Heidegger : philosophe imaginaire ou opium des philosophes? Un « oubli de lettres » de Peter Trawny

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Jamais, sans doute, dans l’histoire de la philosophie un auteur n’aura été plus sur-interprété que Heidegger. On n’introduit pas le nazisme dans la philosophie sans provoquer une immense partie de cache-cache. Cela même est une condition d’existence d’un nazisme philosophique.

Un des aspects de cette situation inédite est qu’elle provoque jusqu’à l’obscène les capacités de l’académisme à « politiser par dépolitisation ». Le plus piquant est bien cependant que même les lieux en apparence les moins aptes à l’académisme y vont de leur « blanchiment ». Je ferai ici une (simple) remarque à propos  d’un texte de Peter Trawny traduit par Gérard Guest et paru dans la revue L’Infini n°95 sous le titre Avis aux barbares!

L’auteur, apparemment, ne se prive pas de la petite jouissance que procure la provocation. Pensez donc, l’introducteur du nazisme dans la philosophie, le voilà qui donne à un auteur en apparence fort respectable l’occasion de lancer un Avis aux barbares! (On aura compris que les barbares sont tous ceux qui, après les vertiges de la mobilisation générale, se laissent mener par le Ge-stell : démocrates industrieux, humanistes « classiques » etc.)

Dans  son  Avis l’auteur propose généreusement au lecteur un aperçu du « sens » du dialogue écrit en mai 1945 par Heidegger et intitulé La dévastation et l’attente.

Certes Peter Trawny ne consacre que quelques pages à la « dévastation ». Mais, et c’est caractéristique de l’heideggérisme sectaire : il nettoie le texte de Heidegger d’une proposition où celui-ci, par l’intermédiaire d’un des deux personnages du dialogue, soutient que la cause principale de la « dévastation » est la « sécurité sociale uniformisée ».

Au « plus jeune », qui regrette que quelque chose étouffe « l’apparition et l’éclosion de quelque chose d’essentiel » le plus âgé répond ceci : « Cet étouffement, qui plus est, se dérobe derrière quelque chose de captieux, qui se manifeste sous la figure des idéaux soi-disant les plus hauts de l’humanité, à savoir : le progrès, l’accroissement sans frein de la productivité dans tous les domaines de la production, l’offre de travail identique et indifférenciée pour tout un chacun – et par-dessus tout, enfin : le bien-être identique de tous les travailleurs compris comme sécurité sociale uniformisée ». (La dévastation et l’attente, p 26.)

Je souligne « … par-dessus tout, enfin : le bien-être identique de tous les travailleurs compris comme sécurité sociale uniformisée ».

Traduisons tout d’abord « l’apparition et l’éclosion de quelque chose d’essentiel ». Il s’agit en réalité du peuple allemand en tant que nouveau « peuple grec », peuple de « penseurs et de poètes ».

Et là l’explication que donne Heidegger de ce qui étouffe ce peuple est autant idiote qu’abjecte (1) : c’est, sur le fond, « et par-dessus tout (…) le bien-être identique de tous les travailleurs compris comme sécurité sociale uniformisée ».

Traduisons encore une fois. Le contraire de la « sécurité sociale uniformisée » c’est la modulation de cette sécurité. Mais une modulation de la sécurité sociale qu’est-ce sinon le droit de disposer de la vie d’autrui?

Ce que fait ici Heidegger, en nazi, c’est de regretter que les « allemands » ne dominent pas sur des travailleurs réduits en esclavage. Et comme la modulation de la « sécurité sociale », pour être complète, doit comprendre la possibilité de tuer, Heidegger, dans La dévastation et l’attente, fait en réalité l’apologie du système concentrationnaire y compris dans sa dimension exterminatrice.

Heidegger « légitime » Auschwitz!

L’auteur de l’ Avis aux barbares se garde bien de se lancer dans l’exégèse d’un paragraphe pourtant extrêmement limpide. Mais d’une ignominie totale et qui discrédite le « philosophe ».

Faut-il alors en conclure que, pour bon nombre de commentateurs, Heidegger est un « philosophe imaginaire » construit notamment par amputation et « négationnisme »?

Mais peut-être est-il aussi et surtout un opium pour philosophe. Quoi de plus délicieux, en effet, que de distiller une écriture aussi excitante et tendue entre l’ignominie nazie et la grandeur poético-pensante? Frissons garantis et stratégie discursive de haute volée… Mais qui ne voit que, pour Heidegger, la « bulle-hutte » du penseur est supposée ne pouvoir échapper à la dévastation qu’au prix de la réouverture des camps, chambres à gaz comprises?

