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J’ai déjà critiqué, sur le blog, l’abstract d’un article de J-F Mattéi où il est dit qu’Emmanuel Faye introduirait le fantasme dans la philosophie. Le fantasme, en l’occurrence, c’est le nazisme. Si l’homme Heidegger n’est pas sans ambiguïté le penseur serait au-dessus de tout soupçon.
Voilà ce qu’on peut lire sur la quatrième de couverture du livre de Mattéi Heidegger et Hölderlin. Le Quadriparti : « Il n’y a pourtant aucune confusion entre le mythe natal et la mythologie nazie. Ce que Heidegger a cherché dans Hölderlin, c’est moins le poète de la terre-mère que l’épreuve de la vérité de l’être qui commande le quadrillage de la métaphysique. »
Et l’auteur de nous proposer en conséquence un épisode de l’histoire de l’être.
Il se peut que le jour n’arrive jamais où bon nombre d’études académiques heideggériennes ne pourront être lues sans provoquer une sorte d’hilarité interloquée et empreinte de dégoût. Une machine académique à blanchir Heidegger tourne à plein.
Mais qu’est-ce que des auteurs comme Mattéi introduisent donc en philosophie : la naïveté? la bêtise? l’aveuglement? une forme de phillistinisme du genre « touche pas à mon gagne-pain? ».
Dans cette note je vais lire en « fantasmeur-calomniateur-éradicateur » les toutes premières pages de l’ouvrage de Mattei en décodant le nazisme heideggérien latent qui gronde sous les mots choisis de « l’ontologie politique » de Martin Heidegger.
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Qui voudrait nous interdire, désormais, de lire Heidegger?
………………………………………………………………….Jacques Derrida
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Cette question Derrida l’avait posée au lendemain de la parution du livre de Victor Farias. La première interprétation est sans doute que le nazisme de Heidegger ne doit pas être un prétexte pour censurer de fait une pensée féconde et novatrice. Derrida, à la différence de bon nombre de lecteurs de Heidegger, reconnaît par ailleurs le nazisme de Heidegger. Il était nazi de ne s’être pas totalement libéré de la métaphysique…
Mais la question de Derrida a une forme ouverte. Lire Heidegger ne signifie d’abord pas se comporter nécessairement en épigone. La question peut tourner au reste sur elle-même : on peut empêcher de lire Heidegger aussi en censurant de fait une approche soucieuse de clarifier ce qu’il en est au juste de son nazisme. Ne pas lire Heidegger signifie aussi bien le ramener totalement au silence d’un nazi condamné que de ne pas le lire comme un nazi en philosophie, comme un nazi qui introduit le nazisme dans la philosophie.
Jean-François Mattéi n’est donc pas « coupable » de lire ce qu’il en est de l’histoire de l’être à travers les lectures heideggériennes de Hölderlin et d’Aristote. Mais le fait qu’il déclare en quatrième de couverture qu’il n’y a « aucune confusion entre le mythe natal et la mythologie nazie » est vite dit. Même en quatrième de couverture. Et, surtout, cela ne doit pas nous interdire de lire Heidegger en tant qu’il fait du mythe natal un des topos essentiels de sa transposition ontologique du nazisme.
Surtout déclarer, sur la foi d’une contextualisation exclusivement historico-philosophique, qu’il n’y a « aucune confusion entre le mythe natal et la mythologie nazie » fait dramatiquement l’impasse sur ce que peut être un nazisme philosophique, en l’occurrence heideggerien. Mattei introduit pour le moins en philosophie ce que la philosophie académique lui permet d’introduire : un non désir de savoir ce qu’il peut en être d’un nazisme transposé en philosophie.
Il ne peut l’être qu’à la condition expresse qu’un lecteur de Heidegger, par exemple nommé Jean-François Mattei, puisse précisément déclarer qu’il n’y a « aucune confusion entre le mythe natal et la mythologie nazie ».
Il ne s’agit pas d’un cercle dont le vice reposerait sur la transmutation de la négation en affirmation, sur l’assomption de l’évidence non-nazie – il serait évident que le mythe natal ne relèverait pas de la mythologie nazie – en preuve de nazisme, mais de la prise en compte du « négationnisme de méthode » sans lequel un nazisme philosophique n’a aucune chance de perdurer.
Se rassurer du non nazisme philosophique de Heidegger en argumentant du caractère non nazi des mythologèmes et thèmes de l’auteur c’est commettre la bévue de penser que l’introduction du nazisme dans la philosophie pouvait réussir en étant évidente et transparente.
La déclaration de Mattei de la quatrième de couverture est une victoire de plus à mettre au compte du « dispositif Heidegger » d’introduction du nazisme dans la philosophie. Les nazis heideggériens peuvent une fois de plus se réjouir. Leur « bête immonde » peut hiberner tranquillement.
Ce qui frise tout de même l’invraisemblance est que, compte tenu que le dévoilement du projet heideggérien d’introduction n’est pas si difficile à opérer, les dénégations d’un Mattei contribuent à recouvrir l’évidence virtuelle d’une couche de « négationnisme involontaire ».
Ce qu’a jusqu’ici plutôt bien réussi à faire Heidegger peut se résumer de cette manière :
La transposition ontologique intra philosophique du nazisme est d’autant mieux assurée que l’académisme, en dépolitisant l’espace philosophique, concourt directement au fonctionnement des codes de la transposition.
Cela signifie concrètement que la pire des politiques qui n’aient jamais existé, en trouvant en Heidegger son « malin génie » transpositeur, se trouve du même coup protégée par des gardiens du temple en tant qu’ils mettent un point d’honneur à tenir à l’écart toute politisation. Et l’on sait ce qui arrive à ceux qui ne supportent pas ce qu’au minimum on peut appeler une niaiserie : ils calomnient, ils éradiquent, ils fantasment.
