Une contribution de Christoph A. Lamy : « Chronique des dangers du négationnisme ontologique ».

Chronique des dangers du « négationnisme ontologique ».

1/ Définition et enjeux.

11/ sur le « négationnisme ontologique » :

On reprend ici l’expression de M. Emmanuel Faye à la fin de son livre, et qui sert à désigner la manière spécifiquement heideggérienne de nier la réalité, la portée et le sens de l’extermination, et la responsabilité intellectuelle et humaine du penseur Martin Heidegger dans l’entreprise nazie.

Il s’agit ici pour nous de montrer comment cette forme de négationnisme joue dans l’argumentation  de personnes qui, sans être négationnistes elles-mêmes, laissent échapper des propos dont on veut croire qu’ils n’en perçoivent pas la portée et dont on avance ici qu’ils sont déterminés par le discours heideggérien qui les influence.

Ainsi quand M. Nancy a mis au même niveau le nazisme heideggérien et le positivisme supposé de Freud il n’a pas donné la preuve qu’il serait un négationniste, mais est tombé dans le piège du discours heideggérien sur la technique, discours dans lequel on peut voir une tentative d’auto-disculpation post 39-45 (voir sur ce même blog « Heidegger, Freud et le « négationnisme ontologique » »).   

12/ Exemple.

Pour passer, un tel discours se doit d’être euphémisé. On peut ici prendre l’exemple d’un texte issu des Conférences de Brême de 1949 dont il a beaucoup été question au cours des débats :

« Hunderttausende sterben in Masse. Sterben Sie ? Sie kommen um. Sie werden umgelegt. Sterben Sie ? Sie werden Bestandstücke eines Bestandes der Fabrikation von Leichen. Sterben Sie ? Sie werden in Vernichtungslagern unauffällig liquidiert. Und auch ohne Solches- Millionen verelenden jetzt in China durch den Hunger in ein verenden.

Sterben aber heißt, den Tod in sein Wesen austragen. Sterben können heißt, diesen Austrag vermögen. Wir vermögen es nur, wenn unser Wesen das Wesen des Todes mag. Doch inmitten der ungezählten Tode bleibt das Wesen des Todes verstellt. Der Tod ist weder das leere Nichts, noch ist er nur der Übergang von einem Seienden zu einem anderen. Der Tod gehört in das aus dem Wesen des Seyns ereignete Dasein des Menschen. So birgt er das Wesen des Seyns. Der Tod ist das höchste Gebirg der Wahrheit des Seyns selbst, das Gebirg, das in sich die Verborgenheit des Wesens des Seyns birgt und die Bergung seines Wesens versammelt.

Darum vermag der Mensch den Tod nur und erst, wenn das Seyn selber aus der Wahrheit seines Wesen das Wesen des Menschen in das Wesen des Seyns vereignet. Der Tod ist das Gebirg des Seyns im Gedicht der Welt. Den Tod in seinem Wesen vermögen, heißt : sterben können. Diejenigen, die sterben können, sind erst die Sterblichen im tragenden Sinn dieses Wortes.“

(Martin Heidegger, Bremer und Freiburger Vorträge, GA 79, 56).

Ce qu’on peut bien traduire, comme le fait Emmanuel Faye, par :

« Des centaines de milliers meurent en masse. Meurent-ils ? Ils périssent. Ils sont tués. Meurent-ils ? Ils deviennent les pièces de réserve d’un stock de fabrication de cadavres. Meurent-ils ? Ils sont liquidés discrètement dans des camps d’anéantissement. Et sans cela – des millions périssent aujourd’hui de faim en Chine.

Mourir cependant signifie porter à bout la mort dans son essence. Pouvoir mourir signifie avoir la possibilité de cette démarche. Nous le pouvons seulement si notre essence aime l’essence de la mort. Mais au milieu des morts innombrables l’essence de la mort demeure méconnaissable. La mort n’est ni le néant vide, ni seulement le passage d’un étant à un autre. La mort appartient au Dasein de l’homme qui survient à partir de l’essence de l’être. La mort est l’abri le plus haut de la vérité de l’être, l’abri qui abrite en lui le caractère caché de l’essence de l’être et rassemble le sauvetage de son essence.

C’est pourquoi l’homme peut mourir si et seulement si l’être lui-même approprie l’essence de l’homme dans l’essence de l’être à partir de la vérité de son essence. La mort est l’abri de l’être dans le poème du monde. Pouvoir la mort dans son essence signifie : pouvoir mourir. Seuls ceux qui peuvent mourir sont les mortels au sens porteur de ce mot. »

(traduction de Emmanuel Faye, opus cit. p. 492).

Ce texte a été lu de manières radicalement diverses. On peut y lire un négationnisme au premier degré : ceux qui sont morts dans les camps ne sont pas vraiment morts ; ou plutôt : leur mort se trouve minimisée. A l’appui de cette lecture : le fait que Heidegger ne mentionne pas la dimension raciale des camps, qu’il minimise le chiffre des morts, qui se comptent en millions et non en milliers, qu’il confonde une famine (qui avait d’ailleurs des causes politiques) et une extermination.

D’aucuns pourtant y voient une critique de l’ensemble du mouvement de la culture occidentale, qui serait caractérisée par la constitution en fond de la totalité de l’étant. En témoignerait le passage sur les « pièces de réserve ». Cette interprétation n’a pas grand-chose pour elle, à moins de s’appuyer sur une traduction fantaisiste. Mais en admettant qu’un penseur raciste ait choisi de faire de la critique du nihilisme après 45, on comprend mal en ce cas pourquoi il n’a pas choisi de publier cette critique alors même que le nazisme n’était plus à la tête de l’Allemagne.

On fait ici l’hypothèse que se joue dans ce texte la constitution des fondements d’un négationnisme euphémisé qui, en s’appuyant sur la philosophie heideggérienne de la mort (et en en indiquant par là le caractère problématique), affirme que les morts des camps ne sont pas vraiment morts parce qu’ils ne sont pas morts de la seule manière qui soit digne, à savoir de manière heideggérienne. Cette analyse, que l’on peut lire si on le veut absolument et en dépit du bon sens comme une critique, est dans ce cas une critique de bourreau : en quoi serait-il plus « authentique » de mourir à Stalingrad, la tête farcie de conneries et courant au devant du front, que de mourir en homme lucide et courageux, assassiné parce qu’on est né quelque part ?

Quelque chose cloche dans le raisonnement ici donné, mais on comprend en même temps comment le pathos de la mort peut séduire des gens qu’elle fascine et interroge.

13/ Limites et ouverture.

Bien sûr le « négationnisme ontologique » heideggérien n’explique pas tous les propos inacceptables qui ont été tenus sur le net. Ainsi lorsqu’il a été dit que le « Blut und Boden » n’était pas nazi (voir le point 3 où la question est abordée), ou quand madame Malabou a avancé qu’on ne pouvait pas critiquer un penseur pour son nazisme parce qu’on se sait pas soi-même ce que l’on aurait fait durant cette période, comme si un tel engagement n’était qu’une question contingente. Ou quand la biographie de Heidegger est sur Wikipedia l’objet d’une réécriture disons, parfumée. Mais il permet de comprendre comment le philosophe Heidegger a su euphémiser ses conceptions politiques, et comment il contamine ainsi en douceur le discours d’adeptes qui ne comprennent pas nécessairement la portée des propos qu’ils tiennent.

Suit l’analyse d’un article publié dans une revue universitaire, et qui pose bien des questions (point 2), et une lettre ouverte envoyée à plusieurs spécialistes de Heidegger, suite à des arguments répétés sur le net et s’appuyant sur la seule autorité de leurs dires réels ou supposés (point 3).

2/ De la platitude dans l’abjection : sur la lecture par Servanne Jollivet des textes heideggériens sur la guerre dans son article « De la guerre au Polemos : le destin tragique de l’être » publié dans la revue universitaire en ligne  Astérion (Numéro 3, septembre 2005, http://asterion.revues.org/document419.html) et dont une première version (« L’épreuve de guerre ») a été donnée dans la revue de Sciences po en ligne « Sens public ».

L’œuvre commence par un vœu pieux de chercheur : la pensée heideggérienne relève bien de la Kriegsideologie, mais il s’agit non pas de le déplorer mais de le comprendre, afin d’en saisir la grandeur, qui en tant que grandeur ne pourrait par définition se limiter à une idéologie de caserne :

« L’étude d’une telle constellation, fût-elle aussi idéologiquement marquée, dans l’œuvre de Heidegger ne vise néanmoins pas ici à la réduire aux postulats communs propres à la Kriegsideologie du début du siècle (Jaspers, Weber, Jünger, Schmitt), de la rhétorique du vivre dangeureusement à L’apologie du sacrifice et de la mort en laquelle se scelle la croyance en une « communauté de lutte », qui s’avère elle-même d’abord communauté de sang et partage du même sol. Belliciste, Heidegger l’est assurément, tout au moins pendant l’entre deux guerres face à l’occupation de la Ruhr et à la passivité de la République de Weimar, lui-même réfractaire à cette nouvelle Société des Nations à laquelle il reproche de faire fond sur l’iniquité du traité de Versailles (…) Certes. Mais ce serait faire le jeu d’une trop grande simplicité que de prétendre aussi facilement l’y réduire. Aussi s’agira-t-il pour nous non pas tant de rire, s’indigner ou de pleurer que « de comprendre », pour reprendre les paroles d’un sage, non pas tant de dénoncer ou de jeter l’opprobe indûment, d’en énumérer les occurrences, les faits que de tenter d’approfondir ce qui, pour Heidegger, s’y joue : ce qui, pour nous encore peut-être, continue de se jouer. » (p.1/pp. 242-243. On cite ici d’abord la pagination word de l’article. Suit la pagination de la revue, donnée en format pdf ; l’article de « Sens public » est cité d’après la pagination qui suit l’impression proposée en ligne).

L’ « approfondissement » suppose donc bien que la pensée heideggérienne va plus loin que l’éloge de la boucherie en gros. C’est ce que précise la note 5 :

« Si l’appropriation heideggérienne de cette idéologie martiale est indéniable, force est de constater cependant qu’elle ne se réduit aucunement à ce que D. Losurdo conçoit n’être qu’une appropriation existentiale et ontologisation d’une idéologie dominante, « dégénération idéologique », eu égard à laquelle s’expliquerait son adhésion au national-socialisme, elle-même solidaire d’un retour à la grécité originaire dans lequel il voyait l’assomption par l’Allemagne d’un destin unitaire de l’Occident. Sur ce sujet, voir D. Losurdo, Heidegger et l’idéologie de la guerre, Paris, PUF, 1998. »

Pour faire ici écho au souci de compréhension de l’auteure et à sa démarche qui, on l’aura compris, se veut strictement intellectuelle, je dirais que je n’ai pas pleuré à la lecture de son article. Mais pas vraiment ri non plus, dans la mesure où elle semble plutôt confirmer la thèse de D. Losurdo en enfilant des citations d’une banalité consternante qui relèvent bien d’une exaltation de la domination et de la guerre comme on peut en trouver chez le premier idéocrate venu.

Pour nous prouver cependant la « grandeur » de ces pensées madame Jollivet a recours à deux procédés : d’abord rabattre les cours des années 30 sur ceux qui les précèdent et sur ceux d’après 45. Il n’est pas sûr qu’ainsi elle grandisse beaucoup Heidegger. Ensuite elle explique que la notion de combat est étendue par Heidegger à tout l’être, ce qui n’est pourtant pas une « élévation », mais pourrait bien constituer justement ce que D. Losurdo désigne comme l’ontologisation d’une idéologie.

Le « rattrapage » par rattachement aux textes devenus « classiques » :

Notons que la première démarche suppose certains oublis : ainsi p. 2/243 il est affirmé que

« la notion de combat, de conflit, voire de guerre n’en est pas moins relativement absente avant 1927 ».

« Relativement », car la matrice de Être et temps que sont les Conférences de Cassel de 1925 s’intitulent quand même « le combat présent pour une vision du monde historique », tandis qu’en 27 la notion clé de « devancement de la mort » a bien une dimension militaire, comme le signale l’auteure elle-même note 14 ; mais on est alors déjà en p. 4/248, il est vrai. P. 3/pp. 245-246 par contre est citée une lettre à Jaspers datant de 1922 et traitant de la notion de « communauté de lutte ». Le « relativement » l’est donc tout particulièrement.

Ce premier exemple illustre tout le mouvement contradictoire qui est celui de l’article, qui consiste pour une part à réduire ou à ignorer la virulence de certains textes, tout en prétendant hausser d’autres textes tout aussi virulents à la hauteur de grandes pensées.

Là où l’approche de l’auteure devient véritablement très problématique, c’est quand elle réinterprète le fameux « Discours de rectorat » de 1933 à l’aide de la Lettre sur l’humanisme d’après guerre (p. 7/254) :

« Penser la lutte, le combat pour Heidegger n’est donc pas « se faire le moins du monde le porte-parole de l’inhumain » et glorifier « la brutalité barbare » en prônant un « nihilisme » irresponsable et destructeur [citations de la Lettre sur l’humanisme]. Ainsi comprise dans sa « proximité à l’être », le combat est lui-même pensé, souligne ainsi Heidegger dans la lettre qu’il adresse à Jean Beaufret en 1945, « en un sens essentiel, non point patriotique, ni nationaliste [Ibid.

C’est un anachronisme pour le moins singulier que de recourir ainsi à un texte d’après-guerre pour défendre le discours de rectorat. Comment concilier cela avec la description p. 6/252 de l’unification par le combat comme « fait de « se tourner ensemble contre. » » Et surtout comment concilier cette absence de « nationalisme » avec le fait que Heidegger ait fait imprimer le « Horst Wessel Lied » au dos du discours de rectorat, à savoir l’hymne du « mouvement » national-socialiste (cf. Hugo Ott, Martin Heidegger. Eléments pour une biographie, version française p. 159) ? Rappelons une strophe de ce chant :

« Hauts les drapeaux, les rangs serrés !

La SA défile d’un pas ferme et vaillant,

Les camarades fusillés par la Front rouge et la réaction

Marchent en pensée dans nos rangs. » 

A relire ce texte en le comparant avec des chants scouts d’après guerre, on arriverait peut-être à faire croire que le tout n’a rien de nazi et ne glorifie pas la « brutalité barbare ». Disons plutôt que si le Heidegger d’après-guerre se pense en cohérence avec ses propos de 33, ce que laissent supposer ses quelques vaseuses « explications » avec son passé, cela ne grandit pas son œuvre d’avant 1945, mais aurait plutôt tendance à grever celle d’après.

Faut-il rappeler par ailleurs que l’introduction du Führerprinzip et de la relation Führung/Gefolgschaft dans la vie universitaire est au cœur du discours tenu par le recteur d’une université dont les professeurs juifs ont été exclus ? qu’il y rapporte le « milieu », sous la référence à la grandeur du commencement grec, au « centre intellectuellement déterminant de l’existence totale, étatique et volklisch » [GA 16, p. 110] ? Que le monde auquel l’existence s’ouvre par ce milieu, c’est le « monde spirituel d’un peuple », compris non comme la « superstructure d’une culture », mais comme « la puissance de conservation la plus profonde de ses forces de terre et de sang. » ? Il est pour le moins étrange que dans un article consacré à la notion de guerre et de conflit chez Heidegger mademoiselle Jollivet n’ait pas souhaité aborder la question de son rapport à l’idéologie du Blut und Boden. Parce que le racisme, l’antisémitisme n’ont rien à voir avec la Kriegsideologie ?

Mais peut être est-il préférable que madame Jollivet ait souhaité laisser de côté certains développements heideggériens que D. Losurdo lui n’oublie pas, compte tenu du fait qu’elle cite plusieurs textes clairement fascistes en les traitant comme de la grande philosophie, nous y revenons de suite. Mais avant, rappelons que le fameux « Discours de rectorat » contient un éloge de la Führung hitlérienne, éloge qui a été ici lui aussi oublié. Cet éloge ne relève-t-il pas lui aussi d’une forme d’idéologie de la guerre (pour rester poli) ?

L’échec d’une tentative de sauvetage par le haut :

Mais madame Jollivet a bien plus fort : si la pensée heideggérienne dépasse l’idéologie de la guerre et est une grande pensée, c’est que le penseur hausse le combat au niveau de l’être tout entier. Ainsi p. 8/256 :

« Aussi ce que Heidegger entend par « combat » ne se rapporte-t-il qu’à lui-même :

[…]peut-être pas seulement au fait de combattre en tant que comportement humain, mais à tout étant. Et le combat n’est peut-être pas non plus un simple phénomène concomitant (considéré certes en général, mais seulement en ce qu’il accompagne ce qui se produit), mais ceci : ce qui détermine l’étant en son entier, le détermine d’une façon spécifique » [citation de Sein und Wahrheit, SS 1933, GA 36/37, p. 91].

Suit p. 8/257, une autre citation :

« L’essence de l’être est combat ; de victoires en défaites, tout être en passe par une décision, victoire ou défaite. On n’est pas simplement Dieu ou même homme, mais avec l’être une décision au combat a été prise, laquelle a ce faisant placé le combat au sein même de l’être ; on n’est pas esclave parce que quelque chose de tel existe parmi beaucoup d’autres, mais parce que cet être dissimule en soi une défaite, un refus, une insuffisance, une lâcheté, peut-être même la volonté de s’amoindrir et de se rabaisser. Ainsi cela devient clair : le combat nous place dans l’être et nous y maintient ; il est constitutif du déploiement de l’être et ce, de telle sorte qu’il impose à tout étant son caractère « décisif », tout le tranchant fixe de l’alternative ; ou bien lui [l’étant] ou bien moi ; ou bien se maintenir ou bien succomber » [Sein und Wahrheit, p. 94]

Après vérification dans le texte original, la précision ici mise entre crochets (« [l’étant] ») n’est pas faite par Heidegger : c’est donc ici forcer l’interprétation que de limiter ainsi le texte à la « pure » ontologie. Madame Jollivet ajoute, note 35 :

« Voir également la note 4 : « La décision au combat et la confrontation constitue l’essentiel au sein de l’être alors même que ce caractère fondamental se modifie selon les domaines de l’être. » »

Le coup de génie tient donc à faire du combat lui-même la nature de l’être. Le moins que l’on puisse dire c’est que cette généralisation/ontologisation de la domination est, avec sa jargonnante mais néanmoins franche vulgarité, d’une affligeante banalité dans son horreur même. Qu’est ce à dire ? Que Heidegger ne serait plus dans l’idéologie mais à un niveau où il décrirait l’être lui-même ? Mais n’est ce pas pourtant une stratégie éternelle des discours de domination que de prétendre qu’ils ne viennent pas justifier une violence de fait mais qu’ils décrivent une nécessité naturelle, la volonté de Dieu ou, ici, l’ « être » (ou l’ « aître », pour reprendre une autre traduction donnée par madame Jollivet, seul hapax de franc n’importe quoi chez quelqu’un qui traduit par ailleurs bien) lui-même ? En quoi s’éloigne-t-on de l’infâme et du commun, celui d’un professeur « ordinaire » sanctifiant une violence politique ?

Madame Jollivet, qui parle pourtant plus loin d’Oran et a publié la première version de son article dans une revue de Sciences Po, oublie pourtant de rappeler le contexte politique dans lequel cette phrase a été prononcée. Est-ce donc la preuve d’une grande pensée que de dire que les professeurs juifs exclus de la faculté subissent la domination nazie du fait d’un combat « déjà joué » dans l’être, qu’ils sont esclaves parce que leur être dissimule en lui une défaite, un refus, une insuffisance, une lâcheté, « peut-être même la volonté de s’amoindrir et de se rabaisser » ? Traduit dans un langage non plus vulgaire, mais moins contourné : c’est ce qui doit vous être réservé, votre sort est scellé, vous le méritez et l’avez bien cherché, après tout, c’est de votre faute en fait.

Ce qu’on nous donne ainsi « philosophiquement » à accepter, ce n’est donc rien d’autre que le discours éternel des bourreaux. Que de telles insanités soient exposées de cette manière dans une revue d’étudiants avancés de Sciences po et, plus encore, dans une revue de philosophes de profession, n’est pas sans poser de graves questions, auxquelles je laisse à d’autres le soin de répondre, puisque ce n’est plus de mon domaine.

Un raccrochage par le bas ?

Le reste de l’article est à l’avenant. Disons simplement que l’on voit mal en quoi des phrases comme « Il n’y a de destin que là où l’homme s’expose par libre décision au péril de son existence » [GA 36-37, p. 262-264, citée p. 9] échappent au « pathos du dangereux ». Mais puisque l’on vous a dit que l’on est passé du « combat » au « polemos », c’est à dire au « combat originaire dans lequel s’affrontent être et non-être dans le déploiement d’un monde », de phrases dignes de l’instructeur dans Full metal Jacket deviennent de la grande littérature :

« Il n’est pas même ici nécessaire de mentionner le fait que là où nul combat ne domine, ce sont l’immobilité, le nivellement, l’uniformité, la médiocrité, son inoffensivité, l’étiolement, la fragilité et la tiédeur, la déchéance et l’effondrement qui d’eux-mêmes s’installent, en un mot : la fuite du temps. » [Ibid., p. 51, citée p. 13/268]

Il n’est pas dit en tous cas, à lire ce qui nous a été donné à lire, que « La pensée de heideggérienne du politique demeurerait à cet égard irréductible à la question de son engagement » (note 13, en s’appuyant sur G. Fried). Un nouveau sommet est atteint quand madame Jollivet oppose le « différend » heideggérien (p. 7 de la première version de l’article) aux critiques de Derrida et de Levinas (note 55 de la première version, 57 de la seconde), qui tendent à mettre en accusation un certain primat de l’homogénéisation chez Heidegger. Il n’est pourtant pas évident que c’est dans le conflit que ce genre de primat puisse être levé…

La première version de l’article, « L’épreuve de guerre », n’est sur le fond pas vraiment différente de la version définitive. Simplement un certain inachèvement peut-être rend cette première version parfois plus parlante que les expressions plus policées du deuxième article, où madame Jollivet écrit avec la distance de l’universitaire décrivant sans prendre parti. Ainsi la version « Sciences po » commence par une définition de la guerre comme ce qui arrache l’homme à l’égotisme quotidien pour qu’il se « rapporte de façon la plus radicale à la transcendance d’une appartenance, fût-elle celle qui le lie à un sol, une patrie » :

« la guerre ne serait donc pas tant le signe d’une dégradation, déchéance humaine, voire animalité où l’homme succombant à des passions pathologiques se verrait dessaisi de sa propre humanité, acte de barbarie institutionnalisé permettant de préserver la morale des méfaits du ressentiment [sic.], que le lieu extrême d’une revendication de l’homme à assurer défense et maintien à ce qui, le dépassant et l’arrachant à son horizon individuel, lui permet de s’inscrire dans l’espace commun d’une appartenance historiquement partagée. »

(« L’épreuve de guerre », première page).

La guerre de 14 aurait-elle donc été une « lutte contre les méfaits du ressentiment » ? L’écrasement du ghetto de Varsovie aussi peut-être ?

Quant à la guerre comme ce qui permet de s’inscrire dans un espace commun historiquement partagé, les tirailleurs sénégalais encore en vie, si il en reste, pourront apprécier à sa juste mesure cette « définition ».

En note madame Jollivet renvoie à Caillois et à Bataille pour décrire la guerre comme ce qui crée tout, la paix faisant tout périr par l’enlisement et l’usure. Mais elle renvoie aussi à Geschichte des Seyns [GA 69 (1938-1940)]. Quitte à citer ce tome il est dommage, dans le cadre d’une réflexion sur la guerre, que madame Jollivet ait oublié le passage où Heidegger dit que sans l’extermination de cette forme chrétienne et bourgeoise du bolchevisme qu’est l’Angleterre (sic.), l’époque moderne se maintient. C’était pourtant une belle perle, mais qui colle il est vrai mal avec « la guerre est en effet pensée par Heidegger [en un sens essentiel, non point patriotique ni nationaliste] » [« L’épreuve de guerre », première page].

On note cependant dans cette première version un passage où se trouve resserré le lien entre les nuées philosophiques et les décisions politiques : 

« Telle serait, selon Heidegger, la mission assignée à l’Allemagne, peuple proprement historique et spirituel : être porteur de la force spirituelle de l’Occident, [contre-puissance] pouvant permettre d’initier un autre commencement, non seulement de la pensée, mais de provoquer aussi l’homme à sa propre histoire. »

(« L’épreuve de guerre », p. 9).

On pourrait être tenté de demander « et qu’est-ce que cela veut dire au juste ? », mais continuons avec la note 76 de la même page :

« Peut-être peut-on voir ici l’origine de l’opposition de Heidegger au pacte Briand-Kellog du 27 août 1929 –pacte qui pose l’interdiction de la guerre, interdit que transgressera, quelques années plus tard, l’Allemagne nazie – et son soutien en 1939 à la sortie de l’Allemagne de la SDN, justifiant par là ses conséquences les plus proches, à savoir l’acheminement vers un conflit armé contre les forces alliées. »

Plus de trace de cette note dans la version « Astérion » : elle n’était pourtant pas si méchante, et avait au moins le mérite de montrer que le bellicisme de Heidegger ne s’est pas limité à la période de Weimar. Madame Jollivet aura évolué d’une publication à l’autre.

Mais revenons pour finir à la citation de Sein und Wahrheit que l’on a ici pointée : madame Jollivet croit bon de la rattacher à Être et temps, ce qui n’est pourtant pas le meilleur cadeau à faire à cette œuvre :

« la décision dont parle Heidegger dans Être et temps enjoint certes à une « prise de parti », à une position dans l’existence. Appelée par la conscience, elle est reprise historiale de possibilités qui nous précèdent, assomption de notre ancrage tout autant qu’ouverture à nos possibilités les plus propres. Reste que le combat est pour ainsi dire déjà joué, précédant l’existence et porté par une décision antécédente, un partage en lequel tous se tiennent qu’ils soient hommes ou dieux et dont chacun tire son essence, à la fois mutable et décisive, homme libre ou esclave, détachée sur fond de l’étant pour ou contre, à savoir finalement avec lequel il nous faut nous décider. »

(« De la guerre au polemos… », p. 9).

Passons sur le « combat déjà joué », dont on a dit la portée. Le tout pour ce qui nous concerne, c’est le mélange des textes classiques et des textes nazis de Heidegger qui est ici opéré. Madame Jollivet répond donc à la question posée par Emmanuel Faye (celle du statut à accorder aux nouveaux textes publiés dans la Gesamtausgabe) sans la thématiser : les cours très politiques des années 30 sont ici traités au même niveau que Être et temps et la Lettre sur l’humanisme – au prix de quelques oublis il est vrai, dont celui de la thématique antisémite de la « lutte contre l’asiatique », qui relève pourtant bien du même courant de « pensée » que les textes cités.

Que des textes comme les extraits ici donnés de Sein und Wahrheit ou d’autres du même acabit puissent être ici cités dans une revue de Sciences politiques et dans une revue universitaire est de fait le problème des rédactions respectives, puis des lecteurs de la revue – mais à cet égard il est permis de ne pas céder à une « volonté de s’amoindrir et de s’abaisser. »

Que madame Jollivet mèle ce qui tient lieu de classiques heideggériens et la honte heideggérienne ne suffit pas à embellir la tache, si le but était bien de montrer qu’on a avec les textes des années 30 une grande pensée. Si par ailleurs et corrélativement mademoiselle Jollivet pense que 33 est la vérité de 27, tout comme M. Faye, il n’est pas dit qu’elle n’abaisse Être et temps et l’œuvre d’après guerre vers le niveau de ce qu’elle prétend sauver.

Les plus farouches adversaires, parfois, apportent de l’eau au moulin de ceux qu’ils entendent combattre. Je ne sais si D. Losurdo est au courant de l’existence de cet article, mais il montre assez, malgré lui, qu’il ne suffit pas d’ « ontologiser » la domination pour la rendre plus noble.

Remarque : cette réponse a été envoyée au directeur de madame Jollivet (M. Jean-François Courtine) ainsi qu’aux deux revues en question, et directement à M. Pierre-François Moreau pour Astérion. Madame Marie Gaye-Nikodimov m’a répondu au nom de la rédaction de Astérion que la dite rédaction a pris connaissance de ma réaction et n’a pas souhaité faire de commentaires. M. Pierre-François Moreau et madame Gaye-Nikodimov m’ont dit avoir fait suivre ce texte à madame Jollivet.

J’aurais aimé connaître le cheminement qui a conduit à publier un tel article, ce que j’ai demandé. Je n’interprète néanmoins bien sûr pas nécessairement à mal la réserve de la rédaction d’Astérion.

3/ Lettre ouverte à Monsieur Vincent Carraud, président du jury de l’agrégation de philosophie, et aux responsables intellectuels français.

Cher monsieur,

Vous avez choisi de maintenir en 2005/2006 trois des œuvres de Martin Heidegger à l’écrit de l’agrégation de philosophie, et ce alors qu’en mars 2005 M. Emmanuel Faye avait publié un livre sur le nazisme de Heidegger qui faisait déjà grand bruit. Le choix était périlleux mais non condamnable en soi, dans la mesure où les œuvres choisies (« Être et temps », « Les problèmes fondamentaux de la phénoménologie » et « Les concepts fondamentaux de la métaphysique ») font partie de la période de Heidegger qui a sans doute connu la postérité la plus féconde et la moins problématique, avec quelqu’un comme Emmanuel Lévinas par exemple, même si par ailleurs la référence à la notion d’absence de sol, à forte connotation antisémite, au § 74 d’Être et temps, peut être légitimement désignée comme un problème, de même que la référence au théoricien raciste Oskar Becker cité en bas de page d’Être et temps (1927), qui se voit qualifié de « notre très estimé ami » dans la postface d’après guerre des Concepts fondamentaux de la métaphysique (du 30 mars 1966, p. 527 de la traduction française au programme). En parlant de ce dernier texte c’est en 1929 que la plupart des commentateurs allemands (Pöggeler, Habermas) d’importance situaient déjà le tournant idéologique de Heidegger, mais le choix a été fait et il n’y a pas à revenir dessus : inutile donc de s’attarder plus que de mesure sur la traduction de « genos » par lignée/souche dans les Problèmes fondamentaux de la phénoménologie (p. 137 de la traduction française au programme), ou sur le passage sur « l’asiatique » (Concepts fondamentaux… p. 117, mais il s’agit d’une citation de Nietzsche il est vrai). 

Ce n’est pas sur ce point qu’il y a désormais un problème d’importance. Pour le cerner, je voudrais d’abord revenir sur les réactions qui ont suivi la publication du livre de M. Faye.

D’une réaction qui a fait parler d’elle.

Je souhaiterais pour cela commencer par décrire le contenu d’un site, « Paroles des jours », créé afin de faire barrage à l’influence réelle et éventuelle du livre de E.Faye. Ce site se structure avant tout autour de la personnalité de M. François Fédier.

J’avais déjà entendu parler de M. Fédier et de sa suite avant la publication du livre de Emmanuel Faye, et ce par des amis heideggériens, étudiants ou professeurs. Il était d’usage parmi eux de se moquer des traductions de M. Fédier et de son école, tout en m’assurant qu’eux par contre étaient des gens sérieux qui n’avaient rien à voir avec ce groupe marginalisé par la faculté et dont le père spirituel, Jean Beaufret, a soutenu Faurisson. Suite à la publication du livre de M. Emmanuel Faye, ces amis ce sont mis à hurler dans le sens de M. Fédier, ou du moins à reprendre son argumentation sans même forcément en connaître l’origine, mais passons, les amitiés finissent aussi.
Revenons donc au site, et à l’oeuvre de François Fédier, qui s’est permis de traduire le terme « Nationalsozialismus » par « socialisme national »-et que dire, sinon qu’une telle « traduction » ne peut que faire mal à ceux qui aiment à la fois l’Allemagne et la France, et leurs deux langues sans discrimination ? Mais le mieux est sans doute de continuer en citant : dans un entretien que l´on peut lire sur le site, on renvoie François Fédier à la note 16 p. 294 de sa « traduction » des Ecrits politiques de Heidegger, où il fait cette « analyse » pour blanchir le « Sieg Heil » du dit Heidegger :
« Aujourd’hui l’expression « Ski Heil » s’emploie sans la moindre connotation politique, pour se souhaiter entre randonneurs à ski, une bonne course […] Dans la bouche de Heidegger, « Sieg Heil » exprime par conséquent le souhait que les ouvertures de la paix trouvent chez les autres nations un écho favorable […] ».
Et M. Fédier de renchérir sur ses propos d’alors en citant une délégation de prolétaires allemands en Russie en 1927 qui aurait salué en braillant « Sieg Heil », ce qui bien sûr prouve aux yeux de M. Fédier l´innocence politique du terme…
Que dire devant un déni aussi énorme ? Il ne nous reste plus en ce cas, à mon sens, qu´à décrire avec précision. Passons par ailleurs rapidement sur les « articles » de MM. Sichère et Hadrien France-Lanord, le premier avec son calembour risible (« les Faye défaillent »), le second comparant M. Emmanuel Faye à cette jeune femme qui, pour attirer l’attention sur elle, s’était dessiné une croix gammée sur le ventre ; passons aussi sur une série de lettres dont on comprend qu’elles aient été refusées pas le Monde. Venons en à un article de M. Gérard Guest. Citons, donc:
« Cette étrange et mystérieuse efficace de la pensée de Heidegger (Emmanuel Faye s’en plaint assez…), elle est au fond d’ores et déjà partout à l´oeuvre. Nul doute qu’elle ne doive apparaître comme particulièrement redoutable à ceux-là mêmes qui s’acharnent le plus à l’empêcher de faire son oeuvre et d’être à l’oeuvre dans le temps présent – et à l’avenir. Ceux qui sont manifestement prêts à tout pour faire « interdire » Heidegger – voire : pour en « finir avec Heidegger » ! -semblent devoir redouter plus que tout au monde la lumière de l’ « histoire de l´Être » ; plus encore, à ce qu´il semble, que les vampires ne craignent la première lumière du jour, qui leur coupera la respiration…C´est à croire que la moindre radiation de la dite « lumière » à elle seule, dût leur être assurément fatale, pour peu qu’elle vînt seulement à les effleurer ; à croire que l’ « éclairage » de l’ « histoire de l´Être », une fois répandu sur le paysage de la « métaphysique occidentale » parvenue enfin « à sa fin », entrée dans sa phase « terminale », leur rendrait la vie impossible… « En quoi »-d’ailleurs (comme eût pu dire Descartes)- « il n’est pas invraisemblable que tous se trompent ».
(Gérard Guest, « Heidegger-contre vents et marées », p. 29 -fichier pdf accessible sur le site en question).
A coup de citations, d’allusions, de guillemets et d’italiques, M. Guest échappe peut être à la condamnation pour menaces, mais il sait faire entendre ce qu’il a à faire entendre, et qui était à la fois annoncé et euphémisé par la citation placée en exergue du texte, le pauvre Rimbaud servant ici à maquiller un fantasme morbide :
« Je songe à une guerre, de droit ou de force, de logique bien imprévue. »
(A.Rimbaud, Illuminations XXXIV, citation placée au début de l’ « article » cité ci-dessus).
C’est donc bien une menace d’élimination physique que laisse planer G.Guest, et la prétention du style, contrairement à ce qu’il imagine, n’embellit en rien l’immonde brutalité du propos. Qui croit-il tromper en parlant de phase « terminale » entre guillemets, des « vampires » à qui la lumière de l’histoire de l´Être heideggérienne devrait couper la respiration, de vie rendue impossible – avec en appui le malheureux Descartes ? Personne. Car il ne s’agit pas de tromper, les personnes visées ont très bien entendu, mais de s’abriter. Le fameux « abri de l´être » se révèle donc ici pour ce qu’il est : un moyen de se protéger des lois qui défendent les personnes contre l’appel à la haine.
M. Guest englobe dans sa menace non seulement M. Faye mais ceux qui lui ont ne serait-ce que reconnu une valeur intellectuelle quelconque, ce qui inclue les participants au numéro du magazine littéraire consacré à « l’affaire Heidegger » (le Magazine littéraire n° 443, juin 2005). M. Guest s’en prend en effet nommément dans son article à M. Salanskis, auteur d’un livre sur Heidegger, mais qui a le tort de trouver des passages désagréables dans l’analyse de la mort dans Être et temps, et monsieur Philippe Lacoue-Labarthe, heideggérien de renommée internationale, mais qui a eu le tort de saluer le sérieux du travail de M. Faye et de trouver que le nazisme de Heidegger pouvait être un problème pour la pensée. Enfin M.Guest a cru bon également d’englober dans sa menace une femme, Mme Michèle Cohen-Halimi, germaniste et philosophe, qui a eu également le tort de prendre au sérieux une partie des analyses et des recherches de E.Faye.