_________________________

(1) Le néo-esclavagisme me révulse. Et c’est pour cela que je parle d’idiotie. Le nazi Heidegger est persuadé que le peuple allemand a tous les droits. La défaite de 1945, qui mène notamment à la fermeture des camps, est un épisode de la « dévastation » en tant qu’elle est une atteinte portée à « l’éclosion de l’essentiel », c’est-à-dire au pouvoir sans partage du Volk. Il va sans dire que, pour justifier sa position, Heidegger fera semblant de parler d’une sorte d’universel. La fiction justificatrice, et Heidegger en serait un des élémens constitutifs, est que le « peuple de penseurs et de poètes » est appelé à trouver de quoi s’opposer à la catastrophe du Gestell.

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14 commentaires à Heidegger : philosophe imaginaire ou opium des philosophes? Un « oubli de lettres » de Peter Trawny

  1. Bon en gros quiconque n’est pas pour l’uniformisation et la massification est pour Auschwitz c’est ça le raisonnement?…

    ____________________________

    Remarque de Skildy :

    Oui, si par massification et uniformisation vous entendez le droit de tout être humain de vivre dans la sécurité et, surtout, le droit de tout être humain de vivre tout simplement, et sans être soumis au « droit de vie et de mort » de « maîtres ».

    Votre conception de l’uniformisation et de la massification est indigente. Si vous y incluez la « sécurité sociale » vous justifiez nécessairement les camps.

    Pour ma part l’égalité devant la « sécurité sociale » est la condition même de la dé-massification. Seuls des individus non terrorisés sont capables de se dé-massifier.

    C’est la terreur qui massifie et uniformise. Et Heidegger « légitime » la terreur.

  2. Autant dire alors qu’avec votre conception Platon, Nietzsche et Aristote au minimum « auraient été pour Auschwitz ». Ce qui est bien évidemment complètement farfelu.
    Pour ma part chacun aura compris ce que je crois : que c’est précisément la quête éffrénée d’uniformisation capitaliste, communiste et fasciste qui mène à la massification, à l’uniformisation. Celle-ci concerne également les soi-disants « maîtres ». Qu’il y ait le bruit des bottes ou le silence des pantoufles, l’essentiel du phénomène n’est pas dans la souffrance des dominés, même si celle-ci mérite respect et commémoration. Il s’agit de penser, pas de s’apitoyer sur les résultats des phénomènes destructifs. Chose qu’Heidegger fait, lui qui a tâché de penser son époque sans ambage, et même sans pathos à partir de 1934.
    Voilà, c’est mon analyse, Skildy, et malgré nos profondes discordances je respecte la teneur « morale » de votre engagement, qui , même si à mon sens il est biaisé, a le mérite de mettre en relief votre sens de la justice et de la res publica.
    Pour ma part, je repète ici que je suis profondément républicain et démocrate, ce qui ne m’empêchera nullement de prendre au sérieux , philosophiquement parlant, la Politéia de Platon et de Machiavel, et la description de l’hypermodernité opérée par Nietzsche, Jünger et Heidegger. Je pense que vous mésinterprétez le sens de ce texte sur la sécurité sociale. Il ne s’agit pas à mon sens pour Heidegger de prôner la terreur, l’ »insécurité sociale » foncière prônée par le fascisme et le capitalisme sauvage. En fait il constate à la suite de Nietzsche la transvaluation des valeurs; Là où le sacré, l’unique, le mystère font désormais défaut, la rapacité des spéculateurs, la médiocrité des « Travailleurs » s’est déployée sur l’intégralité du monde, ne laissant nulle part la possibilité de se dépêtrer de son emprise. La pensée d’un « Tout Autre » est ignorée et méprisée. On pourrait comme Misslin s’en réjouir. Je suis moi-même agnostique. Mais cela ne m’empêche pas de trouver ça et là dans la pensée de Heidegger des diagnostics intéressant sur la décrépitude notre époque, ou tout simplement sur son devenir. S’agit-il là d’un opium? Pas plus que la recherche de réponses chez un Descartes, un Kant ou un Husserl. Il ne faut pas se laisser griser : ni par la pensée ontologi-co-historiale, ni par l’intérprétation unilatérale décrètant que le « but » de Heidegger serait de « faire du mal à certains ».

    _________________

    Vous oubliez au passage que Platon et Aristote ne vivaient pas en « époque moderne ».

