l’Opéra Bastille ! Eloignez-vous de Paris, et le discours change du tout au tout. Aujourd’hui, on m’appelle en pompier à Munich pour la rénovation d’une salle, Le Guardian titre “A quand un tel lieu à Londres ?”, les Américains viennent nous voir… On construit une salle pour un siècle. Bien sûr, il aurait mieux valu qu’elle soit finie à l’ouverture – elle le sera, je l’espère, le 28 août –, mais il ne faut pas se faire d’illusions, il y a toujours une année 1. »

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