Au milieu de ces textes, se trouvent copiés avec son accord des commentaires de votre doctorant et collègue à l’université de Caen, M. Pierre Teitgen, faits sur le très fréquenté blog de Pierre Assouline. Par exemple celui-ci, fait sur le blog « Les Heidegger contre-attaquent ! » du 20 juin 2005 (02 :51 AM), et que l’on peut aussi lire sur le site « Parolesdesjours » :

« Ce qui m’intéresse, en revanche, c’est la manière dont l’institution philosophique française a reçu son livre. Le « débat » organisé à la Sorbonne par l’Association des Professeurs de Philosophie de l’enseignement public était un genre de Disneyland métaphysique oscillant entre le franc n’importe quoi et le parfaitement dégueulasse. Je note qu’en revanche, l’Université française (à de rares exceptions près) a accueilli l’ouvrage plutôt fraîchement. »

Le « disneyland métaphysique » ayant été entre temps publié sur internet, il est d’ailleurs loisible à chacun d’y aller voir (http ://www.appep.net/heidegger.html). Disons pour résumer que sur ce site se voit dénier toute légitimité toute personne trouvant ne serait ce que de l’importance et de la pertinence aux questions posées par M. Emmanuel Faye, sans même parler de ses réponses. Ce livre connaissant une réception mondiale et M. Faye faisant un certain nombre de conférences dans un nombre certain d’universités, cela commence à faire un nombre assez considérable.

D’un « mépris qui commence à devenir assourdissant ».

Par ailleurs il a été noté par tous au cours des débats qu’un nombre conséquent de spécialistes universitaires de Heidegger avait choisi de ne pas s’exprimer au sujet du livre de Emmanuel Faye. Pour toutes interventions le public a donc eu droit aux articles de madame Catherine Malabou, pour qui critiquer le nazisme de Heidegger c’est jouer au résistant a posteriori, et de M. Nancy, qui a mis au même niveau le nazisme de Heidegger et le « positivisme » de Freud. Ce ne sont pas ce que l’on appelle habituellement des « réponses ».

S’est alors développé un discours expliquant que ce silence tient au fait que le livre de M. Faye est par trop médiocre pour mériter une réponse. L’argument a pour lui la force de l’énormité et rien d’autre, car si ce livre est médiocre, il a par contre à coup sûr une réception mondiale, et on comprend mal, s’il est si médiocre, pourquoi un spécialiste de Heidegger n’a-t-il pas pris deux semaines de son temps pour le démonter et ainsi mettre fin à une tempête qui nuit à la réception de la pensée  de son auteur ?

Je n’aurais donc jamais cru que de tels arguments puissent être véritablement soutenus par des professeurs d’université, si je n’avais lu ce propos rapporté par M. Teitgen, que l’on imagine autorisé du fait de sa proximité avec vous, qu’il n’a pas cachée :

« Je peux pour ma part restituer une conversation que j’ai eue avec Jean Luc Marion récemment (parce qu’il a eu l’amabilité de m’autoriser à en faire un usage public). Voilà ce que m’a dit Marion, lequel connaît sans doute un peu mieux Heidegger que Faye (…) :

Jean-Luc Marion : « Si je n’ai pas répondu au livre de Faye, c’est qu’il est impossible de répondre philosophiquement à un livre qui ne contient pas une ligne de philosophie, qui se meut dans l’idéologie pure et simple, et qui a été écrit par un auteur qui ne comprend visiblement pas une ligne des textes qu’il cite, et qui d’ailleurs serait bien incapable de commenter fût-ce un demi-paragraphe de Sein und Zeit. » (sur le blog de Pierre Assouline, « Rififi dans les marges », le 03 mars 2006 à 1 :42 :04)

Parce que lorsque Emmanuel Lévinas a écrit un essai sur la philosophie de l’hitlérisme, il analysait quelque chose de plus noble que le livre de M. Faye ? et d’où vient que les philosophes seraient incapables de répondre au non philosophique, si c’est bien le cas du livre de M. Faye ?

Mais continuons. A son interlocuteur qui lui demandait des précisions sur la position de M. Marion (qui est votre collègue à Paris 4), M. Teitgen a répondu :

« Il ne s’agit pas d’un courrier, mais d’une conversation que j’ai eue avec JL Marion et dont je puis garantir la fidélité de la transcription, et que j’ai eue très récemment (il ne s’agit pas de sa part d’une « position de départ » sur laquelle il serait revenu par la suite). Je n’ai pas eu l’occasion de discuter du livre de Faye avec JF Courtine. Je me souviens simplement ce qu’il m’avait dit à propos du livre de Wolin : « ne perdez pas votre temps à lire de telles bêtises. » »

(Ibid.. le 03 mars 2006 à 13 :15 :49)

Ainsi que ceci :

« J’ajoute que Marion m’a dit autre chose : la réponse de l’université aux propos de Faye, c’est le maintien de Heidegger à l’agrégation. D’autres universitaires m’ont affirmé la chose suivante : il n’y a rien à ajouter à l’article de Guest, qui contient déjà une réponse philosophique suffisante aux propos de Faye. »

(Ibid.)

C’est pour ma part cette dernière phrase qui m’a décidé à vous écrire, pour des raisons évidentes si vous avez lu les citations de G.Guest que je donne plus haut. Je ne comprends pas par ailleurs en quoi un concours administratif pourrait être considéré comme une réponse au problème posé.

J’espère que ce n’est pas votre position qui a été décrite ici, même si M. Teitgen m’a laissé croire le contraire :

« M. Lamy se demande  ce « qu’en dit le directeur de M.Teitgen, dont les frasques doivent commencer à être connues du monde universitaire ? » La seule chose que m’aient dite tous les universitaires (et pas seulement mon directeur) qui ont eu connaissance de mes propos est la suivante : ne perdez pas ainsi votre temps à répondre à de telles imbécillités. Je finis par croire qu’ils ont parfaitement raison. »

(sur le blog « Le PhiblogZophe », suite à ma note sur « Heidegger, Freud et le négationnisme ontologique » en réponse à M. Nancy, commentaire du 21.12/2005 à 19 :14).

De fait, M. Teitgen a maintenu cette étrange dialectique de l’impératif de ne pas répondre et d’un rôle assumé de courroie de transmission du « mépris » des « spécialistes » au cours d’interventions régulières sur internet, du 20 juin 2005 (première intervention sur le sujet) au 29 avril 2006 (dernière intervention à ma connaissance). 

« L’affaire Heidegger » et la question du révisionnisme.

M. Teitgen a cru bon d’ajouter par ailleurs, au cours d’une discussion à propos d’une occurrence des termes « Blut und Boden » chez Heidegger, que

« la doctrine Blut und Boden (conservatrice plus que nazie d’ailleurs) »

(sur « Le PhiblogZophe », suite à l’article de Emmanuel Faye « Pour l’ouverture des archives Heidegger », commentaire du 05.01/2006 à 01 :16).

Et ce, en convoquant les historiens, alors même qu’ils sont au contraire unanimes pour faire du « Blut und Boden » un élément essentiel de l’idéologie nazie et ce, de 1925 à 1945 (voir par exemple Mathias Eidenbenz, « Blut und boden ». Zu Funktion und Genese der Metaphern des Agrarismus und Biologismus in der nationalsozialistischen Bauernpropaganda R.W. Darrés, Peter Lang, Bern 1993). Cette ignorance plaide en un sens en la faveur de M. Teitgen, même si il n’a pas retiré ses propos après que plusieurs personnes lui eurent fait remarquer le caractère absolument insoutenable à tous points de vue de ses propos.

Tout le problème est que l’ensemble du débat sur internet autour de « l’affaire » est plombé par les nombreuses considérations révisionnistes qui émaillent le discours de certains intervenants, qui apportent ainsi des arguments à Emmanuel Faye quand il voit (c’est la fin de son ouvrage) dans Heidegger le « père spirituel » du révisionnisme. Il est douloureux dans ce contexte de devoir entendre dire par les mêmes gens que la mise à l’agrégation de Être et temps règle la question du statut de textes comme Koinon ou Besinnung, ou d’entendre le « silence bruyant » des « spécialistes » convoqué à l’appui du pire.

M. le président, MM. les spécialistes de Heidegger,

Ne laissez pas des révisionnistes utiliser « l’agrégatisation » de Être et temps pour sanctifier des textes comme la Bekenntnis zu Adolf Hitler.

Il nous a été donné à lire que « l’université est un lieu feutré où l’on lave son linge sale en famille si possible, c’est-à-dire à l’écart des regards indiscrets. » Ignorez vous que le neo-nazisme n’est pas une histoire de famille, et que le traiter implique de dépasser certaines querelles de personnes ?

Ne laissez pas convoquer votre nom et votre autorité par des gens qui affirment par ailleurs qu’avec Heidegger nous avons les moyens de penser un nazisme amélioré, et un antisémitisme mieux fondé métaphysiquement : ce sont ces affirmations et leur répétition qui constituent un problème, pas le livre de M. Faye, dont après tout vous pouvez penser ce que vous voulez à condition de lutter contre toute forme de récupération par le pire, ce qui est votre devoir.   

Ce qui a filtré de votre ou de vos positions a laissé à d’aucuns l’idée qu’ils avaient votre appui, et votre silence les conforte.

Détrompez les : il y va de la moralité de la vie intellectuelle française.

Il y va de votre honneur.

Veuillez recevoir,

M. le président de l’agrégation de philosophie

MM. les professeurs d’université

L’expression de ma considération respectueuse, et d’une attente légitime.

Christoph A. Lamy,

Etudiant en droit à l’université de Potsdam.

Remarque : cette lettre a été envoyée aux spécialistes et aux institutionnels qui ont été cités lors des débats sur internet, savoir :

Mme la présidente de la société des agrégés

M. le conseiller Nembrini

M. le président de l’Appep

M. le président de l’agrégation

MM. les professeurs d’université : JF Courtine, Didier Franck, JC Gens, JL Marion, Pierre Rodrigo, JM Vaysse.

J’ai reçu une réponse de Madame la présidente de la société des agrégés de l’université, Madame Geneviève Zehringer. Celle-ci m’a dit avoir lu avec intérêt mon analyse de la situation intellectuelle créée par le choix d’un tel programme à l’agrégation de philosophie, mais a choisi de rester dans son domaine de compétence, savoir la question des concours.

Je réponds donc d’emblée à ses critiques : il n’a jamais s’agit pour moi de traiter avec condescendance les agrégatifs ou l’agrégation en parlant d’ « agrégatisation », de concours « administratif » ou « académique ». Si l’expression est maladroite, que l’on sache que l’intention n’est pas là : mon propos est simplement de portée plus générale.

Madame Zehringer m’a dit par ailleurs regretter que la réputation même du concours de l’agrégation risquât de s’en trouver affectée, et trouver malsain que des étudiants qui doivent accomplir un tel effort aient pu se demander s’ils n’étaient pas indirectement conduits à se situer dans un débat d’actualité sur le sens d’une œuvre.

C’est cette réponse, ainsi qu’une autre source où j’ai pu vérifier que c’est le président du jury qui est responsable du choix des auteurs au programme, qui m’a conduit à limiter la liste des personnes ainsi interpellées. Je n’ai pas reçu de réponse d’un spécialiste de Heidegger, ce que je n’interprète pas nécessairement à mal, mais que je regrette.

Christoph A. Lamy

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91 commentaires à Une contribution de Christoph A. Lamy : « Chronique des dangers du négationnisme ontologique ».

  1. Et oui…
    (aurais-je tort d’y retrouver certaines de mes analyses ?).
    La mise de Heidegger à l’agrégation est bien utilisée pour le « sauver », par institutionnalisation. En témoigne cette recension de Nicolas Plagne du collectif publié au Cerf (sur « Parutions.com »).
    Là où l’article est comique , c’est lorsqu’il confond Jean-Luc Marion et Pierre Teitgen, et fait de JF Courtine le président de l’agrégation, en lieu et place de Vincent Carraud.
    L’erreur n’est d’ailleur pas si grande, puisque M. Teitgen semble être lui aussi une « Marionnette », tout comme M. Carraud d’ailleurs.
    Quant à JF Courtine, il n’a il est vrai pas besoin d’être au jury de l’agregation pour décider d’à peu près tout.
    M. Plagne serait-il mieux informé que l’erreur factuelle le laisserait croire ? Ne poussons pas la lecture machiavélienne jusque là, mais la chose est assez comique en un sens.
    Mais je reparlerai du sens de la précision de « l’historien » Nicolas Plagne plus tard.
    Yvon Er.

    Hommage fidèle à un maître de la pensée
    Maxence Caron Collectif Heidegger
    Cerf – Cahiers d’histoire de la philosophie 2006 / 34 € – 222.7 ffr. / 568 pages
    ISBN : 2-204-08029-2
    FORMAT : 13,5cm x 19,5cm

    L’auteur du compte rendu : agrégé d’histoire, Nicolas Plagne est un ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure. Il a fait des études d’histoire et de philosophie. Après avoir été assistant à l’Institut national des langues et civilisations orientales, il enseigne dans un lycée de la région rouennaise et finit de rédiger une thèse consacrée à l’histoire des polémiques autour des origines de l’Etat russe.
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    Pour le trentième anniversaire de la mort de Martin Heidegger (1976), Le Cerf publie un volume d’hommage posthume d’universitaires qui ont consacré une grande partie de leurs travaux à l’étudier et à le commenter, ou se sont inspirés de sa pensée, suivant certains des chemins qu’il avait ouverts. Dans l’époque de reniements plus ou moins décents, de silences apeurés et de cabales vulgaires que nous vivons, un tel ouvrage devient presque, dans l’actualité qui s’impose à nous, un manifeste d’indépendance et de fidélité libre à un vrai maître. Et c’est un événement réconfortant, qu’il convient de saluer.

    Il ne s’agit d’ailleurs aucunement d’une réponse des heideggeriens à Faye ou à Farias, ou bien au sens où une telle publication constitue par le fait même de son existence une réponse implicite, en acte. A ce sujet, un des auteurs du recueil (le Professeur Jean-Luc Marion) a rapporté sur un autre site internet et avec son accord le propos de son collègue Jean-François Courtine, président du jury d’agrégation : «La réponse du jury d’agrégation à Emmanuel Faye, c’est de maintenir Heidegger au programme.» De la même façon, «Les Cahiers d’histoire de la philosophie» du Cerf maintiennent donc Heidegger à leur programme, celui de la méditation souverainement libre de ceux qui ont trop lu Heidegger pour prendre au sérieux des ouvrages qu’on laisse retomber dans le néant d’où ils n’auraient jamais dû sortir.

    Evidemment les auteurs du recueil sont un peu plus qualifiés que leurs concurrents médiatiques, aussi leurs articles sont-ils d’un tout autre niveau et leurs lecteurs se recruteront-ils davantage dans un public de vrais connaisseurs, exigeants. On lira ici entre autres: J.-L. Marion sur «La fin de la métaphysique comme possibilité», Rémi Brague sur «La phénoménologie comme voie d’accès au monde grec», Alain Boutot sur «Heidegger et la question du platonisme», J.-M. Vaysse sur «Histoire et historialité de l’être» ; de J. Taminiaux «Les sources platoniciennes des vues politiques de Heidegger», de Pascal David «Tempus mortis, la question de la mort à la lumière de la pensée de Heidegger», de Françoise Dastur «Le temps chez le dernier Heidegger», de Philippe Cappelle «La signification du christianisme chez Heidegger», d’Olivier Souan «Heidegger et les mathématiques», etc. Enfin, hommage voilé-dévoilé à Olivier Messiaen, les «Quinze regards sur la métaphysique dans le destin de l’être» de J.-F. Marquet.

    On est très loin ici des sujets sulfureux et racoleurs. Ce qui rappellera que pour critiquer Heidegger, il faut un grand esprit ou beaucoup de présomption. Il faut d’ailleurs un aveuglement singulier, bien digne d’interrogation philosophique, et politique au sens le plus noble et le plus radical, pour ne pas voir l’actualité de la pensée historiale du déploiement de plus en plus éblouissant (manifeste et caché en même temps) de la raison instrumentale et arraisonnante qui domine le monde contemporain, alors que tout dans la vie devient stock matériel disponible et marchand, que la terre est bousculée dans une hybris de «développement» suicidaire (sans pilote, sinon la gouvernance mondiale des banquiers qui réalise son programme) et que même les valeurs de l’humanisme révèlent leur ambiguïté, mélange de puissance destructrice et de radicale insuffisance devant les problèmes de l’humanité. Dénoncer au nom de l’humanisme néo-cartésien-kantien la prétendue indifférence de Heidegger devant la pauvre humanité souffrante, moquer en néo-nietzschéen superficiel «l’idole de l’être» chez Heidegger ou fustiger en sartrien son refus de l’engagement dans les tâches du monde réel, c’est vraiment étaler au grand jour sa totale incapacité à voir l’engagement philosophique et la grandeur de la pensée là où ils sont. Que des jeunes, révoltés contre la flexibilité du travail – le travail, cette «valeur» exaltée par tous en discours (un souci en 1929-33 déjà) mais considérée en fait comme marchandise et stock d’énergie productrice à fluidifier dans la tuyauterie d’une économie à flux tendu et jet continu -, s’emparent d’un supermarché au cri de «on veut consommer !», voilà qui devrait faire l’objet d’une phénoménologie véritablement soucieuse de l’humanité, véritablement existentielle et empirique et illustrant le sens de la pensée de l’être comme avènement à leur vérité inattendue des origines de notre civilisation.

    On est bien loin de la prétendue métaphysique transcendantaliste et de quelque fuite dans les mythes romantiques d’un Heidegger petit-bourgeois affolé par le triomphe des Lumières libératrices ; bien loin aussi d’un fascisme nihiliste d’idéologue irrationnaliste. Car, au fait, où est-il le vrai nihilisme ? Dans la non-pensée, dans la fuite érudite ou scientiste ou médiatique dans l’évitement de la pensée du réel, véritable démission devant ce qui arrive sur nous! Bien sûr «Nous l’humanisme» ne peut se remettre en cause, puisqu’il est juge et partie : on appelle ça un dogme. Quel dévoilement de notre suprême rationalité ! Un dispositif déterminant tous les autismes intellectuels. Mais Heidegger et son fichu questionnement, inutile et pervers, dit-on, sur l’être? Pas l’activisme de l’affairement tous azimuts, mais l’offrande d’une pensée.

    Nicolas Plagne
    ( Mis en ligne le 21/04/2006 )
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    Rédigé par : Yvon Er | le 23/06/2006 à 20:56 | Répondre | Modifier
  2. Quelques remarques:

    1_En admettant que Heidegger tenterait dés 1945 (selon moi bien avant -mais bon) de « sauver sa peau » , et , en quelque sorte de diluer ce qui aurait été sonn nazisme inconditionnel et sanguinaire (…), ne peut-on pas penser qu’en faisant ainsi il ne ferait pas QUE prolonger subrepticement « son » nazisme en l’euphémisant? En effet,qu’est ce qui empêche au-délà de cette hypothèse très problèmatique du camouflage, de PRENDRE ACTE des critiques réèlles qui sont faites des outrances du naitonal-socialisme et de l’hypermodernité en général? C’est ce que je reproche à Faye, Er et Lamy : qu’ils ne retiennent que ce qu’ils veulent retenir , de façon unilatérale , « à qui on ne la fait pas ». Ainsi vu , il n’y a rien à sauver de Heidegger , puisque l’entièreté de son travail serait tourner vers l’établissement de pogroms et de charniers. Or , cela me semble par trop simpliste; Heidegger, même si il chercherait vraiment à « continuer la lutte » pour le nazisme après sa défaire , n’a t-il pas du tout apporté des éléments pour , AUSSI/AU CONTRAIRE en circonscrire les limites?
    2_Faudra-t-il attendre la publication des fameux « cahiers noirs » , que la Bande-à-Faye et Wikipédia nous font miroiter comme la clé de l’oeuvre heideggerienne, ou qui ont au moins une aura indéniable de mystère, titillant autant les pros (Heidegger , critique discret du nazisme?) que les antis (Heidegger y déverserait sa bile et sa face caché?), pour faire cesser les interminables débats franco-francais? (Je me suis laissé entendre que ces cahiers , qui paraîtraient au tome 100 de la GA sous le nom de « Vigilae » , seraient surtout composée dans le sens d’une « ex-plication » très intime avec le christianisme)

    3_Serait-il complètement absurde de penser Heidegger assez génial pour avoir réussi volontairement à contenter avec les mêmes textes les nazis et les démocrates honorables? Jûnger y réussit bien…Le cycle de conférence de 1949 en est un exemple patent. Pas étonnant qu’il soit le lieu de la plus âpre confrontation entre les uns et les autres. Comme en les textes nietzschéens, chacun semble reconnaître ce qui l’arrange chez le penseur Souabe.

    4_ La lecture assidue du Schelling, de Concepts fondamentaux et de la Parole d’Anaximandre me laisse penser que les clés de la pensée heideggerienne, expliquant aussi bien son engagement en faveur du totalitarisme que son souhait d’un nouveau commencement , sont les notions d’accord et et de désaccord ,d’insurrection. A partir de ce couple semble se laisser expliquer en effet beaucoup d’éléments apparemments disparates , voire carrément antithétiques de sa pensée. Je pense notamment à ses approches de la solitude, intimement solidaires de celle de la Gemeinschaft. Le plus indéfendable , à mon sens , de sa pensée ,est son injonction d’insister dans l’insurrection, le pire permettant apparemment dans son esprit torturé l’advenue du nouveau commencement, où l’homme serait parfaitement ajointé à ce qui est sans perdurer dans la tradition de l’insistance de l’insurrection de l’étant, et de l’oubli de l’être; Seul un Dieu pour nous sauver? Heidegger ne souhaiterait-il pas là un cataclysme nucléaire afin que les hommes reprennent à zéro leur rapport à l’ouvert en se reconnaissant comme étant celui qui l’ouvre, et non en s’y affairant au sein de l’étant qui s’y manifeste en s’oubliant comme tel? sans condamner la dimension eschatologique de sa pensée , suffisamment thématisée dansle Hauptwerk ,GA24 (la priorité ontologique du possible et de l’à-venir) et les Beiträge (Les dieux à venir , les futurs) , il convient de s’interroger longuement sur la teneur quelque peu apocalyptiques de certains de ses propos. Ainsi de ceux tenant l’ère du Gestell pour une époque interminable ou qui ne peut que mal se finir. Heidegger ne propose-t-il pas à l’humanité de boire la cigüe, d’avaler un serpent, afin de guèrir d’un mal supérieur et quasi incurable? Une harmonie, un ajointement authentique de l’homme et des trois autres du Quadriparti ne peut-elle advenir selon lui qu’en choisissant la solution radicale d’une insistance extrème promouvant les conséquences extrèmes de la métaphysique de la subjectivité,dont la nazisme semble bien être la figure la plus représentatrice? (Mais aussi le communisme sous certains aspects)Dur à avaler.

    5_Je recopie un extrait de l’approche de Joly:
    « Mais n’est ce pas pourtant une stratégie éternelle des discours de domination que de prétendre qu’ils ne viennent pas justifier une violence de fait mais qu’ils décrivent une nécessité naturelle, la volonté de Dieu ou, ici, l’ « être » (ou l’ « aître », pour reprendre une autre traduction donnée par madame Jollivet, seul hapax de franc n’importe quoi chez quelqu’un qui traduit par ailleurs bien) lui-même ?  »
    N’est-il pas fait ici fait l’aveu que la critique des propos de Heidegger s’appuient sur des données franchement extrinsèque ,axiologiques,puisque il lui est reproché la même chose que d’autres configurations, volontés de puissance (Religions,sectes,partis politiques,syndicats etc) de tâcher de justifier le pire au nom du meilleur? Ici c’est bien toute pensée ayant un rapport quelconque à l’idée de destin et de nécéssité qui est clouée au pilori, dans un reflexe bien franchouillard ,cartésien. Joly entand ici faire la guerre à travers Heidegger à tout discours de la domination : autre aveu : celui d’une grande réactivité face à ce qui se réclame de la puissance et du nécéssaire , face à a souveraineté. Il n’est pas pour autant qustion pour moi de trancher ici , de savoir qui a raison, de soutenir ou de condamner tout ces discours. Reste surtout à savoir si les propos ontologico-historiaux de Heidegger sont réductibles à la plus plate idéologie, comme le laisse continuellement entendre Faye , laissant vaguement entendre qu’il y aurait même aggravation par l’apport de la caution « ontologique » du propos.
    Et , de fait , qu’est ce qui nous permet à part de sains sentiments de réfuter un « discours ontologique de bourreau »?… En quoi un « discours axiologique de la victime » a-t-il PHILOSOPHIQUEMENT PARLANT plus de répondant, plus de poids? C’est là une vaste question, par delà le bien et le mal. Je sens que le simple fait de la poser va encore me faire traiter de tout les noms par ceux qui semblent se dire qu’ils ont « le privilège du coeur »…Joly termine ses assertions par un : « il ne suffit pas d’ « ontologiser » la domination pour la rendre plus noble. » Je répète ma question : qu’est ce qui , en ontologie , permet , rigoureusement , et non selon des sentiments diffus (bien que les partage,hein , je n’ai pas envie de « dominer » qui que ce soit je vous prie de me croire) de contrer toute prétention à la noblesse et à la domination? Notons que cela implique toute notion de hiérarchie entre les hommes , donc touche aussi à divers niveaux le Platon des Lois et de la République , le Nietzsche s’élevant contre la « révolte des esclaves », et sûrement beaucoup d’autres tenants d’une pensée « aristocratique ».

    6_Traîner dans la boue Servanne Jollivet , Françoise Dastur et Catherine Malabou est bien dommage dans la mesure où elles ne s’abaisseront certes pas à répondre. Je pense d’ailleurs que mes professeurs Gens et Rodrigo en feront aurant.

    7_Petit ajout sur le problème du nécéssaire, dont serait un énième avatar selon vous le « déstinal » heideggerien.
    Pour le dire rapidement,la tradition des Lumières telle qu’elle est censée avoir culminer en 1789, elle aussi pronostiqua à partir de l’histoire et des métamorphoses qui se jouent en elle la réussite des valeurs qu’elle souhaitait promouvoir. En mettant de côté le fait que Heidegger aurait pu se battre pour des « valeurs », des « idées » ou des « idéologies », pourquoi diable admet-on le pronostic de l’épanouissement démocratique des esprits chez les un, mais diabolisons de l’autre côté avec zèle l’augure lugubre que médita Heidegger? Monsieur Misslin parla de « lendemains qui chantent », chez Heidegger. Je ne pense pas du tout que ce soit le cas ; au contraire il me semble qu’il souhaite faire signe vers une catastrophe (le problèmatique nous l’avons vus étant qu’il semble la vouloir cette catastrophe, l’aimer,l’absoudre d’avance!). Heidegger voit dans les structures historialement advenues de l’homme souverain le destin à mener à terme (mettre « la main à l’être).
    Pourquoi lui refuser cette augure? Je ne dis pas qu’il faut comme lui l’aimer , la désirer, donner dans le « faitalisme ».Aucun de nous ne souhaite le « nouveau commencement vu ce qu’il implique d’atroce pour qu’il advienne(ce qui n’est même aps sûr en plus!); mais à partir de quoi , en philosophie , lui refuser ce diagnostic? Je crois qu’on peut reprocher énrmément de choses à Heidegger, mais pas la cohérence de son propos, que chacun de nous sens , mais qui est très dur à reconstituer. Il est en quête d’un nouvel accord, dont serait acteur transit par son propre destin l’homme, mais qui procèderait des outrances et de la béstialité se tenant en réserve de l’homme de la métaphysique , grec, bref : il veut que se déchaîne totalement l’hubris, afin de passer à autre chose. Or , ce que la vingtième siècle nous a montré de cet hubris nous suffira. Sans façon!
    S.D.

  3. dans le 2_ il fallait lire « bande-à-Fédier » et non bande -à-Faye. Quoique je ne sais pas ce que Faye imagine de ce fameux Schwarze Hefte. Probablement une aggravation de son implication avec le régime, et donc une confirmation de ses interprétations unilatérales.

    Rédigé par : Stéphane Domeracki | le 24/06/2006 à 17:36 | Répondre | Modifier
  4. Bonjour,
    Je partage sans réserve avec M. Lamy (et bien d’autres, dont M. Bouveresse) l’écoeurement que m’inspirent les propos que Heide a tenus, après la guerre, sur ce qui s’est passé à Auschwitz et ailleurs. Mettre sur le compte de la métaphysique occidentale le crime contre l’humanité que les nazis ont fait commettre à sa chère et grande nation est tout simplement un déni de réalité qui pousse Heide à ajouter l’immonde à l’immonde. Et les interprétations qui essaient de sauver ces propos ne peuvent que les rendre encore plus dégueulasses. Voici ce que Jeanne Hersch, qui connaissait bien le chérubin de Messkirch, a écrit (propos cités dans le passionnant livre de M. Bouveresse, « Essais IV », (Agone, 2004), p. 111): « Au coeur de la philosophie de Heidegger, nous trouvons ce ressort le plus vif de sa pensée, qui n’est pas, à ce qu’il me semble, comme on l’a dit, l’émerveillement devant l’être, mais le mépris pour tout ce qui n’est pas cet émerveillement dans sa nudité et sa stérilité. Un mépris ardent, passionné, obsessionnel pour tout ce qui est commun, moyen, généralement admis… » Au nom de cette folle posture imaginaire de héros romantique, Heide a voulu se dédouaner de son sordide chauvinisme dont la platitude et la vulgarité éclatent d’autant plus qu’elles contrastent avec le côté sublime et ridicule du style prophétique et apocalyptique de Heide. A n’en déplaise à M. Domeracki, je ne peux pas m’empêcher de citer toujours et encore Pascal: « Qui veut faire l’ange… ».
    Cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 25/06/2006 à 11:10 | Répondre | Modifier
  5. Il est certain que sans forcément la mépriser, il ne me viendrait guère à l’esprit de faire une apologie de la médiocrité et des petits plaisirs niais que peuvent apporter à la pensée le « généralement admis ».
    Pour le reste , il me semble que l’émerveillement est une posture courante et fondatrice en philosophie, elle n’est pas seulement à attribuer à Heidegger.
    Je constate enfin qu’en citant encore ici une personne hostile à son travail , vous n’argumentez pas le moins du monde : vous rendez encore et toujours compte d’un sentiment diffus et large concernant ce penseur, qui ne renseigne pas tant sur lui que sur vous-même…
    Il faut vraiment que je vous mette en contact avec les jeunes punks boutonneux du lycée où je travaille, qui mettent sur leurs treillis des pins et des badges « anti-nazis ». Le niveau de vos interventions sur ce site n’allant guère plus loin que cette posture digne de Don Quichotte. Je vous avais demandé de réflechir philosophiquement et dans le détail à ce qui prouverait clairement et point par point que Heidegger serait un « sale nazi »…Vous préférez scander les mêmes citations grossières et expéditives , ce qui est fort dommage. Je suis sûr que Monsieur Er s’accorde au fond de votre propos , mais j’espère que comme moi il regrette l’utilisation de ce procédé rhétorique quelque peu insuffisant. Cela sonne en effet pour moi comme si je vous balancait de bons vieux passages apologétiques d’un Fédier ou d’un Beaufret…Où serait la philosophie et le travail de réflexion en ce cas?
    C’est bien le problème de l’affaire Heidegger : toute personne qui se sent investis de la mission douteuse de donner son avis ne part tant des textes que de la réponse toute faite qu’il s’est rapidement proposé. C’est ainsi que chacun avance les textes qui l’arrangent. Ainsi Wikipédia ne trouve rien mieux que d’avancer une phrase invérifiable qui se trouverait dansle « cahier noir » : « le national-socialisme est un principe barbare ». Ainsi René Misslin nous avance un avis d’une experte de Jaspers cité dans un vouage d’un type qui n’est pas précisément reconnu pour sa connaissance de Heidegger , Bouveresse (qui a signé la pétition pro-Faye avec d’autres graaaands spécialistes de l’oeuvre de Heidegger comme ..Pierre Guenancia).