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Lecture des pages 7, 8, 9, 10 de l’introduction de Heidegger et Hölderlin – Le Quadriparti ::
1. Principes de méthode
Je rappelle certaines des caractèristiques de ce que j’appelle « dispositif Heidegger » à savoir les références, les thèmes, les métaphores, les euphémismes, les dénégations et divers brouillages qui permettent à Heidegger de procèder à une introduction du nazisme dans la philosophie.
a. Un tel dispositif doit impérativement, pour assurer le succès de l’entreprise, pratiquer un « négationnisme de méthode » en vertu duquel, notamment, le nazisme sera présent sous une forme transposée et non transparente. Tout manquement significatif à cette règle ridiculiserait le projet.
b. Le dispositif doit procèder à une transposition adéquate du « nazisme idéologique standard ». La transposition est une conséquence de la première règle mais doit compenser le retrait par une judicieuse « absence-présence ».
c. C’est ainsi que, selon nous, la thématique de l’être prend en charge sur un plan ontologique – l’ontologie politique de Heidegger (Bourdieu) – tout ce qui relève de l’exceptionnelle singularité de cet essentiel dont l’éclosion est compromise par la dévastation à savoir : le peuple allemand en tant que « Volk » appelé à dominer des multitudes esclaves.
d. L’instrumentalisation de la philosophie par Heidegger, en l’espèce de « l’ontologie politique », est si bien menée qu’une des lignes de tension les plus actives du texte heideggerien procède du jeu entre « négationnisme de méthode » et « transposition ».
—> Plus la transposition joue son rôle, et avec le concours de commentateurs acquis au prestige heideggérien, plus le « négationnisme de méthode » peut se consolider.
—> Et plus le « négationnisme de méthode » s’installe, plus la transposition peut opérer à distance du transposé. Cela permet d’assurer au « dispositif Heidegger » une position de légitimité incontestée dans l’espace philosophique.
e. Mais il existe un second moteur à la dynamique heideggérienne. C’est une énergie annexe, certes, mais qui s’alimente plus peut-être que l’autre d’affects personnels.
—> Introduire le nazisme dans la philosophe, c’est penser comme légitime ce que fut Auschwitz. Que l’auteur soit troublé ou non il importe, pour réussir l’introduction du nazisme, que l’horreur soit économiquement neutralisée et par révisionnisme-négationnisme et par une sorte de fuite en avant dans les « hauteurs » de la pensée, dans le sublime du verbe, dans la grandeur de vue, dans la « poésie ». Car ce qui arrive avec Heidegger c’est tout le contraire d’une incapacité ressentie à faire de la poésie après Auschwitz, mais bien la mise au service de la poésie pour faire oublier Auschwitz. Et pour faire oublier que Heidegger, comme il me semble qu’il le dise naturellement à mots couverts dans des textes comme La dévastation et l’attente ou Sérénité, a toujours regretté qu’Auschwitz ait du fermer en 1945.
f. Le secret de la transposition est contenu tout entier dans l’opposition-relève entre la « grandeur interne » du mouvement et ce qu’on appellera la « bassesse externe » du même mouvement. L’objectif de Heidegger est de créer et de prendre en garde la « grandeur interne » du nazisme.
g. Un tel « dispositif Heidegger » – j’étudie pour ma part ce dispositif et non la « pensée » ou « l’oeuvre » de Heidegger » – conjugue plusieurs effets simultanés :
—> Il est possible d’écrire un « bon livre » sur Heidegger, Hölderlin et le Quadriparti. Par exemple l’ouvrage de Mattéi.
—> Il est possible de soutenir une thèse comme celle d’Emmanuel Faye. (L’introduction du nazisme).
—> Il est possible d’écrire des notes de blogs comme celles du phiblogZophe…
—> Mais comme le « monde occidental » ne s’est (toujours) pas précipité pour essayer de penser comment Auschwtiz a été possible, il est fort probable que ces effets coexistent séparés, pendant longtemps, par des lignes de démarcation faites d’insultes et de mépris. (Faye en « fantasmeur ».)
2. Phrase à phrase quelques pages
L’introduction du livre de Mattéi s’intitule L’énigme de l’être.
Le livre lui-même, l’éditeur (les Presse Universitaires de France), la collection (Epiméthée) font immédiatement « penser à la pensée ». On est plein de respect pour l’auteur et une démarche dont on imagine qu’elle suppose beaucoup de culture, a coûté beaucoup d’efforts et consigne une authentique et grave méditation. Heidegger… Hölderlin… on est dans les sommets. Les chapitres s’ouvrent par des citations qui sont comme des inscriptions. On sait qu’en ouvrant le livre et en le lisant nous serons recompensés de notre fatigue par une expérience spirituelle unique.
Cette brève description pour évoquer un malaise. Ce serait évidemment plus simple si, quand bien même y aurait-il songé, Heidegger n’a pas véritablement entrepris d’introduire le nazisme dans la philosophie. Mattéi nous parle de Heidegger, de l’importance de sa lecture d’Hölderlin, d’une histoire de l’être, de son oubli, du Sens de l’Etre. L’esprit se réjouit de pénétrer en terre inconnue et d’avoir à lire autre chose que des modes d’emploi. Seulement voilà Heidegger a introduit le nazisme dans la philosophie. Mattéi a levé aussitôt un bouclier : fantasme! Tout pourrait retourner à sa place : le livre au rayon des « bons livres », Mattéi au panthéon des professeurs d’exception, le lecteur à ses heures de loisirs studieux et plutôt innocents.
Mais voilà je suis convaincu par la thèse de l’introduction. Et là, alors même que rien n’a changé en apparence, une tourmente semble emporter les lettres vers un autre rivage.