    Je maintiens que, en y mettant les formes habituelles, Heidegger défend une conception néo-esclavagiste. C’est ce qui motive sur le fond sa critique de la modernité et des lumières.

    Il se construit en « chef spirituel » d’un nazisme comme doctrine d’un peuple maître dont la vocation serait de dominer sur des peuples esclaves maintenus comme tels par la terreur que fait nécessairement règner la modulation-différenciation de la « sécurité sociale ».

  3. Comme si l’exploitation planifiée des masses par le capitalisme sauvage n’avait pas déjà rendus la plupart des humaines sur cette Terre déjà esclaves…
    Oh il ne s’agit certes pas de la version bien visuelle avec force chaînes et barbélés électrisés. L’arraisonnement des étants, si elle a connue sa forme la plus ignoble à Auschwitz, perdure dans toute notre époque sous divers couvertures. Elle est dans les usines de confections à Taïwan comme dans les théâtres de Broadway.
    Il faudrait que les tenants de la démocratie libérale affirment au moins qu’ils acceptent le Gestell -ne redoutant que ses atteintes les plus spectaculaires à la dignité humaine. Car pour le reste cette dignité est déjà bien entâmée. Sans forcément que le sang et les larmes ne coulent.

    ____________________

    Skildy :

    Je vous suis en partie. J’ai commencé la lecture d’entretiens avec Angela Davis. Cette ancienne membre des blacks panthers se bat depuis des années contre le système carcéral américain qu’elle considère comme une machine pour l’essentiel destinée à terroriser et à ruiner économiquement la population noire des Etats Unis.

    Je me souviens avoir suggéré que le problème Heidegger était emblématique de toute une problématique occidentale. Mais je reste persuadé que Heidegger a regretté la fermeture d’Auschwitz.

    C’était une demi-défaite. Il n’est pas étonnant qu’après il ait trouvé le moyen de « charger » cela qu’il accuse de semer la dévastation à savoir l’obstacle fait à « l’éclosion de l’essentiel »… au pouvoir sans limite du Volk.

  4. Au delà de cette thématique précise, j’aimerais connaître, Skildy, comment vous rendez compte des longues interprétations heideggeriennes de la volonté de puissance nietzschéenne. Selon lui c’est la concentration, l’obnubilation des hommes pour le pouvoir qui détourne le plus de l’oubli de l’être. Ces formations de « volonté de puissance », c’est « par exemple la S.S » comme il le dit dans la GA90. Comment comprenez vous la critique de l’Imperium effectuée dans le cours de 1942 « Parmenides »? Toute cette dimension de « rapacité » et de « pragmatisme vital » qui lui a fait dire que dans ce même tome 90 que les Temps Modernes débutèrent à partir du « Prince » de Machiavel? En fait-il franchement l’apologie?
    J’espère vraiment ne pas me tromper. Mais dans tous les cas, souvenez vous bien que l’intérêt de Heidegger est à venir. A la limite défendre Heidegger pourrait le préserver de tomber aux mains d’imbéciles dangereux. Je préfère sincèrement le savoir aux mains d’un Courtine ou d’un Franck que de racistes cherchant à justifier leurs pensées indigentes. Dés fois on croirait que c’est à la limite ce que vous souhaiteriez pour pouvoir dire « vous avez vus on vous avait prévenus! ».

    ______________________________

    Il me faudra prendre connaissance des textes dont vous parlez. Je n’en connais que quelques bribes. Mais il vaut mieux savoir que, dans un contexte général hitlérien, la théorie du complot juif est si forte que toutes les critiques de l’époque renvoient à elle. Dénoncer la « rapacité » et le « pragmatisme vital » peut être parfaitement conforme. Et si, comme je le pense, Heidegger est lui-même un très fin stratège il ne pouvait introduire le nazisme qu’en creusant un fossé, qui est en réalité une protection du nazisme, entre « grandeur interne » et « bassesse externe ».

    Que vous fassiez une lecture de Heidegger est une chose. Mais sa haine des Temps Modernes est d’inspiration ultra-réactionnaire. Tout ce qui constitue une entrâve à « l’éclosion de l’essentiel » – l’esclavagisme sous domination allemande – est mauvais chez lui : juifs, socialistes, communistes, démocrates, sexualité « hors race » etc. Il hait dans le monde tout ce qui ne fait pas monde du point de vue de « l’éclosion de l’essentiel ».

