Alerte maximale! Sur le livre de Vietta/Heidegger

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Je viens de me procurer Heidegger critique du national-socialisme et de la technique de Silvio Vietta. L’ouvrage est sorti en 1989 à Tübingen. Il a été traduit  et édité en français dans le cadre de la collection Révolution conservatrice d’Alain de Benoist.

J’aime beaucoup les « quatrième de couverture ». Je ne sais si celle de cet ouvrage a été rédigée par l’auteur ou par un directeur de collection.

Un paragraphe m’a fait sursauté et m’a fait comprendre l’immense danger que représente Heidegger.

ALERTE MAXIMALE!

Le texte est le suivant : « …Si c’était au contraire (…) l’expérience des années 1933-36 qui avait permis à Heidegger d’identifier pleinement le nazisme comme l’une des formes modernes du nihilisme européen et de jeter les bases de son dépassement? Et si son prétendu « silence » n’avait été qu’une forme d’appel à une pensée méditante soucieuse du plus essentiel questionnement ».

Apparemment rien de choquant. On pourrait donner l’extrait à commenter à des étudiants avertis en heideggérisme. Que signifie « pensée méditante »? etc.

Mon interprétation ne sera pas académique. Elle constitue une hypothèse de travail en faveur de laquelle je me charge d’argumenter dans les pages à venir.

Le nazisme et la révolution conservatrice constituent un ensemble même si cet ensemble a été sujet à de graves dissensions internes. Dans le livre de la collection d’Alain de Benoist on tente de nous présenter les révolutionnaires conservateurs comme ayant été des victimes du nazisme.

Pour ma part j’estime qu’il s’agit bien d’un ensemble. Pourrait-on parler « d’ensemble chaotique »? Le nazisme représenterait selon moi, dans cet ensemble, la part opérationnelle laquelle inclut  par ailleurs des théoriciens de la révolution conservatrice. La nature du projet global est telle que cette part opérationnelle tend  nécessairement à s’autonomiser.

Nous dirions métaphoriquement qu’elle est la « part sauvage » du projet qui menace de déborder et qu’il s’agit de s’efforcer de contrôler.

La thèse est d’abord que la distinction entre nazisme et révolution conservatrice vise surtout à tenter de rassurer, à faire oublier l’atrocité de l’effectivité de la « révolution ». Elle est dans la logique, à visée pratique, du négationnisme.

Elle est ensuite que Heidegger offre la possibilité infiniment précieuse de légitimer spirituellement le « mouvement » tout en gardant, dans la dénégation de cette garde, le nazisme comme « main noire » ou comme « main de fer ».

C’est le sens du « silence » de Heidegger. Et c’est pourquoi l’alerte ne peut être que maximale. (Je me fonde pour l’affirmer sur mes lectures de La dévastation, Sérénité, l’entretien posthume donné au Spiegel…).

Dit autrement, mais c’est encore une hypothèse : il y aurait selon moi une incompatibilité entre la critique heideggérienne de la technique et une véritable démarcation et critique-dépassement de la « vérité interne » du nazisme. C’est le noeud du problème. Ce qu’il s’agira de démêler par la suite. Contre Silvio Vietta qui construit un Heidegger en opposant spirituel au nazisme.

(Avec le nazisme il faut s’attendre à tout y compris à ce que cette construction elle-même lui soit favorable).

Le texte cité ne signifie qu’une chose : Auschwitz est le dispositif qu’on tient en réserve « dans sa manche ». Hermann Göring s’est fait pendre : quel con! Il aurait du s’appeler Heidegger! (1)

Selon cette hypo-thèse tout l’Heidegger postérieur à 1945, et alors même que le nazisme peut effectivement se glorifier d’avoir exterminer les juifs d’Europe, s’explique comme mise à l’écart et occultation du binôme SS-Auschwitz afin de le préserver-réserver comme puissance opérationnelle. C’est la cause efficiente que l’on maintient dans l’ombre.

Dans la course pour la domination et les jouissances qu’elle procure Heidegger et les siens représenteraient comme une sorte de prêtrise d’encadrement et de « jouissance spirituelle » de la domination.

La pyramide serait la suivante :

– En bas les victimes servant à purifier l’espace à venir.

– Au-dessus le peuple völkish dit « historial ».

– Au-dessus encore toute l’administration militaire et policière y compris naturellement le système des camps chambres à gaz comprises.

– A la base du sommet se trouverait ce que j’ai « appelé » la prêtrise. Heidegger est au centre de cet espace. Hitler est à la jointure entre l’espace de l’administration de la terreur et l’espace de la prêtrise.

– Au sommet du sommet : tous ceux qui s’enrichissent et prospérent de la situation sans avoir ni à risquer leur vie, ni à encadrer les camps, ni à écrire de volumineux ouvrages de philosophie.