    Rédigé par : Stéphane Domeracki | le 25/06/2006 à 12:40 | Répondre | Modifier
  6. Bonjour Monsieur Domeracki,
    Ce n’est pas l’attitude d’émerveillement qui me choque chez Heide, mais le fait qu’il se sert de cette posture qu’il pratiquerait en somme pour s’élever au-dessus du commun des mortels (les « on »), alors que, finalement, dans sa vie courante, Heide s’est conduit au mieux comme un bon petit-bourgeois allemand de l’époque, revanchard, nationaliste, völkich, quoi, au pis comme un national-socialiste. Cette discordance entre le style du penseur et le style de l’homme m’est vraiment pénible, je dois vous l’avouer franchement. Ca me navre de vous blesser en exprimant mon incapacité d’estimer l’oeuvre et l’homme Heide, car je sais que vous aimez vraiment la philosophie, et moi aussi, croyez-le. Mais je trouve insupportable qu’on ait fait de Heide Le philosophe par excellence du XXème siècle. Je partage entièrement l’étonnement de M. Bouveresse qui ne comprend pas non plus comment on a pu en arriver là, surtout en France, alors que ce sacré Martin a pu, sans que cela choque certains philosophes français, dire que les Français commencent à penser quand ils pensent en allemand! Il faut être cinglé pour dire des choses comme cela. Non? Vous ne trouvez pas?
    Bien cordialement à vous, très sincèrement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 25/06/2006 à 14:49 | Répondre | Modifier
  7. Il faut certes être quelque peu « illuminé » d’affirmer cela. Mais en même temps , cela est tout à fait cohérent avec ce qu’il n’ a céssé d’établit tout le long de sa carrière de penseur , dans la mesure où selon lui, c’est à travers la langue que se modifient succcessivement les rapports à l’ouvert. Or , si Un Augustin par ci ou un Descartes par là ont mis la main à l’être, en ont modifiés le non-rapport en configurant de façon nouvelle à chaque fois la façon de comprendre l’être de l’étant , la plupart des « grands » penseurs à cette aune furent grec ou…allemand. Puisque l’historial s’instaure à chaque fois à travers des Grundwörte, il faut bien reconnaître que la plupart d’entre eux sont à l’aune ontologico-historial e de Heidegger, grecs ou allemands. Or , je ne crois malheureusement pas que cela procède d’une espèce de chauvinisme philosophique misérable. Dans l’économie de sa pensée, l’explication avec les grands penseurs allemands comme Höldelrin, Leibniz, Nietzsche ou Jünger est en effet primordiale. Y a t-il vraiment , outre les deux noms que j’ai cité outt à l’heure, beaucoup de métaphysiciens ayant faits grandement avancer le schmilblick, qui ne seraient ni grecs ni allemands? Vico , peut être. Machiavec n’est pas vraiment à classer ainsi (même si elle est dit dans GA90 sur Jünger qu’il est celui qui ouvre l’espace de la modernite -parfois c’est Leinbniz, parfois Descartes d’ailleurs…Belle peuvre ,en effet d’arbitaire ou de tâtonnement selon la charité de ses lecteurs). Hume? Il fait partie , à la fin de « La métaphysique de Nietzsche » (Nietzsche II,tr fr p.266) , des rares non allemands à faire partie du club des décideurs , ou du moins de ceux par qui les choses se métamorphosent. Je cite un extrait: « Ce qui s’exprime dans le penser des penseurs européens peut être attribué historiquement à l’essence nationale des penseurs, mais jamais donné pour une particularité nationale.La pensée de Descartes , la métaphysique de Leibniz , la philosophie de Hume, sont respectivmeent européennes et de ce fait planétaires. De même la métaphysique de Nietzsche , qui n’est jamais dans sa substance une philosophie spécifiquement allemande , est-elle européenne et planétaire » (op. cité,p.266). Ainsi se clôt cet essai. Que retenirde cet extrait. Oh certes pas que Heidegger serait un brave « universaliste » qui ne se crisperait pas le moins du monde sur le nationnel. Toujours est-il qu’il est fidèlé àsa pensée en concevant la philosophie , donc la métaphysique , comme ayant un destin planétaire, là où la « pensée » (autrement dit , la sienne) saurait faire un libre usage du nationnel, en refusant le devenir-technique,mondialisé de la métaphysique de la présence et de ls ubjectivité inconditionnée. En refusant ainsi l’Impérium (cf. le GA 54 « Parmenides ») et en méditant le plus proche et à la fois le plus enfoui , Heidegger s’engage en duel contre les divers affairements(science,politique, divertissement,religion) qui nous poussent à céler pour nous ce don le plus haut qu’est le fait qu’ »il y a  » lui-même.
    Mon impression , je l’ai déjà écris, c’est qu’il espérait que cette tradition d’affairement au sein de l’étant devienne frénetique, qu’elle aille jusque dans ses derniers retranchements, objectivant le moindre recoin du réèl , jusqu’à l’home lui-même. Or, cette dernière conséquence a été atteinte avec Auschwitz. Peut être faut il voir là la clé qui fait qu’il n’y a qu’à travers la langue allemande qu’on a pu penser , si par « pensée » on entend sortir du rêgne de la métaphysique en en accuantant les principes constituants jusqu’à l’innomable.
    Je n’ai jamais dit que je souhaie m’engager dans cette voie catastrophique , pour laquelle « après la tempête vbient le beau temps ». Toujours est-il que cette vision quelque peu extrême est un témoignage du vingtième siècle : je le refuse au nom de mes propres intuitions et de la compréhension que j’en ai. Yvon Er m’a décris comme un « touche pas à mon pote nazi ». Cela me fait quelque peu vomir. Continuez à taper sur Heidegger si cela vous chante , je n’en vois toujours pas l’interêt philosophique , si ce n’est peut-être celui humain trop humain de… »vouloir faire l’ange »…

    Rédigé par : Stéphane Domeracki | le 25/06/2006 à 16:29 | Répondre | Modifier
  8. Bonsoir Monsieur Domeracki,
    merci pour la peine que vous vous êtes donnée pour me répondre. Votre réponse concernant cette bizarrerie de Heide d’établir une stricte corrélation entre une langue et la philosophie, de hiérarchiser les langues en mettant le grec et l’allemand en tête pour en conclure que décidément, il n’y a que seuls les Grecs et les Allemands sont capables, pour des raisons linguistiques, de vraiment penser, ne me convainc vraiment pas. Je ne vois pas comment quiconque pourrait en faire la démonstration objective. Et si donc c’est de la part de Heide une option subjective basée sur des préférences personnelles, chacun peut établir sa propre hiérarchie. Donc, la position de Heide est relative, et vouloir l’imposer comme un absolu serait simplement l’expression d’un coup de force. Ce ne serait donc plus de la philosophie.
    Mais, puisque vous m’invitez à philosopher avec vous, je voudrais aller un peu plus loin, en espérant ne pas abuser de l’hospitalité de M. Skildy.
    Dès SùZ, Heide a mis en question, en raison de sa posture phénoménologique, la métaphysique sous prétexte qu’elle oublie l’être. Puis, plus tard, il a rendu responsable la métaphysique des dérives techniques de la modernité, ce qui signifie qu’il considère qu’il existe entre la métaphysique et la technique un lien direct de cause à effet. Ceci mérite quelques réflexions.
    1) Il me semble qu’il n’existe pas une métaphysique occidentale, mais plusieurs, avec des présupposés fort différents. Quel lien y a-t-il entre le matérialisme démocritien et l’idéalisme platonicien, par exemple? Y a-t-il un lien entre le « spiritualisme » cartésien et le matérialisme de Diderot ou le vitalisme bergsonien? Or, pour pouvoir mettre ces diverses métaphysiques dans un même ensemble, encore faudrait-il pouvoir complètement en gommer les différences, ce qui reviendrait finalement en nier leur spécificité. Mais, nier l’individualité d’une option métaphysique, n’est-ce pas tout simplement nier son existence? Mais alors, l’ensemble risque d’être vide!
    2) Peut-on vraiment croire que c’est la métaphysique qui est à l’origine de nos technologies modernes? N’est-ce pas plutôt la physique et les autres sciences telles qu’elles se sont développées depuis le XVIIème siècle?
    3) Enfin, l’aptitude technique des Hommes s’est manifestée dès l’apparition de Homo sapiens sapiens: je ne vais pas vous faire un cours de paléontologie ( du reste, les aptitudes techniques sont fort répandues chez de nombreuses autres espèces vivantes, essayons de dépasser un peu notre anthropocentrisme). Cette aptitude technique humaine dépasse par conséquent les cultures humaines, donc les langues, donc les métaphysiques, il suffit de penser aux civilisations techniques plus anciennes que les nôtres, chinoise, mésopotamienne, aztèque, égyptienne, romaine.
    D’où ma question: peut-on vraiment suivre aveuglément les affirmations de Heide, oublier cette fois non point l’être, mais les multiples options pour le dire, oublier les autres « métaphysiques » que les occidentales, et oublier que l’aptitude technique humaine pourrait finalement n’avoir aucun lien avec aucune métaphysique qui soit, mais bien plutôt avec des caractéristiques organiques humaines? Qu’en pensez-vous?
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 25/06/2006 à 19:27 | Répondre | Modifier
  9. Mon avis n’a pas beaucoup d’intereêt sur tout cela. Je lis pas un auteur pour donner mon petit avis mesquin et en lui distribuant ou non des bons points. Quand je les lis , je tâche avant tout de prendre bonne note de ce qui pourrait être leur apport réèl , leur originalité. Je vais cependant tâcher de répondre point par point à vos interrogations , qui sont à mon avis bien trop dépendante de votre faible lecture de Heidegger.
    _Pour le 1_: Nul ne songerait à nier les différences et les originalités des différentes métaphysiques. Pas même Heidegger. Il ne cherche pas tant à les « assimiler » qu’à trouver une clé pouvant rendre compte de toutes. Bien évidemment cela ne va pas sans partis-pris contéstables,imprécision,oublis volontaires et involontaires. Ainsi sont fort peu thématisés pour eux mêmes : le Dasein primitif, la pensée juive, les stoïciens, la pensée arabe, Spinoza, Les Lumières, Bergson, des logiciens comme Frege,la psychanalyse,Marx, les penseurs anglais. Tous sont implicitement « disqualifiés » en tant que leurs propos n’auraient pas vraiment métamorphosés l’occident, selon son point de vue , celui ontologico-historial. Le problème central de l’interprétation heideggerienne est à mon sens qu’il ne s’interesse qu’à ce qui laisse (après violences herméneutiques cependant)rapporter à ce qui serait la tradition de la métaphysique de la présence. En gros, tous ont loupés le sens de l’être (l’analytique du Dasein , la vérité de l’être (le moteur ontologico-historial caché de l’occident à travers le quel l’être se cèle), mais ne l’ont pas « loupés » à cause d’une quelconque insuffisance doctrinale, mais parce qu’ l’Histoire justement ne leur en ouvrait pas l’accès. Il est évident qu’une telle pensée du « néant » , d’une dimension qui se tiendrait « en réserve » ne peut que déclencher les foudres de la pensée consciente et calculante souhaitant ne laisser ausun reste , aucun mystère à sa connaissance.
    2_ Heidegger ne dit pas tant que c’est « à cause » des différentes métamorphoses métaphysiques qu’est advenue notre univers technologique. Il avance surtout la pensée pas si absurde que cela que les grands métaphysiciens ne font pas que déblatérer des éléments théoriques , et que leurs propos inspirent ,marquent au ferrouge leur époque. Il suffit de prendre l’exemple le plus flagrant de Marx! Qui sait ce qu’aurait étéle vingtième siècle sans l’inspiration qu’a donnée ses travaux! Mais Heidegger va plus loin que la simple « inspiration » dont je parle : pour lui chaque grand penseur, Anaximandre, Descartes ou Kant procèdent par leurs recherches à une modification structurelle du rapport de l’être-homme à ce qui est. C’est la suite « logique » de ces métamorphose qu’est l’historial chez Heidegger. Le problème pour nous tous est qu’il a reconnu en le national-socialisme , à travers les écrits de Nietzsche et de Jünger, une nouvelle figure de cette suite de mutations. Elle aurait été à ses yeux l’application effective des dernières objectivations possibles que se serait proposée la tradition procèdant du Logos. Le reconnaître n’est à la limite pas si stupide , contrairement à la pure démence consistant à vouloir ce destin!
    Enfin , juste une question : pourquoi bien vouloir comprendre l’histoire comme étant le déploiement de la civilisation et d’une humanité bienfaitrice , mais refuser mordicus le constat heideggerien qu’un mauvais destin du rapport au monde de l’homme a peut-être été ce que nous appellons « histoire »? Diable ,au delà de l’oubli de l’être, l’homme occidental, prométhéen, n’ a t-il pas inventé la possibilité de sa propre destruction intégrale à travers l’arme nucléaire? En promouvant le poète plutôt que le chercheur en physique ou le phillistin, Heidegger ne pouvait que plaire à tous ceux qui ne se sentent peut être pas en phase avec leur époque, cédant facilement aux chants des sirènes « Romantiques ». Il se peut que je fase partie de ceux-là…
    3_Heidegger fait une différence qu’il est primordial de comprendre (même si on ne veut pas l’accepter) entre la compétence techniqeu artisanale telle qu’elle a pu se devellopper chez les hommes avant les grecs, et la rupture consommée, l’insurrection de l’être de l’étant à partir du couple Parménide-Platon qui est le lointain ancêtre du projet technique occidental. Entre la comptence technique qui reste en accord avec le manifeste, et la surrection qui va jusqu’à modifier le réèl pour rêgner en souverain sur l’étant, il y a selon lui un écart qui est plus que de degré. Heidegger interroge ainsi à mon sens une tradition prométhéenne, qui a « pêchée » en s’oubliant comme receptrice du don le plus haut (le fait qu’il y a) pour s’affairer dans la machination (Machenschaft) de l’étant.
    Je ne vous dis pas qu’il faut être d’accord avec ce constat alambiqué. Je vous enjoint juste d’en prendre note comme tel pour comprendre plus dans le détail les écrits de Heidegger , qui se veut « passeur de temps »: il repère à chaque époque la clé , la frappe de celle-ci, et il a vu en la nôtre celle de l’affairement frénétique où le sacré etl ‘inutile n’ont plus guère places. Son envie fut de mener donc celle-ci à terme, pour passer à autre chose qu’au rapport technique, scientifique, pragmatique, cynique et machinal à ce qui est.
    S.D.

    Rédigé par : Stéphane Domeracki | le 25/06/2006 à 20:29 | Répondre | Modifier
  10. Bonjour Monsieur Domeracki,

    Merci pour votre réponse. J’accepte volontiers votre remarque que mes questions traduisent une lecture insuffisante des textes de Heide. Mais, malgré cela, je crois que je comprends assez bien vos réponses. Je voudrais juste faire deux remarques:
    1) Que des penseurs puissent avoir joué un rôle dans l’orientation de telle ou telle histoire humaine est une évidence. Vous citez Marx, mais on pourrait en citer une ribambelle. Je pense en particulier au rôle énorme qu’ont joué Luther et sa réforme, ne serait-ce que dans l’éclatement du conglomérat religieux-métaphysique-politique du catholicisme médiéval et l’avènement de la modernité (et d’après certains du capitalisme). Ne dit-on pas aussi que tous les despotes européens (et la liste est impressionnante) ont eu comme livre de chevet « Le Prince »! Ce que je trouve difficile à comprendre chez Heide, c’est qu’il croit pouvoir identifier, dans l’histoire occidentale, une faille métaphysique qu’il situe grosso modo avant Platon. D’après lui, cette faille ou faute consisterait en l’oubli de l’être, c.à.d., comme vous l’écrivez clairement, au rêve de la toute puissance (prométhéen, dernier avatar: la volonté de puissance de Nietzsche). D’où cette idée effrayante, apocalyptique: pour retrouver le rapport premier à l’être, les hommes ne peuvent qu’aller au bout de leur délire de puissance, car c’est alors seulement qu’ils pourront prendre conscience de ce délire, de cette erreur, de ce péché d’orgueil, de cette ubris et éventuellement (?!) se sauver en retrouvant un rapport plus « religieux », plus contemplatif, plus méditatif à l’être. Parfait! Mais, voyez-vous, Monsieur, mis à part le nouvel habit esthétique, si je puis dire, que Heide donne à ce que j’appellerai le mythe de la chute, ce dernier figure au début de la Genèse, quand Jéhovah punit les premiers hommes d’avoir goûté à l’arbre de la connaissance, et de ce fait, d’être entrés en concurrence avec Dieu lui-même. Ce péché d’orgueil et de vanité diabolique, satanique, maligne, ce désir de toute puissance, d’après la Bible nous les avons déjà payés: nous sommes chassé du paradis. Mais apparemment, cela ne suffit pas à Heide: il veut que nous soyons encore punis bien plus sévèrement. Sacré Martin! (quand on pense à la vie douillette qu’il a menée dans sa Forêt-Noire natale, on se met à rêver et à se demander d’où lui vient cette haine des Hommes).
    2) Le second point que je veux discuter avec vous est l’idée que c’est le couple Parménide-Platon qui est responsable du fait que les Hommes se sont engagés dans un usage technologique de l’outil, alors que jusque-là, ils pratiquaient l’artisanat. Ca, Monsieur Domeracki, est, à mes modestes yeux, une vanne de philosophe. Il se trouve que j’ai enseigné, entre autres choses, la paléontologie et je vous assure que nous connaissons bien, aujourd’hui, l’évolution technologique des hommes, du paléolithique au néolithique, puis dans les temps modernes. Qu’il y ait eu des évolutions parfois étonnantes dans les pratiques techniques humaines, dues à de remarquables inventions, est évidente, mais elles sont probablement liées plus à des facteurs environnementaux, démographiques et organiques, qu’à la métaphysique.
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 26/06/2006 à 11:54 | Répondre | Modifier
  11. J’ignorais que Marx était un métaphysicien…
    de fait il n’est pas ridicule de signaler les oublis sélectifs de Martin Heidegger et l’applatissement de l’ »historial »: dire que les empiristes anglais seraient moins « historiaux » que Descartes ou Hegel est pour le moins singulier, si on pense en termes d’histoire réelle et non d’un arrière-monde qui conditionnerait le développement de celui-ci.
    C’est pour le coup une vision singulièrement prométhéenne de l’histoire que de la comprendre comme le produit de quelques révolutions ou involutions opérées dans la métaphysique, qui devient ainsi le moteur véritable de l’Histoire avec le grand H qui s’impose…quand je pense à ceux qui se moquent aujourd’hui de la vision marxiste de l’histoire comme mue par la lutte des classes, alors qu’ils sont aspirés par les mythèmes heideggériens…la lutte des classes a au moins le mérite d’exister, ce qui n’est pas le cas de l’histoire de l’être, surtout à partir du moment où on s’amuse sur le génitif objectif/subjectif.
    Il y a de fait bien un « chauvinisme philosophique misérable » dans les sélections heideggériennes, et l’interprétation tardive du nazisme comme objectivation de la tradition issue du « Logos » (kesaco ?), de la technique et des Lumières (etc. … de tout ce qu’est pas bien) est un mauvais gag : le nazisme est pratiquement le seul mouvement politique du 20ème siècle à revendiquer la « révolte du mythos contre le logos » (Rosenberg, mais de fait pas que).
    M. Domeracki, dire que Heidegger a été capable de contenter tout le monde, c’est assez dire sa dimension politicienne, sa faculté à rester dans un vague où chacun ne trouve que le visage de ses propres désirs. C’est un art aussi, et il est vrai pas à la portée de tout le monde. Mais c’est un artifice, et dire qu’on est reçu partout et par tous ne constitue pas une preuve de grandeur (en parlant de politique, arrêtez de paraphraser VGE sur le « monopole du coeur » et autres équivalents, cela ne fait pas très socialiste).
    Il y a bien un point sur lequel je serais d’accord avec vous : c’est quand vous parlez de la teneur apocalyptique du discours heideggérien, et j’avais d’ailleurs fait à M. Misslin et à ce sujet une réponse semblable à la votre : il y a absence de toute utopie chez Heidegger, et je partage avec vous l’avis qu’il fait signe vers une catastrophe. Et ce, à plusieurs sens du termes, dont une partie lui échappe complètement, et fait signe vers une catastrophe personnelle et collective…
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 26/06/2006 à 19:12 | Répondre | Modifier
  12. Monsieur Misslin,
    Il y a longtemps que je vous ai dit sur différents blogs d’où venait la haine de Heidegger mais personne ne veut écouter. Allez voir ce qui s’est passé au foyer Saint Conrad et vous m’en direz des nouvelles. Réaction émotionnelle très forte, changement de vision du monde, action politique pour changer la face du monde. Quand les Français vont-ils ouvrir les yeux, enfin? Combien de points faut-il mettre sur les i pour que les gens comprennent?

    En tout cas je remercie monsieur Lamy pour son intervention. Nous aurons au moins été deux à nous adresser à qui de droit. C’est à dire aux oreilles des sourds au ministère et à l’université.

    Je voudrais dire à Monsieur Misslin qu’il n’y a aucune différence de style entre les interventions politiques de Heidegger en 1933 et ses cours, autres écrits et conférences. L’homogénéité est parfaite. Mais pour le voir il faut peut-être se défaire de préjugés tenaces et voir Heidegger dans sa vraie statue de commandeur. Je vous invite à changer de regard même si de nombreux gens « intelligents » me prennent pour un con. Dans certains cas il vaut mieux passer pour un con. C’est un honneur et je le revendique. Le vent tourne parfois plus vite qu’on ne croit.
    Bien à vous
    michel bel.

    Rédigé par : bel | le 26/06/2006 à 19:19 | Répondre | Modifier
  13. Juste une chose encore sur C.Malabou, F. Dastur et S.Jollivet.
    Pour les deux premières, ce sont bien elles qui ont choisi de se rabaisser en intervenant comme elles l’ont fait. Quand on utilise un argument typique de l’extrême droite ou qu’on envoie une lettre aussi inconséquente, on assume. Quant à Servanne Jollivet, son article est de fait un scandale, et je trouve M. Lamy pour le coup plutôt généreux.
    Pour moi, qu’un tel « article » soit publié est un symptôme suffisant, pas besoin d’aller poser de questions…
    Mais que diable allait faire Pierre-François Moreau dans cette galère ?…déroute chez les spinozistes.
    De deux choses l’une : ou bien Negri les a tous rendu définitivement dingos (lecture schmittienne de Spinoza, bravo…le nazi comme le marrane doivent se retourner dans leurs tombes, pour des raisons différentes, mais quelque chose me dit que le nazi ricane aussi). Soit tout simplement la rédaction a accepté de publier cette chose suite à une recommandation (une lettre de JF Courtine peut faire passer beaucoup de choses) sans faire son travail critique.
    Mouais…
    quoiqu’il en soit ce n’est pas brillant.
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 26/06/2006 à 19:21 | Répondre | Modifier
  14. 1/
    Je commence un parcours dans une oeuvre « majeure » pour ce qui nous occupe ici.
    Je parle de la « Pensée libre », revue qui compte en co-rédac chef le négationniste Claude Karnooh, et qui a consacré, entre autres joyeusetés (voir la liste des dernières publications), un numéro à une « réfutation » du livre de M. Faye.
    Ce numéro s’intitulait « Heidegger : Objet Politique Non identifié » (n° 4, avril/mai 2005). L’unique auteur en est Maximilien Lehugeur, mais nous y reviendrons.
    A propos de « Maximilien Lehugeur », donc, qui était au comité de rédaction du numéro 8 (octobre 2005) de la fameuse revue, je lis une note en bas de la p. 5 du fameux n° 4 :
    « Maximilien Lehugeur, ancien élève de l’Ecole normale superieure (Ulm) et agrégé d’histoire, a obtenu un DEA en philosophie. Il enseigne la philosophie et l’histoire des idées. »
    Nous reviendrons donc sur la biographie de M. Lehugeur plus tard, je me contenterai ce soir d’une première plongée dans cette oeuvre maîtresse, histoire d’en donner le goût.
    Difficile comme d’habitude de débattre avec cette chose qui se prétend une critique du livre de Emmanuel Faye et qui en parle si peu. Au point qu’y est reprise l’idée que Pierre Teitgen a avancé sur le dernier blog du monde, et selon laquelle M. Faye aborderait le texte où Heidegger dit que les noirs (« cafres ») ont une histoire comme les singes et les oiseaux en ont une, ce qui n’est pas le cas.
    Ainsi p. 38 : « les Caffres de Heidegger qui suscitent tant la sympathie de E. Faye »
    p. 39 : « E.Faye, qui affiche sa tendresse pour les Caffres »
    Serait-ce là que P.Teitgen a repris son « argument » ? Je ne sais-mais il est vrai que l’attaque de M. Teitgen était par contre formulée sans ce fond raciste évident qui transparaît ici presque sans masque.
    Toujours est-il que consacrer plus de 100 pages à un livre en parlant de textes qui n’y sont pas a pour moi quelque chose d’étrange ; c’est sans doute que je suis encore dans une métaphysique de l’adéquation.

    Par contre si le fond est nullissime, reste une remarquable unité de style. M. Lehugeur sait en effet systématiquement rappeler l’origine juive des auteurs dont il parle, et si ils se trouvent avoir critiqué Heidegger, au moins il sait pourquoi. Ainsi d’Alfred Grosser et de son article du 19 déc 1964 dans « Médiations » : si il s’y montre critique, c’est qu’il y montre « l’aveuglement de la passion d’un Allemand juif exilé » (p. 10).
    Notre auteur, donc, délivré pour sa part de « l’obsession anti-raciste » (p. 33-où il dénonce ce qu’il juge être une focalisation sur l’antisémitisme, une forme de « racisme », donc), sait pourquoi l’ »ancien disciple juif exilé Karl Löwith » (p. 14) s’est rebellé. Le juif exilé, toujours, c’est hargneux vous savez, cela serait capable de vous repprocher votre nazisme…
    Ainsi p. 27
    « Ces attaques simplistes sur la « völkischité » de Heidegger sont fort intéressantes à un certain niveau, car elles témoignent de la mentalité tantôt techno-moderniste que défiera tranquillement Heidegger (d’où la fameuse mentalité « Blubo » qu’on lui reproche : son attachement à la communauté enracinée dans la terre natale) tantôt revancharde de Juifs expatriés pour tout ce qui ressemble à un amour des racines allemandes autochtones » [Heine n’était sans doute pas un autochtone…]
    La mentalité « Blubo » n’est donc qu’un attachement à la communauté enracinée…Passons sur la fin qui parle d’elle même.
    p. 28 on n’oublie pas de nous rappeler que Canetti est un « auteur germanophone juif d’Europe centrale et balkanique », qui a le tort il est vrai d’être critique, mais les origines juives de Joseph Rovan ne sont pas oubliées non plus (p. 46), ni non plus celles du « Juif Freud », ou celles des « penseurs « juifs » » qu’il faut convoquer comme Joseph Rovan pour sauver Heide : Lévy-Strauss, Arendt et Derrida (p. 106), ou « l’heideggérien juif Leo Strauss » (p. 50).
    C’est que les témoignages de l’antisémitisme de Heidegger ne sauraient être reçus par un « historien » aussi rigoureux :
    « la femme d’Ernst Cassirer, Tony, qui fera courir sur Heidegger la rumeur sans preuves de son antisémitisme de ressentiment -une pure interprétation socio-psychologique de bourgeoise un peu condescendante et peut-être vexée du manque de déférence de Heidegger devant son mari, et à qui Lévinas sur le tard se croira obligé de dire ses regrets d’avoir préféré Heidegger à Davos » (p. 102).
    C’est qu’il avait rien compris le Lévinas…puisqu’on vous dit que « Mais Elfriede Petri avait pour meilleures amies dans sa jeunesse des Juives ! » (p.57), si vous voyez à mal c’est vraiment que vous cherchez.
    Par contre les heideggériens qui ont eu le tort de discuter avec E. Faye ont pratiqué une « diplomatie fort münichoise » (p. 20), et notre si grand résistant sait dénoncer « les histoires « révisionnistes » à la Faye » (p. 42).

    Cela suffit pour aujourd’hui, il est temps que je reprenne ma respiration.
    Mais le meilleur est à venir.
    To be continued…
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 26/06/2006 à 20:30 | Répondre | Modifier
  15. 1/ Sur votre priorité du scientifique sur l’existential: Heidegger n’a rien à répondre à vos conception scientistes (tout est déjà dans Être et temps…), si ce n’est qu’elles s’abusent d’elles-mêmes à partir de données « archéologiques » traitées en droite ligne à partir de la compréhension historiagraphique qu’il combattait justement!
    Celle-ci consiste à objectiver le plus de données possibles pour se constituer un panorama d’évidences. Or , la philosophie vit de questions, et non de réponses. Si vous avez déjà toutes les réponses scientifiques à la question « comment est advenue la technique moderne? », que faites-vous ici au lieu d’expliquer le dernier numéro de « Sciences & vie Junior » à vos petits enfants?…
    Toute est une question de prémisse. Heidegger a tout repris à zéro le rapport de l’homme à l’ouverture qu’il est lui-même. Vous , préférez vous focaliser sur l’une de ces ouvertures possibles , (appelons-la scientiste , objectiviste), et vous plaignez ensuite de ne pas comprendre un traître mot de la question de la technique traitée à a partir de l’ontologico-historial; vous savez comme moi que le premier pas à faire pour atteindre à la probité philologique n’est pas tant d’oublier nos préjugés , que d’essayer de les mettre quelques temps entre parenthèses…Mais vous préférez débarquer sur ce forum de réflexion avec votre lot de certitudes extrinsèques (diable , laissez une seconde Witgenstein, Montaigne et la paléontologie au vestiaire!). Je ne vois pas en cela une attitude stupide , mais c’est précisément celle qui ne vous fera jamais rentrer dans le texte heideggerien, pour lui-même. Mais…le voulez-vous vraiment?
    2/ La question du rapport de Heidegger au christianisme n’est pas prête de se refermer. Le dernier ouvrage de Didier Franck est à cet égard archétypique de ce qui devrait à mon sens guider les jeunes chercheurs. Par contre , aucun interprète n’aura la simplicité d’esprit , je pense ,de penser que Heidegger ne fait que remplacer des termes théologiques par ceux relavant de l’Ereignis et du « Letze Gott »…Les choses ont l’air bien plus commpliquées et nuancées. Je m’attèle moi-même dans mon mémoire de Master 2 à relever les emprunts de Heidegger à la pensée onto-théo-logique de Schelling, quasi théosophique , des « Recherches sur la liberté humaine ». Il me semble qu’il y reprend à son compte des éléments déterminants du système de la liberté schellingien où son compossibles Dieu et le mal , pour en faire son miel « post-métaphysique »…
    3- Il faut à coup sûr se détourner de Heidegger lorsque il prône un « tout-métaphysique » infernal pour qu’advienne un « nouveau commencement ». Mais peut-être le prône-t-il parce qu’il sent bien qu’il est déjà là. Auschwitz hier, nul doute, que si l’essence de l’homme ne se modifie pas plus essentiellement, il reviendra sous d’autres formes encore plus abjects. Eh oui Monsieur EMisslin il n’y a pas que les nazis qui soient ignobles. Du reste, Guantanamo est encore ouvert , à ce qu’il me semble. Il doit bien se trouver un nombre incalculable de démocrates authentiques pour défendre eux aussi le pire au nom précisément d’un humanisme. Et puis il y a heureusement des démocrates qui n’ont pas que cela à foutre de diaboliser un tel ou un tel , qui prennent certes acte des barbaries passées et présentes , mais flânent (bien qu’érudits) en voyant leurs prochains s’enflammer ainsi contre quelques ennemis assez similaires à eux-mêmes . Toutes ces personnes pétries de certitudes (et de tout bord , cela concerne donc aussi les heideggeriens pur jus) me paraîssent tellement plus dangereuses que celles par delà le bien et le mal et sereines, qui se font cependant bien rares de nos jours. J’aspire à être d’entre elles. Cela commence par ne pas aborder tel ou tel auteur avec des certitudes, mais avec une multitudes de questions et une volonté de nuance et de finesse. Et j’ai beaucoup de mal à ne pas m’exclaffer quand je lis l’article l’ »irréprochable » de Fédier, ou , son pendant bouffon, le torchon de Faye. Chacuns ont ce mérite essentiel de me redonner le sourire les jours sombres ,mais le défaut inexcusable de me faire perdre mon temps précieux. Comme cette « affaire Heidegger », du reste!

