Les SS sont les chiens du berger de l’être

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Selon Silvio Vietta Heidegger se serait livré à une critique et à un dépassement du nazisme, horreur qu’il a lui-même contribué, en ralliant Hitler, à installer. Ne pas vouloir s’en rendre compte, le reconnaître et l’accepter reviendrait à calomnier un grand penseur qui, pris dans la tourmente, ne se serait pas contenté d’une repentance mais aurait réellement ouvert les voies d’un « dépassement » du nazisme.

Mais que signifie « dépassement » du nazisme? Le nazisme est-il une chose qu’il s’agit de « dépasser »? Surtout si l’on reconnaît dans le même temps qu’il a (presque) parfaitement réalisé son programme de destruction des juifs d’europe? (En réalité ce serait le nihilisme européen qu’il s’agirait de dépasser, le nazisme en ayant été la forme la plus extrême. Est-ce que cela change vraiment la question? On  verra plus tard… Mais, de toutes façons, que signifie dépasser Auschwitz, avec quelques phrases de circonstance, et alors qu’Auschwitz « a fait son travail »?.. Voilà à quoi l’histoire européenne nous oblige à penser, et avec elle un dénommé Heidegger. C’est l’effroi).

Il y a le Heidegger que l’on peut commenter sagement, pour un examen, pour une dissertation, un mémoire voire une thèse. Exemple : « La lecture heideggérienne de Parménide ».

Il y a le Heidegger, et parce qu’on le soupçonne non sans argument d’avoir introduit le nazisme dans la philosophie, qui nous oblige à renouer les fils d’une histoire horrible et d’une question terrifiante.

Ce serait si simple si, sur fond de toutes les variantes du négationnisme, on tournait enfin la page, on « dépassait », par exemple en commentant l’idée heideggérienne selon laquelle « l’homme est le berger de l’Etre. »

Quoi de plus beau, de plus pensant, de plus suggestif, de plus critique des tares de la modernité dussions-nous, pour l’apprécier pleinement, mettre entre parenthèses son côté un peu kitsch?

Le « dispositif Heidegger » est plus complexe, plus « pervers » mais aussi plus menaçant que cela.

J’en formaliserais un de ces aspects par la formule simple N + d.

N veut dire nazisme et d distance. Elle signifie que le « dispositif H » tient à distance, mais en réserve, le nazisme en tant que technologie de terreur et de « purification » au service du peuple investi de la mission d’être comme à l’avant-garde de la garde même de l’être. (« Aryens », allemands…).

Ce qu’il faut accepter comme faisant vraiment problème, quand on étudie cet aspect inquiétant de Heidegger, est que la relation qu’il a entretenu  – qu’il entretient… – avec le nazisme doit nous rendre extrêmement prudent et circonspect.

Le projet nazi est tellement radical et terrifiant que dans le cas – que je crois avéré s’agissant de Heidegger – où un philosophe l’intégrerait dans sa conception de la politique il ne pourrait le faire qu’au prix d’une efficace dissimulation.

Ainsi, le « dépassement » de Vietta n’est absolument pas une garantie de l’anti-nazisme du « second Heidegger ». « Dépassement » pourrait signifier malheureusement aussi « intégration » du nazisme.

Mais, surtout, ce « dépassement » pourrait très bien être cette distance d nécessaire à l’introduction du nazisme dans la philosophie et, surtout, à l’efficience de cette introduction. Le plus horrible est alors bien que les philosophes « introducteurs » sont instrumentalisés (à leur insu ou non!) pour reproduire cette distance d en tant qu’elle est elle-même fonctionnelle.

Ce qui apparaît alors, de manière non moins terrifiante, c’est que la « pensée Heidegger » – non critiquée, non déconstruite – ne serait ni plus ni moins qu’une école formant à la bureaucratie indispensable aux crimes de masses : purifier, essarter, ouvrir le monde, amonder, rendre habitable etc.

Pour le dire autrement : le nazisme n’est mis à distance, dans le « dispositif Heidegger » – et il faut qu’il le soit selon une « bonne mesure » – que pour constituer une sorte de « main de fer » de réserve.

« Berger de l’être »… C’est beau, c’est bucolique, c’est tendre, c’est écologique, c’est vraiment post-moderne.

Mais les bergers ont des chiens. Quand il s’agit de moutons ce n’est pas grave du tout. S’agissant de « l’homme » la joliesse de la formule cache à mon avis quelque chose d’absolument terrifiant.

Le nazisme de réserve, tenu à la distance d, est la meute de chiens des « bergers de l’être ». C’est la SS ou tout équivalent.

Et là on chavire car le fameux « dépassement » pourrait bien signifier en réalité « généralisation ». Après Auschwitz, par exemple, une Europe « heideggérisée » et capable d’assumer son rôle de berger de l’Etre avec des meutes d’exterminateurs de nouvelles générations.

Je délire? Alors Auschwitz n’a été qu’un cauchemar et n’a jamais existé.

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PS. On est bien loin, en effet, d’une note sur la lecture heideggérienne de Parménide. Honte à Faye, et avant lui à quelques autres, qui provoque un tel flot de calomnies délirantes!

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1 commentaire

  1. oui, sauf qu’écrire un livre sur la lecture heideggérienne de Parménide sans parler du nazisme de son cours serait aujourd’hui pour le moins plus que douteux…
    je crois que Nicolas Tertulian a déjà écrit sur le thème dans un de ses articles, et peut-être Jean Bollack en parlera-t-il dans son prochain livre ?
    à suivre.
    Mourat.

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