Le « livre », le « bon livre de philosophie sur Heidegger » voilà qui, précisément, appartient au « dispositif Heidegger ». Le pire, le nazisme, sous une forme invisible et qui plus est apparemment inopérante, serait quelque part tapi dans les profondeurs du texte qu’a composé Mattéi. Et cela d’autant plus et malgré le fait qu’il n’est nul part question, pour l’auteur, de prêter main forte à une opération aussi monstrueuse.
Cela ne peut pas être vrai! C’est invraisemblable! Cela relève nécessairement du fantasme, de la calomnie, du délire!
Tel est pourtant, à mes yeux, l’efficace du « dispositif ». Il n’importe aucunement que les scripteurs et les lecteurs de « l’espace heideggérien » soient ou non conscients de ce qu’ils effectuent. L’important, pour le nazi Heidegger, est que la « bête immonde » y soit logée et, au moins pendant un certain temps, qu’elle puisse même y dormir dans l’attente « de jours meilleurs ».
En réalité il ne s’agit pas de s’en prendre au texte de Mattéi. Comme je l’ai dit c’est un des effets du « dispositif » que de permettre l’existence de tels textes. Je vais seulement tenter de lui superposer une dé-transposition, une dé-construction-traduction.
Il y aura tout lieu de craindre qu’on reste incrédule devant le parallèlisme entre l’ontologie fondamentale et l’idéologie nazie.
Ce qui, de mon point de vue, ne fera que mettre en relief une certaine illusion philosophique.
Le texte de Mattéi est en gras, mon commentaire en bleu.
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L’ENIGME DE L’ETRE
« Lorsque la pensée se dispose à penser, elle se trouve déjà avouer l’énigme de l’histoire de l’Etre. »
……………………………………………………Heidegger, Nietzsche.
Le dépassement de la métaphysique
Il ne faut pas perdre de vue que, dans le cas de Heidegger, il s’agit d’une forme « philosophique » de nazisme. Un de ses traits est la conjugaison entre un domaine de justification spirituelle, « noble », et une forme de banalisation de ce que le nazisme réel aura mis en oeuvre précisément dans ses « basses oeuvres ». Il faut partir du principe que la grandeur même du philosophique à l’oeuvre dans le « dispositif » relève de la « grandeur interne », de prés ou de loin, du nazisme. Il y a alors lieu de chercher de quelle « bassesse externe » correspondante il s’agit. De mon point de vue Heidegger n’aurait jamais travaillé, depuis au moins les années trente jusqu’à sa mort, à l’introduction du nazisme dans la philosophie s’il avait eu quoique ce soit à opposer à Auschwitz. (Sachant à quel point les camps et Auschwitz sont traumatisants Heidegger a même eu, en nazi parfait, l’habileté tactique de s’appuyer sur leur horreur pour dresser un état des lieux où la « germanitude » apparaît faire comme une veille sur une civilisation minée par le Ge-stell. Il a pratiqué un négationnisme par instrumentalisation. C’est la bassesse externe « relevée » par la grandeur interne.)
La mise en page/mise en texte de Mattéi dispose une annonce : L’énigme de l’être (que la citation de Heidegger rend en quelque sorte coextensive à l’ébranlement même de la pensée) laquelle conduit à un « objectif-programme » : le dépassement de la métaphysique. Or, je tiens que ce thème du dépassement de la métaphysique est, pour Heidegger, l’expression ontologique de son accord avec Auschwitz. En ce sens Heidegger est un « destructeur » non un « déconstructeur ». (Pour Derrida la déconstruction n’est surtout pas une destruction.) La métaphysique est « juive » (ou « judéo-chrétienne ») en tous cas dans ses racines « inférieures » en opposition à une histoire de la métaphysique qui prend son départ en Grèce.
Comme l’a dit Benny Lévy il y a eu une guerre métaphysique entre Jérusalem et Athènes. La guerre nazie contre la métaphysique – la destruction encore une fois non la déconstruction – s’est faite aussi bien contre Jérusalem que contre Athènes. Mais Jérusalem représente une métaphysique « inférieure » nocive et dont il n’y a rien à faire tandis qu’Athènes représente un épisode de l’oubli l’être contre lequel on peut opposer l’anamnèse pré-socratique : Parmènide, Héraclite.
Notons au passage que parmi les reproches qu’on peut faire à des livres comme ceux de Mattéi et de Caron il y a celui qui viserait en eux le fait d’être des sortes de fictions philosophiques expurgeant les textes de leurs fonctions polémiques et stratégiques. Le programme heideggérien de destruction de la métaphysique tel qu’il est plus qu’esquissé dans Etre et temps consonne parfaitement avec le programme exposé dans Mein Kampf. Qu’il ait fallu des années à un Emmanuel Levinas pour exprimer sa tristesse à propos du « vrai Heidegger » est la preuve de la puissance d’illusion d’un philosophique habilement instrumentalisé par un nazi de tête. En ce sens il y a « trahison » de la part de Heidegger. Il s’est servi de son aura de philosophe comme s’il s’agissait de l’entrée d’un piège. Dans l’espace philosophique cet aspect de Heidegger n’est pas sans ressembler à certains salles de douche.
Le thème de la destruction de la métaphysique est la version en « grandeur interne » de la « bassesse externe » que sont l’antisémitisme d’état et la « solution finale ».