  16. Monsieur Er;
    Vous refusez la compréhension heideggerienne de l’Histoire au nom de l’absence de son effectivité. En revanche vous distribuez les bons points pour l’histoire de la lutte des classes Marxiste, qui elle aurait bien eu lieu. Fort bien. Mais devons nous vous croire sur parole?
    Plus sérieusement la pensée heideggerienne a le mérite d’expliquer l’histoire, et il me semble particulièrement compétentà ce sujet , en tant que lecteur assidu de Dilthey et de Hegel. Mais actuellement, ma lecture du Schelling n’est pas sans me faire penser que c’est la conception de celui-ci qu’il s’approprie le plus. A partir des Weltalter (sont il parle très peu) il semble s’être concocté , en accord avec ses propres épreuves de l’analytique du Dasein , des « Âges de l’être ». on peut bien ironiser des heures , mais qu’est ce qui permet de décreter aussi facilement que c’est là purement et simplement du délire, si ce n’est de la présomption et des pensées toutes faites sur ce que serait véritablement l’histoire? De fait, je crains fort que vous placiez là encore au même niveau que quand vous affirmez allègrement qu’Heidegger faisait de la philosophie chauvine. Celui du décret. Psychopathe ou pas, Heidegger ne se laisse pas réfuter par le premier venu en vertu de ses petites estimations mesquines et de ses engagements en faveur de telle doctrine ou telle vision du monde. C’est d’ailleurs pour cela qu’il y a faux débat : parce que certains pensent sincèrement réduire la pensée de l’être à quelques propositions idéologiques à deux sous. A la limite , on veut bien leur accorder, qu’ils puissent occuper leur retraite autrement qu’en lisant Télérama.
    Oups! Voilà que je reprend un ton désagréable avec les unilatéraux…Tapons donc en coeur sur Servanne Jollivet! La bougresse n’a rien trouvé de mieux que de ne pas reconnaître l’axiome suivant « parler du polémos héraclitéen sérieusement sous le nazisme = être vilain ». Tapons sur Françoise Dastur et Catherine Malabou! Celles-là ne reconnaîssent pas la profondeur indépassable des interprétations des Faye! Rahlàlà elles ne pensent qu’à défendre leur bifteck celles-là! Quelles inconséquentes! Heureusement nous autres sommes heureusement bien plus clairvoyants! Une véritable leçon de probité philologique , qu’on se le dise!

  17. Yvon Er;
    nous ne connaissons dorénavant que trop ce procédé consistant à incriminer toute personne ne prenant pas au sérieux les interprétations de Faye en vertu de ses implications politiques et idéologiques.
    Il serait peut être temps de vous demander sérieusement pourquoi aucun membre important de l’université francaise n’a daigné répondre aux joyeusetés de Lamy. Il en va ici comme dans les grands délires paranoïaques de complot (qu’on songe aux sornettes écrites sur le 11 septembre) : l’absence de réponse des « autorités » face aux convocations délirantes sonnent comme un aveu pour ceux qui ont tôt faits de prendre leurs désirs interprétatifs pour des réalité.
    Je suis dans le regret de répéter cette impression , de petit étudiant candide et naïf certes: celle que j’ai eu en lisant les grands interprètes francais de l’oeuvre heideggerienne. Aujourd’hui j’ai lu Christian Sommer, Jacques Taminiaux et Dominique Janicaud. Le constat est sans appel. C’est autrement plus convaincant et passionnant que les interpétations idéologiques de l’engeance!Leur absence de réponse tient en une seule vérité , qui a été rapportée par Teitgen, et énoncée par Marion , qu’il n ‘y a rien à répondre aux attaques, celles ci ne se placant pas à un niveau de reflexion suffisant. Monsieur Er, vous le confirmez en vous vautrant ainsi dans la boue en compagnie de ces crapauds racistes qui ne sont pas des nôtres. Laissez donc où ils sont, et tentez un instant de réfuter les grandes interprétations point par point d’un Greisch, d’un Courtine (et oui!) ou d’un Richir. Evidemment, là , ça a une toute autre gueule que la réfutation d’un ramassis de fachos débiles sur un blog fréquenté par des convaincus d’avance.
    Mais je sais pour autant que vous n’êtes pas un lâche, j’attends donc que vous vous procuriez par exemple « Du sublime en politique » de Marc Richir où un long developpement est consacré aux Beiträge. Voilà qui vous changera de vos croisades stupides en eau trouble.

  18. Bonsoir à tous,
    En me balladant sur le site de M. Grondin, j’ai lu le texte de la conférence qu’il a donnée en septembre 2002 à Nice lors des « Journées Dominique Janicaud » d’où j’extrais ce passage fort intéressant, pour moi en tous les cas:
    « La métaphysique n’a-t-elle toujours parlé que d’une seule voix tout
    au long de son histoire? Peut-on sérieusement soutenir que les grands penseurs
    de la métaphysique – Platon, Aristote, Plotin, Augustin, Avicenne, Duns Scot,
    Thomas d’Aquin, Suarez, Descartes, Spinoza, Leibniz, Kant, Fichte, Schelling
    et Hegel – n’ont tous été que des « ontothéologues » et des techniciens de
    l’étant?17 Heidegger ne procède-t-il pas à une réduction, elle-même technique,
    de notre tradition de pensée à l’aide de son concept réducteur de
    métaphysique? On sait que Heidegger a vu dans l’ère de la technique un
    mouvement d’arraisonnement (Gestell) de l’étant dans son ensemble. Mais ce
    concept de la métaphysique comme d’un arraisonnement ne constitue-t-il pas
    un singulier arraisonnement de la métaphysique elle-même, qui se rend sourd
    aux paroles de la métaphysique?
    Heidegger indiquait-il une voie responsable en misant exclusivement
    sur un nouveau commencement et un « saut » dans une autre pensée? Cette
    pensée du saut et de l’autre commencement ne restait-elle pas secrètement
    technique dans sa surdité vis-à-vis de la tradition et son impatiente volonté
    d’en finir avec la métaphysique? »
    Ce texte me ravit. Pourquoi? Parce qu’il est humain, pas trop humain, mais chouettement humain. Il maintient l’inquiétude philosophique ouverte, il ne veut pas l’apaiser par je ne sais quelle rencontre mystérieuse avec l’être sous la forme d’un Ereignis problématique que Heide nous invite à attendre, à l’image du retour du Christ par les millénaristes. L’Homme est rétabli dans sa complexité, telle qu’elle apparaît, par exemple, dans l’oeuvre d’Aristote: nous sommes à la fois des animaux politiques, techniques, scientifiques, métaphysiques, artistiques. Aristote, o mon cher Aristote, toi qui écris dans ton « Ethique à Nicomaque »: « Sentir que l’on vit, c’est une chose plaisante par elle-même. » Car M. Grondin rappelle justement qu’à la fin de sa vie, M. Janicaud a su faire preuve d’autocritique et s’est dégagé de l’emprise de Heide: »Avec un sens aristotélicien des apories vitales que doit affronter la pensée, Dominique redoute ici « les tournants » trop faciles. On comprend qu’en fassent partie, pout lui, le tournant théologique de la pensée française, mais aussi le tournant dans la pensée de Martin Heidegger, entendu au sens d’une levée de l’oubli de l’être, envisagée dans un très problématique et très aléatoire avenir messianique, et qui ignore dès lors les tâches actuelles et urgentes de la pensée. » Comme tout cela est bien dit. Et cette fois, qu’on ne me reproche pas de ne citer que des textes critiques à l’égard de la pensée de Heide écrits par des anti-heideggeriens.
    Bien cordialement à vous tous
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 26/06/2006 à 21:56 | Répondre | Modifier
  19. Bonsoir M. Domeracki,
    Je constate que vous ne répondez pas vraiment à mes remarques, mais que vous vous contentez de me traiter de « scientiste », ce qui ferait bien rire un certain nombre de mes collègues qui trouvaient que je faisais trop de philosophie! En revanche, et sans vouloir en rien vous blesser, réduire la science au scientisme me montre que votre culture scientifique laisse à désir. Nobody’s perfect.
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 26/06/2006 à 22:23 | Répondre | Modifier
  20. Non mais en revanche vous continuez à ne piocher que les cartes qui vous arrangent, à savoir celles qui confirment vos grossières vues sur l’oeuvre de Heidegger , et vous continuent de vous stimuler dans le sens d’une lecture superficielle de ce penseur. Nobody’s perfect, effectivement…

    Rédigé par : Stéphane Domeracki | le 27/06/2006 à 12:32 | Répondre | Modifier
  21. Bonjour monsieur Domeracki,
    je veux bien admettre que mes vues sur l’oeuvre de Heide sont grossières. Mais, je trouve que votre façon de réagir à mes propos n’est pas non plus très élaborée. J’ai abordé avec vous un des points centraux de la pensée de Heide et des plus constants: LA métaphysique occidentale s’est fourvoyée depuis Parménide et Platon, ce qui a entraîné l’oubli de l’être en tant qu’être et l’avènement du Gestell, la massification des hommes (das Man, les « on ») et pour finir Auschwitz. Or, je vous ai écrit que je trouvais cette façon de faire de Heide problématique, car l’être, les hommes ont su le décrire, physiquement et métaphysiquement, de façons remarquablement variées et diverses. Vous m’avez répondu que, malgré cela, on pouvait considérer que ce qui m’apparaît comme un coup de force épistémologique (et rien que cela) est justifiée dans l’optique de Heide. Comme votre démonstration ne m’a pas vraiment convaincu, je suis allé voir chez M. Grondin, dont vous m’aviez dit que c’était un des plus grands spécialistes de Heide. Je ne suis pas allé sur son site avec l’intention de trouver des arguments contre Heide, puisqu’il n’est pas un anti-heideggerien, il ne faut pas prendre vos interlocuteurs pour des idiots parfaits (imparfaits suffit). Mais je veux m’instruire, c’est tout et trouver des éclaircissemnts à mes perplexités. Or, à mon grand étonnement, car je ne me fie pas aveuglément à mes opinions, M. Grondin affirme sans ambages que la conception de la métaphysique selon Heide est très réductrice (c’était ce que je vous écrivais aussi)et écrit ceci: « Mais dans ses derniers travaux, il (M. Janicaud)a pris une réelle – et à mes yeux salutaire- distance avec la fascination qu’a exercé le verdict porté par Heidegger sur la métaphysique au singulier. On le remarque dans une réflexion critique de son dernier livre: « trop impatients de partager les privilèges d’une vue de surplomb sur l’Occident, aurions-nous surestimé la portée d’une audace qui nous grisait? » (citation extraite de « Aristote aux Champs-Elysées »). Si Heidegger accusait la métaphysique d’uniformiser le réel, n’était-ce pas sa propre lecture qui était singulièrement uniformisante? » Et M. Grondin de se demander si Heidegger indiquait « une voie responsable en misant exclusivement sur un nouveau commencement et un saut dans une autre pensée. » Si je suis tous ces débats, c’est pour trouver des réponses à certaines questions que je me suis posées à propos de Heide. Je sais que j’ai tort de demander des réponses aux philosophes, puisque d’après vous, les philosophes ne font que poser des questions. Je pense que je dois mettre ce genre de propos sur le compte de votre humour! En tous les cas, M. Grondin (et le dernier Dominique Janicaud) m’ont permis de voir que je ne suis pas seul à me poser des questions sur le bien-fondé de la prétention de Heide de croire qu’il est en mesure d’embrasser, de manière fondée, l’évolution séculaire de notre Occident. En général, ce ne sont pas les philosophes, mais les promoteurs de mythes et de religions qui se targuent de ce genre de pouvoirs surhumains. Essayez donc, au lieu de me traiter de scientiste, de répondre aux questions que se pose M. Grondin si mes questions vous paraissent trop bêtes. J’attends avec curiosité votre réaction.
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 27/06/2006 à 16:11 | Répondre | Modifier
  22. M. Domeracki,
    il n’a jamais pour moi s’agit de donner de bons ou de mauvais points au communisme, ou à quiconque. Il s’agit pour moi de décrire justement, et de décrire des réalités. Or les conflits d’intérêts et donc les conflits de classes existent, aujourd’hui comme hier, et l’être n’est pas une cause, aujourd’hui commme à l’époque où nous l’avait appris Aristote.

    Vous mettez une nouvelle fois au même niveau le révisionniste François Fédier et Emmanuel Faye, cela vous regarde désormais.

    Sur Servanne Jollivet :
    de fait, la manière dont elle traite certains des textes les plus fachistes de Heidegger comme si c’était une grande pensée est un problème. Les contradictions auxquelles cela la conduit sont énormes.

    Vous vous placez dans le camp de la nuance et du refus de l’univocité. Fort bien. J’imagine qu’il ne me reste que mes pauvres certitudes : il y a du racisme au coeur de la pensée de Heidegger. En 6 mois, moi et d’autres ont avancé un nombre certain d’éléments. Il y a, à de nombreuses reprises, un nazisme parfaitement univoque : vous le savez du reste fort bien.
    La philosophie heideggérienne ne vit pas que de questions -tandis que la science est bien un scepticisme méthodique, et non un système de certitudes, ce n’est pas Heidegger qui vous l’apprendra. Cette philosophie apporte aussi des réponses. Maintenir le flou artistique ne sert plus à rien.
    Yvon Er.
    PS. Vous avez raison pour l’influence de Schelling-pas du jeune Schelling, du théosophe chez lui. Mais la philosophie de l’histoire chez Schelling … ?

    Rédigé par : Yvon Er | le 27/06/2006 à 18:36 | Répondre | Modifier
  23. M. Domeracki,
    pour ce qui est de mes « stupides croisades en eaux troubles » : faut-il rappeler qu’avant que je ne pointe la dimension négationniste de la revue en question, vous aviez sur votre site un lien vers elle, à savoir vers ces « crapauds racistes qui ne sont pas des nôtres » ?
    Greisch et Courtine évitent le problème depuis des années, Courtine en essayant depuis le livre de Farias de faire croire que Heidegger était un phénoménologue, Greisch en jouant du goupillon. C’est leur droit, mais c’est singulièrement insuffisant. Passons sur Sommer, qui joue un peu de tout et qui a publié une réponse grotesque à Arno Münster.

    Contrairement à ce que vous indiquez sur votre blog je ne vous ai jamais assimilé à un neo-nazi, mais vous avez parfaitement le droit de présenter les choses malhonnêtement. Il me suffit déjà de relever votre aveu de fascination, vos propos sur la dimension « collatérale » de l’ultra-violence nazie, votre admiration pour la politique de Jünger ou de Niekisch, vos propos sur l’absence de cohérence du projet nazi, votre recherche chez Heidegger d’un nazisme amélioré. Ce n’est pas encore du neo-nazisme avoué, mais on entend déjà la botte, que cela soit conscient ou pas. Cela invalide quelque peu votre thèse que l’on peut s’intéresser à tout chez Heidegger de manière parfaitement « saine ».

    Vous pouvez par ailleurs trouver anodin que les milieux négationnistes s’intéressent à Heidegger, où il devient de plus en plus populaire. Pour moi il est significatif que ses défenseurs les plus acharnés aient tous eu des propos insupportables sur la période.

    M. Teitgen, je vous avais demandé de signaler sur votre blog la provenance de textes pour le moins problématiques, dont la « biographie » de Ernst Jünger issue d’un site neo-nazi, et de prendre distance avec la dimension antisémite ou révisionniste de certaines argumentations. Puis-je savoir si vous avez l’intention de le faire, ou si votre protestation d’innocence et votre déclaration selon laquelle vous regrettez d’avoir manqué de vigilance ne sont qu’une pirouette de plus ?
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 27/06/2006 à 19:17 | Répondre | Modifier
  24. Je marque une pose dans ma lecture du numéro de la « Pensée libre » consacré à Heidegger pour décrire la « lecture » du livre de M. Faye par un universitaire portugais (Alexandre Franco de Sá, trad. de Barbara Lacon), lecture à laquelle renvoie M. Domeracki sur son site.
    La chose n’a qu’un intérêt : c’est la première fois que je lis quelqu’un d’aussi avancé dans une institution philosophique quelconque qui déploie une argumentation à ce point « Parolesdesjouriennes », voire plus.
    p. 1, le bonhomme entend lutter contre ceux qui veulent discréditer la personnalité et la pensée d’auteurs allemands qui ont entretenu « des relations de sympathie ou, du moins, des relations qui n’étaient pas d’une hostilité manifeste avec le régime natinal-socialiste. »
    C’est le moins que l’on puisse dire, que l’on parle du secrétaire de Goering responsable des lois raciales du Reich, dont il a été le « Kronjurist » (Schmitt), ou du philosophe qui a participé à la non moins brillante « académie pour le droit allemand ».

    Les stratégies déployées sont connues : les livres de MM. Faye et Zarka n’apporteraient rien de nouveau, ce qui permet de ne pas rentrer dans leurs argumentations. Mais notons que l’on retrouve un argument que le bon JF Kervegan nous avait déjà resservi : pointer le nazisme de ces auteurs serait du même niveau que la stigmatisation des juifs sous le troisème Reich, « de la même manière que l’Allemand des années 30 discutait le catalogue d’auteurs juifs dans les bibliothèques. » (Ibid.). C’est tellement énorme que cela devrait suffire, mais je continue…
    P. 2, il reprend l’hypothèse avancée par Emmanuel Faye selon laquelle Heidegger pourrait avoir écrit certains discours de Hitler pour discréditer l’ensemble du travail de ce dernier (deux lignes sur plus de 550 pages).
    p. 3 on nous refait le coup du biologisme : « Faye ne peut s’empêcher d’affirmer que la confrontation entre Heidegger et le biologisme ne signifie pas, pour l’essentiel, une confrontation critique vis à vis du nazisme »
    Evidemment qu’il ne peut s’en empêcher, puisque M. Faye ne fait ici que suivre les derniers développements de la recherche sur la question raciale dans le nazisme (voir par exemple Cornelia Essner, La quête de la race, Paris Fayard 1995), qui ont bien montré que celle-ci ne se limitait nullement à la question du biologisme.
    Mais continuons : notre grand penseur (spécialiste de Heidegger, Schmitt, Jünger, et d’une manière qui n’a rien à voir avec la politique, non non, traducteur de « Der Arbeiter » de Jünger en portugais) cite le « Zu Ernst Jünger » à la rescousse de son auteur :
    « L’homme n’est pas moins sujet, mais au contraire de manière plus essentielle, lorsqu’il se conçoit comme nation, comme peuple, comme race, comme une humanité qui d’une manière ou d’une autre mise sur elle même » (GA 90). Dans cette phrase notre héros voit une critique de la proposition völkisch (?), ce qui lui permet de dénoncer « l’insistance à trouver chez Heidegger la défense d’une pensée völkisch et d’un racisme biologiste » (p. 5). Une série d’hallucinations visuelles l’empêche visiblement de lire ce qui lui pose problème dans les argumentations de M. Faye et ce qu’il entend faire oublier chez Heidegger.
    Pour nier le lien entre Jünger et Heidegger, il avance que le terme de Hüter n’a rien de nazi, et cite pour cela le « juif libéral » (sic.) H. Kelsen et son « Wer soll der Hüter der Verfassung sein ? ». Le texte en question est peut-être d’ailleurs une réponse à Schmitt, mais il faudra que je vérifie. L’important d’abord est bien sûr que l’on a tout autre chose que le mot de « Hüter » pour comprendre les relations Heidegger/Schmitt.

    Mais le plus « interessant » arrive à la fin. M. de Sá, qui reconnaît par ailleurs p. 7 que le livre de M. Faye est utile pour comprendre le contexte intellectuel dans lequel nageait Heidegger, avance que E. Faye ne saurait pas faire de distingos assez subtils entre les courants du nazisme. « Sauvant » Ernst Forsthoff et Eric Wolf, il avance à ce sujet le rejet heideggérien d’une conception völkisch et raciste de l’état dans lequel celui-ci ne serait rien d’autre qu’un simple instrument au service du peuple et de son unité raciale (Rosenberg). Il s’agit alors pour Heidegger de maintenir une certaine autonomie de l’Etat pour assurer la pérennité du régime. Citation p. 6 :
    « Dans 60 ans, notre Etat ne sera certainement plus conduit par le Führer, aussi ce qu’il deviendra alors dépend de nous ».
    Le problème bien sûr c’est que personne n’a jamais nié que le but de Heidegger fût d’assurer la pérennité de l’Etat nazi, puisque c’est bien de cet Etat là qu’il est question et de nul autre.
    La compréhension « interne », sans « critères extérieurs » aux auteurs abordés, de cette lecture prouve au moins que l’on peut au sein de l’université européenne elle-même développer des critique fachisantes du livre de M. Faye.
    Mais on peut continuer à nier qu’il y a un problème. J’ai pour ma part encore deux ou trois choses à dire à ce sujet.
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 27/06/2006 à 19:54 | Répondre | Modifier
  25. Pour Kelsen mes souvenirs étaient bons ; voir par exemple :

    http://www.cx.unibe.ch/~ruetsche/polTheorie/Kelsen.htm

    Il y sinon un certain nombre de liens pour Cornelia Essner sur internet.
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 27/06/2006 à 20:04 | Répondre | Modifier
  26. Je relis mon message du 27.06 à 17:17, et m’aperçois que j’ai confondu MM. Teitgen et Domeracki. C’est bien à M. Domeracki que mon message s’adressait : c’est qu’en l’écrivant je ne pouvais m’empêcher de repenser au propos de Pierre Teitgen sur la Verjudung, sur le blog de M. Domeracki.
    Du reste, sa posture maintenue en dit assez.
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 28/06/2006 à 14:39 | Répondre | Modifier
  27. Voilà ce que m’inspirent les derniers developpements des commentaires du blog : un baîllement…Je retourne lire Malebranche…

    Rédigé par : Stéphane Domeracki | le 28/06/2006 à 14:52 | Répondre | Modifier
  28. L’esprit de M. Domeracki dort en effet depuis bien longtemps.
    Je me rappelle peu ou prou quand je me suis décidé à intervenir. La présence d’un doctorant et collègue de Vincent Carraud menant une campagne de diffamation sur tous les blogs, puis balançant que le « Blut und Boden » n’était pas nazi, a sûrement joué un rôle dans cette décision, surtout quand le bonhomme s’appuyait sur ses grands aînés pour balancer des énormités sans nom.
    Ou alors c’est suite à la discussion avec un certain nombre de connaissances heideggériennes qui me répétaient que Didier Franck avaient bien des origines juives et écrivait des livres sur Heidegger, et que franchement quand on a un juif (« parce que juif et d’origine juive, hein, bonnet blanc et blanc bonnet, moi qui vous parle j’en connais plein alors… ») dans son camp c’est que tout va bien – je n’arrive malheureusement pas à rendre les mines auto-satisfaites des personnes qui m’ont sorti cet « argument » sur ce blog, c’est dommage. Ou alors c’est justement le nombre de gens qui sur les blogs faisaient défiler les « juifs de Heidegger » sans que ceux-ci aient le moindre moyen de se défendre d’une telle convocation. On n’a pas eu droit à un compte précis, comme ce fut le cas pour Rainer Marten devant qui après-guerre Heidegger comptait sur les doigts d’une main le nombre de juifs a avoir récupéré une chaire de professeurs, mais on est passé pas loin…

    MM. Domeracki et Teitgen, que vous dire ? Que le seul intérêt que j’ai pris à discuter avec vous, cela a été de montrer à quel point il y avait un problème, et plus d’un, dans vos discours. Le mieux pour vous est bien de retourner dormir, car plus vous l’ouvrez et plus vous montrez le contraire de ce que vous déniez.
    En espérant que nous sommes lus par autres chose que des tarés et des révisionnistes, et que je ne jette pas en vain des bouteilles à la mer…
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 28/06/2006 à 18:46 | Répondre | Modifier
  29. 2/
    je poursuis la lecture du numéro de la revue « La pensée libre » dédié à la « critique » du travail de M. Faye.
    Je poursuis en « bergsonien bien connu » (Citation : « le philosophe V. Jankélévitsch, bergsonien bien connu, caché à Toulouse pendant l’Occupation », p. 10-il y est rentré en résistance et ses origines juives posaient quelques problèmes, mais passons…), mais laisse quelque peu de côté l’unité de « style » pour me pencher sur « l’argumentation ».
    On pourrait dire, ma foi, bien des choses. Suivont donc simplement l’ordre du déploiement de la chose, phénoménologiquement si on veut. P. 17 on rencontre un formidable argument contre « ce torchon ! » (p. 18), cette « foutaise diffamatoire », qu’est le travail de M. Faye :

    « les Lois raciales de Nüremberg, qui d’ailleurs -mais pourquoi le dire ? [oui, pourquoi ?…] – n’ont aucun rapport nécessaire avec l’extermination physique des juifs, puisque les nazis les présentaient comme une sorte de version allemande des lois de séparation du judaisme, !, répétant, mais cette fois en les racialisant les lois prussiennes de 1822, qui interdisaient la haute fonction publique et les offices de la magistrature et de l’armée aux Juifs,

    Rédigé par : Yvon Er | le 28/06/2006 à 19:57 | Répondre | Modifier
  30. Me faire moquer par un misérable apologiste des camisoles chimiques qui n’a pas compris un mot de Heidegger me pousse à l’action suivante, à la mesure de ses assertions : un second baîllement.

    J’imagine le message de la bouteille à la mer par vous envoyée : « ne trouvez vous pas vous aussi que Martin Heidegger était fou et méchant? Venez avec moi lire Montaigne et prescrire du Lithium » …

    Rédigé par : Stéphane Domeracki | le 28/06/2006 à 20:00 | Répondre | Modifier
  31. Monsieur Er, je vais de ce pas enlever de mon blog cette biographie juste mais publiée par des zouaves.

    Rédigé par : Stéphane Domeracki | le 28/06/2006 à 20:02 | Répondre | Modifier
  32. Monsieur Misslin , ce que Grondin et Janicaud ont dit n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Mon mémoire de Master 1 sur le Nietzsche I, lui aussi ,rendait compte de l’aspect abusif de l’herméneutique heideggerienne, lorsque elle « ravale » toute les métaphysiques par ses soins séléctionnées, en en oubliant bien sûr surla route. Et après? Cela suffit-il à le réfuter intégralement? Il faut avoir une compréhension bien niaise de l’essence de la vérité et de l’histoire pour donner un tel avis de non-recevoir au nom de telle ou telle semi-certitude.Il me paraît tellement plus intéréssant de ne retenir que les bons côtés del a pensée heideggerienne, plutôt que de jeter le bébé avec l’eau du bain. Seule votre posture de redresseur de pseudo-torts vous empêche de faire comme les grands universitaires français : non pas tant la sourde oreille qu’un tri salavateur. Il n’y a pas à « sauver Heidegger » , comme si c’était pour lui. C’est bien pour nous, lecteurs , que doit se traduire la vérité de sa pensée. C’est en ce sens qu’ a agit Servanne Jollivet. Mais après tout , vous faites ce que vous voulez! Continuez de donner des leçons que personne n’a envie d’entendre en venant sur un blog de philosophie, à part peut être Pécuchet , trop heureux de trouver là un partenaire à la mesure de ses fadaises. En ce moment , Yvon Er me déçoit d’autant plus qu’il s’improvise inspecteur des bas-fond, dont il a l’air d’apprécier apparemment les effluves -ce qui est fort peu avouable. J’imagine qu’il doit trop regarder « Derrick »…

    Rédigé par : Stéphane Domeracki | le 28/06/2006 à 20:13 | Répondre | Modifier
  33. Bonsoir monsieur Domeracki,

    Ce n’est pas bien de vous défiler ainsi. Je vous ai demandé un commentaire sur les extraits de M. Grondin dans lesquels il insiste sur le fait que M. Janicaud a fini par prendre ses distances à l’égard de la pensée de Heide: on peut même dire qu’il s’en est désensorcelé, puisque dans son dernier livre, il parle de la fascination que Heide exerçait sur ses admirateurs. Et M. Grondin trouve que c’était là une réaction « salutaire ». Cela m’aurait intéressé d’avoir votre avis là-dessus. Mais, vous bâillez. On connaît bien ce comportement en éthologie. Il a plusieurs fonctions. Souvent, on l’observe chez les primates quand ils sont dans l’embarras face à des congénères. En tous les cas, Heide a bien raison quand il a affirmé qu’il ne pratiquait pas la philosophie : en effet, le rapport à la pensée philosophique n’est pas, d’après ce que j’ai appris, de l’ordre de la fascination, mais de son contraire. Rendre ses lecteurs dépendants est le propre d’un medium, d’un sorcier, d’un mage, d’un prophète, d’un gourou. Peut-être qu’il se prenait pour un des mages représentés dans l’église de Messkirch. Vous êtes jeune et vous avez le temps de vous sevrer. Bon vent!
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 28/06/2006 à 21:25 | Répondre | Modifier
  34. Faites attention: il a existé au vingtième siècle une idéologie qui avait pris pour habitude de traiter ses adversaires de primates. C’était déjà la marque d’une grande rhétorique…
    Pour Janicaud et Grondin ,qui sont parmis les commentateurs auxquels je goûte le plus , il est bon de saluer leur détâchement , come j’ai été amené à le faire parfois face à la « bande-à-Fédier ». Après , que vous compariez vos maigres assertions avec les grands travaux de ces deux chercheurs , cela ne regarde que votre égo. Allez, je vous donne un bon point Monsieur Er! Effectivement ces deux là ont écris ce que vous avez rapportés. Et après? Ont-ils affirmés qu’il fallait cesser de lire et de décrire l’oeuvre heideggerienne? Qu’il aurait fallu prescrire du Valium à Nietzsche?…Allez! Je vous souhaite bonne pêche aux affirmations délètères, Monsieur Misslin. Pour ma part j’ai d’autres chats à fouetter.

    Rédigé par : Stéphane Domeracki | le 29/06/2006 à 09:46 | Répondre | Modifier
  35. Bonjour Monsieur Domeracki,
    Ce n’est pas Monsieur Er qui vous a répondu à ma place, et je ne voudrais pas que les gentillesses que vous m’adressez lui reviennent. J’en serais jaloux.
    Contrairement à beaucoup de gens qui utilisent des noms d’animaux en guise d’injures, j’ai passé trop de temps à étudier le comportement des animaux pour les mépriser. L’espèce humaine appartient à l’ordre des primates, c’est ainsi, et le fait de rapprocher le bâillement d’un bonobo du nôtre ne fait qu’illustrer l’étroite parenté phylogénétique des chimpanzés et des hommes. Vous ne pouvez donc pas, à moins de mauvaise foi, interpréter ma remarque qui se voulait plaisante comme une injure. Mais sans doute, puisque je suis un Pécuchet, donc un ridicule scientiste, alors que vous vous êtes un vrai savant, vous ne serez pas convaincu par ce que je vous écris là.
    Pour revenir à la question que je vous ai posée, je constate que vous n’argumentez en rien. Vous vous contentez de dire que ce que M. Grondin a écrit vous intéresse, mais qu’il ne faut pas en tirer la conclusion que l’oeuvre de Heide tout entière est à jeter. Je n’ai rien écrit de ce genre. Mais je trouve singulier que ces deux interprètes de Heide mettent en question un point central, un pilier de l’oeuvre de Heide. Or, un pilier, cela soutient et si vous l’enlevez… Cela me fait penser à une réflexion de Wittgenstein (vous aurez l’occasion de le lire si vous préparez l’agrégation l’an prochain). Il reconnaît que sa façon de philosopher est négative, qu’elle montre la fragilité de certaines constructions philosophiques, et qu’il aurait aimé être plus positif. Et puis, il ajoute qu’en fait, ce qui s’écroule n’était sans doute que des châteaux de cartes. Mon professeur de philosophie de khâgne m’a dit un jour, quand je lui ai fait part de ma perplexité à propos du style emphatique de Heide (vous voyez, ma perplexité ne date pas d’aujourd’hui): « Oui, tout ce tralala pour si peu de choses. »
    Bien à vous
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 29/06/2006 à 10:51 | Répondre | Modifier
  36. Juste un mot à M. Mislin:

    1°) Sur la technique. Le point que vous soulevez est délicat, en particulier lorsque vous parlez de techniques animales. La question est de savoir si les primates les plus évolués (le chimpanzé particulièrement) sont capables de techniques au sens propre, ie non pas simplement d’utiliser une pierre comme marteau, mais de transformer une pierre pour s’en servir de marteau (ou de rendre pointu un bâton et non pas simplement de ramasser un bâton pointu). Je sais qu’on a découvert récemment dans des groupes de chimpanzés (en République de Guinée, je crois) des comportements qui sembleraient s’approcher d’un schème de construction d’outils ; la découverte en tous cas est très récente, s’il est vrai qu’elle invite à poser des questions tout à fait capitales.
    Cependant, en ce qui concerne Heidegger, son but est précisément de montrer que la technique moderne comme mode de pensée échappe au schème traditionnel de l’outil, et ceci à partir… D’une méditation de longue haleine de la Physique d’Aristote. Sur ce point, je vous renvoie à l’ouvrage de JP Milet, L’absolu technique (ed. Kimé), lequel a ses défauts, mais aussi ses mérites.
    2°) Sur la métaphysique telle que la thématise Heidegger : il est évident que ce qu’il dit des auteurs de la tradition ne saurait se substituer à une approche plus « universitaire », entendons par là plus conforme aux canons des interprétations — de même qu’on ne saurait réduire Kant ou Platon à ce que Nietzsche en dit (et en fait !). La solution consiste peut-être à voir que Heidegger ne fait pas et ne prétend pas faire de l’histoire de la philosophie, mais poser une oeuvre originale à partir de laquelle on peut relire ce qui a précédé sous un nouveau jour (comme Nietzsche, du reste !)
    3°) Il ne se trouve pas un seul auteur de la tradition philosophique (pas même Platon) qui n’ait été critiqué par personne. Rapporter les propos de Bouveresse sur Heidegger (qu’il connaît fort mal) n’est donc ici d’aucune utilité, parce qu’il s’est toujours trouvé des gens avec assez d’aplomb pour dire que Wittgenstein était creux, Hegel verbeux, Fichte enragé, Kant stérile, Nietzsche fou, Platon et Aristote morts et enterrés, etc.
    4°) Sur Grondin, vous pointez là encore une véritable difficulté d’interprétation. Je ne partage pas sa lecture ; au reste, Grondin est bien plus intéressé par le « premier » que par le « second » Heidegger (curieux tout de même que cette distinction, si fréquente dans les lectures universitaires, ne soit jamais invoquée ici). La question est la suivante : en quel sens Heidegger parle-t-il de « dépassement » de la métaphysique ? Notons qu’il y a deux termes qui se succèdent : Überwindung / Verwindung. Là encore, la référence à Nietzsche s’impose d’elle-même : il ne s’agit pas de dire qu’il faut dépasser la métaphysique, mais qu’il ne faut pas laisser la métaphysique se dépasser elle-même, et que c’est là précisément qu’a lieu le « danger » (cf. le rapport nihilisme passif / actif chez Nietzsche). Quoi qu’il en soit, la métaphysique n’est pas pour Heidegger, cela est certain, un passé à dépasser. Cf. ce qu’il dit d’Aristote et de Platon (et qui n’est en rien une admiration béate) : ils sont encore devant nous, et non derrière, parce qu’ils contiennent des possibilités qui dans les faits n’ont pas encore été développées (c’est cela, l’impensé).
    5°) Sur le rapport entre métaphysique et progrès scientifique et technique, je me permets de vous renvoyer à une petite conférence faite par un non-spécialiste de Heidegger (et qui lui était assez hostile en fait), texte insuffisant certes, et qui commet quelques graves contresens, mais qui pointe l’essentiel : il s’agit de la conférence de Koyré publiée dans ses Etudes d’histoire de la pensée philosophique, et intitulée « De l’influence des conceptions philosophiques sur l’évolution des théories scientifiques ». Le contenu en est discutable, bien sûr, mais il ne me semble pas absurde de part en part.