  5. Bonjour M. Domeracki,

    Vous écrivez: « La pensée d’un « Tout Autre » est ignorée et méprisée. On pourrait comme Misslin s’en réjouir. » Je ne souhaite, en effet, à aucun peuple de devenir la proie, par l’intermédiaire d’un chef providentiel de quelque bord qu’il soit, d’une utopie de l’absolu. Les effets de ce genre de plaisanterie sont connus dans l’histoire du primate humain. Les lendemains de ces aventures n’ont jamais chanté, mais toujours pleuré. D’ailleurs, qu’est-ce encore que cette expression ridicule du « Tout Autre ». Toujours ces boursouflures stylistiques vides qui peuvent faire croire aux âmes crédules (le besoin de croire peut en effet nous égarer) que celui qui en fait usage détient des vérités sublimes auxquelles seuls quelques initiés accèdent. Ca aussi c’est une plaisanterie que certains penseurs, clercs et philosophes adorent pratiquer sans doute pour cacher l’absence de véritables connaissances derrière le flou verbeux. C’est vrai que je ne supporte pas ces rodomontades stériles car elles entretiennent notre tendance à l’illusion alors que la philosophie est pour moi une école du scepticisme, du renoncement à notre désir d’absolu et à nos crispations ontologiques. C’est vrai que je considère, avec bien d’autres, que la posture philosophique d’un Kant est remarquablement adaptée à nos capacités humaines.
    Cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : René Misslin | le 08/01/2007 à 12:20 | Répondre | Modifier
  6. « On ne peut démontrer l’existence de Dieu, mais on ne peut s’empêcher de procéder suivant le principe de cette idée et d’accepter les devoirs comme des commandements divins.  »

    Emmanuel Kant (Opus postumum )

    Pour votre positivisme de pacotille, se référer plutôt à Comte ou à un certain Nietzsche.

  7. Une autre de Kant pour la route:

    « La Science ne peut prouver que Dieu n’existe pas, car il y a quelque chose qui lui échappe par nature »

  8. Excusez-moi, M. Domeracki, mais je ne trouve pas vos réflexions très intelligentes. J’ai le net sentiment que, n’ayant pas l’aptitude à la discussion, vous n’avez pas d’autre solution que d’injurier ceux qui ne sont pas d’accord avec vous. Désolé.
    R. Misslin

    Rédigé par : René Misslin | le 09/01/2007 à 21:03 | Répondre | Modifier
  9. Bonjour à tous,

    Un petit extrait de « La Traversée des frontières » de Jean-Pierre Vernant, pour honorer sa mémoire:
    « Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étranger, se prolonger dans et par lui. Demeurer enclos dans son identité, c’est se perdre et cesser d’être. On se connaît, on se construit par le contact, l’échange, le commerce avec l’autre. Entre les rêves du même et de l’autre, l’homme est un pont. » Ces délicieuses méditations sont inscrites sur l’une des bornes du Pont de l’Europe qui relie Strasbourg à Kehl.
    Que cela fait du bien de lire des penseurs qui ne veulent pas nous enfermer dans les rets d’une ontologie historiale. Cela s’appelle tout simplement l’humanisme.
    Cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : René Misslin | le 11/01/2007 à 14:13 | Répondre | Modifier
  10. L’aptitude à la discussion, c’est précisément lorsque on ne s’enferme pas tout seul dans une seule position, unilatérale et poussive : notamment celle posant que la « science » doit avoir le dernier mot.
    Commencer un débat ainsi c’est surtout montrer son aptitude au bavardage.

    Rédigé par : Stéphane Domeracki | le 11/01/2007 à 15:15 | Répondre | Modifier
  11. M. Domeracki,
    Où trouvez-vous dans mes propos l’idée que la science pourrait avoir le dernier mot? C’est vous qui me traitez de Pécuchet et qui voulez m’enfermer dans un scientisme que j’ai toujours récusé, ne vous en déplaise. Je pourrais vous retouner du reste le compliment en vous disant que vous vous faites de la science une idée complètement obsolète pour justifier votre allergie à la science et ainsi la condamner au nom de quoi, de « l’hystérie antitechnologique qui s’est emparée de larges parties du monde occidental » (P. Sloterdijk, « La domestication de l’être », Mille et une Nuits, 2000, p. 87)? Qu’il y ait des scientifiques dogmatiques, comment s’en étonner? Des dogmatiques il y en a partout, car le dogmatisme est un comportement humain des plus communs. Si je m’intéresse à la philosophie, c’est parce qu’elle est un lieu où on peut apprendre à se détendre et à relâcher la pression de nos pulsions dogmatiques.
    Avez-vous lu le livre de Sloterdijk que je cite? Voilà un heideggerrien qui n’a pas peur de faire appel à l’anthropologie, à l’éthologie et à la neurobiologie pour s’aider à réfléchir sur le phénomène de l’hominisation. Non seulement il n’oppose pas philosophie et science, mais il trouve ce genre de bivalence complètement dépassée. « La clairière, nous le savons à présent, n’est pas possible sans son origine technique. » (p. 88). Etrange, non?
    Cordialement
    R. Misslin