Dans un article trés instructif André Michels écrit ceci :
« Sa philosophie – celle de Heidegger – inscrit la destruction du monothéisme en son centre et dans son cœur. Elle est donc judenrein avant la lettre, avant que les nazis ne passent à l’acte. Heidegger est rejoint par une réalité politique horrible et terrifiante, dont on ne peut vraiment pas le rendre responsable. Si, dans l’après-coup cependant, il avait pu en assumer une partie, il aurait été certainement plus proche de ce grand homme, qu’il a tellement voulu être, et de cette autorité morale, qui donne la mesure de ce qu’il n’a pas été. »
André Michels est « sympa » envers Heidegger. Mais il est peut-être un peu naïf de déclarer qu’on ne peut pas « vraiment » le rendre responsable de l’interprétation nazie du judenrein. Il est vrai que Heidegger n’en finit pas de nous attrister. En réalité il ne s’agit pas de le rendre responsable ou non de l’antisémitisme effectif. Jusqu’au bout il a estimé qu’il était un « grand homme » pour avoir pensé en « grandeur interne » ce qu’a été Auschwitz. Tout ce qu’il a dit à partir de là à propos du Ge-stell ne vise rien moins qu’à éclaircir les possibilités d’une « éthique » héritière d’Auschwitz! Libéré de la métaphysique, et notamment du monothéisme de Jérusalem, le « peuple historial » peut apporter au monde la félicité…
On peut reprocher beaucoup de choses à Heidegger, et des choses qui devraient le mettre en tant que philosophe au ban des institutions démocratiques – car on ne peut pas accepter que l’intégration qu’il fait du crime de masse industriel puisse être considéré comme un simple « piquant de voyou » – on ne peut pas lui reprocher sa fidélité. C’est dans l’ordre, du reste, de « l’éthos nazi ». Jusqu’au bout Heidegger n’a eu de cesse de manifester une fidélité sans faille à l’hitlérisme. Qu’il l’ait faite, autant par goût que par nécéssité stratégique, sur le mode de la « grandeur interne » est une preuve supplémentaire de sa fidélité. Il suffit de songer à tous les « bons livres » sur Heidegger qu’on peut lire. Le fantôme de Hitler doit saliver de plaisir.
Retour au « bon livre » de Mattéi.
Nul ne connaît jamais, vraiment, l’enjeu et la source ultimes d’une pensée.
Le commentaire « normal » pourrait évoquer par exemple la question de l’impensé. Il reste que la phrase, qui est accrocheuse pour un lecteur qui ouvre le livre, a aussi une fonction d’esquive. Qu’est-ce qui relève de « l’enjeu », par exemple, et qui est « nouménalisé » comme inconnaissable? L’enjeu primordial, principal de Heidegger en tant que « nazi de tête et de foi », est de consolider l’introduction du nazisme dans la philosophie. Il reste, si l’on reconnaît cette vérité, que la question de la « source ultime » a quelque chose de ténébreux si l’on entend par là la difficulté qu’il y a à comprendre comment se constitue une ferveur nazie philosophique.
La phrase est en partie démentie par le nazisme de Heidegger. Il cristallise « enjeu » et « source ». Pourquoi, cependant, des êtres humains sont-ils nazis? Pourquoi Heidegger le fut et jusqu’au-delà de sa mort?
A tout moment, et au rythme où elle se déploie, le sol se dérobe sous elle et contraint le penseur à côtoyer son propre abîme. Il jette alors des ponts au-dessus du néant et s’engage vers d’autres rives en oubliant les piles qui servent à édifier les arches. Et le vide se fait plus profond à mesure que l’édifice monte plus haut.
Il y aurait à faire une étude exclusivement consacrée au motif de la « pensée » chez Heidegger. Pour le dire familièrement il semble parfois qu’elle « ait bon dos ». « Je pense, donc j’introduis le nazisme dans la philosophie ». Tel serait le siniste anti-cogito de Heidegger.
Cela dit Mattéi poursuit sa mise en place introductive de ce qui apparaît comme un récit, comme le « roman d’une pensée ». Comme Heidegger est déjà mythologisé en tant que personnage – c’est un grand philosophe et son nazisme philosophique est un fantasme – nous sommes amenés à considérer que, de manière assez paradoxale, le livre de philosophie consacré à Heidegger et Hölderlin est en réalité un sorte de récit mythologique.
Ici le mot et la notion même de philosophie apparaissent problématiques. Mattéi fait de la philosophie, certes, et son livre est un livre de philosophie. Mais, et parce que Heidegger lui-même n’a eu de cesse de mettre en garde la « pensée » et les « penseurs » contre la philosophie, tout se passe en réalité comme si le texte de Mattéi contrevenait à certaines « contraintes » caractéristiques du texte philosophique. On connaît, tant pis pour la lassitude, la réponse du phiblogZophe : l’introduction du nazisme dans la philosophie par Heidegger étant effective, il n’y a pas besoin d’être politiquement complice de Heideggger pour collaborer à son projet! Il suffit de s’en tenir à une mythologisation académique de bon aloi.
Le nazisme heideggerien dans la philosophie place celle-ci dans une situation extrêmement difficile. Une des réponses habituelles, et c’est la réponse par exemple de Maxence Caron, est une sorte de fuite en avant dans le commentaire et l’exégèse philosophiques, fuite destinée à consolider, quand bien même cela serait contre l’homme Heidegger lui-même, la « statue » du philosophe.
Mais il y a une vérité heideggérienne et elle est sinistre. Se refuser à cette vérité c’est pratiquer une philosophie qui est d’emblée une mythologie et même une mythomanie. Le pire est alors de s’appuyer sur la défiance de Heidegger lui-même à propos de la philosophie pour justifier la production d’une textualité réputée philosophique mais consistant pour l’essentiel en une mythologie.
Le « bon livre » de Jean-François Mattéi est un beau et excellent récit mythologique. On y soulignera toutes les références possibles d’une histoire philosophique de l’Etre cela non seulement n’y changera rien mais alourdira au contraire le poids de « l’impensé philosophique ». « Philosophique »… cela n’est donc pas grave pour Heidegger. Et c’est précisément ce qui est inquiétant.
Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que Mattéi fasse preuve de talent dans la production de la métaphore du philosophe qui, hanté par « son » impensé, et « détruisant » lui-même tout ce que l’histoire de l’Etre a métaphysiquement « impensé », semble édifier des ponts en oubliant les arches.