    On me pardonnera, je l’espère, de me contenter de renvoyer à d’autres livres — mais le temps fait défaut, et le lieu ne se prête pas aux longues explications.

    P Teitgen

    Rédigé par : Pierre Teitgen | le 29/06/2006 à 12:35 | Répondre | Modifier
  37. Bonjour Monsieur Teitgen,
    Tout d’abord, je voudrais vous remercier pour la patience que vous avez prise d’adresser à un béotion de la philosophie des remarques que je trouve très éclairantes.
    1) En ce qui concerne la « technique » animale, vous imaginez bien que pour nous comportementalistes, la question n’est pas aisée non plus. Aucun de nous ne prétend que même les chimpanzés, nos frères phylogénétiques (!), pratiquent la technique (technê pris dans le sens d’Aristote de « fabrication », « art » comme on disait chez nous au Moyen-Age)comme nous. Ce serait grotesque. Certains parlent de proto-technique, qui peut même déboucher sur une proto-culture, quand telle pratique est transmise socialement. Ce que j’ai regretté depuis mon enfance, c’est pour cela que je me suis intéressé à l’étude du comportement animal, c’est l’ignorance, mais aussi un certain sentiment de supériorité que nous adoptons souvent dans notre culture à l’égard des animaux. Je me suis souvent demandé si nous ne serions pas plus humains les uns à l’égard des autres si nous respections mieux l’animalité, et donc « notre » animalité.
    2)Vous montrez que tous les philosophes ont été critiqués. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Cela est pour moi plus réjouissant que décevant: aucun ne peut prétendre au statut de dominant, et c’est tant mieux, vous ne trouvez pas?
    3) Je ne comprends pas dans quel sens Heidegger enploie ici le terme Verwindung: mon allemand , c’est celui de tous les jours, et pour moi verwinden signifie éviter, se remettre de. Est-ce qu’il faut entendre que Martin considère qu’il ne faut pas se laisser déborder par la métaphysique? Si c’est cela, j’ai envie de dire que ce n’est pas notre métaphysique qui risque de nous dépasser, mais certaines pulsions inscrites dans les méandres de notre cerveau. Pardonnez-moi, mais je suis neurobiologiste et, grâce aux neurosciences, nous mesurons de mieux en mieux comment notre cerveau assure la genèse de nos comportements. Or, comme la technologie est un phénomène cumulatif chez les humains, nous sommes devenus avec le temps de redoutables prédateurs, pour nous et pour les autres espèces. Je ne suis pas persuadé que « le retour à l’être » soit une solution concrète, excusez-moi, pour calmer le jeu, si du moins, nous sommes en mesure d’arrêter une pareille évolution qui, dans son fond, n’est pas de notre fait. Des millions d’espèces ont disparu. Je ne veux pas évidemment faire du catastrophisme, ce n’est pas mon genre. Mais je partage avec la plupart des hommes d’aujourd’hui un certaine inquiétude. Or, comme je suis un spécialiste du comportement de peur, et que celui-ci est un système de défense, j’ose espérer que « la peur est le premier pas de la sagesse » comme on dit dans mon pays.
    4) Vous ne partagez pas l’interpétation de M. Grondin: c’est votre droit le plus sacré, si je puis dire, car c’est le droit démocratique! Nous sommes bien ici dans le domaine de l’interprétation. Comme personne ne peut prétendre avoir raison tout seul, seul le dialogue peut nous tirer d’affaire. Mais ce n’est pas à un philosophe que je vais apprendre les vertus du dialogue, ce serait d’un ridicule achevé. Simplement, croyez-moi, nous les scientifiques, nous sommes dans le même bateau (je ne dis pas galère, car je ne suis pas d’humeur noire!)et nous disputons beaucoup, en nous disputant!
    5) Merci pour la recommandation du livre de M. Koyré: j’ai toujours aimé lire ce penseur, mais cet ouvrage, je ne le connaissais pas.
    Encore merci et bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 29/06/2006 à 17:43 | Répondre | Modifier
  38. « Oui, tout ce tralala pour si peu de choses. »
    Je constate que celui qui passe le plus de temps à écrire sur Heidegger en ces lieux n’est autre que celui qui le méprise le plus , on ne sait véritablement de quel lieu…

    Rédigé par : Stéphane Domeracki | le 29/06/2006 à 18:25 | Répondre | Modifier
  39. Suite à des difficultés techniques je publie un commentaire de C. A. Lamy.
    .
    Le tour pris par ce blog est quelque peu étrange.
    M. Domeracki, mon but n’a jamais été de décider du statut à donner à l’ensemble de l’oeuvre de Heidegger. Je lis simplement ce qui s’est dit durant les débats, et il s’est dit des choses inacceptables, et en rapport direct avec certains développements de Heidegger. Vous déformez mon nom sur votre site et rappelez que je ne suis pas « étudiant en philosophie ». Le fait est, mais je suis doué d’un entendement, d’une certaine culture, et je sais lire-et en allemand mieux qu’en francais. Cela ne vous suffit-il pas ? Je vous croyais plus philosophe. Je ne vous trouve de ce fait guère aimable, d’autant que lors de notre dernière discussion vous m’aviez semblé plus raisonnable : je vous avais même proposé de continuer l’échange, ce que vous n’avez pas fait.
    Je me suis bien livré à une critique « extrinsèque » aux « idéaux » de certains des pires textes de Heidegger, mais, vous l’avouerais-je ? Je n’ai nulle envie d’argumenter et de dire pourquoi je rejette « l’aristocratie » quand il s’agit de celle du troisième Reich. Autant argumenter pour dire pourquoi la coprophilie ne m’intéresse guère : il y a des choses dont, tout philosophe que l’on puisse être, on a envie de dire qu’elles vont de soi. Ceci ne veut pas dire que d’autres philosophies « aristocratiques » seraient sans problèmes, mais ce n’était pas la question. Il s’agissait pour moi par ailleurs de signaler les contradictions logiques auxquelles étaient conduites certains et certaines dans leur volonté de sauver tout Heidegger. Les contradictions abondent dans le texte de Servanne Jollivet, j’en ai relevé quelques unes.
    J’avoue il est vrai, après ce qu’elles ont écrit, ne plus rien attendre de mesdames Malabou, Dastur et Jollivet.
    Par contre, je me suis dit que certains professeurs convoqués sur internet par des « défenseurs » de Heidegger dont la défense constitue la pire des incriminations n’étaient pas au courant des propos qu’on leur attribuait.
    MM. Courtine, Franck, etc., disent-ils que le « Blubo » n’est pas nazi ? Que la mise à l’agrégation de Heidegger suffit à résoudre le problème de son nazisme ?
    Je lis pour la première fois un commentaire un peu posé de Pierre Teitgen, et qui plus est poli à l’égard de M. Misslin. Peut-être M. Teitgen voudra-t-il revenir sur ses propos les plus inacceptables ? Ce serait un bien pour lui et pour tous.
    Ce que cite M. Er (qui a par ailleurs raison de retrouver dans mon texte certaines de ses analyses) est terrible. Qui peut nier qu’il y a une récupération de pans de l’oeuvre de Heidegger par le pire, et que plus d’un propos à avoir été tenu sur internet ou ailleurs viennent le soutenir ?
    Christoph A. Lamy.

    Rédigé par : Skildy pour C. Lamy | le 29/06/2006 à 23:15 | Répondre | Modifier
  40. M. Domeracki,
    cette « biographie » de Jünger à la sauce révisionniste n’est pas juste, et vous vous en doutez, mais je vous remercie de votre geste.
    Je m’en étonne quelque peu dans la mesure où vous me ressortez l’argument typiquement d’extrême droite, et selon lequel ceux qui critiquent des documents nazis ou révisionnistes et passent du temps sur eux sont en fait fascinés par le nazisme et guidés par des pulsions « peu avouables ». Ce confusionnisme est inacceptable.
    Sachez donc que je n’éprouve aucun plaisir à faire ce travail, et que j’aimerais effectivement passer mon temps à autre chose.
    J’estime avoir cependant quelque chose à montrer, et de ce côté là au moins une page se tourne-pour vous aussi je crois.
    Quant à Derrick, je ne suis pas amateur, mais j’en ai bien vu quelques uns : c’est une représentation plus honnête que la moyenne du travail de police. Derrick évolue dans un univers sans grandeur, gris et moche comme celui où de fait je me suis plongé, et les torts ne sont pas réparés à la fin.
    Mais faire le sale boulot sert tout de même.
    A très bientôt pour ce point,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 30/06/2006 à 00:40 | Répondre | Modifier
  41. Un mot encore à M. Mislin.

    Je ne crois pas, effectivement, que « le retour à l’être soit une solution concrète ». Je ne crois pas non plus qu’il y ait un catastrophisme de Heidegger. L’idée fondamentale est la suivante : au coeur même de notre rapport au monde, aux autres, à nous-mêmes, gisent certaines déterminations métaphysiques fondamentales (le sens qu’a pour nous ce petit mot, « être »). Ce qu’entend dire Heidegger, c’est que notre entente de « être » est héritée, après moult tours et détours, de Platon et d’Aristote (que nous le sachions ou pas), et que nous en demeurons prisonniers pour une large part. Dans cette histoire de la métaphysique occidentale (voilà pourquoi il n’est pas question de l’Inde ou d’autres civilisations : ce problème est d’abord le nôtre, même si Heidegger ne s’interdit pas de regarder du côté de la Chine et du Japon), on assiste à la montée progressive d’une crise, laquelle est bien la crise de la métaphysique elle-même (inutile de dire tout ce qu’ici Heidegger doit à Nietzsche et à la « crise des valeurs du platonisme ») ; la métaphysique se dépasse elle-même dans des entités de plus en plus instables et dangereuses : ce pouquoi il faut tenter de s’en remettre, effectivement (sens courant de verwinden). Sans vouloir rentrer dans des considérations trop techiques, je me contentrai de faire remarquer que verwinden signifie aussi gauchir pour une planche, vriller : nous touchons ici aux considérations extrêment difficiles de Heidegger dans les Beiträge sur le retournement de l’estre et la topologie de l’Ereignis, lequel a bien la forme d’un anneau ou plus exactement… D’un ruban de Moebius (une surface inorientable, donc), laquelle est la clef pour comprendre ce que nous dit Heidegger du « retournement ».

    Quoi qu’il en soit, il est évident (on le sait depuis Thalès et la servante Thrace!) que les propos tenus par Heidegger ici sont techniques et assez étrangers à la sphère de la préoccupation quotidienne. C’est aussi le cas de Kant (quoi de plus incompréhensible que la déduction des catégories ? ). Qu’un texte philosophique résiste à la première lecture, qu’on ait l’impression tenace que « ça ne veut rien dire » ne me semble donc pas du tout une objection. Puisque je m’adresse à un scientifique, je me permets de rappeler qu’il y a un axiome des disciplines interprétatives qui consiste à poser que « cela doit avoir un sens, même si je ne le comprends pas ». Il est évident que la pensée du « second » Heidegger est assez déroutante ; évident aussi qu’elle est en son ordre parfaitement contestable (on ne s’en est au reste pas privé) ; elle n’est cependant pas absurde, loin de là, et elle a même peut-être (qui sait ? ) un pouvoir d’élucidation de phénomènes quant à eux tout à fait concrets et contemporains.
    Un mot pour terminer sur l’animal. Il faut sur ce point rendre justice à Heidegger, lequel n’a cessé de nous avertir du danger du « comparatisme » qui mène à affirmer que l’homme est un animal en mieux (parce qu’il est rationnel, politique, métaphysique) ou l’animal un homme en moins bien. L’animal est à chaque fois parfaitement tout ce qu’il peut être ; et si Heidegger pense effectivement une rupture entre l’homme et l’animal (ce qui là encore est tout à fait contestable), cette différence n’est cependant pas une hiérarchisation, parce qu’il n’y a pas de comparaison possible.

    P Teitgen

    Rédigé par : Pierre Teitgen | le 30/06/2006 à 01:39 | Répondre | Modifier
  42. Un mot également à M. Lamy

    Je ne sais pas pour qui M. Lamy se prend au juste ; je lui conseille en toute amitié de faire preuve d’un peu de modestie et surtout de moins de mauvaise foi, au risque de sombrer définitivement dans le ridicule.

    Que M. Lamy dise « ne plus rien attendre » de Mmes Dastur, Malabou et Jollivet touche en effet au plus haut grotesque — désolé s’il ne s’en rend même plus compte. Il faut croire qu’avoir été publié une fois dans sa vie vous donne des ailes.

    Que M. Lamy me prête à longueur de pages des propos que je n’ai jamais tenus commence d’autre part à m’agacer un peu. Je n’ai jamais, que je sache, prétendu que le Blubo n’était pas un élément intégré par les nazis (encore que le caractère fondamental de cette doctrine chez eux me semble, comme à beaucoup d’historiens, un point extrêmement délicat à traiter) ; j’ai rappelé que le Blubo était un élément par eux récupéré dans un fonds antérieur — ce dont M. Lamy est lui-même convenu, si ma mémoire est bonne. Et puisque M. Lamy fait reproche à Mme Jollivet de ses erreurs de chrolonogie, qu’il commence donc à se demander quand Heidegger fait référence au Blubo, et jusqu’à quelle date ; je l’y ai du reste déjà invité, et il m’a affirmé que ce n’était en aucun cas un point important. Je me permets pour ma part de penser le contraire.

    Le problème est au fond toujours le même : tant qu’on s’obstinera à faire de Heidegger un nazi convaincu, on s’interdira de faire les reproches (graves, pourtant) qu’on pourrait effectivement lui adresser. Il faudrait peut-être commencer à se demander sérieusement (et je maintiens que ce travail n’a pas encore été fait, et surtout pas par E. Faye, qui a seulement contribué à gauchir un peu plus le débat) ce que Heidegger attendait du nazisme, ce qu’il a cru y discerner, pour quelles raisons, quand et pour combien de temps.

    PS. Je trouve assez amusant que M. Lamy, qui se répand en insultes de tous genres, vienne me faire la morale, et s’étonne de ma façon de répondre à M. Mislin. Je ne vois pas pour ma part pourquoi j’attaquerai M. Mislin, qui a toujours su garder une attitude courtoise à mon égard.

    Que M. Lamy commence donc à éponger le lait qui lui coule encore du nez, et qu’il cesse un peu de prendre ce ton grand seigneur qui sied si bien à l’ignorance ; nous pourrons en reparler après. Comme le disait Vialatte dans un proverbe Bantou de son invention, « Plus le singe monte haut, et plus il montre son derrière ».

    P Teitgen

    Rédigé par : Pierre Teitgen | le 30/06/2006 à 02:05 | Répondre | Modifier
  43. Mosieur Lamy, ce que je condamne est que comme Er vous ne retenez de Heidegger que ce qui vous arrange, en ne mettant par exemple en avant que les textes ayant rapport au nazisme (alors qu’ils s’adressent d’ailleurs le plus souvent en vérité à toute l’ère du Gestell)et que ses interrpètes les moins fréquentables. Ne voulant certes pas être mélangés avec ces brebis gâleuses, les professeurs d’université ont bien raison de se méfier dans la mesure où vous deux ne cessez de faire des tentatives de rapprochement idéologiques sitôt que quelqu’un ose atténuer les propos unilatéraux de Faye et consorts. A vouloir peu ou prou amender toute lecture de Heidegger , en passant à la moulinette des questions biaisées de grands interprètes (dont certains furent ou sont mes professeurs), vous vous empêtrés un peu plus à chaque fois dans la voie du discrédit; Pourquoi croyez vous qu’AUCUN ne vous a répondu? Ce n’est pas parce qu’ils seraient gênés par vos quesitions rhétoriques qui ont déjà tranchées avant tout débat. C’est évidemment parce qu’il n’y a rien à répondre. Heidegger fut nazi. Ce n’est pas bien. Oui! Mais les propos avancés dans le sens d’un rejet intégral de son oeuvre ne sont jamais convaincants parce que comme l’a dit Pierre Teitgen ici même, on s’interdit de penser le rapport réèl de Heidegger au national-socialisme. Ce rapport en est un tourmenté, qui ne se joue pas sur le plan de l’idéologie (comme par exemple de l’antisémitisme dont aucun texte ne fais l’apologie alors que RIEN ne l’en ampêchait ;lui qui voyait bien le Reich durer mille ans!). Que Heidegger ait bien fait ça et là quelques compromis infâmes avec le régime , personne ne le nie. Que , par contre, il ne comprenne le nazisme que comme le mode destructeur et infâme d’être au monde que nous connaissons tous (après coup , c’est plus facile) , cela est fort discutable. Ce que Heidegger voulait , c’était une révolution pouvant se conformer aux exigences de la nouvelle vérité de l’être , à savoir celle de la Machenschaft, du Gestell, de la technique. Je ne dirai jamais qu’il faut le suivre lorsque , dans le Spiegel , il appelle à douter sur les capacités de la démocratie à relever ce défi. Par contre j’en prend bonne note. Non sans réticence, mais sans l’excommunier de la philosophie comme le font certains bien-pensants trop heureux de pouvoir exhiber là leur vacuité. Heidegger voit et propose des choses extra-ordinaires. Plus que jamais inactuel, lui qui l’a toujours été (jen suis sûr , même en 1933), il ne peut guère que se faire attaquer continuellement par ceux fiers de toujours marcher sur les clous (à savoir , prôner l’humanisme ,les penseurs affables, la haine de ceux sensés être « haineux »…etc)
    Ne vous demandez-vous jamais autrement qu’en les insultant pourquoi tant de chercheurs et de passionnés de philosophie tiennent autant au message heideggerien? Cela est-il forcément le fait de 1-Une propension à l’adoration béate 2-une propension fasciste 3-une inconséquence « logique » 4- Une habitude sectaire? Toutes ces renvois auxquels commencent à s’habituer ceux qui daignent défendre Heidegger pourrait aussi bien s’appliquer à ceux qui font sur ces forums des apologies de la camisole chimique en particulier et de l’oubli de l’être en général? L’économie de marché entre démocraties est-il l’avenir des hommes? Rien n’est moins sûr, à l’heure où Russie et surtout Chine commencent à montrer les crocs aux charmants démocrates américains. Il me semble qu’à l’heure des mobilisations à venir, tous les écrits de Heidegger sur le Domination et la cybernétique sont d’une actualité criante, n’en déplaise à ceux éffarouchés par le moindre propos un peu rude , incapables de faire le tri , toujours obnubilés par les nécéssaires scories qui accompagnent son oeuvre. J’aurais bien voulu voir certains membres du groupuscule anti-Heidegger tâcher de décrire ontologiquement , (en Allemagne, sous un régime écrasant impitoyablement tout ce qui s’opposait à lui),le monde qui s’ouvrait à eux dans les années 30. Diable! Si seulement Heidegger avait pu dire plus clairement son dégoût des exactions qui accompagnent le nihlisme européen, plutôt que de l’avoir seulement décris sèchement, avec sang-froid! La description ontologico-historiale est selon moi pourtant la plus digne chose que pouvait faire quelqu’un qui avait « honte » (cf lettre à Jaspers) de s’être mouillé avec de tels criminels : s’en tenir au rêgne de la pensée, et ne pas s’épancher en excuses qui auraient été d’autant plus abjectes que l’auteur a lui-même contribué à l’avènement de son établissement. Mais qu’auriez vous voulu de Heidegger? La vérité est que vous ne voulez rien de lui , sinon de servir de punching-ball à vos petites aigreurs et à vos petites fureurs d’éditorialistes du dimanche, qui ne publieront certes jamais quoi que ce soit qui marquera mêmel’histoire de la littérature « secondaire ».

    Rédigé par : Stéphane Domeracki | le 30/06/2006 à 11:46 | Répondre | Modifier
  44. Bonjour monsieur Teitgen,
    Merci, une fois encore, pour vos réponses. Je crois que la difficulté que j’ai à vraiment trouver un intérêt à la pensée de Heidegger (et cela ne signifie aucunement que je veux dire que cette pensée n’est pas intéressante, c’est pour cela que je lis avec intérêt les personnes qui en parlent, pour m’assurer que je ne passe pas complètement à côté), c’est qu’elle m’apparaît comme un écho à celle de Nietzsche, en ce sens que ces deux oeuvres incarnent, pour moi, ce que j’appellerai (pour faire bref, et ne pas vous ennuyer) une crise de confiance existentielle, une sorte de dépit amoureux par rapport à leur temps, donc une souffrance, l’impossibilité d’un accord, et en même temps l’appel vers la foi et l’amour de la vie. Tous les deux, me semble-t-il, expriment, de façon paradigmatique,la déchirure que la modernité a introduite dans notre rapport à la vie. Ce que les deux ont nommé la mort de Dieu symbolise bien ce déchirement. (G. de Nerval, mon poète préféré, a su à mes yeux exprimer de manière saisissante ce désastre affectif). Simplement, je lis plus aisément Friedrich que Martin, et, je le reconnais sincèrement, Nietzsche éclipse trop, il est trop brillant, pour tout dire! Mais, pour rire avec Nietzsche (car il me fait souvent rire aux larmes), ceci n’est pas un fait, mais une interprétation. Bien sûr qu’il n’y a pas de fait, mais qui supporte cela? Peut-être Martin avait-il du mal à le faire, d’où cette obsession être/étant qui m’est complètement étrangère, car ça me suffit amplement de tenter de découvrir encore et toujours de nouvelles apparences. Peut-être ne savait-il pas danser, comme Nietzsche… Mais peut-être que j’écris des bêtises.
    Je vous salue bien amicalement, puisque c’est ce sentiment que vous m’inspirez
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 30/06/2006 à 16:02 | Répondre | Modifier
  45. Bonjour monsieur Domeracki,
    comme Pécuchet s’est reconnu parmi ceux (?) qui sur ce blog font l’apologie de la camisole chimique et l’oubli de l’être, je ne peux que répondre que sur le ton de la farce (car je ne trouve pas d’autre forme quand je suis confronté à des conneries trop hénaurmes): je voudais pouvoir vous appeler Bouvard, mais je ne le peux pas, car Bouvard avait des connaissances et vous, vous en manquez cruellement. Désolé.
    Et malgré tout, cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 30/06/2006 à 16:39 | Répondre | Modifier
  46. Bonjour monsieur Domeracki,
    comme Pécuchet s’est reconnu parmi ceux (?) qui sur ce blog font l’apologie de la camisole chimique et l’oubli de l’être, je ne peux que répondre que sur le ton de la farce (car je ne trouve pas d’autre forme quand je suis confronté à des conneries trop hénaurmes): je voudais pouvoir vous appeler Bouvard, mais je ne le peux pas, car Bouvard avait des connaissances et vous, vous en manquez cruellement. Désolé.
    Et malgré tout, cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 30/06/2006 à 16:40 | Répondre | Modifier
  47. Il n’est pas vraiment besoin d’écrire deux fois les mêmes sornettes. plus sérieusement, je m’accorde à peu près avec ce que vous venez d’écrire sur le couple Nietzsche/Heidegger. A part que moi je sais comment goûter à l’un et à l’autre, ayant su comprendre l’apport indéniable à la pensée de la « découverte » de la différence ontologique, et de la critique de la persistance insurrectionnelle. Pour ce qui est du rire, oh oui cela va être un vrai bohneur de relire Nietzsche pour l’agrégation, même si l’esprit de sérieux risque fort de ternir les aphorismes les plus explosifs qu’il nous a offert. « Offert » : qu’avons nous fait de ce cadeau?…Quels sont ceux qui , dans la littérature du XXeme siècle ont selon vous réceptionnés de manière féconde « la » pensée nietzschéenne? Oh , ce n’est certes pas là une question rhétorique pour faire dire que l’interprétation heideggerienne de son oeuvre est incontournable (même si c’est le cas).
    J’ai une autre question à vous poser, monsieur Misslin, qui a finalement complètement trait à l’oeuvre nietzschéenne, au bout du compte. Comment , selon vous, peut il encore être réservé à un espace authentique au sacré, à la pièté , à l’heure où les représentations objectivantes et techniques font que même ces attitudes ne sont plus guère que des « postures », malhonnêtes ou obsolètes? En faisant l’hypothèse, qu’effectivement, « Dieu est mort »,et à l’heure de la possible destruction de toute l’humanité (l’arsenal nucléaire existant dépasse l’entendement) quel sort souhaitez vous, voulez-vous pour l’humanité future? S.D.

    Rédigé par : Stéphane Domeracki | le 30/06/2006 à 22:01 | Répondre | Modifier
  48. 3/
    Je poursuis mon analyse du numéro 4 de la revue «la pensée libre». L’auteur, M. « Maximilien Lehugeur », est présenté comme un normalien de la rue d’Ulm titulaire d’une agrégation d’histoire et d’un DEA de philosophie, comme nous l’avons vu. Le problème est qu’il n’y a nulle trace d’un quelconque Maximilien Lehugeur (un nom qui sonne quelque peu empire) dans l’annuaire des anciens élèves de l’ENS Ulm. Impossible pour un ancien de ne pas figurer dans « l’archicubier », donc soit M. Lehugeur ment sur ses titres, soit il s’agit d’un pseudonyme. Nulle trace nulle part d’un « Maximilien Lehugeur », l’hypothèse du pseudonyme s’impose donc, en particulier au vu d’un nom qui sonne quelque peu « anachronique » pour reprendre une expression chère à M. « Lehugeur » comme à Nicolas Plagne, qui lui est bien rentré en lettres rue d’Ulm en 1989, a bien une agrégation d’histoire et a bien un DEA de philosophie. M. Plagne est inscrit en thèse depuis le 01.12/1996 à l’université de Valenciennes (directeur Gérard Abensour) sur le thème « Origine, identité, destin de la Russie. Mémoire des origines russes et ses enjeux du début du XVIIIème siècle à nos jours dans la société russe. » (discipline : histoire ; mots clés : conscience nationale, historiographie, identité nationale, mémoire, nation, Russie, slave, URSS, viking, varegue ; code thèse 9605416V). Ceci collerait avec une soutenance de DEA en 1995, dont « Maximilien Lehugeur » parle p. 10-11 du numéro de « la Pensée libre » :
    « En 1995, alors que je mentionnais le nom de Heidegger pendant une soutenance, les deux universitaires de mon jury (un hégélien et un épistémologue), se croyant -mais qui ne s’y croit ?!- au fait du cas Heidegger (l’uniforme SA, le salut nazi à tout propos, notamment en cours, l’entêtement dans l’erreur après 1945, le « silence ») s’exclamèrent : « il avait ça dans le sang » ! Drôle de formule pour des maîtres de philosophie humaniste ! ».
    Par ailleurs, Nicolas Plagne a écrit sur Parutions.com plusieurs recensions dithyrambiques des livres du négationniste Claude Karnooh (co-rédacteur en chef de « La pensée libre ») sur l’Europe de l’Est, et sait lui aussi au besoin convoquer un auteur « juif puisqu’il faut montrer patte blanche »(« Réponse d’un certain Nicolas Plagne, historien, à un certain philosophe… »p. 12, sur le site « Parolesdesjours »).
    Mais cela n’est pas le plus déterminant. Ce qui l’est beaucoup plus, c’est le fait que la « recension » du livre de M. E. Faye que Nicolas Plagne a publiée sur le site « Parutions.com » (mise en ligne le 6 mai 2005) est constituée pour une bonne part de passages et d’argumentaires identiques à ceux que l’on trouve dans le numéro de la Pensée libre (n°4, avril-mai 2005). Compte tenu des dates de publication, un plagiat est très peu probable. Reste l’hypothèse statistiquement non impossible qu’il y ait une deuxième personne normalienne de la rue d’Ulm et titulaire d’une agrégation d’histoire et d’un DEA de philosophie qui ait travaillé avec M. Plagne. Mais ce qui n’est pas mathématiquement impossible n’est pas le plus réaliste.

    Suit une copie des passages en question. On indique d’abord le passage dans la « recension » de Nicolas Plagne dans Parutions.com (« L’introduction de la chasse aux sorcières en philosophie ») puis celui dans le numéro 4 de la revue « La pensée libre » (Heidegger, objet politique non identifié, avril-mai 2005) rédigé par « Maximilien Lehugeur ». Le premier est noté « Plagne », le second « «Lehugeur».