    __________________

    Skildy :

    Je ne sais pas si on peut encore dire que Sloter est encore un heideggérien. La « domestication de l’être » est une critique assez radicale de La lettre sur l’humanisme.

    Bien à vous.

    Sk

    Rédigé par : René Misslin | le 11/01/2007 à 16:17 | Répondre | Modifier
  12. Bonjour M. Skildy,

    Je suis tout à fait d’accord avec vous. Simplement, Sloter, comme vous l’appelez de façon amusante, se réfère beaucoup à Heidegger, il est vrai pour faire avec Heidegger du contre Heidegger. Je ne suis pas sûr, en effet, que Heidegger eût apprécié une réflexion du genre: « Le cerveau est l’organe général de la clairière; en lui se concentre la quintessence des possibilités d’ouverture à ce qui n’est pas le cerveau. »(p. 80). Le « crypto-catholicisme » de Heidegger (c’est l’expression de Sloterdijk) l’a empêché de surmonter le clivage théologique animalitas/humanitas (chose que Nietzsche a, quant à lui, réussi à faire). Mais quand on prend conscience du degré d’encéphalisation de homo sapiens (1350 cm3 contre 450 pour le chimpanzé), on ne s’étonnera pas qu’un cerveau pareil n’a pas son pareil pour acquérir des connaissances, mais aussi pour réfléchir. On fait de la philosophie avec le même cerveau que des sciences, de l’art, de la technique et des voyages inter-sidéraux!
    Bien à vous
    R. Misslin

    Rédigé par : René Misslin | le 11/01/2007 à 17:13 | Répondre | Modifier
  13. bonjour a tous,

    c’est bien rené de citer vernant. J’honore avec vous sa mémmoire; j’ai aimé lelire et beaucoup apprecié la simplicité de ses propos ainsi que son savoir de la grece antique.
    à bientôt

    ps : je n’oublie pas de vous commenter « berger de l’être »

    Rédigé par : bertrand | le 12/01/2007 à 10:24 | Répondre | Modifier
  14. Je me joins à René Misslin pour saluer la mémoire de Jean-Pierre Vernant.
    Quand on voit la nouvelle génération d’intellectuels « heideggériens », les Maxence Carron, les Servanne Jollivet, les Hadrien France-Lanord, les Christian Sommer, j’en passe et des meilleurs, on comprend quelle perte immense constitue la disparition des grands intellectuels issus de la résistance.
    Un peu orphelin,
    Hadji Mourat.

    Rédigé par : Mourat | le 15/01/2007 à 14:53 | Répondre | Modifier

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14 commentaires

  1. Bon en gros quiconque n’est pas pour l’uniformisation et la massification est pour Auschwitz c’est ça le raisonnement?…

    ____________________________

    Remarque de Skildy :

    Oui, si par massification et uniformisation vous entendez le droit de tout être humain de vivre dans la sécurité et, surtout, le droit de tout être humain de vivre tout simplement, et sans être soumis au « droit de vie et de mort » de « maîtres ».

    Votre conception de l’uniformisation et de la massification est indigente. Si vous y incluez la « sécurité sociale » vous justifiez nécessairement les camps.

    Pour ma part l’égalité devant la « sécurité sociale » est la condition même de la dé-massification. Seuls des individus non terrorisés sont capables de se dé-massifier.

    C’est la terreur qui massifie et uniformise. Et Heidegger « légitime » la terreur.