La métaphore pourrait avoir quelque chose de ridicule. Mais il est vrai qu’elle a aussi l’ambition de remettre en cause, par déconstruction, l’image même du philosophe métaphysicien et fondateur.
Mais la même métaphore peut se voir sous un jour sinistre : si Heidegger ne fonde pas il introduit. On sait quoi. Et ce que la démarche de Heidegger « défonde » a une portée d’une terrifiante violence. Il « défonde », sous le vocable de la métaphysique occidentale, ce métissage de Jérusalem et d’Athènes qui fait obstacle à « l’éclosion de l’essentiel » c’est-à-dire, dans le langage de La dévastation…, la domination de la « Germanie » sur des peuples esclaves et diversement « sécurisés socialement ». On ne comprendra rien à Heidegger si on « oublie » que la destruction de la métaphysique est la conception en « grandeur interne » de ce que fut Auschwitz.
La question n’est effectivement pas de savoir si, pour avoir adopté les positions qui furent les siennes, Heidegger porte ou non une responsabilité dans ce que fut l’hitlérisme réalisé. Il y a un parallélisme quasiment strict entre les thèses de Heidegger et l’hitlérisme. Et comme il n’a eu de cesse d’introduire le nazisme dans la philosophie sa responsabilité morale sinon pénale est incommensurable.
Et le vide se fait plus profond à mesure que l’édifice monte plus haut. Tel est le premier indice, terrestre, de cet « impensé » dont Heidegger a fait crédit à la métaphysique pour mieux en affermir les limites et, peut-être, sauter en dehors d’elles afin de se livrer à l’expérience du gouffre. Mais peut-on affronter l’impensé de Heidegger qu’il a su déceler chez les auteurs de la tradition alors qu’il ne s’est pas risqué, pour sa part, à dévoiler le sien?
Le mythe se déploie. La métaphore enfle. La phrase : « Et le vide se fait plus profond à mesure que l’édifice monte plus haut » pourrait étrangement décrire ce qu’il en a précisément été de la « civilisation hitlérienne ». Est-ce un retour subreptice de ce que la mythologisation refoule? Qu’est-ce qui arrive du fait que celui qui revisite l’histoire de la philosophie est un nazi? Et qu’en est-il au juste de cette « expérience du gouffre » à laquelle se livrerait celui qui a précisé les limites « inhabitables » de la métaphysique? Comment lit, interpréte et pense un auteur qui a « légitimé » la « fabrique de cadavres »?
Là il y a une vraie voie à emprunter : comprendre « l’heideggerisme » comme un hitlérisme philosophique et rendre compte de « l’usage » qu’il fait du patrimoine de la philosophie. La subjectivité hitléro-nazie de Heidegger commande son rapport aux mots, aux concepts, aux problématiques de la philosophie. Il ne s’agirait pas de jeter par là le discrédit sur toute démarche qui mettrait en question le sens du philosophique. Mais cela ouvre un espace d’enjeux multiples. Qu’est-ce que Heidegger met « en jeu » du fait de sa foi nazie?
Quelque chose m’échappe dans la dernière phrase du paragraphe. Il est demandé si on peut « affronter l’impensé de Heidegger » cet « impensé de Heidegger » étant dit être celui que Heidegger « a su déceler chez les auteurs de la tradition ». Heidegger aurait-il déceler l’impensé de Heidegger chez les auteurs de la tradition alors même qu’on nous dit « qu’il ne s’est pas risqué, pour sa part, à dévoiler le sien »? S’agit-il d’une erreur d’imprimerie? L’impensé de Heidegger se confondrait-il avec celui de la tradition alors même qu’il ne dévoile pas le sien?
La phrase exacte ne serait-elle pas plutôt celle-ci : « Cet impensé, que Heidegger a su déceler chez les auteurs de la tradition, peut-on l’affronter à son propos alors même qu’il ne s’est pas risqué, pour sa part, à le dévoiler? »
Quoiqu’il en soit comme le projet de l’introduction du nazisme est indissociable d’un négationnisme il est certain qu’une large part de l’impensé de Heidegger relève de l’indévoilable. Imagine-t-on un seul instant un philosophe, qu’il s’agisse de Heidegger ou d’un autre, dire : « Vous savez, les gars, je suis en train d’introduire le nazisme dans la philosophie! »
Et rien de mieux, pour brouiller les pistes et dissimuler le projet, que de procéder à l’intrication de la discrétion politique à une notion d’impensé liée à l’histoire de l’Etre.
Tout le jeu philosophique de Heidegger est perverti par sa soumission à l’objectif de dissimuler le parallélisme entre « l’ontologie existentiale heideggérienne » et « l’ontologie politique hitlérienne ».
En apparence, l’enjeu est clair, du moins dans sa formulation. Il s’agit de dépasser la métaphysique, ou de la déconstruire, pour retrouver à vif, sous la poussière figée de son histoire, et sans pour autant évacuer une tradition vouée à l’oubli, la question primordiale du sens de l’être. Dès l’origine occultée et recouverte, une telle question est la question fondamentale (Fundamentalfrage) de la pensée que la philosophie, sous son double nom de « métaphysique » ou « d’ontologie », n’a jamais réussi à faire venir au jour.
Nous avons vu ce qu’il fallait penser du programme heideggérien de la destruction de la métaphysique. Il s’est en partie réalisé à Auschwitz. Les termes utilisés ici par Mattéi sont « dépasser » et « déconstruire ». Il y a effectivement une évolution sémantique de l’intitulé. Nous y reviendrons.