    Dès la première ligne :
    Plagne :
    « Le public cultivé français est rarement informé de l’édition de grands livres sur l’oeuvre de Martin Heidegger. » p.1
    « Lehugeur » :
    « Le public français est rarement informé de l’édition de grands livres sur l’oeuvre de Martin Heidegger, mais il a été abreuvé de compte-rendus élogieux sur l’ouvrage d’Emmanuel Faye (…) » p. 1

    Plagne p. 1 :
    « Il n’est certes pas impossible de philosopher à côté de la pensée de Heidegger, voire contre elle, mais il est impossible de ne pas prendre en considération ce qu’elle dit, pour la dépasser, si c’est possible, ou l’écarter en connaissance de cause. L’auteur d’Etre et temps (1927), de Kant et le problème de la métaphysique (1929), Introduction à la métaphysique (1935), Qu’appelle-t-on penser ? (1951-52) ou encore du Principe de raison (1954-55) a d’ailleurs suscité une importante littérature de commentaires, à laquelle ont participé les grands noms de la philosophie. Pourtant c’est toujours le « scandale Heidegger » qui fait la une des pages culturelles quand on daigne s’intéresser à cet auteur majeur, enseigné partout dans le monde. »
    « Lehugeur », p. 6, affirme que Heidegger est du fait de « l’affaire » devenu cette année un auteur « d’oral de l’agrégation » (alors qu’il a été mis à l’écrit), ce qui rappelle un peu les candeurs de M. Plagne lorsque dans une autre recension sur Parutions.com il se trompe sur l’identité du président de la dite agrégation en affirmant la même chose :
    « Il n’est certes pas impossible de philosopher à côté de la pensée de Heidegger, voire contre elle, mais – ne serait ce qu’à titre de retour critique sur la tradition métaphysique européenne ou l’interrogation sur les présupposés de la conscience « moderne » (son inconscient très actif, son « ombre »), il est impossible de ne pas prendre un moment sérieusement en considération ce qu’elle dit, pour la dépasser, si c’est possible, ou l’écarter en connaissance de cause. L’auteur d’Etre te temps (1927), de Kant et le problème de la métaphysique (1935), de Qu’appelle-t-on penser ? (1951-52) ou encore du Principe de raison ( 1954-55) a d’ailleurs suscité une importante littérature de commentaire, de qualité et d’originalité variable (Heidegger est devenu depuis quelques années un auteur de programme d’agrégation en France, et cette année -grâce au mauvais livre d’Emmanuel Faye – d’oral de l’agrégation ; enfin, il devient partout depuis des décennies un sujet banal de thèse de doctorat), mais à laquelle ont participé les grands noms de la philosophie contemporaine. »

    Plagne p. 2 :
    « Non-juif, il n’avait aucun besoin de fuir ; patriote si on veut « nationaliste », d’esprit communautaire et social, il adhérait sincèrement au principe d’une refondation « nationale et socialiste » non-marxiste voire anti-marxiste. Dans un entretien posthume, il reconnaît avoir commis « une grosse bêtise » (eine grosse Dummheit) ce qui peut s’actualiser en « belle connerie », mais Heidegger était bien élevé. Le terme n’est pas faible pour un homme qu’on dit arrogant et correspond à ses responsabilités réelles. »
    « Lehugeur » p. 87 :
    « Non-juif, Heidegger n’a aucun besoin vital de fuir (certains Juifs, les anciens combattants par exemple, restèrent d’ailleurs en assurant le pouvoir nazi de leur dévouement à la patrie et de leur fidélité au gouvernement) ; patriote (il se dit « national » dans un sens pacifique mais pas « nationaliste »), d’esprit communautaire et social, il continue d’adhérer sincèrement au principe d’une refondation « nationale et socialiste » non marxiste voire anti-marxiste » et p. 62 : « Dans un entretien publié en 1976 après sa mort et accordé au Spiegel, parlant de son engagement de 1933-34, il reconnait avoir commis une « grosse bêtise » ou « imbécillité » (« eine grosse Dummheit »), ce qui peut s’actualiser en « belle connerie », mais Heidegger était bien élevé. Le terme n’est pas faible pour un homme qu’on dit arrogant et correspond à ses responsabilités réelles. »

    Plagne p. 2-3 :
    « Thomas Mann hésita à rentrer en Allemagne pour ne pas perdre son public (il fallut la haine des nazis, l’autodafé public de ses livres et la pression de ses enfants pour qu’il coupât définitivement les ponts avec l’Allemagne, le pays de sa langue), tandis que les émigrés expérimentaient le déclassement et l’isolement culturel de l’apatride. On lira à ce sujet l’excellent Weimar en exil de J.M. Palmier, admirateur de Heidegger et d’Adorno et l’une des bêtes noires d’Emmanuel Faye. »
    « Lehugeur » p. 71-72 :
    « Thomas Mann hésita à rentrer en Allemagne pendant les premiers mois de 1933 et évita d’attaquer de front le nouveau gouvernement pour obtenir l’autorisation de rentrer et de publier, afin de ne pas perdre son public (il fallut la haine des nazis, l’autodafé public de ses livres et la pression de ses enfants pour qu’il coupât définitivement les ponts avec l’Allemagne, le pays de sa langue), tandis que les émigrés expérimentaient le déclassement et l’isolement culturel de l’apatride. On lira à ce sujet l’excellent Weimar en exil de JM Palmier, admirateur de Adorno et l’une des bêtes noires d’E.Faye. »

    Plagne p. 3 :
    « Rappelons avec Georges Goriely (1933 : Hitler prend le pouvoir, éd complexe) que les démocrates de l’étranger, sauf les communistes et une partie des socialistes, virent généralement en Hitler un mal nécessaire, un rempart contre la révolution communiste voire un exemple de révolution pacifique et une expérience de socialisme national capable de sauver le peuple allemand de la crise de 1929, dont nous n’imaginons même plus le caractère dévastateur pour l’Allemagne (voir l’article de Leon Blum dans Le populaire, qui salue l’élection du petit peintre viennois, y voyant une victoire contre l’obscurantisme réactionnaire du conservatisme militaro-prussien ; de même firent Breton et les surréalistes non-communistes). Pour beaucoup, Hitler était le Mussolini qu’il fallait à l’Allemagne ! Souvenons-nous que le libéral Lloyd George vint rendre visite à Hitler à Berchtesgaden en 1935, en sortit très impressionné et vanta ce « Georges Washington » ! Avant d’abdiquer, Edouard VIII d’Angleterre qui se voulait un roi social mais anti-communiste admirait la politique économique de Hitler contre le chômage ! »
    « Lehugeur » p. 80-81 :
    « Rappelons avec l’historien belge Georges Goriely (1933 : Hitler prend le pouvoir, Édit. Complexe) à propos de la fascination exercée par Hitler (cet homme, dit Heidegger, qui en changeant le destin de l’Allemagne change celui du monde, en provoquant partout l’étonnement et en retenant l’attention) que les démocrates de l’étranger, sauf les communistes et une partie des socialistes, virent généralement en Hitler un mal nécessaire, un rempart contre la révolution communiste voire un exemple de révolution pacifique et une expérience de socialisme national capable de sauver le peuple allemand de la crise de 1929, dont nous n’imaginons même plus le caractère dévastateur pour l’Allemagne. Même Léon Blum en 1932 chef de la SFIO, qui va bientôt en 1933 faire exclure les « néo-socialistes » Déat et Marquet pour leur trop grande compréhension à l’égard du fascisme, salue dans un article publié dans Le Populaire le soutien des masses allemandes au « petit peintre viennois » (l’année 1932 voit les nazis à leur apogée « légale » aux législatives et Hitler porté au second tour de la présidentielle), comme une victoire populaire contre l’arrogance de classe de la bourgeoisie allemande et l’obscurantisme réactionnaire du conservatisme militaro-prussien ; de même firent Breton et les surréalistes non-communistes, ainsi Dali, cas le plus connu de fascination pour Hitler et bientôt pour Franco. Pour beaucoup, comme le roi d’Angleterre Edouard VIII en 1936, Hitler était le Mussolini qu’il fallait à l’Allemagne et une source d’inspiration dans la lutte contre la misère de masse, alors que Travaillistes et Conservateurs échouent devant la Crise ! »

    Plagne p. 3-4 :
    « Heidegger n’était pas démocrate libéral mais soucieux du bien-être du peuple (le Volk), or Hitler réduisit spectaculairement le chômage en rendant confiance au pays. Il incarna un moment l’idée d’un Etat hiérarchisé, autoritaire (la tradition allemande de service), respecté à l’extérieur (les vainqueurs de 1918 lui accordèrent ce qu’ils n’avaient pas donné à Weimar et durent accepter la fin du Diktat de Versailles) et moins « classiste » dans la sélection des nouvelles élites : Heidegger était fils de tonnelier sacristain et souhaitait une société méritocratique plus égalitaire. Sur ces points, le nouveau régime lui paraissait une voie allemande (ni individualiste bourgeoise à la française ni égalitariste communiste) de communauté organique proche des thèses de Fichte et de Hegel. Faye surinterprète donc la notion de Volk et le sens de l’adjectif « völkisch », en les ramenant au sens racial nazi, car ces notions ont une longue histoire dans le romantisme allemand auquel Heidegger se rattache ici ! »
    « Lehugeur » p. 84-85 :
    « Pour comprendre pourquoi Heidegger pouvait mettre un espoir dans le gouvernement du Troisième Reich, il faut rappeler sans anachronisme le bilan des premières années de ce gouvernement. Heidegger était soucieux du bien-être du peuple (das Volk), dans une conception sans doute élitiste de la société, de type grec ou aristotélicien, mais qui défendait le droit pour chaque membre de la communauté nationale à une place selon ses talents propres et son travail. Encore fallait-il donner aux gens la possibilité de travailler. Or Hitler réduisit spectaculairement le chômage en rendant confiance au pays. Son État, social de nom, redonna du travail au peuple comme aux jeunes diplômés au chômage, désespérés par la crise. Dirigés par des anciens combattants, des soldats, des hommes venus du peuple, dirigé par un Führer venu de la petite bourgeoisie, cet État apparaissait moins « classiste » dans la sélection des nouvelles élites : Heidegger était fils de tonnelier sacristain et souhaitait une société méritocratique plus égalitaire. Il ne voulait pas la simple restauration de la société d’ordres héréditaires et de classes de 1941 et cela le distingue de la droite nationaliste monarchiste des Junkers (aristocratie terrienne légitimée en caste militariste). Sur ces points, le nouveau régime lui paraissait une voie proprement « allemande » (ni individualiste bourgeoise à la française ni égalitariste communiste) de communauté organique proche des thèses de Fichte et Hegel. E.Faye surinterprète donc la notion de Volk et le sens de l’adjectif völkisch, en les ramenant au sens racial nazi, alors que ces notions ont une longue histoire dans le romantisme allemand auquel Heidegger se rattache ici. »

    Plagne p. 4-5 :
    « Heidegger par gros temps, le livre (absent de la bibliographie) de Marcel Conche, un de nos principaux philosophes vivants, qui sait ce qu’il doit à l’influence de Heidegger mais le critique à l’occasion sans polémique tapageuse, résume bien les choses : Heidegger a eu « son » nazisme en partie imaginaire, un pari sur l’évolution du Mouvement qui pour lui portait une part de réponse pratique et idéologique aux défis de l’époque. Mais il s’en est écarté de plus en plus, en faisant la critique radicale mais philosophique dans ses cours, au point que nombre de témoins ont dit leur embarras devant les messages codés du professeur dans un contexte de répression et d’espionnage. Conche et d’autres avaient déjà pointé les graves défauts de méthode et les distorsions factuelles inadmissibles du livre de Farias (1987), qui instruisait à charge contre Heidegger sur-interprétant dans un sens hitlérien tout ce qui pouvait être ambigu dans ses paroles, ses écrits et ses actes, en refusant à sa prudence les circonstances atténuantes du contexte politique (Farias a pourtant fui la dictature de Pinochet !) et surtout du contexte de l’oeuvre elle-même. Mais ce qu’on n’arrivait pas à prouver, c’était le racisme et le biologisme de Heidegger, un point fondamental du nazisme réel. »
    « Lehugeur » p. 77-78 :
    « Le livre (absent de la bibliographie d’Emmanuel Faye) de Marcel Conche Heidegger par gros temps, (Cahiers de l’Egaré, 2004) un de nos principaux philosophes vivants, qui sait ce qu’il doit à l’influence de Heidegger mais le critique à l’occasion sans polémique tapageuse, résume bien les choses : Heidegger a eu « son » nazisme en partie imaginaire, un pari sur l’évolution du Mouvement qui pour lui portait une part de réponse pratique et idéologique aux défis de l’époque. Mais il s’en est écarté de plus en plus, en faisant la critique radicale mais philosophique dans ses cours, au point que nombre de témoins ont dit leur embarras devant les messages codés du professeur dans un contexte de répression et d’espionnage. Conche et d’autres avaient déjà pointé les graves défauts de méthode et les distorsions factuelles inadmissibles du livre de Farias Heidegger et le nazisme (1987), qui instruisait à charge contre Heidegger en sur-interprétant dans un sens hitlérien tout ce qui pouvait être ambigu dans ses paroles, ses écrits et ses actes, en refusant à sa prudence les circonstances atténuantes du contexte politique (Farias a pourtant fui la dictature de Pinochet !) et surtout du contexte de l’oeuvre elle-même. Mais ce qu’on n’arrivait pas à prouver, c’était le racisme et le biologisme de Heidegger, un point fondamental du nazisme réel. »

    Plagne p. 5-6 :
    « Bien après Karl Löwith, étudiant et disciple juif allemand de Heidegger et devenu le critique de Nietzsche et Heidegger comme penseurs nihilistes, Faye souligne son « décisionnisme » et le met en relation avec sa fréquentation du juriste nazi et théoricien de l’Etat Carl Schmitt. Certes, mais décisionnisme n’est pas nazisme ! La théorie de la souveraineté de Schmitt garde, malgré Faye et Zarka (qui publie une attaque contre Schmitt au même moment), une puissance conceptuelle qu’a bien montré JF Kervegan (Hegel, Carl Schmitt et l’Etat, PUF). Que l’Etat en temps de guerre révèle sa potentialité totalitaire de mobilisation totale au nom de lui-même, comme incarnation du bien collectif de la communauté, c’est ce que la Première Guerre mondiale a montré aussi à propos des démocraties ! On croit relire certains procès de Rousseau ou de Marx. Faye, comme un roi perse antique, tue le porteur des mauvaises nouvelles pris pour responsable de la réalité qu’il décrit. Faye devrait savoir que Machiavel a suscité l’horreur de ses contemporains, notamment des naifs ou des hypocrites et bien plus tard des jésuites, pour avoir dévoilé la vérité de la politique sans la confondre avec la morale. Cela suffisait à passionner l’homme de concepts et penseur de l’être qu’était Heidegger. Quant à s’indigner que la politique soit un rapport « ami-ennemi » dans les situations-limites de danger pour l’Etat (salut public), cela nous renseigne sur les voeux pieux de l’auteur plus que cela ne réfute Schmitt, car, à l’expérience de notre présent, cela demeure la base de l’action internationale (et parfois de politique intérieure) de tous les États. Que Heidegger dise qu’un Etat (même nazi) est fondé à éliminer ses ennemis jusque dans ses concitoyens en cas de trahison, en définissant pour lui-même ce qu’il attend de ses membres et en « inventant » ses ennemis, cela n’a aucun rapport nécessaire avec un éloge de la Gestapo ou des déportations, encore moins avec l’antisémitisme ! »
    «Lehugeur» p. 48-49 :
    « Bien après Karl Löwith critique de Nietzsche et Heidegger comme penseurs nihilistes, E. Faye souligne le « décisionnisme » et le met en relation avec sa fréquentation de Carl Schmitt. Certes oui, mais décisionnisme n’est pas nazisme ! La théorie de la souveraineté de Schmitt garde, malgré Faye et Y. C Zarka (qui publie par hasard une attaque contre Schmitt au même moment), une puissance conceptuelle qu’a bien montrée J.F. Kervégan (Hegel, Carl Schmitt. Le politique entre spéculation et positivité, 1992 PUF). Que l’État en temps de guerre révèle sa potentialité totalitaire de mobilisation totale au nom de lui-même, comme incarnation du bien collectif de la communauté, c’est ce que la Première Guerre et la Seconde Guerre mondiales ont montré à propos des démocraties ! On croit relirecertains procès de Rousseau ou de Marx. Faye, comme un roi perse antique, tue le porteur des mauvaises nouvelles pris pour responsable de la réalité qu’il décrit. Faye devrait savoir que Machiavel a suscité l’horreur de ses contemporains, notamment des naïfs ou des hypocrites et bien plus tard des jésuites, pour avoir dévoilé la vérité de la politique sans la confondre avec la morale. Cela suffisait à passionner l’homme de concepts et penseur de l’être qu’était Heidegger. Quant à s’indigner que la politique soit un rapport « ami-ennemi »dans les situations-limites de danger pour l’État (salut public), cela nous renseigne sur les voeux pieux de l’auteur plus que cela ne réfute Schmitt, car, à l’expérience de notre présent, cela demeure la base de l’action internationale (et parfois de la politique intérieure) des États, de tous les États. Le décisionnisme n’est donc pas du nazisme. Que Heidegger dise qu’un État (même national-socialiste) est fondé à éliminer ses ennemis jusque dans ses citoyens en cas de trahison (« L’ennemi est celui-là, est tout un chacun qui fait planer une menace essentielle contre l’existence du peuple et de ses membres. L’ennemi n’est pas nécessairement l’ennemi extérieur et l’ennemi extérieur n’est pas nécessairement le plus dangereux. Il peut même sembler qu’il n’y a pas d’ennemi du tout. L’exigence est alors de trouver l’ennemi, de le mettreen lumière », dit excellemment Heidegger dans un des séminaires incriminés par E.Faye et cité avec horreur par R. P. Droit), en définissant pour lui-même ce qu’il attend de ses membres et en « inventant » ses ennemis ( « de le mettre en pleine lumière ou peut-être même de le créer, afin qu’ait lieu ce surgissement contre l’ennemi et que l’existence ne soit pas hébétée»), cela n’a aucun rapport nécessaire avec un éloge de la Gestapo ou des déportations, encore moins avec l’antisémitisme !»

    Plagne p. 6 :
    « La vérité est qu’il s’agissait bien plus d’une critique non-marxiste de l’individualisme abstrait (du capitalisme aussi) d’où l’intérêt pour cette approche d’un penseur comme Gérard Granel qui n’eût de cesse de tisser la phénoménologie du capital de Marx et celle de la technique de Heidegger. »
    « Lehugeur » p. 43-44 :
    « d’où l’intérêt de cette approche pour un penseur comme Gérard Granel qui n’eût de cesse de tisser la phénoménologie du capital de Marx et celle de la technique de Heidegger. »

    Plagne p. 6 :
    « Cette vision de la condition humaine est discutable pour des philosophes mus par la foi (les théologiens objectent que l’homme est créé et aimé) mais avant la foi il y a la finitude et l’existence sur fond de mortalité et d’effacement des choses temporelles : Heidegger avait le portrait de Pascal sur son bureau. »
    « Lehugeur » p. 44 :
    « Cette vision de la condition humaine est discutable pour des philosophes mus par la foi (les théologiens objectent que l’homme est créé et aimé), mais avant la foi, il y a la finitude et l’existence sur fond de mortalité et d’effacement des choses temporelles :Heidegger avait le portrait de Pascal surson bureau (…)»

    Plagne p. 7 :
    « Disons même que Lévinas, l’un de ses tout premiers adeptes enthousiastes en France n’a jamais soupçonné, ni avant la guerre ni après, que Sein und Zeit eût pu être un texte protonazi ! De même, que les lectures-commentaires faites pendant la guerre à Lyon par deux résistants, Joseph Rovan (d’origine juive et remarquable germaniste) et Jean Beaufret, ne leur ont pas fait apparaître en pleine occupation la nature pré-nazie des textes de Heidegger qu’ils avaient à leur disposition. »
    « Lehugeur » p.45-46 :
    « Disons même que Lévinas, l’un de ses tout premiers adeptes enthousiastes en France n’a jamais soupçonné, ni avant la guerre ni après queSein und Zeit eût pu être un texte protonazi ! De même, que les lectures-commentaires faites pendant la guerre à Lyon par deux résistants, Joseph Rovan (d’origine juive et remarquable germaniste) et Jean Beaufret, ne leur ont pas fait apparaître en pleine occupation la nature pré-nazie des textes de Heidegger qu’ils avaient à leur disposition. »

    Plagne p. 7-8 :
    « A ce sujet, on lit que le NSDAP, peu intéressé par le détail de la pensée heideggerienne, relativisait les critiques contre Heidegger de collègues philosophes bien plus zélés que lui, sachant que des disputes théoriques doublées d’animosités personnelles les opposaient. Que le Parti ait estimé que Heidegger était « fiable politiquement » pendant la guerre signifie-t-il pour nous que Heidegger était partisan des camps d’extermination ? Cela signifie seulement que Heidegger était tenu pour un « intellectuel » prestigieux, qui n’encourageait pas clairement ses étudiants à l’insoummission et qui restait un patriote, un critique radical du marxisme, du communisme et du matérialisme libéral anglo-saxon, consacrait ses cours à des gloires nationales comme Hölderlin et Nietzsche ou à de vieux textes grecs. Les accusations de subversion de certains collègues laissaient les services du Parti froids. C’est peut-être de quoi Heidegger voulut demander pardon à Jaspers en lui disant sa honte dans une lettre fameuse d’après-guerre. »
    « Lehugeur » p. 67-68 :
    « A ce sujet, on lit aussi que le NSDAP, peu intéressé par le détail de la pensée heideggerienne, relativisait les critiques contre Heidegger de collègues philosophes bien plus zélés que lui, sachant que des disputes théoriques doublées d’animosités personnelles les opposaient. Que le Parti ait estimé que Heidegger était « fiable politiquement » pendant la guerre signifie-t-il pour nous que Heidegger était partisan des camps d’extermination ? Cela signifie seulement que Heidegger était tenu pour un « intellectuel » prestigieux, qui n’encourageait pas clairement ses étudiants à l’insoumission et qui restait un patriote, un critique radical du marxisme, du communisme et du matérialisme libéral anglo-saxon, consacrait ses cours à des gloires nationales comme Hölderlin et Nietzsche ou à de vieux textes grecs. Les accusations de subversion de certains collègues laissaient les services du Parti froids. C’est peut-être de quoi Heidegger voulut demander pardon à Jaspers en lui disant sa honte dans une lettre fameuse d’après-guerre. »

    Plagne p. 8 :
    « Se basant sur des notes de cours, Faye prétend d’ailleurs prouver que Heidegger était un mauvais professeur, qui ne comprenait rien à certains de ses sujets de lecons, par exemple sur la dialectique chez Hegel ! Ici il s’agit d’une grossière exagération à partir de quelques notes. Tous les témoignages de ses meilleurs étudiants, Gadamer, Biemel, Hannah Arendt, Elisabeth Blochmann, même Löwith et plus tard les membres du séminaire du Thor, s’opposent à cette assertion de Faye. Ces étudiants exemplaires, dont la plupart firent une brillante carrière universitaire ultérieurement, reconnaissent tous l’extraordinaire talent pédagogique dont les cours et les séminaires était l’exercice même de la pensée la plus rassemblée, en public. Et même en admettant que ce cours sur Hegel ait été réellement bâclé, ne savons-nous pas qu’on ne peut juger un professeur sur ses « jours sans » ? Professeur lui-même, M. Faye devrait l’admettre sans difficulté… »
    « Lehugeur » p. 90-91 :
    « Se basant sur des notes de cours, il prétend prouver que Heidegger était un mauvais professeur, qui ne comprenait rien à certains de ses sujets de cours, par exemple sur la dialectique chez Hegel ! Ici il s’agit d’un pur mensonge ou si on préfère d’une grossière exagération à partir de quelques notes. Tous les témoignages de ses meilleurs étudiants, Gadamer, Biemel, Hannah Arendt, Elisabeth Blochmann, même Karl Löwith et plus tard les membres du séminaire du Thor, s’opposent à cette assertion de Faye. Ces étudiants exemplaires, dont la plupart firent une brillante carrière universitaire ultérieurement, reconnaissent tous l’extraordinaire talent pédagogique dont les cours et les séminaires était l’exercice même de la pensée la plus rassemblée, se donnant dans son propre mouvement en public. Et même en admettant que ce cours sur Hegel ait été réellement bâclé, ne savons-nous pas qu’on ne peut juger un professeur sur ses « jours sans » ? Je me demande si les cours de M. Faye sont toujours admirés de ses étudiants! »

    Plagne p. 9 :
    « Preuve de nazisme, Heidegger aurait selon Faye exalté la technique tant que le nazisme triomphait et serait tombé dans l’obscurantisme antitechnique à partir des défaites de Hitler ! Or tout lecteur sérieux sait que Heidegger a critiqué la Technique dès ses cours sur Nietzsche avant la guerre et qu’il a toujours essayé de concevoir un rapport équilibré à la nature sans rejet de la science et de la technique, en soulignant l’origine cartésienne (sur le plan métaphysique) du projet de domination absolue de la nature. Que ce projet soit illusoire et dangereux est aujourd’hui une banalité ! Une partie du nazisme a été à la suite du romantisme aux origines de l’écologie, ce qui repose la question du sens de l’engagement de Heidegger et des raisons de son éloignement du nazisme. Quant au fait que Heidegger se complaise dans la pensée obscure des présocratiques, refusant le soleil de la raison platonicienne, autre vieux procès caricatural, la vérité est qu’il cherche à comprendre comment naissent la philosophie et la tradition occidentale avec leur recherche de l’origine absolue des choses (cause ultime, fondement) et leur pente au systématisme. Pour Heidegger, le fond de l’être est abyssal. Sa conception historiciste de la métaphysique (qui a joué un rôle dans l’histoire ultérieure de la philosophie et des révolutions cognitives) s’allie à une méditation encore ignorante de son but (« Chemins qui ne mènent nulle part » ou « de traverse » en quête de la lumière d’une clairière) portée par un souci de dépassement du « nihilisme » (la disparition du sacré). »
    « Lehugeur » p. 94-95 :
    « Preuve de nazisme, Heidegger aurait selon E. Faye exalté la technique tant que le nazisme triomphait et serait tombé dans l’obscurantisme antitechnique à partir des défaites de Hitler ! Or tout lecteur sérieux sait que Heidegger a critiqué la Technique dès ses cours sur Nietzsche, dès la fin du Rectorat, avant la guerre et qu’il a toujours essayé de concevoir un rapport équilibré à la nature sans rejet de la science et de la technique, en soulignant l’origine cartésienne (sur le plan métaphysique) du projet de domination absolue de la nature. Que ce projet soit illusoire et dangereux est aujourd’hui une banalité ! L’obscurantisme dans la peau ? Le goût de l’archaïque et du barbare ? Quant au fait que Heidegger se complaise dans la pensée obscure des présocratiques, refusant le soleil de la raison platonicienne, autre vieux procès caricatural, la vérité est qu’il cherche à comprendre comment naissent la philosophie et la tradition occidentale avec leur recherche de l’origine absolue des choses (accuse ultime, fondement) et leur pente au systématisme. Pour Heidegger, le fond de l’être est abyssal. Sa conception historiciste de la métaphysique (qui a joué un rôle dans l’histoire ultérieure de la philosophie et des révolutions cognitives) s’allie à une méditation encore ignorante de son but (« Chemins qui ne mènent nulle part » ou « de traverse » en quête de la lumière d’une clairière, die Lichtung) portée par un souci de dépassement du « nihilisme » (la disparition du sacré). »

    Plagne p. 10 :
    « On peut certes s’interroger sur le sens de ces textes ou des phrases de cette époque : tentation ou simples concessions à l’idéologie dominante officielle ? Heidegger qui fréquenta certains anthropologues racistes était sans doute intéressé par la question des fondements scientifiques de ces théories, qui existaient, et de longue date, hors d’Allemagne et tentaient de s’opposer à l’universalisme. Il s’agissait de proposer une théorie des processus historiques et des facteurs d’histoires différentes. N’était-ce pas une façon de la mettre en question ? »
    « Lehugeur » p. 41 :
    « On peut certes s’interroger sur le sens de certains textes ou de certains phrases de cette époque : tentation ou simples concessions à l’idéologie dominante officielle ? Heidegger qui fréquenta certains anthropologues racistes était sans doute intéressé par la question des fondements scientifiques de ces théories qui existaient, et de longue date hors d’Allemagne (en particulier en Suède et aux États-Unis), et tentaient de s’opposer à l’universalisme. Il s’agissait de proposer une théorie des processus historiques et des facteurs d’histoires différentes. N’était-ce pas une façon de la mettre en question ? »

    Plagne p. 10-11 :
    « Il est certain qu’il y a chez lui un attachement à l’idée de culture nationale fondée dans la langue et un imaginaire collectif (le Rhin, la germanité mythologique, etc.) et qu’il a pu considérer certains Juifs comme culturellement enracinés dans un cosmopolitisme de diaspora : Faye biologise à l’excès sur des bases fragiles voire grotesques ce nationalisme herdérien pour s’en indigner et destituer Heidegger du nombre des philosophes pour cela. »
    « Lehugeur » p. 34 :
    « Il est certain qu’il y a chez Heidegger un attachement à l’idée de culture nationale fondée dans la langue et un imaginaire collectif (le Rhin, la germanité mythologique, la figure du Poète national Hölderlin, etc.) et qu’il a pu considérer certains Juifs comme culturellement enracinés dans un cosmopolitisme de diaspora : Faye biologise à l’excès sur des bases fragiles voire grotesques ce nationalisme herdérien pour s’en indigner. »

    Plagne p. 11 :
    « Au lieu du « juge Faye », ne doit-on pas laisser les vrais philosophes créateurs de notre temps comme Sartre, Merleau-Ponty, Reiner Schürmann et parmi eux nombre de penseurs « juifs » comme Lévinas, Arendt ou Derrida inspirer notre jugement, par leurs dettes avouées et leurs usages de sa pensée ? Faye semble ignorer que Jaspers lui-même (marié à une Juive, en froid avec Heidegger et critique de certains aspects de sa pensée) demanda peu après la guerre le retour dans l’enseignement de ce philosophe « indispensable à l’université allemande ! » »
    « Lehugeur » p. 106 :
    « Au lieu du « juge Faye », ne doit-on pas laisser les vrais philosophes créateurs de notre temps comme Sartre, Merleau-Ponty, Reiner Schürmann et parmi eux nombre de penseurs « juifs » comme Lévinas, Arendt ou Derrida inspirer notre jugement, par leurs dettes avouées et leurs usages de sa pensée ? Faye semble ignorer que Jaspers lui-même (marié à une Juive, en froid avec Heidegger et critique de certains aspects de sa pensée) demanda peu après la guerre le retour dans l’enseignement de ce philosophe « indispensable à l’université allemande ! » »

    Plagne p. 11 :
    « Il faut noter l’absence de grands noms dans la bibliographie : sont-ils nazis ou imbéciles les Biemel, Wahl, Haar, Grondin, Granel, Vattimo, Birault, et tant d’autres parmi ses commentateurs et ses traducteurs ? N’aurait-on pas eu besoin de leurs lumières ? Leurs travaux prouvent qu’il est absurde de réduire la pensée de Heidegger à sa période de proximité avec le nazisme. Il est vrai que Faye, et c’est fort inquiétant, accuse de « révisionnisme » (après le bluff et le montage, le terrorisme intellectuel) les défenseurs de Heidegger, qui osèrent contredire les procès en crypto-nazisme que sont les « scandales Heidegger ». »
    « Lehugeur » p. 106 :
    « Il faut noter l’absence de grands noms dans la bibliographie : sont-ils nazis ou imbéciles les Biemel, Wahl, Haar, Grondin, Granel, Vattimo, Birault, et tant d’autres parmi ses commentateurs (Koyré) et ses traducteurs ? N’aurait-on pas eu besoin de leurs lumières ? Leurs travaux prouvent qu’il est absurde de réduire la pensée de Heidegger à sa période de proximité avec le nazisme.
    Il est vrai que le jeune Dr Faye, et c’est fort inquiétant, accuse de « révisionnisme » (après le bluff et le montage, le terrorisme intellectuel) les défenseurs de Heidegger, qui osèrent contredire les procès en crypto-nazisme que sont les « scandales Heidegger ». »

    Plagne p. 12-13 :
    « De deux choses l’une : ou l’oeuvre de Heidegger est distincte du nazisme et stimulante pour la pensée, et il est absurde d’en priver les étudiants (qui doivent apprendre à penser) et de la qualifier de nazie ; ou elle est intrinsèquement nazie et les universités sont remplies de nazis, de crypto- et paranazis ou d’imbéciles ! E. Faye prétend que l’oeuvre publiée est le fruit d’une autocensure après 1945 : il est étrange que les intellectuels qui jugèrent le cas Heidegger en 1945 pour la dénazification n’aient pas connus les fameux documents (qui devaient être accessibles), mais si on envisage cette hypothèse, les oeuvres révisées depuis 1945 ne sont donc plus nazies et c’est pourtant ce que leur reproche encore Faye ! On ne comprend pas pourquoi, si ces archives avaient été aussi compromettantes Heidegger ne les eût pas fait disparaître de ses archives. Naïveté ou opération concertée de démolition/diffamation mise en scène par Faye après le ratage de Farias ?
    Le livre se termine par une définition moralisante de l’espace de la philosophie, qui feint d’ignorer qu’on fait rarement de la bonne philosophie en étalant ses bons sentiments et sa vertu outragée. A ce compte, il faudrait retirer des bibliothèques l’oeuvre de Hobbes, en qui on peut voir le chantre du totalitarisme ! Signalons que le politologue antinazi Franz Neumann intitula son étude de l’État nazi Behemoth (1942), qui est aussi un titre de Hobbes ! (Bizarrement Y-Ch.Zarka, autrefois spécialiste de Hobbes, qui n’en demanda jamais l’interdiction et publie aujourd’hui contre Schmitt, bénéficiant des mêmes pages de promotion dansla presse, est signalé en bibliographie par E.Faye ! Il y a des coïncidences !…). »
    « Lehugeur » p. 107-108 :
    « De deux choses l’une : ou l’oeuvre de Heidegger est distincte du nazisme et stimulante pour la pensée, et il est absurde d’en priver les étudiants (qui doivent apprendre à penser) et de la qualifier de nazie ; ou elle est intrinsèquement nazie et les universités sont remplies de nazis, de crypto- et paranazis ou d’imbéciles ! E. Faye prétend que l’oeuvre publiée est le fruit d’une autocensure après 1945 ; or il est étrange que les intellectuels qui jugèrent le cas Heidegger en 1945 pour la dénazification n’aient pas connus les fameux documents (qui devaient être accessibles), mais si on envisage cette hypothèse, les oeuvres révisées depuis 1945 ne sont donc plus nazies et c’est pourtant ce que leur reproche encore Faye ! On ne comprend pas pourquoi, si ces archives avaient été aussi compromettantes Heidegger ne les eût pas fait disparaître de ses archives. Naïveté ou opération concertée de démolition/diffamation mise en scène par Faye après le ratage de Farias ?
    Le livre se termine par une définition moralisante de l’espace de la philosophie, qui feint d’ignorer qu’on fait rarement de la bonne philosophie en étalant ses bons sentiments et sa vertu outragée. A ce compte, il faudrait retirer des bibliothèques l’oeuvre de Hobbes, en qui on peut voir le chantre du totalitarisme ! Signalons que le politologue antinazi Franz Neumann intitula son étude de l’État nazi Behemoth (1942), qui est aussi un titre de Hobbes ! (Bizarrement Ych. Zarka autrefois spécialiste de Hobbes qui n’en demanda jamais l’interdiction et publie aujourd’hui contre Schmitt, bénéficiant des mêmes pages de promotion dans la presse, est signalé en bibliographie par E.Faye ! Il y a des coïncidences). »

    Plagne p. 13 (dernière phrase) :
    « La question est derechef : pourquoi traiter précisément Heidegger en sorcière démasquée ? Au-delà d’une stratégie personnelle ou collective de promotion, il y a sans doute un contexte idéologique. La clé de tout cela se trouve probablement dans la lecture même qu’Emmanuel Faye, après son père, veut nous interdire. »
    « Lehugeur » p. 108 :
    « La question est derechef : pourquoi traiter précisément Heidegger en sorcière démasquée ? Au-delà d’une stratégie personnelle ou collective de promotion, il y a sans doute un contexte idéologique. La clé de tout cela se trouve probablement dans la lecture même qu’Emmanuel Faye, après son père, veut nous interdire. »

    Par ailleurs, certains éléments de l’argumentation (la référence à Leon Blum par exemple) n’ont été utilisés par personne d’autre au cours des débats que par MM. Plagne et « Lehugeur ». Pour des raisons stylistiques et sans pouvoir en être absolument certain, je pense que la « recension » du site « Parutions.com » n’est qu’une version courte et ultérieure du numéro 4 de la « Pensée libre ». Ainsi p. 8 de la recension une phrase inintelligible (« (…) dont les cours et les séminaires était l’exercice même de la pensée la plus rassemblée en public. ») devient tout de suite compréhensible si on lui ajoute ce que contient le numéro de « la pensée libre » (p. 90-91) : « (…) dont les cours et les séminaires était l’exercice même de la pensée la plus rassemblée, se donnant dans son propre mouvement en public ».

    Quoiqu’il en soit, je pense que M. Plagne doit des explications au public, et de son propre mouvement.