Il n’y a nul besoin, dans ce modèle, d »imaginer un Heidegger donneur d’ordre ou chef réel de la SS. Il vaut mieux pour le système qu’il ne soit pas cela. C’est le « prince », et le « prince » préservé de cette abominable ruche du crime.

Telle est, à cet instant, ma vérité sur Heidegger. 

En préservant Auschwitz comme possibilité pour l’espace futur, pour l’habiter; en se lançant dans une  véritable campagne de ralliement fondée sur la sensibilité écologique, Heidegger représente le danger même des « solutions finales » à vernis de civilisation.  

La vigilance démocratique est  très en retard quant à l’analyse de la « renazification » des esprits.

Pour ma part j’estime que les événements du Rwanda ont une immense et terrifiante portée.

Ils seraient l’expression d’une expérimentation de ce que j’appelle techniquement le « nazisme virtuel ». On ne déporte plus une partie de la société dans des camps, c’est la société elle-même qui, le temps de la « révolution-purification », se transforme en site d’extermination.

Bref, la série ne fait que commencer.

1. Auschwitz

2. Rwanda

3…………..

Quel est le candidat à la troisième place?

Heidegger, avec toute sa « trans-philosophie », représente un des sommets de cette horreur qui s’est formée au coeur de l’occident : la biopolitique d’extermination.

Il n’est que l’ingénieur spirituel en chef de la grande fabrique de cadavres que la « révolution conservatrice » conserve, bien cachée par la dénégation, dans sa manche.

Heureusement que Heidegger a pris des distances avec la « philosophie ». Sauf que, dans une société au nazisme effectif, je donne pas chère de  la peau de nombreux philosophes.

Bon, avec tout ça, il n’est pas étonnant que le brave Martin ait hölderlinisé à tours de bras sa machine de mort.

____________________

(1) En réalité Göring s’est suicidé avant son exécution avec une capsule de cyanure. C’est aussi la superbe d’une crapule, certes. Mais sachant le rituel de la pendaison absolument horrible je comprends la « douceur » d’une capsule de cyanure. Le « gros bébé » Göring, habitué de l’alcool et des drogues, a préféré sucé un bonbon de la mort.

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2 commentaires

  1. “…Si c’était au contraire (…) l’expérience des années 1933-36 qui avait permis à Heidegger d’identifier pleinement le nazisme comme l’une des formes modernes du nihilisme européen et de jeter les bases de son dépassement? »

    C’est précisément ce que je pense : là est le lieu du véritable « Tournant ». Les cours de 1934 et 1935 servant de transition.

    ______________

    C’est votre lecture, conforme à celle que souhaite Alain de Besnoit.

    Pour ma part je suis convaincu, après la lecture de La Devastation, de Sérénité et de l’entretien postume donné au Spiegel que Heidegger capitalise Auschwitz. Sa problèmatique n’est qu’une tentative pour en opérer une Aufhebung le tout noyé dans un négationnisme décoré d’höderlinades.

    … Je maintiens plus que jamais l’alerte maximale.

    Skildy

    J’aime

  2. M. Domeracki, vous me traitez parfois de « naïf », et je suis prêt à l’assumer compte tenu du fait que je pense que ce serait simplement de la prétention que de se croire exempte de toute forme de naïveté. Mais, quand vous écrivez que Heidegger a pris nettement conscience de la dérive nihiliste des nazis dès 1934, je pense que vous êtes victime de votre admiration pour la pensée de Heidegger. Car, quand après 1940, l’Allemagne a commencé par aligner ses victoires fulgurantes, Heidegger les célébrait comme des victoires du nihilisme total (pas incomplet), étape nécessaire à ses yeux pour la possibilité de l’avènement de la nouvelle Kultur (en cela, Spengler était nettement plus lucide, et aussi plus pessimiste, car il ne se faisait pas d’illusion sur le sens des vicoires allemandes). Selon ses bonnes habitudes, Heidegger justifie philosophiquement la guerre en considérant que « le concept nietzschéen du nihilsime n’a absolument aucun caractère « négarif », seul est négatif le nihilisme incomplet et passif, cette aspiration insipide à remplacer les valeurs en cours par d’autres semblables, mais d’une nature en core plus faible en donnant comme idéal exemplaire le « socialisme » et le « bonheur universel » au lieu du « christianisme ». « (Nietzsche. « Der europäische Nihilismus »). La défaite amènera une nouvelle appréciation de Heidegger concernant la volonté de puissance: cette fois, « la métaphysique de Nietzsche » devient « la figure extrême du nihilisme. » On connaît la suite: tous les crimes des nazis seront mis sur le compte du nihilisme technocratique du monde occidental. Et on noie le poisson en adoptant une vision planétaire qui permet à Heidegger à la fois de se dédommager de son engagement « catastrophique » personnel et aussi de la responsabilté de sa chère patrie. Tout cela c’est la faute à l’oubli de l’Etre et à la métaphysique. Ce n’est plus le regard d’un simple Dasein allemand, c’est le regard d’un dieu!
    Cordialement
    R. Misslin

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