Il reste à envisager la question, dite question primordiale, du « sens de l’être ». Il faudrait un long article pour en constituer la problématique. En attendant on peut se demander quelle fonction a, quel sens a cette question du « sens de l’être » pour Heidegger. A l’évidence elle a aussi pour fonction de disqualifier la « métaphysique » ou « l’ontologie ». Et comme il ne s’est jamais agi, pour Heidegger, de dénoncer clairement et sans ambiguïté le nazisme en ses oeuvres, nous sommes contraints d’envisager que, pour Heidegger, le « sens de l’être » a quelque chose à voir avec ce qui fonde le mouvement nazi. Le « sens de l’être » serait aussi ce que constitue, dévoile ou retrouve le peuple historial et Völkisch quand il transgresse la « métaphysique » des peuples inférieurs pour établir sa domination.
En attendant cette question du « sens de l’être » me semble être une question mythique. L’être n’a pas de sens. Lui en prêter un à titre de question primordiale, et de question lancée contre la « métaphysique », revient à dérouter la philosophie vers une mythologie. Pour Heidegger, ce fut vers une mythologie nazie. Le spectacle du nazisme en ses oeuvres comme manifestation illusoire du « sens de l’être » libéré de l’impuissance de la « métaphysique ».
Heidegger pourra varier, dans son langage comme dans son cheminement; il restera fidèle à l’appel muet de cette question fondamentale qui sonne à quatre reprises le glas de la métaphysique, dès 1927, aux paragraphes 2, 7, 59 et 83 de Sein und Zeit.
Fidèle, nous l’avons dit, au nazisme jusqu’à sa mort. Tel fut Heidegger y compris dans sa fidélité à la question de l’être. Côté face Mattéi poursuit son récit mythique. Il cite Heidegger lui-même et le célébre Sein und Zeit. Côté pile c’est Hitler en personne qu’il faut faire venir y compris pour saisir en quel sens Heidegger entend le mot « pensée », ce mot qu’il ne recommandait pas de confier à la philosophie elle-même.
Côté pile, donc :
“Et la pensée ne commence pour la première fois que si nous avons éprouvé que la raison glorifiée depuis des siècles est l’ennemie la plus acharnée de la pensée.”
Heidegger, Chemins qui ne mènent nulle part. Le mot de Nietzsche : “Dieu est mort”.
“Nous sommes à la fin du siècle de la raison… J’affranchis l’homme de la contrainte d’une raison… Je propose un dogme nouveau… soulager les masses du fardeau de la liberté”.
Hitler, Hitler m’a dit, Hermann Rauschning, Cité par Jean-Pierre Faye dans Le siècle des idéologies, Agora 1996, page 25.
Comment faut-il entendre, cependant, la nécessité de ce « dépassement de la métaphysique » (Uberwindung der Métaphysik ), à l’évidence redondant s’il est vrai que la métaphysique, depuis Platon, est ce perpétuel mouvement de dépassement de l’expérience telle qu’elle nous est donnée? En supposant qu’un tel dépassement, loin de pousser en avant comme l’Aufhebung hégélienne, soit un « pas en arrière » (Schritt zurück) hors de la tradition en direction d’une « autre pensée » et d’un « nouveau commencement » pour permettre à la pensée de l’être de se recueillir sur elle-même, en quel mode doit-on penser cette remémoration qui semble étrangère aux quatre orients de l’horizon métaphysique?
La remarque de Mattéi selon laquelle le « dépassement » de la métaphysique est un « dépassement de dépassement » est très intéressante. La question des doctrines, dogmes, systèmes mise en entre parenthèses la métaphysique témoigne sans doute de ce que l’animal humain est comme en tension, en surrection hors du donné strictement naturel de son être. La métaphysique est l’expérience de l’étrangéreté humaine dans la nature. Est-ce ce que Schopenhauer a voulu dire lorsqu’il a écrit que l’homme était un « animal métaphysique »?
Contre l’approche heideggérienne je serais favorable à une élucidation anthropologique de la disposition à la métaphysique qu’il s’agisse de magie, de religion ou de métaphysique savante et systématique.
Peut-être entrevoyons-nous ainsi l’aporie centrale de Heidegger. Dépasser le dépassement n’est-il pas pure régression mythique quand il s’agit, de surcroît, de faire advenir l’être en pure présence?
En ce sens la « Stimmung » Blut und Boden est la clé idéologique et pro-nazie du dépassement heideggérien du dépassement.
Que sont par ailleurs les « quatre orients de l’horizon métaphysique »?
Heidegger a répondu par avance à ces questions en mentionnant, de manière explicite, le « tournant » (Kehre) propre de sa pensée, lequel permet moins d’effectuer le « dépassement » (Uberwindung) que l' »appropriation » (Verwindung) de la métaphysique. C’est la Lettre à Richardson, en avril 1962, qui lève le voile sur le « tournant » de Heidegger hors de l’ontologie phénoménologique de Sein und Zeit. Jouant au sein de la question fondamentale de l’être, il ne concerne donc pas – comme une simple péripétie – la seule pensée de Heidegger; bien au contraire, c’est l' »être » lui-même, Seyn, qui « ne se laisse penser qu’à partir du tournant ».
J’ai déjà exposé ce que j’entendais par « dispositif Heidegger ». L’expression désigne l’ensemble des moyens, des « dispositions » qui permet à Heidegger d’introduire le nazisme dans la philosophie.
Ce D. H. est en un sous-ensemble, que je considère comme matriciel d’un (néo)-nazisme « fondé » et soutenu par ce que j’ai appelé un « négationnisme de méthode », d’un dispositif nazi.
Mais nous pourrions parler aussi bien d’un dispositif nazi global à l’intérieur duquel celui de Heidegger joue le rôle, décisif, de légitimation et de « fondation ».
L’analyse historico-contextuelle de la genèse du texte heideggérien devrait notamment mettre systématiquement à l’étude la question du parallélisme entre hitlérisme (et l’histoire de ses « oeuvres ») et l' »heideggérisme ».