    Rédigé par : Yvon Er | le 30/06/2006 à 22:58 | Répondre | Modifier
  49. Que dire ?
    Pierre Teitgen, vous êtes la preuve d’une collusion entre certains milieux universitaires et Parolesdesjours, et vous vous en vantez. Je connaissais déjà la tolérance de certains qui font passer des thèses enfin délivrées de certaines inhibitions que l’après-guerre nous avait inculquées, à nous autres pauvres humanistes. Ce que vous dites et votre arrogance en la matière confirme assez ce que je savais déjà et ce dont j’avais entendu parler par ailleurs.
    Vous persistez dans le révisionnisme alors que l’on vous offre la possibilité d’en sortir : de fait, quand Heidegger utilise les mots « Blut und Boden » au début des années 30, c’est du nazisme, point.
    J’imagine que ce que je viens de poster ne vous touchera pas non plus. Peu importe, les choses ont le mérite de devenir claires, et c’est tout ce qu’il me restait à espérer de l’as de Carraud…
    un grand bravo néanmoins pour votre Heidegger « lacanisé », on ira loin.
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 30/06/2006 à 23:08 | Répondre | Modifier
  50. A M. Mislin :

    Si Aristote (et, dans une moindre mesure, Kierkegaard et Saint Augustin) ont joué un rôle décisif dans la pensée du « premier » Heidegger, il est incontestable que Nietzsche a eu une part décisive dans la pensée du « second ». Quant à ce que vous dites de Nietzsche — savez-vous que c’est ce qu’affirmait Jankelevitch ? Personnellement, et là encore, je ne partage pas tout à fait cette interprétation, si je conçois parfaitement ce qu’elle vise. Quant à la crise de confiance envers notre temps, elle est évidemment commune à Nietzsche et à Heidegger … Ainsi, sur une modalité qui leur est propre, qu’à Husserl ou à Wittgenstein (et sans doute y a-t-il effectivement de quoi : il faudrait être particulièrement aveugle ou abruti de bonne conscience pour ne pas voir les menaces que le nihilisme est en train de faire planer sur nos existences, rien de moins ! — Au fait, si un rapprochement Wittgenstein – Heidegger vous intéresse, je ne saurai que trop vous conseiller le livre (assez ardu et déroutant quant à sa forme) d’un auteur particulièrement décrié ici, à savoir Gérard Guest. Si vous en avez l’occasion, jetez un coup d’oeil à son Wittgenstein et la question du livre : vous y verrez une tentative de lecture à l’oeuvre puissamment originale, et qui nous change un peu des lectures analyticiennes. Vous me direz ce que vous en avez pensé.

    PS. Je suis heureux de voir un éthologue avoir quelques réserves sur les techniques animales. J’ai lu, ici ou là, des propos d’un inquiétant anthropomorphisme…

    Rédigé par : Pierre Teitgen | le 30/06/2006 à 23:19 | Répondre | Modifier
  51. Monsieur Er,

    Si mon « arrogance en la matière » consiste à pointer votre incurie totale, alors je crois même qu’elle dépasse tout ce que vous pourriez imaginer. Je repose donc une question simple, à laquelle vous n’avez toujours pas répondu : puisque Dastur, Malabou, Guest (je n’ose m’ajouter à cette liste flatteuse) sont des imbéciles et / ou des salauds qui n’ont rien compris, dites-moi, je suis avide de savoir, où vous avez déversé le précieux suc de votre pensée, laquelle fait de l’ombre à tous ces braves gens ? Car enfin, il y a tout de même des moments ou l’esbrouffe ne suffit plus, cher Monsieur. je suis certain qu’un spécialiste comme vous, initié au sens secret des textes, instruit de patientes et nombreuses lectures, a écrit maints articles, participé à quantité de colloques… Et si tel n’est pas le cas, croyez que j’en suis désolé : sans vous, la philosophie française ne serait sans doute que ce qu’elle est.

    Coutinuez, Monsieur Er : nous le savons tous, et vous mieux que personne : le ridicule ne tue pas, pas plus que la bêtise.

    P Teitgen

    Rédigé par : Pierre Teitgen | le 30/06/2006 à 23:32 | Répondre | Modifier
  52. Bonjour Monsieur Teitgen
    Merci pour l’information concernant le livre de M. Guest, Wittgenstein/Heidegger. Je vais me le procurer. Je suis tout à fait d’accord avec vous quand vous écrivez qu’il faudrait être stupide pour ne pas se préoccuper des retombées du « nihilisme ». Je mets ce dernier terme entre guillemets, car il ne convient pas à ma sensibilité, et ce n’est pas cet aspect de l’oeuvre de Nietzsche qui m’intéresse spécialement. Je n’ai pas non plus une grande affinité avec ceux qu’on peut appeler les « réactionnaires » ou les « conservateurs », non pas parce que je ne peux pas comprendre ce genre de posture, mais au contraire, je la comprends trop bien. J’ai étudié pendant des années le comportement néophobique des animaux, il s’agit de robustes systèmes défensifs. J’essaie de résister à l’anthropomorphisme, en revanche, comme vous voyez, j’aurais tendance à faire du zoomorphisme! Quand je nous vois en train de nous chamailler sur le blog de M. Skildy, que je tiens à remercier au passage pour sa grande hospitalité et tolérance, quand je vois partout dans le monde les primates humains se frictionner, je ne peux pas m’empêcher, et tant pis pour Martin, de faire des comparaisons et de trouver des analogies flagrantes avec ce qui se passe dans les groupes de primates, voire ailleurs! Pardonnez-moi, Monsieur, ne me prenez pas trop au premier degré, mais je trouve que les groupes humains, quels qu’ils soient, ressemblent étrangement à des zoo humains (Je pense que M. Sloterdijk pourrait être d’accord avec moi sur ce point).
    En introduction à mon cours de paléontologie humaine, je disais aux étudiants que les humains finalement n’ont pratiqué que trois « formes de vie » et de pratiques économiques, celle de chasseurs-cueilleurs nomades (pendant des millénaires) vivant en petits groupes (démographie: quelques milliers d’êtres), celle d’agriculteurs, artisans, lors de la sédentarisation néolithique il y a 10.000 ans seulement, c’était hier,(démographie: en croissance nette), enfin celle de notre monde industriel (depuis deux siècles, avec une démographie exponentielle explosive). Ces formes de subsistances se sont accompagnées de diverses formes « politiques ». Martin, en bon conservateur,(je ne me moque absolument pas) avait, je crois, la nostalgie du village néolithique (que j’ai bien connu dans mon enfance alémanique!). Notre « challenge » (pour parler comme les footballeurs)c’est comment nourrir ces milliards d’êtres humains, comme leur assurer l’énergie nécessaire, comment faire pour ne pas épuiser les ressources, tout en leur permettant une croissance de leur niveau de vie, de leur bien-être, de leur culture? Je crains qu’une réaction conservatrice du genre moins d’étant et retour à l’être ne soit qu’un rêve, pardonnez-moi, légèrement enfantin, et que seule la technologie soit capable de répondre à un défi aussi impressionnant. Suis-je naïf? Peut-être. Mais je ne sacralise pas la technologie, j’essaie de voir les choses de façon pragmatique. On a beau taper sur le « capitalisme », mais mis à part quelques nostalgiques du communisme, quelques révolutionnaires « progressistes » ou conservateurs attardés, je constate que la plupart des hommes souhaitent adopter le mode de vie des sociétés dites industrielles. On peut toujours parler du déclin de l’occident selon Spengler (et beaucoup de penseurs ont été influencés par lui, dont Heidegger, Wittgenstein ou Kraus). Mais devant une situation aussi menaçante, les postures aristocratiques et rêveuses sont peut-être charmantes et romantiques, mais ici il faudra mettre en oeuvre notre intelligence pratique et une mobilisation considérable. Et je me fierai plus aux penseurs capables de prendre à leur compte ce défi, plutôt qu’à ceux que ce défi fait seulement réagir. Mais, tout cela sans dogmatisme!
    Bien à vous
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 01/07/2006 à 11:43 | Répondre | Modifier
  53. Bonjour monsieur Domeracki,

    je vais répondre brièvement à votre message (30/06/06, 22:01). Peut-être vais-je vous étonner (quoique je doute un peu qu’un petit scientiste, de surcroît « gâteux » (sic et rire!) à vos yeux, puisse étonner un savant comme vous. Mais, je me lance quitte à être ridicule. Dans un livre qui m’a beaucoup intéressé, « L’inconscient cérébral » (Seuil, Paris, 1992), M. Gauchet suggère que si l’inconscient mentaliste de Freud a éclipsé, momentanément le courant organiciste qui a traversé tout le XIXème siècle, c’est grâce à Nietzsche que « le choc fondamental » nous a été transmis au point que les progrès actuels des neurosciences vont peut-être faire que « l’inconscient cérébral pourrait en somme avoir le dernier mot. » C’est le vitalisme organiciste que Nietzsche a hérité de Schopenhauer, mais aussi des physiologistes de son temps qu’il lisait avec passion (voir un livre de Mme Stiegler à ce sujet)qui m’a séduit chez Friedrich. Voici un de ses aphorismes que je préfère: « Ce que l’on attribue communément à l’esprit me paraît composer l’essence de la vie organique; dans les plus hautes fonctions de l’esprit, je ne trouve que des fonctions organiques sublimées… » (« La volonté de puissance I » (§210). Je ne suis pas certain que Friedrich aurait tellement apprécié les sublimations spiritualisantes de Martin.
    Bien à vous
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 01/07/2006 à 13:41 | Répondre | Modifier
  54. J’ai moi aussi cédé dés mes premières lectures de Heidegger à la tentation d’assurer à partir de Nietzsche une critique de la pensée de l’être. Pas de chance pour ce reflexe banal chez tous les lecteurs du penseur de la physiologie , celui ci manque complètement son sujet; en effet, là où la météphysique dans son ensemble se perd effectivement en abstractions et en fétichismes divers (mais procèdant toujours du Même) , la pensée de l’estre elle s’enquiert de ce qui est on ne peut plus « concret », « manifeste » , ce qu’on ne manque pas de lui reprocher lorsque ce manifeste n’est pas au goût de certains sensibilités. Pour ma part , je pense au contraire qu’on peut rapprocher le comportement heideggerien, de s’en tenir à ce qui est avec un certain « scepticisme viril » dont Nietzsche se réclamait, sans céder à l’intellectualisme , au noétique, aux conceptualisations ad hoc, aux constructions de l’esprit.
    Autre point , Monsieur Misslin , je vois que vous venez de dévoiler avec fièreté une autre attitude elle aussi fort banale, celle consistant à accepter en haussant les épaules l’ère ultra-capitaliste où tout est mobilisé pour une Domination de la technique (dû celle ci essayer de nourrir tout le monde -ô douce naïveté!). On ne peut avancer de propos aussi usités et aussi peu à l’écoute de ce qui appelle. Ce qui appelle , si cela doit me faire passer pour un rêveur, tant pis : car c’est là l’aune des chantres du Gestell, de ceux qui ont déjà toutes les réponses pour notre monde, là où le dernier siècle aurait pourtant dû servir de leçon. Mais réjouissez vous Monsieur Misslin, le futur vous donnera probablement raison. Vous pourrez vous en tenir à pousser votre caddie remplit et votre cervelle fannée vers le néant, sans vous faire troubler par quelques poètes hallucinés, et quelques penseurs ayant fait signe vers l’imminence d’une catastrophe. Catastrophe procédant des sociètés « industrialisées ». Vous voilà au bout du compte plus heideggerien que Heidegger lui-même puisque celui ci souhaitait à un moment une « marche au Danger » , une objectivation intégrale de ce qui est , y compris l’homme. Réjouissez-vous! Et continuez , surtout, de rejeter le terme de « nihilisme », celui-ci ne renseignant que sur le conservatisme stupide de ceux qui en ont parlés. Prions ensemble le nouveau dieu! (son nom ,semble-t-il , est « croissance », et ses prêtres sont Aron ,Jean-Pierre Gaillard et Ernest-Antoine Sellière) Qui sait , peut être que le capitalisme qu’il protège nourrira-t-il un jour toute l’humanité?

    Rédigé par : Stéphane Domeracki | le 01/07/2006 à 16:45 | Répondre | Modifier
  55. Cher Monsieur Domeracki,
    Je m’aperçois que je n’ai pas répondu à la dernière question que vous me posiez dans votre message du 30/06/06. Tout d’abord, j’ai déjà écrit ici que je me considérais comme un agnostique, ce qui signifie que toute forme d’athéisme m’est étrangère. Par conséquent, je ne trouve pas que l’attitude religieuse soit à proscrire, ni non plus à promouvoir. Sur ce point, je n’ai pas à me prononcer. Epécho! comme disait, enfin … vous savez qui! Je ne pourrai pas reprocher à Heide sa piété, si effectivement vous trouvez dans son oeuvre l’expression de cette attitude. Ce serait crétin. Comme vous savez, il m’arrive de lire des mystiques rhénans dans le texte, car c’est ma langue vernaculaire et j’y trouve un plaisir exquis.
    Quant au sort de l’humanité, je ne la pose pas en terme de « nihilisme » : je trouve ce terme nietzschéen peu pertinent, pas plus que les concepts de déclin, de déréliction, de décadence: je ne connais pas de périodes dans l’histoire des hommes, ni des civilisations au cours desquelles leur vie était une sinécure. Compte tenu de l’évolution démographique explosive, franchement, comment pourrions-nous répondre à ce défi sans recourir à la technologie? Comment ferions-nous aujourd’hui si nous n’avions pas opté pour le nucléaire? Quand j’entends des gens crier au loup mais sans proposer des solutions alternatives et efficaces, tout en continuant à bénéficier des avantages de la technique, je me dis: bon, c’est l’heure de la récréation. Il y a des gens aujourd’hui qui réfléchissent concrètement pour relever le défi: scientifiques, techniciens, politiques, philosophes. Ce ne sera pas facile, pouvez-vous répliquer. Mais encore une fois, qui dit que la vie est une baignade sans fin dans un lagon chaud des Caraïbes?
    Bien à vous
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 01/07/2006 à 16:49 | Répondre | Modifier
  56. Ce que vous appellez « défi »n’est , aux vues des industriels , qu’un pseudo défi. Le capitalisme se nourrissant justement des malheurs des uns pour tonifier l’économie des autres. Mais ce serait là rentrer daus un débat trop vaste, ce qui apparemment ne vous effraie pas puisque vous semblez avoir déjà planifié les tâches que l’humanité doit se proposer prioritairement , et les moyens dont il doit user pour cela. Je vous le dis: vous êtes plus heideggerien que vous ne le croyez , en tant que vous mêmes appuyez sans ambage la perversité intrinsèque de l’ère hyper-moderne, où l’harmonie et le sacré semblent bien obsolètes à côté du culte de la personnalité, de la puissance technologique, et de l’insurrection du mâitre et possesseur de la nature.

    Rédigé par : Stéphane Domeracki | le 01/07/2006 à 17:34 | Répondre | Modifier
  57. Monsieur Domeracki,
    Mais, que proposez-vous au juste? De revenir en arrière? Mais vers quel arrière? Le paléolithique? Le néolithique? L’Antiquité? Le Moyen-Age? Comment vous nourrissez-vous? Vous ne prenez pas de caddie quand vous allez aux supermarchés? Vous plantez vos tomates vous-même? Vous vous éclairez à la bougie? Ou mieux, vous allumez le bois de votre cheminée avec du silex? Vous élevez des poules? Ou mieux vous chassez, pêchez, cueillez? Vous vous déplacez à pied, sans doute? Vous ne voyagez pas? Si, comment? Pas en avion, ni en train, ni en voiture (quelle horreur). Comment? En bateau? A la voile, alors? Vous n’avez pas de compte en banque, l’argent, pouah! Bref vous êtes un poète. Vous vivez d’inspiration, de rêveries extatiques, qui vous emmènent loin des miasmes de la civilisation à la rencontre fabuleuse de l’Etre de l’Utopie. Bon voyage, mais moi, je ne suis qu’un simple terrien. Quant à « ma cervelle fanée vers le néant » (?), je ne sais pas vraiment ce que vous voulez dire, mais le savez-vous vous-même? Si mon cerveau est fané, le vôtre, je n’ose pas trop me prononcer sur son état, compte tenu de la manière dont vous vous exprimez. Consultez plutôt un spécialiste. A moins que le rôle de ventriloque de Heide vous ravit à ce point. Dans ce cas, vous pouvez faire une carrière au cirque plutôt qu’à l’université. Ce serait peut-être plus lucratif!
    Cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 01/07/2006 à 18:16 | Répondre | Modifier
  58. Cher Monsieur Mislin,

    Je comprends votre position, mais je crois qu’elle repose (ne m’en veuillez pas de ce terme) sur un double malentendu.

    1°) Je ne crois pas que Heidegger ait jamais été « conservateur », et c’est même ce que j’aurais tendance, personnellement, à lui reprocher… Il avait (en tous cas dans les années 1920 et début 30) un petit côté « il faut que ça change » et des sympathies révolutionnaires (il suffit de lire le Discours de rectorat pour s’en rendre compte) qui expliquent à mon avis bien des choses (je vais encore me faire taper dessus, mais ne vous inquiétez pas : j’ai le cuir solide) ; sans doute en est-il revenu par la suite, mais un peu tard à mon goût. Même après, je ne crois pas cependant qu’on puisse assimimiler ses positions à un quelconque agrarisme passéiste à la Méline, loin de là — il ne s’agit pas de conserver le passé à tout prix (Nietzsche nous a appris à quel point ce genre d’attitudes étaient réactives !), mais de poser la question du prix du changement — et de se rendre compte que la facture, peut-être, est un peu salée (à savoir, comme Heidegger, n’en déplaise à certains, le dit clairement : die Menschenvernichtung)
    2°) Sur la technique, il ne fait aucun doute qu’elle parviendra effectivement à résoudre la plupart de nos problèmes, et qu’elle peut, de ce point de vue, être l’objet de toutes nos espérances… C’est justement ce qui inquiète Heidegger : non pas son potentiel destructeur (la question de la technique, pour parler vulgairement, ce n’est pas l’angoisse d’un Terminator !) mais au contraire son trop-plein d’efficace : on n’aura bientôt plus besoin que d’elle, et voilà le danger. D’autant que (le constat est assez facile à faire !) se cache derrière cette efficace une forme particulièrement déchaînée de volonté de puissance, où l’homme veut (à ses risques et périls) s’ériger en « seigneur de l’étant ». Je suis frappé, pour ma part, de l’allergie croissante de nos contemporains à l’âpreté du réel, au fait même qu’il y ait du donné qui nous résiste (nous pouvons désormais décider de la forme de notre corps par un judicieux recours à la chirurgie, les enfants peuvent à présent choisir leur nom de famille, ou faire un procès s’ils jugent leur prénom par trop ridicule, pour ne citer que des anecdotes plaisantes). Ce constat n’a rien de bien original, je le sais : d’autres l’ont fait avant Heidegger, et après lui. Je vous cite pour mémoire un magnifique texte, celui qui clôt la Trahison des clercs de Julien Benda (qu’on ne saurait par ailleurs suspecter d’attachement douteux à la Terre qui elle, c’est bien connu, « ne ment pas »):

    « Nous disions plus haut que la fin logique de ce réalisme intégral professé par l’humanité actuelle, c’est l’entre-tuerie organisée des nations ou des classes. On peut en concevoir une autre, qui serait au contraire leur réconciliation, le bien à posséder devenant la terre elle-même, dont elles auraient enfin compris qu’une bonne exploitation n’est possible que par leur union, cependant que la volonté de se poser comme distinct serait transférée de la nation à l’espèce, orgueilleusement dressée contre tout ce qui n’est pas elle. Et, de fait, un tel mouvement existe ; il existe, par-dessus les classes et les nations, une volonté de l’espèce de se rendre maître des choses et, quand un être humain s’envole en quelques heures d’un bout de la terre à l’autre, c’est toute la race humaine qui frémit d’orgueil et s’adore comme distincte de la création. (…) On peut penser qu’un tel mouvement s’affirmera de plus en plus et que c’est par cette voie que s’éteindront les guerres interhumaines. On arrivera ainsi à une « fraternité universelle », mais qui, loin d’être l’abolition de l’esprit de nation avec ses appétits et ses orgueils, en sera au contraire la forme suprême, la nation s’appelant l’Homme et l’ennemi s’appelant Dieu. Et dès lors, unifiée en une immense armée, en une immense usine, ne connaissant plus que des héroïsmes, des disciplines, des inventions, flétrissant toute activité libre et désintéressée, revenue de placer le bien au-delà du monde réel et n’ayant plus pour Dieu qu’elle même et ses vouloirs, l’humanité atteindra à de grandes choses, je veux dire à une mainmise vraiment grandiose sur la matière qui l’environne, à une conscience vraiment joyeuse de sa puissance et de sa grandeur. Et l’histoire sourira de penser que Socrate et Jésus Christ sont morts pour cette espèce.  » (je rappelle pour mémoire que La Trahison des clercs a été publiée en 1927, la même année que SZ).

    L’originalité de Heidegger tient donc non pas au constat (il suffit pour le faire d’avoir des yeux pour voir !) mais si j’ose dire à son étiologie : le déchaînement de la volonté de puissance (l’humanité qui n’a plus pour Dieu « qu’elle-même et ses vouloirs ») est une conséquence en un sens logique du premier commencement grec de la métaphysique (ce pourquoi d’ailleurs il ne saurait être question pour Heidegger d’un « retour aux Grecs » : nous n’en sommes pas encore sortis !).

    3°)J’ajoute, chemin faisant, un troisième point.
    Sur le rapport tumultueux de Nietzsche au vitalisme, savez-vous qu’il y a un excellent article de W. Muller-Lauter sur le sujet, dans son ouvrage Physiologie de la volonté de puissance ? Je vous le recommande vivement, ainsi du reste qu’à M. Domeraki (je demeure d’ailleurs à sa disposition s’il a besoin de conseils bibliographiques pour l’année prochaine).

    Mais je m’aperçois que les lectures que j’indique enflent dans des proportions inconvenantes… Vous voudrez bien, je l’espère, m’en excuser.

    En vous remerciant de me montrer que parfois, et malgré toutes les différences possibles d’approches et d’interprétation, la discussion est et demeure possible,

    P Teitgen.

    Rédigé par : Pierre Teitgen | le 01/07/2006 à 18:22 | Répondre | Modifier
  59. Bonjour Monsieur Teitgen,
    moi aussi j’apprécie de pouvoir dialoguer avec vous. Merci pour m’avoir signalé le livre de M. Muller-Lauter: je l’ai dans ma bibliothèque et j’ai énormément apprécié sa lecture. Je ne lis pas le concept de « volonté de puissance » de Nietzsche de manière strictement humaniste, je veux dire, comme si cette « volonté » était le propre de l’être humain. Compte tenu de la sensibilité « vitaliste » de Nietzsche, j’interprète ce concept comme un synonyme d’instinct de conservation, ou mieux, comme l’élan vital de Bergson, non comme un instinct de domination pure (même s’il y avait chez Nietzsche aussi des pulsions germaniques!). Nietzsche n’était pas vraiment cartésien, c’est le moins que l’on puisse dire,il ne pouvait donc pas considérer que notre fin était de nous rendre maîtres de la nature, mais que nous partageons avec les autres êtres vivants le destin de « vouloir » ( dans le sens schopenhauerien)persévérer dans l’être comme on dit. Mais peut-être que mon interprétation ne tient pas la route. Dans ce cas, je suis prêt à en accepter une autre si l’on m’en propose une de plus pertinente. Vous savez, monsieur Teitgen, je n’ai pas de certitudes. Je considère que nous procédons par essais et erreurs, que nous bricolons, que nous construisons comme nous pouvons nos raisons de croire, d’espérer, d’aimer, mais aussi de désespérer, de nous révolter. Sans doute parce que comme l’a dit un jour M. F. Jacob, l’évolution est un vaste bricolage, et que nous sommes un des millions d’essais de ce bricolage. J’ai une question: je n’ai toujours pas réussi à vraiment savoir ce que Heidegger pouvait bien proposer pour nous tirer du mauvais pas de ce qu’il appelait le Gestell. Quand les étudiants me demandaient parfois ce que je pensais du problème de la vie, je leur répondais que la vie n’était pas vraiment un problème, mais plutôt un drame, dans le sens antique de ce mot, parfois comique, parfois tragique, et même tragi-comique!.
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 01/07/2006 à 19:17 | Répondre | Modifier
  60. Bonjour Monsieur Teitgen,

    Permettez-moi de revenir à votre précédent message. J’ai bien aimé la citation de J. Benda et je en vous remercie, car elle est effectivement très éclairante pour moi, et surtout écrite … en français et non point en heideggerien (pardonnez-moi, mais j’ai vraiment du mal avec le style de Martin: j’ai beau faire, j’essaie de le lire à petites doses, car très vite, j’abandonne, avec ce pénible sentiment de ne jamais savoir en fait où il veut en venir. Je n’ai ce problème avec aucun autre penseur, fût-il « néo-allemand », pour reprendre l’expression drôle de Kraus). Dans votre commentaire, vous écrivez: « … l’humanité qui n’a plus pour Dieu qu’elle-même et ses vouloirs. » Sans doute touchons-nous ici à la question autour de laquelle tourne ce que les spécialistes appellent le second Heidegger, celui du Gestell. Or, et je comprends beaucoup mieux, grâce à vous et à Benda, mon sentiment à l’égard de Heidegger: c’est que la façon dont il pose cette affaire ne m’intéresse pas, elle est trop loin de mon mode de fonctionner. Les hommes, à mes yeux, n’ont jamais eu pour dieux qu’eux-mêmes, et encore ce n’est pas correct d’exprimer cela ainsi: comme nous sommes des animaux sociaux, qu’il est donc impensable d’imaginer des êtres humains vivant seuls, individuels, je crois qu’il est plus juste de dire que jamais les hommes n’ont vécu autrement que pour défendre en groupes leur existence contre tout ce qui à tort ou à raison est susceptible de menacer leur survie. Vous savez bien, monsieur Teitgen, que les dieux sont de notre invention, mais pas issus de notre volonté selon Descartes, mais du « Wille » selon Schopenhauer et Nietzsche, ce qu’avec M. Gauchet j’appelle l’inconscient cérébral. Vous connaissez mieux que moi ce que Xénophane de Collophon, dans un esprit voltairien avant la lettre, disaient de ces inventions. Et comme nous sommes une espèce territoriale, un des systèmes de défense constant dans toute l’histoire des hommes a été de s’emparer d’un territoire, de le marquer en le délimitant, et d’en interdire l’accès aux autres « bipèdes sans plumes » quitte à s’aventurer dans leur territoire et, si besoin, à les massacrer. M. Godelier, dans son livre « Métamorphoses de la parenté, a décrit de façon très détaillée, pour avoir vécu là-bas un temps, une population traditionnelle de la Nouvelle-Guinée, les Baruya. M. Godelier rapporte que dans son histoire, il est arrivé à ce groupe de liquider entièrement une tribu voisine. Pourquoi je me sens très loin de la façon qu’a Heidegger de poser la question de la technique, mais pas seulement lui, de bien d’autres philosophes, de parler de l’humanité? Parce que je ne surestime pas le pouvoir de notre pensée, je ne crois pas qu’en adoptant la posture qui consiste à surplomber par l’intellect l’histoire d’une culture, comme il le fait avec ce vocabulaire « essentialiste »on comprend mieux que le commun des mortels ce qui nous arrive et ce qu’il cinviendrait de faire pour nous tirer d’un mauvais pas. En procédant ainsi, je crois que nous nous donnons l’illusion, grâce au verbe, de pouvoir saisir la totalité de l’histoire. C’est l’étude du comportement animal qui m’a appris, je l’espère en tous les cas, une forme d’humilité intellectuelle. Nietzsche dit quelque part que les hommes sont « innocents ». Personnellement, je ne mets pas cela sur le plan moral, lui non plus d’ailleurs, mais sans doute voulait-il dire que nous ne sommes pas les maîtres du jeu. Quand on observe comment s’organise la stucturation sociale chez telle ou telle espèce de primates, par exemple, on est fasciné de voir que cette « forme » (pour parler comme Aristote, un penseur majeur pour moi)émerge des interactions individuelles, et il est pour ainsi dire impossible de modéliser cette structure, tant elle résulte de la somme de multiples variables. Nous les humains, nous avons été capables, dans une certaine mesure (et pas dans une mesure certaine) de « mythologicer » certains aspects de notre vivre ensemble (je prends mythe dans les sens large, et le logos y est inclus). Mais comme chez les autres espèces, la structure des groupes humains n’est pas non plus stable dans le temps. D’où les ruptures, entre autres au niveau des mythes (religions, philosophies, idéologies). D’où les tentatives de « re-mythologisation » (souvent on se tourne vers d’anciens mythes censés être plus authentiques, parce que plus anciens: cf la mythologie de la germanitude pré-hitlérienne, cf plus récemment le recours des Serbes à des mythes idéalisants du passé). Tout cela pour dire que les hommes ont toujours dû se débrouiller avec les moyens du bord (qui sont loin d’être ridicules du reste)pour persévérer dans leur être d’Homo sapiens sapiens. Cette aventure dure seulement depuis environ 150 000 ans. Quant à la suite… Inch’Allah! rire)
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 02/07/2006 à 11:35 | Répondre | Modifier
  61. Je ne fais évidemment en aucun cas la promotion de comportement rétrogrades, réacs! (Même si au passage je suis complètement piéton). Heidegger,du reste , non plus! Il ne fait que décrire des faits : il ne prétends pas les amender. Il entrevoit juste une porte de sortie possible mais de plus en plus improbable. Heidegger est celui qui a le courage d’affirmer que la technique n’est pas tant au service de l’homme que l’homme complètement arraisonné; au point notamment que la moindre assertion dépréciative à son sujet passe pour un crime de lèse-majesté. En l’occurence je profite des « bienfaits » du Gestell (dont 95 pour cent sont dispensables: divertissements et divers moyens de rétrécissement du monde). Mais, à la suite de Heidegger ,je pense qu’il ne faut pas être dupe de la direction qu’a prise l’humanité en tâchant de se constituer en tant que souveraine rêgnant sur l’étant. Mais puisque l’optimisme est de « raison », j’imagine que l’arsenal nucléaire , la recherche meurtrière en devellopement militaire , les thérapies géniques à venir et l’émergence de la nanotechnologie seront pour vous d’agréables bienfaits pour les hommes ,qui sauront bien entendu s’en rendre maître grâce à une superbe éthique…Heidegger a su montrer l’insuffisance foncière des ressources métaphysiques et humanistes pour relever le défi de la technique , celui qui nous anéantira physiquement , mais qui a déjà anéanti l’âitre de l’homme , son essence la plus haute : celle qui fait de lui le seul être capable de recevoir de façon féconde ce don le plus haut qu’est le fait qu’ »il y a ». Cette dimension ne peut certes qu’attirer les sarcasmes de ceux qui se battent littéralement pour continuer à pouvoir s’affairer et s’oublier dans l’étant en aggravant la marche au Danger. Heidegger ne critique pas tant ces « très nombreux » (dont je fais partie) : il explique leur nécéssité , l’aspect inéluctable et effrayant (car apparemment illimitée) de cette mauvaise passe, dû à une « malignité de l’être ». Jamais Heidegger ne nie les « bienfaits » relatif aux avancées scientifiques modernes. Mais il constate que cela n’a pu advenir qu’à partir d’un abandon plus haut , ontologiquement parlant. Et surtout , il a le courage d’expliquer en quoi ces bienfaits procèdent aussi de leur envers inavouable : toute la dimension meurtrière que permet l’époque technique. A l’époque où l’homme a bien intégré le fait qu’il est celui qui doit se rendre souverain de ce qui est , il n’est guère étonnant que l’objectivation ait atteint la partie qui aurait pu être intouchable , sacrée : l’homme lui-même. Et vu la cours actuel des choses, que vous semblez bénir, je peux déjà vous annoncer sans risque que les exactions et les catastrophes les plus gigantesques sont encore à venir. Car l’homme n’est pas encore reconnu en sa vraie dignité. Je ne dis pas que j’adhère automatiquement à toutes ce shypothèses heideggeriennes. Mais je dois dire qu’elles ne me paraissent pas complètement absurdes. Elles ne le paraissent qu’à l’aune des conceptions du monde qu’ a justement rejeté Heidegger. C’est son choix. Je ne suis pas sûr qu’il relève tant que ça de l’idéologie, que d’une pensée reondement nmenée jusqu’à ses ultimes conséquences.

    Rédigé par : Stéphane Domeracki | le 02/07/2006 à 11:48 | Répondre | Modifier
  62. Monsieur Mislin,

    1°) Tout à fait d’accord lorsque vous dites que pour Nietzsche, nous ne sommes « pas maîtres du jeu » — voir sur ce point toutes ses critiques de la « superstition grammaticale » d’un sujet substantiel et cause de ses actions / pensées.
    Sur le statut de la volonté de puissance, trois textes me semblent importants pour comprendre : l’aphorisme 36 de Par-delà Bien et Mal (qu’il faut comprendre à partir de l’aphorisme 19, critique du vouloir-vivre schopenhauerien) et le Fragment posthume XI 38 [12]. Il en ressort que Nietzsche lui-même ne résume pas la volonté de puissance à un quelconque « instinct de conservation » (lequel n’en est qu’une conséquence locale et secondaire) : la volonté de puissance comme puissance d’interprétation explique tout ce qui est, jusqu’à l’inorganique ! Mais là, nous nous aventurons dans des questions fort complexes. Je vous recommande sur ce point l’ouvrage de P. Wotling, Nietzsche et le problème de la civilisation, qui propose une explication fort intéressante de ce point.