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  2. Autant dire alors qu’avec votre conception Platon, Nietzsche et Aristote au minimum « auraient été pour Auschwitz ». Ce qui est bien évidemment complètement farfelu.
    Pour ma part chacun aura compris ce que je crois : que c’est précisément la quête éffrénée d’uniformisation capitaliste, communiste et fasciste qui mène à la massification, à l’uniformisation. Celle-ci concerne également les soi-disants « maîtres ». Qu’il y ait le bruit des bottes ou le silence des pantoufles, l’essentiel du phénomène n’est pas dans la souffrance des dominés, même si celle-ci mérite respect et commémoration. Il s’agit de penser, pas de s’apitoyer sur les résultats des phénomènes destructifs. Chose qu’Heidegger fait, lui qui a tâché de penser son époque sans ambage, et même sans pathos à partir de 1934.
    Voilà, c’est mon analyse, Skildy, et malgré nos profondes discordances je respecte la teneur « morale » de votre engagement, qui , même si à mon sens il est biaisé, a le mérite de mettre en relief votre sens de la justice et de la res publica.
    Pour ma part, je repète ici que je suis profondément républicain et démocrate, ce qui ne m’empêchera nullement de prendre au sérieux , philosophiquement parlant, la Politéia de Platon et de Machiavel, et la description de l’hypermodernité opérée par Nietzsche, Jünger et Heidegger. Je pense que vous mésinterprétez le sens de ce texte sur la sécurité sociale. Il ne s’agit pas à mon sens pour Heidegger de prôner la terreur, l' »insécurité sociale » foncière prônée par le fascisme et le capitalisme sauvage. En fait il constate à la suite de Nietzsche la transvaluation des valeurs; Là où le sacré, l’unique, le mystère font désormais défaut, la rapacité des spéculateurs, la médiocrité des « Travailleurs » s’est déployée sur l’intégralité du monde, ne laissant nulle part la possibilité de se dépêtrer de son emprise. La pensée d’un « Tout Autre » est ignorée et méprisée. On pourrait comme Misslin s’en réjouir. Je suis moi-même agnostique. Mais cela ne m’empêche pas de trouver ça et là dans la pensée de Heidegger des diagnostics intéressant sur la décrépitude notre époque, ou tout simplement sur son devenir. S’agit-il là d’un opium? Pas plus que la recherche de réponses chez un Descartes, un Kant ou un Husserl. Il ne faut pas se laisser griser : ni par la pensée ontologi-co-historiale, ni par l’intérprétation unilatérale décrètant que le « but » de Heidegger serait de « faire du mal à certains ».

    _________________

    Vous oubliez au passage que Platon et Aristote ne vivaient pas en « époque moderne ».

    Je maintiens que, en y mettant les formes habituelles, Heidegger défend une conception néo-esclavagiste. C’est ce qui motive sur le fond sa critique de la modernité et des lumières.

    Il se construit en « chef spirituel » d’un nazisme comme doctrine d’un peuple maître dont la vocation serait de dominer sur des peuples esclaves maintenus comme tels par la terreur que fait nécessairement règner la modulation-différenciation de la « sécurité sociale ».

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  3. Comme si l’exploitation planifiée des masses par le capitalisme sauvage n’avait pas déjà rendus la plupart des humaines sur cette Terre déjà esclaves…
    Oh il ne s’agit certes pas de la version bien visuelle avec force chaînes et barbélés électrisés. L’arraisonnement des étants, si elle a connue sa forme la plus ignoble à Auschwitz, perdure dans toute notre époque sous divers couvertures. Elle est dans les usines de confections à Taïwan comme dans les théâtres de Broadway.
    Il faudrait que les tenants de la démocratie libérale affirment au moins qu’ils acceptent le Gestell -ne redoutant que ses atteintes les plus spectaculaires à la dignité humaine. Car pour le reste cette dignité est déjà bien entâmée. Sans forcément que le sang et les larmes ne coulent.

    ____________________

    Skildy :

    Je vous suis en partie. J’ai commencé la lecture d’entretiens avec Angela Davis. Cette ancienne membre des blacks panthers se bat depuis des années contre le système carcéral américain qu’elle considère comme une machine pour l’essentiel destinée à terroriser et à ruiner économiquement la population noire des Etats Unis.

    Je me souviens avoir suggéré que le problème Heidegger était emblématique de toute une problématique occidentale. Mais je reste persuadé que Heidegger a regretté la fermeture d’Auschwitz.

    C’était une demi-défaite. Il n’est pas étonnant qu’après il ait trouvé le moyen de « charger » cela qu’il accuse de semer la dévastation à savoir l’obstacle fait à « l’éclosion de l’essentiel »… au pouvoir sans limite du Volk.