Dans le paragraphe de Mattéi la « destruction » (de la métaphysique) est remplacée par « dépassement » (qui est aussi un terme heideggérien). Mais il y aurait eu un tournant, tournant mentionné en 1947 dans La lettre sur l’humanisme, au cours duquel le « dépassement » serait devenu « appropriation ».
Je perçois une certaine confusion dans tout cela. Il est dit que le tournant aurait été opéré dés 1928, c’est-à-dire quasiment dans la foulée de Sein und Zeit (lequel aurait été par ailleurs « retourné » en Zeit und Sein).
Il faudrait déployer tout l’espace « contextuel » et étudier – parce que dire c’est faire – l’ensemble des initiatives heideggériennes.
Je doute, pour ma part, que le tournant en vertu duquel la destruction-dépassement se mue en appropriation est le fait d’une décision absolument et purement philosophique.
La balle est dans le camp des historiens-philologues.
Cela dit il faut que le philosophe ait entré de manière particulièrement intense en résonnance avec l’histoire factuelle s’il est vrai que, comme le dit Mattéi, le tournant « ne concerne donc pas – comme une simple péripétie – la seule pensée de Heidegger; bien au contraire, c’est l' »être » lui-même, Seyn, qui « ne se laisse penser qu’à partir du tournant ».
Pour élucider ce que dit le mot « tournant », Heidegger renvoie d’une part à la Lettre sur l’humanisme de 1947 dans laquelle il indiquait que le titre de son ouvrage Sein und Zeit avait été retourné en Zeit und Sein dans la troisième section, non publiée, de la première partie (« ici, tout se retourne », écrivait alors Heidegger), et d’autre part à la conférence de 1930, De l’essence de la vérité, qui retournait à son tour, en un chiasme parfait, l' »essence de la vérité » en la « vérité de l’essence ». Depuis le R. P. Richardson, les interprètent s’appuieront sur ces textes pour distinguer un Heidegger I d’avant le « tournant », qui parle encore la langue de la métaphysique, d’un Heidegger II qui, emporté par le « tournant », réussira le saut hors de la métaphysique pour atteindre un autre sol, et parler une nouvelle langue, qui est celle de l’être en sa vérité. Après cet épisode du « tournant », que l’on peut faire remonter à 1930, voire même à 1928, Heidegger se détournerait définitivement de la métaphysique pour se consacrer à la pure pensée de l’être.
L’hypothèse serait alors, puisque le tournant semble avoir eu lieu – quel événement! – vers 1930, que Heidegger ait réussi à faire le « saut hors de la métaphysique » en « incorporant » la montée du nazisme et la figure, incroyablement rayonnante, d’un Hitler alors à deux doigts du pouvoir.
Et c’est parce qu’il y a eu des personnalités comme Heidegger pour faire leur l’hitlérisme que celui-ci a triomphé. Il ne s’agit pas, ici, de pratiquer un « réductionnisme » en écrasant la « pensée » de Heidegger sur « l’infrastructure » événementielle politico-économique. (La crise de l’allemagne… la victoire des nazis… ).
Nous partons au contraire du principe que c’est Heidegger lui-même qui transpose le nazisme en « ontologie ». Et qu’il le fait d’autant mieux que, philosophe déjà reconnu, il est animé d’une véritable foi nazie.
Il est persuadé qu’avec Hitler un « nouveau sol » est offert au peuple historial. Une nouvelle langue pourra être parlée qui sera celle de l’être en sa vérité. Entendons : qui sera celle du peuple « völkish » libéré des métaphysiques juive et gréco-latine.
Heidegger envisage une nouvelle civilisation « pour mille ans » et se met en situation d’en croire être l’inspirateur spirituel.
Le peuple allemand-aryen est le seul et véritable peuple élu. Elu, pour ainsi dire, dans et par sa sortie de la métaphysique. Et Heidegger en est le prophète absolu et incomparable.
Il y aurait bien un Heidegger I et un Heidegger II, ou encore une première philosophie de Heidegger, présente dans son grand ouvrage de 1927, Sein und Zeit, puis, comme l’écrit Jean Grondin, une « deuxième philosophie » ou une « dernière philosophie » qui radicaliserait le questionnement initial pour se livrer à une expérience pré-philosophique de l’être dans laquelle la poésie, celle de Hölderlin au premier chef, jouerait désormais un rôle déterminant avec la présence de cette constellation étrange, au premier regard, de la Terre et du Ciel, des Divins et des Mortels.
Le « désert croît », dirait-on.
Selon ma grille de lecture, qui repose sur l’hypothèse d’un parallélisme transposé entre l’hitlérisme et l’heideggérisme, au Heidegger I correspondrait un « révolutionnaire conservateur » non totalement encore séduit par le nazisme. Le Heidegger II serait l’ultime Heidegger, cet Heidegger qui, depuis sa tombe, a confirmé à jamais aux yeux du monde – dans l’entretien postume au Spiegel – son adhésion au nazisme.
Comment ne pas être ahuri et consterné par le coup à la fois kitsch et dégoûtant que fait Heidegger : déguiser en « grandeur interne » la croix gammée elle-même?
Une branche pour la Terre.
Une branche pour le Ciel.
Une branche pour les Divins.
Une branche pour les Mortels.
Ce qui prouve le projet de l’introduction c’est qu’une telle interprétation, quoique dise un Mattéi, est possible. Et ce qui protège le projet c’est l’incroyable jeu auquel se livrent de talentueux commentateurs. Il faut être grossier, « fantasmeur », calomniateur pour oser voir ce qui crève pourtant les yeux. Le « grand penseur », qui a avoué sa « grande bêtise », ne peut commettre une bassesse aussi ridicule et provocatrice.
Et pourtant le svastika nazi est bien là, enrobé des guirlandes hölderliniennes tressées par Heidegger.
