Sur le titre « Heidegger, l’introduction du nazisme dans la philosophie »

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Un amateur de philosophie, qu’il soit professionnel ou amateur, reste toujours un tant soit peu un amateur en philosophie. On ne sait jamais tout sur quoi que ce soit. Telle est une des marques du geste philo-sophique, lequel suppose au moins la conscience d’un quelque chose qu’on ne sait pas.

Heidegger est un auteur canonique. Un lycéen, un étudiant en lettres et qui plus est en philosophie ne peut ignorer Heidegger. La lettre sur l’humanisme, l’Origine de l’oeuvre d’art… Etre et temps… Problèmes fondamentaux de la phénomènologie transcendantale… Ces textes sont sacralisés par l’institution.

Heidegger on sait plus ou moins vaguement qu’il avait des sympathies pour le nazisme. Mais, auteur canonisé et amplement commenté par de nombreux grands esprits, les amateurs ont pris l’habitude de s’arranger avec Heidegger en acceptant le principe d’une séparation entre l’idéologie et la pensée. Heidegger n’est au reste pas une exception. Tout philosophe a une politique et une idéologie. Il est donc un cas d’une règle même si ses préférences ont malheureusement à voir avec une idéologie totalitaire et criminelle.

Le « concept » en vigueur de Heidegger peut alors se symboliser par la formule… Hi + Hp. Heidegger est un idéologue abject (Catherine Malabou…) et/mais un penseur profond, incontournable, essentiel. (Malabou, Derrida, Badiou…)

Le titre de l’ouvrage de Faye – et le contenu de l’ouvrage lui-même – bouscule ce schéma convenu. Hi et Hp ne sont pas des régions autonomes quoique mitoyennes et en  frottement.

Car le penseur n’aurait eu de cesse d’oeuvrer en réalité à l’introduction du nazisme dans la philosophie.

Du coup la formule simpliste mais confortable Hi + Hp, formule qui permet  de faire l’opération suivante : (Hi + Hp) – Hi = Hp, est invalidée.

Nous pourrions même écrire la formule de manière nouvelle : (Hi + Hp) – Hi = Hi!

C’est la formule d’une catastrophe sinon d’une illusion. On aura beau retrancher de Heidegger l’idéologique et croire par là n’avoir à faire qu’au penseur on n’obtiendra au bout du compte que l’idéologue, que le nazi. Non pas que celui qui fait l’opération se retrouve nazifié, mais il se trouve instrumentalisé par Heidegger pour « transmettre » une version discrète, légitime et « fondée » du nazisme. C’est aux heideggériens affranchis de décoder le message et de retrouver, sous la pellicule philosophique, le contenu hitlérien.

Sans même aller jusque là la formule, et à supposer que « idéologie » suffise à qualifier structurellement le nazisme, cause un véritable séisme dans l’espace français et universitaire de la réception de Heidegger.

L’amateur est nécessairement troublé et perplexe.

Pourquoi de grands esprits persistent à faire comme si de rien n’était commentant avec une étrange innocence telle ou telle pensée de Heidegger?

La formule Hi + Hp reste-t-elle valide malgré son simplisme?

S’agit-il, subtilement, de barrer la route au nazisme heideggérien en le noyant, lui qui voulait s’y introduire, dans la « philosophie », cette philosophie dont Heidegger se méfiait au reste au plus haut point?

Je crains que les choses soient plus inertes, plus « sartriennement » engluées. On ne revient pas facilement sur des pages sur Heidegger qui ont permis de conquérir ou de satisfaire un public étroit et exigeant.

En attendant les partisans de la thèse de l’introduction sont insultés au mieux considérés comme des balourds trouvant dans le nazisme de Heidegger le prétexte pour éviter de se confronter à l’incandescence d’une grande pensée.

Partisan de la thèse de l’introduction je précise paradoxalement que je ne choisis pas, en réalité, entre Faye et, par exemple, Catherine Malabou, Françoise Dastur ou Jean-François Courtine.

Je dirais même : vive la différance!

Entendons : il faut travailler, développer, exténuer la thèse de l’introduction. Le reste viendra de lui-même. Le reste? Ce qui reste de Heidegger?

Mais ce qui reste aussi d’une certaine illusion philosophique. A la limite, au reste, de la philosophie.

Il y a eu un Heidegger qui n’a eu de cesse d’introduire le nazisme dans la philosophie. Certains heideggériens portent la lourde responsabilité de faire croire que, le nazisme étant une idéologie non seulement abjecte et violente mais aussi vulgaire et grossière, quelques mots heideggériens suffisent pour démentir, comme d’un haussement d’épaules, ce qu’ils mettent en scène comme une calomnie.

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