    J’aime

  4. Au delà de cette thématique précise, j’aimerais connaître, Skildy, comment vous rendez compte des longues interprétations heideggeriennes de la volonté de puissance nietzschéenne. Selon lui c’est la concentration, l’obnubilation des hommes pour le pouvoir qui détourne le plus de l’oubli de l’être. Ces formations de « volonté de puissance », c’est « par exemple la S.S » comme il le dit dans la GA90. Comment comprenez vous la critique de l’Imperium effectuée dans le cours de 1942 « Parmenides »? Toute cette dimension de « rapacité » et de « pragmatisme vital » qui lui a fait dire que dans ce même tome 90 que les Temps Modernes débutèrent à partir du « Prince » de Machiavel? En fait-il franchement l’apologie?
    J’espère vraiment ne pas me tromper. Mais dans tous les cas, souvenez vous bien que l’intérêt de Heidegger est à venir. A la limite défendre Heidegger pourrait le préserver de tomber aux mains d’imbéciles dangereux. Je préfère sincèrement le savoir aux mains d’un Courtine ou d’un Franck que de racistes cherchant à justifier leurs pensées indigentes. Dés fois on croirait que c’est à la limite ce que vous souhaiteriez pour pouvoir dire « vous avez vus on vous avait prévenus! ».

    ______________________________

    Il me faudra prendre connaissance des textes dont vous parlez. Je n’en connais que quelques bribes. Mais il vaut mieux savoir que, dans un contexte général hitlérien, la théorie du complot juif est si forte que toutes les critiques de l’époque renvoient à elle. Dénoncer la « rapacité » et le « pragmatisme vital » peut être parfaitement conforme. Et si, comme je le pense, Heidegger est lui-même un très fin stratège il ne pouvait introduire le nazisme qu’en creusant un fossé, qui est en réalité une protection du nazisme, entre « grandeur interne » et « bassesse externe ».

    Que vous fassiez une lecture de Heidegger est une chose. Mais sa haine des Temps Modernes est d’inspiration ultra-réactionnaire. Tout ce qui constitue une entrâve à « l’éclosion de l’essentiel » – l’esclavagisme sous domination allemande – est mauvais chez lui : juifs, socialistes, communistes, démocrates, sexualité « hors race » etc. Il hait dans le monde tout ce qui ne fait pas monde du point de vue de « l’éclosion de l’essentiel ».

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  5. Bonjour M. Domeracki,

    Vous écrivez: « La pensée d’un « Tout Autre » est ignorée et méprisée. On pourrait comme Misslin s’en réjouir. » Je ne souhaite, en effet, à aucun peuple de devenir la proie, par l’intermédiaire d’un chef providentiel de quelque bord qu’il soit, d’une utopie de l’absolu. Les effets de ce genre de plaisanterie sont connus dans l’histoire du primate humain. Les lendemains de ces aventures n’ont jamais chanté, mais toujours pleuré. D’ailleurs, qu’est-ce encore que cette expression ridicule du « Tout Autre ». Toujours ces boursouflures stylistiques vides qui peuvent faire croire aux âmes crédules (le besoin de croire peut en effet nous égarer) que celui qui en fait usage détient des vérités sublimes auxquelles seuls quelques initiés accèdent. Ca aussi c’est une plaisanterie que certains penseurs, clercs et philosophes adorent pratiquer sans doute pour cacher l’absence de véritables connaissances derrière le flou verbeux. C’est vrai que je ne supporte pas ces rodomontades stériles car elles entretiennent notre tendance à l’illusion alors que la philosophie est pour moi une école du scepticisme, du renoncement à notre désir d’absolu et à nos crispations ontologiques. C’est vrai que je considère, avec bien d’autres, que la posture philosophique d’un Kant est remarquablement adaptée à nos capacités humaines.
    Cordialement
    R. Misslin

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  6. « On ne peut démontrer l’existence de Dieu, mais on ne peut s’empêcher de procéder suivant le principe de cette idée et d’accepter les devoirs comme des commandements divins.  »

    Emmanuel Kant (Opus postumum )

    Pour votre positivisme de pacotille, se référer plutôt à Comte ou à un certain Nietzsche.