Voilà ce qu’est la « grandeur interne » heideggérienne.
On a pendu – je suis contre la peine de mort dans tous les cas – Hermann Göring et quelques autres. Et on laisse un mort nazifier la philosophie.
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Autre chose : Mattéï travaille à priori avec Faye au comité de lecture de la revue qu’il dirige, Noésis. Vous pourrez le constater ici: http://www.unice.fr/CRHI/crhi0200.htm
Je ne pense donc pas que ce soit le commentateur à attaquer en priorité.
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Petit rappel:
Jean-François Mattéi
Professeur d’université de classe exceptionnelle
Chevalier de la Légion d’Honneur (promotion de Pâques 2004)
Né le 9 mars 1941 à Oran (Algérie)
Marié, trois enfants.
Docteur d’État ès-Lettres, Agrégé de Philosophie, Diplômé de Sciences politiques
* Fonctions universitaires :
Membre de l’Institut universitaire de France : élu en 1996 puis réélu en 2002. Membre du Bureau de l’IUF depuis 1998
Membre du Comité d’Éthique du CIRAD (Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement) présidé par le Professeur Hubert CURIEN, Ancien Ministre de la Recherche, depuis 2000
Expert en Philosophie et en sciences humaine pour le COFECUB (Comité Français d’Évaluation de la Coopération Universitaire avec le Brésil) depuis 1999 et Chargé de mission au Brésil.
Professeur à l’Université de Nice-Sophia Antipolis depuis octobre 1980. Directeur du département de Philosophie de 1984 à 1988
Directeur du Master de la formation doctorale » Philosophie et Histoire des Idées » (CNRS : UMR 6045) de l’Université de Nice depuis 1995
Chargé de cours à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence depuis 1973
Professeur associé à l’université Laval (Québec) depuis 2003
Professeur invité à l’université de Marmara (Istambul) depuis 1991
Professeur en mission à l’Université de Polynésie Française pour l’enseignement annuel de Philosophie de l’éducation depuis 1987
* Fonctions administratives :
* Conseiller auprès du Ministre de l’Éducation nationale en 1993-1994 au Cabinet de M. François BAYROU. Chargé des dossiers : philosophie de l’éducation ; nouvelles technologies éducatives ; francophonie ; rénovation du Bulletin Officiel (B. O.)
* Membre de l’Académie Européenne Interdisciplinaire des Sciences depuis 1996
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Réponse de Skildy :
Pourquoi voudriez-vous que cela m’impressionne? Une bonne partie de cette carrière repose sur Heidegger. Il n’y a donc aucune raison pour que J-F Mattéi ne concède à la thèse de Faye autre chose que le statut de « fantasme ».
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Vous verrez ici qu’il a collaboré en outre avec votre cher Losurdo: alemore.club.fr/ATPAffichette2_Nietzsche.doc
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Que grâce à Heidegger? c’es discutable:
Editeur :
du volume III de l’Encyclopédie philosophique universelle, Les Oeuvres philosophiques (2 tomes, Paris, PUF, 1992),
du volume IV du même ouvrage, Le Discours philosophique (PUF, 1998),
du volume des Actes du Congrès international de Nice,
La naissance de la raison en Grèce (PUF, 1990).
Dirige :
la collection “Thémis-Philosophie” aux Presses Universitaires de France.
Ouvrages :
L’Étranger et le Simulacre. Essai sur la fondation de l’ontologie platonicienne, Paris, PUF, 1983
La métaphysique à la limite. Cinq essais sur Heidegger, en collaboration avec Dominique Janicaud, Paris, PUF, 1983 ; traduction anglaise : Heidegger. From Métaphysics to Thought, New York, Suny Press, 1994.
L’ordre du monde. Platon, Nietzsche, Heidegger, Paris, PUF, 1989 ; traduction espagnole, Buenos Aires, Losada, 1995.
Pythagore et les pythagoriciens, Paris, PUF, “Que sais-je ?”, 1993 ; traductions grecque, suédoise, roumaine, espagnole, chinoise, portugaise ; 3e éd. mise à jour, 2001
Platon et le miroir du mythe. De l’Âge d’or à l’Atlantide, Paris, PUF, “Thémis”, 1996
Albert Camus et la philosophie, en collaboration avec Anne-Marie AMIOT, Paris, PUF, 1997
Philosophie, Éthique et Droit de la médecine, en collaboration avec Dominique FOLSHEID, Paris, PUF, 1998
La métaphysique d’Emmanuel Levinas, direction J.- F. Mattéi, Noesis, Vrin diffuseur, automne 1999, n°3
La Barbarie intérieure. Essai sur l’immonde moderne, Paris, PUF, 1999 ; 3e éd. augmentée 2001; trad. portugaise
Heidegger et Hölderlin. Le Quadriparti, Paris, PUF, 2001
Philosopher en français. Le langage de la philosophie et les langues nationales, Paris, PUF, 2001
Civilisation et Barbarie. Réflexions sur le terrorisme, Paris, PUF, octobre 2002
Nietzsche et le nihilisme (PUF), Hollywood et la question du monde (PUF) : premier trimestre 2004
De l’indignation ; Ed. La Table Ronde, 2005
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Remarque de Skildy :
Bon, d’accord, j’avais surtout regardé la part consacrée à Heidegger.
Mais avec tout ça il n’est pas plus facile ne serait-ce que d’envisager sérieusement et librement l’hypothèse d’un Heidegger nazi et « introducteur ».
Je dis cela parce que je trouve inadmissible et inquiétant que des esprits réputés aussi grands expédient la thèse de Faye avec des insultes et du mépris.
La question est trop grave pour être ainsi traitée. Et cela jette, en ce qui me concerne, pas mal d’ombre sur ce que veulent finalement de tels « grands esprits ».
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