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  7. Excusez-moi, M. Domeracki, mais je ne trouve pas vos réflexions très intelligentes. J’ai le net sentiment que, n’ayant pas l’aptitude à la discussion, vous n’avez pas d’autre solution que d’injurier ceux qui ne sont pas d’accord avec vous. Désolé.
    R. Misslin

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  8. Bonjour à tous,

    Un petit extrait de « La Traversée des frontières » de Jean-Pierre Vernant, pour honorer sa mémoire:
    « Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étranger, se prolonger dans et par lui. Demeurer enclos dans son identité, c’est se perdre et cesser d’être. On se connaît, on se construit par le contact, l’échange, le commerce avec l’autre. Entre les rêves du même et de l’autre, l’homme est un pont. » Ces délicieuses méditations sont inscrites sur l’une des bornes du Pont de l’Europe qui relie Strasbourg à Kehl.
    Que cela fait du bien de lire des penseurs qui ne veulent pas nous enfermer dans les rets d’une ontologie historiale. Cela s’appelle tout simplement l’humanisme.
    Cordialement
    R. Misslin

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  9. L’aptitude à la discussion, c’est précisément lorsque on ne s’enferme pas tout seul dans une seule position, unilatérale et poussive : notamment celle posant que la « science » doit avoir le dernier mot.
    Commencer un débat ainsi c’est surtout montrer son aptitude au bavardage.

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  10. M. Domeracki,
    Où trouvez-vous dans mes propos l’idée que la science pourrait avoir le dernier mot? C’est vous qui me traitez de Pécuchet et qui voulez m’enfermer dans un scientisme que j’ai toujours récusé, ne vous en déplaise. Je pourrais vous retouner du reste le compliment en vous disant que vous vous faites de la science une idée complètement obsolète pour justifier votre allergie à la science et ainsi la condamner au nom de quoi, de « l’hystérie antitechnologique qui s’est emparée de larges parties du monde occidental » (P. Sloterdijk, « La domestication de l’être », Mille et une Nuits, 2000, p. 87)? Qu’il y ait des scientifiques dogmatiques, comment s’en étonner? Des dogmatiques il y en a partout, car le dogmatisme est un comportement humain des plus communs. Si je m’intéresse à la philosophie, c’est parce qu’elle est un lieu où on peut apprendre à se détendre et à relâcher la pression de nos pulsions dogmatiques.
    Avez-vous lu le livre de Sloterdijk que je cite? Voilà un heideggerrien qui n’a pas peur de faire appel à l’anthropologie, à l’éthologie et à la neurobiologie pour s’aider à réfléchir sur le phénomène de l’hominisation. Non seulement il n’oppose pas philosophie et science, mais il trouve ce genre de bivalence complètement dépassée. « La clairière, nous le savons à présent, n’est pas possible sans son origine technique. » (p. 88). Etrange, non?
    Cordialement
    R. Misslin

    __________________

    Skildy :

    Je ne sais pas si on peut encore dire que Sloter est encore un heideggérien. La « domestication de l’être » est une critique assez radicale de La lettre sur l’humanisme.

    Bien à vous.

    Sk

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  11. Bonjour M. Skildy,

    Je suis tout à fait d’accord avec vous. Simplement, Sloter, comme vous l’appelez de façon amusante, se réfère beaucoup à Heidegger, il est vrai pour faire avec Heidegger du contre Heidegger. Je ne suis pas sûr, en effet, que Heidegger eût apprécié une réflexion du genre: « Le cerveau est l’organe général de la clairière; en lui se concentre la quintessence des possibilités d’ouverture à ce qui n’est pas le cerveau. »(p. 80). Le « crypto-catholicisme » de Heidegger (c’est l’expression de Sloterdijk) l’a empêché de surmonter le clivage théologique animalitas/humanitas (chose que Nietzsche a, quant à lui, réussi à faire). Mais quand on prend conscience du degré d’encéphalisation de homo sapiens (1350 cm3 contre 450 pour le chimpanzé), on ne s’étonnera pas qu’un cerveau pareil n’a pas son pareil pour acquérir des connaissances, mais aussi pour réfléchir. On fait de la philosophie avec le même cerveau que des sciences, de l’art, de la technique et des voyages inter-sidéraux!
    Bien à vous
    R. Misslin

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  12. bonjour a tous,

    c’est bien rené de citer vernant. J’honore avec vous sa mémmoire; j’ai aimé lelire et beaucoup apprecié la simplicité de ses propos ainsi que son savoir de la grece antique.
    à bientôt

    ps : je n’oublie pas de vous commenter « berger de l’être »

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  13. Je me joins à René Misslin pour saluer la mémoire de Jean-Pierre Vernant.
    Quand on voit la nouvelle génération d’intellectuels « heideggériens », les Maxence Carron, les Servanne Jollivet, les Hadrien France-Lanord, les Christian Sommer, j’en passe et des meilleurs, on comprend quelle perte immense constitue la disparition des grands intellectuels issus de la résistance.
    Un peu orphelin,
    Hadji Mourat.

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