    2°) Sur le Gestell, la réponse de Heidegger est simple : d’une part, croire que tout est en notre pouvoir, c’est le comble de la pensée technique et calculante : il y a dans cette histoire quelque chose qui nous échappe essentiellement (regardez l’article de Guest dans le dernier numéro de l’Infini sur ce point). D’autre part, Heidegger avoue assez souvent (et assez nettement) son impuissance : il est encore trop tôt pour savoir comment nous en sortir (si nous le pouvons encore). Ce qui est certain, c’est que la tâche primordiale pour préparer une éventuelle solution future, c’est de s’atteler au travail de la pensée, pour méditer le fond métaphysique du Gestell et ainsi penser l’origine du danger comme danger. L’idée aussi (profondément nietzschéenne) que les temps de crise (comme le nôtre) sont décisifs autant qu’incertains, que « là est le danger croît aussi ce qui sauve », et que bien malin serait celui qui pourrait d’avance dire ce qui en sortira.

    3°) Sur le rapport de l’homme aux dieux, la question est effectivement, là encore, fort complexe chez Heidegger. Il est clair en tous les cas (sans qu’il faille nécessairement parler ici de créations imaginaires) que seul un être fini peut se rapporter à l’infini… Et il ne s’agit pas d’espérer en la venue d’un Sauveur divin, contrairement à ce qu’on a pu croire (et que Heidegger a d’ailleurs laissé croire de façon visiblement tout à fait volontaire). L’idée fondamentale est peut-être la suivante : que notre humanité ne soit plus capable d’éprouver le frisson du divin n’est pas nécessairement une libération en soi. On peut comprendre ce phénomène au contraire comme une désappropriation radicale de la finitude : non pas se libérer des anciens mythes et des croyances (utilitaires ? Peut-être!)en Dieu, mais s’ériger soi-même comme Dieu. On peut entendre ce phénomène de façon positive (je pense ici à Feuerbach) ; on peut y voir aussi quelque chose de plus inquiétant : la volonté de puissance sous sa forme la plus déchaînée, l’érection de l’homme en seigneur de l’étant, ce qui s’atteste tous les jours un peu plus, phénomène-de-fond dont nous n’avons sans doute pas fini de payer les conséquences, tant nous sommes loin encore d’en avoir conscience (ne serait-ce même qu’en termes de réchauffement climatique, de l’impact de notre mode de vie délirant sur la biodiversité, etc. : je viens d’écouter ce matin JP Jancovici, qui tenait sur ce point des propos affolants sur nos « esclaves énergétiques et qui soulevait, comme chemin faisant, la question de la capacité de la démocratie à relever le défi immense qui lui est posé).

    Quant aux travaux de M. Godelier, j’avoue que je ne les connaissais pas, et que je les lirai avec intérêt.

    Cela étant, M. Mislin, je suis désolé de voir cette discussion tourner (déjà!) court, et de ma faute : j’ai beaucoup de travail en retard, ce qui m’oblige à abandonner là cet échange, à regrets, parce que je pense qu’il aurait pu en ressortir quelque chose d’intéressant — veuillez, je vous en prie, m’en excuser.

    Pierre Teitgen

    Rédigé par : Pierre Teitgen | le 15/07/2006 à 10:53 | Répondre | Modifier
  63. a) J’ai terminé ma lecture de « Die Heidegger Kontroverse » (Frankfurt am Main, Athenäum, 1988 – textes en réaction au livre de Victor Farias réunis par Jürg Altwegg, qui traite de l’affaire Heidegger dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung).
    Il s’agissait pour moi de comparer les différentes « affaires » Heidegger. De fait, et comme cela a été répété à l’envie, il y a des choses qui se répètent, et notamment des prises de position. GA Goldschmidt est déjà là, Bourdieu aussi, dont la présence aurait été bienvenue dans cette nouvelle affaire qui nous occupe actuellement. Alain Finkielkraut, qui ne parlait alors pas plus l’allemand qu’aujourd’hui, avance qu’il y aurait dans la critique de Heidegger « une forme de stalinisme qui rappelle les années 30 » (p. 108), sans vouloir voir que ce n’était pas de stalinisme qu’il était question. Pour Jürgen Busche « Also gut Heidegger war ein nazi ! » (Plasterstrand du 23 janvier 1988 ; Jürgen Busche a par ailleurs été un des vifs défenseurs de Peter Handke lors de ses récentes prises de position révisionnistes, avec Botho Strauss pour qui le génie a somme toute un droit à l’horreur que les éboueurs eux n’ont pas). Sous-entendu « et alors ? ». C’est que pour lui comme pour Rudolf Augstein (auteur de « Aber bitte nicht philosophieren ! » en 1987 dans le Spiegel, et en 1947 du fameux « Spiegel-Gespräch » avec le philosophe teutomanne) ou pour Henning Ritter (auteur à l’époque d’un « Bruder Heidegger »), la pensée ne saurait être touchée par l’engagement politique. Le fait que ces journalistes aient eu par ailleurs ou au cours des polémiques en question des positions ultra-réactionnaires n’a donc rien à voir avec leur défense de Heidegger. Dans son article du 29 octobre 2005 sur le livre de Emmanuel Faye, Henning Ritter a avancé qu’à tout prendre le nazisme de Heidegger serait moins dangereux que Descartes, ce dernier ayant le tort d’être « zu westlich », trop occidental…il n’y a pas besoin de beaucoup plus de commentaires.
    Le Nouvel Observateur du 22.01/1988 avait par ailleurs publié des extraits de « La fiction du politique » de Philippe Lacoue-Labarthe, qui a heureusement bien évolué depuis. En les relisant je me suis rappelé pourquoi je n’ai pas réussi à aller beaucoup plus loin que la préface de cet immortel ouvrage (préface où il est avancé que Victor Farias n’est somme toute qu’un complot de Jean-Pierre Faye. On peut choisir de rire). P. 122 on apprend ainsi que la prise de parti heideggérienne pour le national-socialisme aurait été une erreur si celui-ci n’avait pas été porteur d’une possibilité que Heidegger a bien vu en lui. P. 123 on apprend que Heidegger s’est trompé en 33, mais qu’en 43 il sait qu’il s’est trompé, « non sur la vérité du national-socialisme, mais sur sa réalité » (réalité et vérité n’ont donc rien à voir…). P. 124 notre penseur nous apprend qu’il entend se limiter à une question de pensée, et qu’il lui semble inutile de revenir aux faits. Puisqu’on vous dit que vérité et facticité n’ont rien à voir… circulez. Notre penseur ne voit pas en quoi être nazi était un crime- je cite la traduction allemande p. 124 : « Ich sehe nicht (…) daß nazi zu sein ein Verbrechen war. Diese Rede kann man politisch führen, und sie ist es, die ich persönlich führe. Aber die Sache bleibt zu denken, und hier sind Anekdoten [sic. Pourquoi pas des « détails de l’histoire »] von keinerlei Hilfe, selbst wenn es Dokumente und Zeugnisse gibt, die meines Erachtens bestürzend sind. » Voilà donc une estimation qui ne saurait être bouleversée par des choses aussi inintéressantes pour elle que l’histoire, l’existence, la réalité, les « documents et témoignages », toutes ces choses pour ploucs positivistes. Cette citation me suffit.
    Notre penseur avait pourtant vu que prendre parti pour le national-socialisme c’était prendre parti pour un racisme : « Indem man sich dem Nationalsozialismus anschloß, für wie kurz auch immer, schloß man sich notwendig einem Rassismus an. » (id.). Mais Auschwitz est la révélation de l’essence de l’Occident, j’imagine donc que le concept de responsabilité individuelle n’a plus cours : « Nicht mehr und nicht weniger als das Wesen des Abendlandes ist es, was sich in der Apokalypse von Auschwitz enthüllt hat » (p. 125). Quand on a prononcé ce genre de phrase, des questions comme « comment, où, qui », n’ont plus vraiment lieu d’être.
    Par ailleurs on peut penser ce que l’on veut de Derrida et de son livre « De l’esprit », mais sa réaction de 1988 (dans un entretien avec Didier Eribon, le Nouvel Obs du 6 novembre) était cependant supérieure à bien des dénégations impossibles que l’on peut encore lire aujourd’hui (Altwegg p. 87, on m’excusera le ridicule qu’il y a à citer la traduction allemande, mais je n’ai rien d’autre sous la main) : « welcher anspruchvoller Leser hat jemals geglaubt, die Rektoratszeit sei eine isolierte und leicht eingrenzbare Episode gewesen ? » Demandant lui même quel lecteur exigeant a jamais pu croire que le rectorat n’était qu’un épisode isolé et facilement délimitable, on aurait pu s’attendre à ce qu’il nous sorte autre chose comme explication du nazisme heideggérien qu’une nouvelle inculpation de la « métaphysique occidentale ».
    Mais mon désappointement le plus grand a par ailleurs été la lecture de l’article de Lévinas, dont avec Bourdieu je regrette le plus l’absence aujourd’hui. Qui d’autre que lui parmi les élèves de Heidegger, sauf peut-être Löwith (et Anders, mais ce dernier en se dégageant presque complètement de son emprise), a vu et décrit le mieux le pire de la pensée heideggérienne ? En 1988 il se contente d’abord de dire lui aussi que dans le livre de Farias de nombreuses informations qui sont données étaient en fait déjà connues, et que d’autres devront être vérifiées : « das Buch von Farias, in dem viele bekannte Informationen wieder aufgenommen werden und zahlreiche andere hinzukommenderen Details gewiß einer kritischen Überprüfung bedürfen » (p. 103). Mais ensuite Lévinas avance pourtant que même « Être et temps » pourrait bien être entaché par « le mal », avant de s’en tirer par une pirouette qui laisse quelque peu sur sa faim, et qui était déjà celle du titre (« Das Diabolische gibt zu denken », le diabolique donne à penser…on a envie de demander « …quoi ? ») : « Was die intellektuelle Stärke in SuZ angeht, so kann dem ganzen immensen Werk, das auf dieses außergewöhnliche Buch von 1926 gefolgt ist, die Bewunderung nicht versagt werden. Kann man aber sicher sein, daß das Böse darin nie auf ein Echo stieß ? (…) Was wollen Sie, das Diabolische gibt zu denken. » Il y a-t-il un lien entre cette esquive, ainsi que le malaise à parler du nazisme de Heidegger (dont témoigne par exemple Marc de Launay, qui avait fait une intervention sur le nazisme de Heidegger à partir du Scheeberger dans le séminaire de Lévinas), et le statut de l’histoire réelle dans la pensée lévinassienne ? Dans un autre registre, D. Janicaud parlait je crois d’ « érotisme de vitrail » pour désigner les descriptions lévinassiennes de la caresse, assez loin il est vrai de l’érotique réelle, mais bon. Je pensais quant à moi au statut de la responsabilité selon Lévinas, qui va jusqu’à voir dans le commandement une exigence de prendre sur soi jusqu’à la culpabilité du bourreau – responsabilité qui va jusqu’à englober celle de mon persécuteur ; ce n’est ici qu’une esquisse, mais je crois que le problème est à creuser.
    Je passe ici sur l’intervention de Pierre Aubenque, qui s’emploie à pointer plusieurs faiblesses du livre de Farias et à rappeler que KO Appel a été nazi (« alors hein pourquoi on nous embête, les analytico-machins aussi »), en faisant semblant d’ignorer le travail de Hugo Ott, déjà disponible à l’époque. Bien pratique.

    Rédigé par : Yvon Er | le 15/07/2006 à 12:16 | Répondre | Modifier
  64. b) J’en viens à l’immortel article de Jean Baudrillard paru dans « Libération » du 29 janvier 1987. « Zu spät ! » dit la traduction allemande, trop tard…
    On assiste, nous est-il dit p. 166 du Altwegg, à un revival du fachisme, du nazisme et de l’extermination des juifs, en ce temps de bilan du siècle (on est encore en 1987, mais le millénarisme n’attend pas…). Après avoir accusé Marx d’avoir couché avec sa bonne, Freud d’être un sexiste, voilà qu’on accuse Heidegger d’avoir été nazi (p. 167 ; ces problèmes sont bien évidemment du même niveau…). Ce souci mémoriel ne tient pour notre penseur qu’au fait que nous voulons nous prouver que nous sommes morts en 1940 et 1945 à Auschwitz et à Hiroshima, et ce parce nous ne serions « aujourd’hui » plus « présents » politiquement et historiquement (sic., p. 167). Parce que la philosophie n’est plus présente, elle devrait prouver qu’elle est devenue muette à Auschwitz. De même, nous est-il dit, les arméniens tentent « en vain » de chercher une preuve « inutile » du fait qu’ils ont été massacrés, une preuve qui « d’une certaine manière déterminée » est insaisissable ; je cite la traduction allemande de cet éternel chef d’oeuvre : « In ähnlicher Weise bemühen sich die Armenier, den Beweis zu erbringen, daß man sie in 1917 abgeschlachtet hat, ein unfaßbarer und überflüssiger Beweis, der aber in einer gewisser Weise unangreifbar ist. » (ibid., p. 167).
    Et pourquoi je vous prie ? Parce que de toutes façons notre réalité, y compris les événements tragiques, est passée dans les poubelles des media, ce qui signifie qu’il est trop tard pour les vérifier et les concevoir (ibid., p. 168).
    On aurait voulu donner un exemple digne d’un manuel de complicité entre le négationnisme le plus bas et l’irrationnalisme « post-moderne » le plus chic et choc, que l’on aurait pas trouvé mieux. Puisqu’on vous dit que des concepts comme ceux de responsabilité, de cause objective, de sens ou de non-sens, ont disparu ou sont en train de disparaître (ibid.)…
    On apprend par la suite que nous vivons dans l’ère de l’échangeabilité bourreau-victime, que nous sommes tous coupables, d’où comment une amnistie ? et que plus on étudie le national-socialisme et les chambres à gaz, moins ils deviennent saisissables : « les événements cessent d’avoir existé », et on en viendra à se demander si Heidegger lui-même a existé, « Eines Tages wird man sich fragen, ob Heidegger überhaupt existiert hat. » (p. 169). En se mettant ainsi lui même un bonnet à clochettes (il finit son article en demandant une pétition pour la suppression des années 90, qui serait « plus intéressante que les pétitions humanitaires »), Baudrillard a sans doute échappé à l’accusation de négationnisme. Mais pourquoi s’est-il senti obligé de jouer au bouffon sur ce thème là ? D’autant que porter cet habit à clochettes et faire lustrer son escroquerie mondaine permet de faire passer des phrases qui rendent moins un bruit de clochettes que de bottes : p. 170 il nous est dit que ce n’est pas la nostalgie du fachisme qui est dangereuse (Finkie nous a bien appris par la suite que l’antiracisme pouvait être plus dangereux que le racisme), et que l’affaire Heidegger, le procès Barbie, ne sont que les convulsions douloureuses d’une perte de réalité : « Faurisson übersetzt ihn nur zynich in die Vergangenheit ». On venait, p. 169, d’apprendre qu’il n’y a pas de punition équivalente à Auschwitz, et que quand la punition est irréelle, les faits le deviennent aussi :
    « Es gibt kein vorstellbares Äquivalent der Bestrafung, und wenn die Strafe irreal ist, werden auch die Fakten irreal » (sic.). Je ne suis heureusement pas sûr que nous soyions passé depuis, en dépit de la prophétie baudrillardienne, à un nouveau stade mythique : « im Augenblick erleben wir jedoch etwas anderes. Was sich jetzt als kollektives Erleben in all den Prozessen, all den Polemischen konfus abspielt, ist der Übergang aus dem historischen Stadium in ein mythisches » (p. 169).
    Pas encore. Tant pis pour lui.

    Rédigé par : Yvon Er | le 15/07/2006 à 12:18 | Répondre | Modifier
  65. c) mais je dois dire que dans la lecture du Altwegg, c’est celle d’un article de Michael Haller, que jusqu’alors je ne connaissais pas, qui m’a permis le plus de préciser mes pensées au sujet de l’évolution des « affaires Heidegger » (Michael Haller, « Die Philosophen-Streit zwischen Nazi-Rechtfertigung und postmoderner Öko-Philosophie », Die Zeit du 29 janvier 1988 ; M. Haller parle quant à lui du travail de H.Ott).
    Disons d’abord que Michael Haller a bien vu cette tendance qu’il y a en Allemagne face à ce type d’affaires, et qui consiste à ironiser en disant que somme toute, « nous autres allemands » nous savions déjà tout cela, quitte à se moquer en passant de ces pauvres français qui se sont fait des films sur le passé de Heidegger (Dieter Thomä a rejoué exactement ce petit jeu dans sa recension du livre d’Emmanuel Faye). A cela M. Haller répond en demandant : et alors, pourquoi cette connaissance est-elle restée sans suites jusqu’à la fin de l’automne 1987 ? Il se moque là-dessus des heideggériens qui quittent le navire à propos duquel ils n’avaient jusqu’alors rien à redire :
    « Unter der westdeutschen Intellektuellen und Publizisten begann die Debatte typisch deutsch, nämlich mit viel Verspätung une einer Belehrung der angeblich ignoranten Franzosen : Vieles von dem, was Farias aufzeigt, sei in Westdeutschland schon seit langem bekannt und darum nichts neues. Das stimmt. Nur : warum blieb dieses Wissen bis zum Spätherbst des Jahres 1987 folgenlos, und warum führt es jetzt plötzlich im Nachklapp der internationalen Debatte zur Fahnenflucht so vieler Heidegger-Vehrerer ? Plötzlich soll der große alte Mann aus dem Schwarzwald, den Besuch zu haben sich etwa Rudolf Augstein stets rühmte, nur ein Schaumschläger gewesen sein, der mit « verbalen Spielereien seinen legitimen Schwindel » trieb, wie es jetzt im Spiegel heißt. Motto : Rette sich, wer kann. » (Altwegg p. 203)
    Mais ce qui m’a le plus intéressé, c’est la manière dont il décrit le destin du livre de Scheeberger : comment personne, dans l’Allemagne « démocrate chrétienne » du miracle économique des années 60, n’a voulu le publier, et comment G.Schneeberger a fini par s’auto-éditer. Michael Haller décrit alors comment, étrangement, le livre que les bibliothèques universitaires avaient pourtant commandé ne se retrouvait jamais sur les rayons, voire disparaissait complètement – le maître et ses compromissions était déjà devenu tabou :
    « 1961, im christdemokratischen Wirtschaftswunderland mit seinem Globkes und Lübkes, fand sich kein deutscher Verleger, der Schneeberger Dokumentation publizieren wollte. So enschloß Schneeberger sich, das Buch im Selbstverlag zu vertreiben : Zum Preis von zehn Mark mußte es direkt beim Editor zu Bern in der Hochfleldstr. bezogen werden.
    Viele deutsche Universitätsbibliotheken beschaffen sich zwar das Buch, doch merkwürdigerweise gelangte es nicht in die Regale. In Freiburg, München und Marburg, erinnern sich einstige Studenten, ließen Assistenten und Professoren das Kompendium verschwinden : Die Nazi-Verstrickungen des inszwischen weit über 70 jährigen waren tabu ; der Meister galt, wie es der stets kommodierende Heidegger-schüler Hans-Georg Gadamer formulierte, als « ein Schender. Ein Denkender, der sieht. » Schneeberger erstaunliche Dokumentation geriet in Vergessenheit. » (p. 207)
    Il y a cependant un point sur lequel hélas l’affaire actuelle est allée plus loin que celle qui a suivi la publication du Farias en 87 : p. 204 M. Haller avance qu’à la différence de lors de l’ « Historikerstreit » qui vient d’avoir lieu, la relativisation de l’Holocauste n’est pas au cœur de l’affaire Heidegger en 1987 (à l’exception du délire mondain de Baudrillard toutefois ; et c’est à cette période que commence à naître le « Heidegger nous aide à penser Auschwitz », Bourdieu s’en plaint déjà dans son entretien). Elle est malheureusement, par contre, au cœur de celle de 2005. En ce sens on ne peut pas dire que les « affaires Heidegger » se répètent : elles empirent à chaque fois.
    J’ai ouvert il y a peu le Schneeberger et son « étonnante documentation », et de fait ceux qui ont pu le feuilleter ont dû avoir l’impression de ne pas tout découvrir en 1987 : le problème est qu’il s’agissait d’une toute petite élite, dont on peut se demander pourquoi elle a surtout choisi de laisser le problème de côté. Il n’y avait pas là forcément malice, même si malice il y a eu. Mais il n’y avait sûrement pas un grand courage non plus.

    Rédigé par : Yvon Er | le 15/07/2006 à 12:20 | Répondre | Modifier
  66. Si les « affaires Heidegger » empirent à chaque fois, il ne saurait donc tarder (dix ans tout au plus..) que le futur héros de cette suite d’affaire soit le vénérable Michel Bel, qui détient pour le moment le record du point de vue de l’intensité inquisitrice (oui, Heidi n’y est rien de moins que le diable!. L’impérissable et indispensable ouvrage de Faye ne sera guère uv que comme un pallier , hein, une fois que Michou nous aura unefoispour toute décrit le diaolique gay de Messkirch. « La marche à l’étoile, rien d’autre! »

    Rédigé par : Stéphane Domeracki | le 15/07/2006 à 18:58 | Répondre | Modifier
  67. Bonsoir Monsieur Er,

    Certes, Bourdieu nous manque, mais fort heureusement, il laisse derrière lui des écrits, en particulier ces extraordinaires « Méditations pascaliennes » que je lis comme un livre de désenvoûtement, de désintoxication, une vraie cure laxative qui vous débarrasse le cerveau d’une multitude de mythologies logomachiques présentes et passées. Et par-dessus tout, une invitation à retrouver la quotidienneté,à aimer nos pratiques, nos activités de singes sociaux et à nous détourner de tous ces hâbleurs scolastiques qui jouent aux saintes nitouches sous prétexte qu’eux n’ont pas à se salir les mains, et donc qu’ils sont plus propres, plus purs et, en un mot, meilleurs que le commun des mortels. Bourdieu reconnaît qu’il n’a jamais pu adopter cette posture aristocratique. Moi non plus. J’ai vomi la khâgne parce que nos professeurs nous faisaient croire que nous étions destinés à participer à un jeu qui nous plaçait au-dessus de la masse. J’ai refusé de me présenter au concours, et je suis parti, écoeuré, en colère, révolté contre une pareille prétention. « La trahison des clercs » dépasse de loin ce que Benda en a écrit: les clercs trahissent la vie, la vraie vie, celle des humbles et celle des bêtes (les humbles ressemblant du reste aux bêtes, n’est-il pas vrai?!)). Bourdieu cite le passage du Théétète où Platon distingue les types « élevés dans la liberté et le loisir » de ceux qui « ont été éduqués pour le mensonge et l’échange d’injustices », c.à.d. trivialement parlé les intellectuels et les manuels, les premiers étant vertueux, les autres égoïstes, menteurs, vicieux. Et Bourdieu d’écrire que Platon naturalise de cette façon ce qui n’est que l’effet d’une hiérarchie sociale, « préludant ainsi aux analyses qui, telles celles de Heidegger,traiteront les conditions d’existence et les modes de vie (« authentique » ou « inauthentiques ») comme s’il s’agissait d’arts de vivre électifs ». Heide a marché à fond dans ce conditionnement clérical, le séminaire catholique le préparant efficacement à prendre l’ascenseur social. Son « oubli de l’être » ne fait qu’exprimer ce fait trivial que seuls peuvent oublier l’être ceux qui sont restés au bas de l’échelle sociale, au fond de la caverne. L’attitude de Heide à l’égard des nazis relève, me semble-t-il (mais corrigez-moi si vous trouvez que je vous semble raconter des blagues)aussi de cette posture: n’ayant aucun sens politique réel (voir Anders à ce sujet), il s’est lancé dans la révolution conservatrice par « idéalité » (idéalisme serait un mot tout à fait déplace ici, je crois), c.à.d. saisi par cette « illusio » dont parle Bourdieu qui porte ces penseurs abstraits à croire que leur science seule est capable de guider le peuple ignare et superstitieux. Je crois que Heide a été vexé du peu de considération qu’il rencontrait auprès des collègues autrement plus politiquement engagés et qu’il a gardé pour le reste de ses jours une rancune vis-à-vis de ces pauvres types d’incapables qui n’ont pas su réaliser la vraie révolution que LUI avait fantasmée, comme sans doute jadis Platon avait fantasmé la cité idéale. « Folie de clerc » ai-je écrit sur ce site. Marotte scolastique aurait-pu dire Bourdieu.
    Bien à vous
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 15/07/2006 à 22:43 | Répondre | Modifier
  68. Cher monsieur Misslin,
    vous avez eu plus de courage que moi en khâgne ! Pour ma part j’y suis resté, malgré mon peu d’amour pour la plupart de mes camarades et de mes professeurs. Mais la faculté ne semblait proposer que plus médiocre encore, du moins pour ce que j’en connaissais à l’époque. Il est vrai par ailleurs (je ne cherche pas à m’excuser…) que, allergique moi aussi aux concours, j’ai fait plus ce qui me plaisait que ce qui « convenait », au grand désespoir de certains de mes professeurs qui tenaient à ce que je rentre dans la grande boîte normalisée.
    Mais je dois sans doute à la khâgne mes faiblesses encore persistantes en logique et en culture scientifique, que je tente tant bien que mal de rattraper.
    Pour ce qui est de Heidegger, il est clair que son « idéalisme » a orienté ses prises de position, mais si le bonhomme n’est pas un organisateur, n’oublions pas qu’il sait surfer : au séminaire de Bultmann, il laisse croire qu’il est « tout à fait protestant » ; jeune, il tente de faire croire aux autorités catholiques qu’il l’est toujours afin d’avoir des bourses. Plus tard, il engage un échange intellectuel avec Husserl alors qu’il n’a que peu d’intérêt pour sa pensée. « Ce que je pense, je le dirai quand je serai professeur ordinaire »…
    Le sieur de Messkirch sait au besoin se faire discret.
    Par contre devenir recteur d’une des facs les plus radicales du Reich, participer à la commission pour le droit allemand, à l’édition de Nietzsche telle que voulue par le régime, tenir les discours qu’il a tenu, etc., sont des actes très politiques ; ne parlons même pas des opérations de blanchiment de l’après-guerre.
    Qu’ensuite il n’ait pas forcément de grand talent pratique (ce qui permet d’ailleurs d’être encore plus radical et prétentieux, vous avez parfaitement raison sur ce point il me semble), cela ne l’excuse en rien mais permet peut-être en effet de comprendre certains des déboires de sa carrière – en politique on ne peut pas tout avoir, ce qui n’empêche pas de se plaindre…

    Par ailleurs M. Bel, à qui j’ai assez souvent formulé mes réserves pour ne pas les répéter ici, a à mon avis au moins mis le doigt sur certains des aspects les plus sombres de la fantasmatique heideggérienne, de son idéalisme meurtrier. Il est je crois surtout tombé dans le piège qui consiste à confondre le gourou de Todtnauberg et son « ideal » du moi. Un piège qui transforme un bien pathétique professeur en démon de la nuit…danger.
    Ce que je voulais dire, bien sûr, en disant que les affaires se dégradent, c’est qu’à chaque fois le négationnisme et le nazisme font surface avec une arrogance nouvelle, même si c’est parfois avec des habits neufs.
    Contrairement à ce qui a été dit, il n’y a donc pas des « affaires Heidegger », cycliques, qui reviendraient tous les 20 ans. Dans 20 ans si nous continuons ainsi, il n’y aura plus de révélations qui pourront faire scandale, et le nazisme aura largement reconquis droit de cité, ce qui était bien semble-t-il le but de notre grand penseur en programmant la publication posthume de ses textes nazis.
    Motto : Rette sich, wer kann.
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 17/07/2006 à 15:19 | Répondre | Modifier
  69. Note :
    en appui à mes développements (1/, 2/, 3/) sur le numéro de « la pensée libre » consacré à Heidegger et au livre de M. Faye : Nicolas Plagne parle sous son propre nom de Haushofer dans un de ses commentaires sur le site d’amazon (voir :
    http://www.amazon.fr/gp/cdp/member-reviews/A2NFZO07YPDD95/171-9649756-8211419 )
    Je cite ce commentaire tel qu’il est donné à lire au public d’amazon :

    De la géopolitique par Karl Haushofer
    Edition : Broché
    Disponibilité : Article momentanément indisponible

    le dossier karl haushofer, 4 Aoû 2005
    édition française (collaboration scientifique franco-allemande) bien conçue sur la vie et l’oeuvre d’un des inventeurs de la géopolitique, le sulfureux Haushofer, pour réhabiliter un pionnier à l’oeuvre passionnante et à la vie plus complexe qu’on ne l’a dit. Général de 14-18 et professeur d’université, Haushofer invente la notion d’Espace vital, qu’il transmet à son disciple et assistant Rudolf Hess, qui tentera de l’expliquer à Hitler. On accuse Haushofer, nationaliste partisan d’une Grande Allemagne, d’avoir été le stratège du 3ème Reich et un responsable de la 2de Guerre mondiale, mais la préface et l’introduction remettent les pendules à l’heure. Haushofer n’est pas l’inspirateur principal de Hitler et rejette la conception illimitée de l’espace vital hitlérien. Il n’est pas nazi.
    [fin de citation]

    J’ai déjà dit qui était Haushofer, membre de la société de Thule et inspirateur de l’imagerie et de la stratégie nazie.
    Après la réécriture révisionniste de la vie de Maurice Sachs (sur le même site) dont j’ai parlé récemment sous le blog qui précède (sous la lettre de F. Dastur), cette « approche » de la vie et de l’oeuvre de Haushofer, identique dans son révisionnisme à celle du numéro de la Pensée libre signé « Lehugeur »,vient s’ajouter comme élément confirmant l’argumentation que j’ai déployée en 3/, mais qui se suffit.
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 17/07/2006 à 16:54 | Répondre | Modifier
  70. Bonjour Monsieur Er,
    Je trouve que tout en ayant subi les charmants rites d’initiation khâgneux, vous avez su vous débarrasser sérieusement de l’empreinte (dans le sens éthologique de « Prägung » selon Lorenz, « imprinting »)qui marque en général pour la vie la plupart de ceux qui ont franchi les célestes portes qui mènent à la révélation du Bien suprême, je veux dire une position sociale enviables, c.à.d. qui suscite l’envie de ceux devant qui les portes de ce séminaire laïc se sont fermées! Je ris, car le jeu social est pour moi une source inépuisable de drôleries, surtout quand je vois les figures sérieuses et pleines d’elles-mêmes des normaliens: les dominants ne peuvent pas rire en public, de peur que les dominés ne les surprennent dans cette posture et en profitent pour se moquer de leur manque de sérieux. Heide avait aussi appris cela, d’où sa pesanteur sérieuse au-delà de toute limite. En ce qui concerne son hâblerie, je suis tout à fait d’accord avec vous. Il y avait du Julien Sorel dans ce gaillard-là, un côté sombre d’enfant du peuple qui avait une revanche à prendre sur le destin de son Dasein. Vivre en société n’est une sinécure pour personne! Malheureusement pour lui, si l’on peut dire, les nazis étaient tout de même trop élémentaires dans l’expression de leurs pulsions pour convenir à la délicatesse feutrée du séminariste.
    Je pense que vous lu ce qu’a écrit récemment dans « le Point » M. R. Paul-Droit. Des trois attitudes qu’il préconise face à l’oeuvre de Heide, j’opte sans la moindre hésitation pour la … quatrième. Contrairement à vos craintes, j’aurais tendance à penser que l’humanité (si l’on peut parler ainsi sans se moquer de soi) n’aura que faire d’écrits aussi obscurs et ennuyeux. Cette oeuvre est celle d’un initié qui s’adresse à des initiés, c.à.d. comme disait un jour Rorty à propos des lacaniens, à deux ou trois individus dans le monde. Cette remarque m’a fait rire comme faisaient certains jours les dieux de l’Olympe! Et je vous invite très amicalement à rire de tout cela, car la vie vaut mieux que toute l’oeuvre d’un Heide!
    Bien à vous
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 17/07/2006 à 17:04 | Répondre | Modifier
  71. Cher monsieur Misslin,
    je ne partage malheureusement pas tout à fait votre optimisme : je suis bien d’accord pour dire que Heidegger et son « oeuvre » n’accoucheront jamais d’un mouvement de masse, mais nazifier les « élites » n’est jamais sans conséquences-Heidegger ne serait d’ailleurs pas l’unique responsable de cette nazification, mais sa « GA » peut y servir.
    Je ne suis pas non plus d’accord pour qualifier les nazis « d’élémentaires ». Il y a un nazisme cultivé, instruit, qui est sans doute tout aussi bête dans le fond mais qui sait se faire « fin », au besoin discret, sans perdre aucunement de sa nocivité et de sa radicalité. Vous qui aimez Robert Musil, souvenez vous de sa conférence sur la bêtise : celle-ci n’est pas que liée à un défaut dans la rapidité de compréhension, il y a aussi des formes de bêtises qui ont partie liée aux émotions, aux pulsions, et des formes de nazisme qui peuvent réciter des poèmes…
    La barbarie « cultivée » doit être prise au sérieux.
    Bien à vous,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 17/07/2006 à 20:23 | Répondre | Modifier
  72. A propos d’une intervention récente de M. Er : il est vrai qu’en Allemagne, même si dans l’ensemble l’accueil fait au livre de M. Faye a été d’une toute autre nature que dans certains milieux français, des arguments typiques de l’extrême droite, notamment allemande, ont été employés (vrai aussi qu’on entend parfois le « nous, on savait déjà »). Ainsi en fut-il effectivement de Henning Ritter dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, pour qui somme toute le nazisme heideggérien est moins dangereux qu’un Descartes qui a par trop le tort d’être « de l’ouest », ce qui m’avait conduit à envoyer cette lettre en réaction :

    Für die Leserbriefeabteilung der FAZ:

    In seinem Artikel des 29. Oktober 2005 über Emmanuel Fayes Buch scheint Henning Ritter den Inhalt dieses kürzlich in Frankreich erschienenen Werkes ausführlich zu analysieren (Emmanuel Faye, L’introduction du nazisme dans la philosophie, Albin Michel 2005).

    Dem ist jedoch nicht so. Der Autor scheint sich eher der Neutralisierung der Analysen von Emmanuel Faye zu widmen, statt diese zu diskutieren; und das mit Mitteln die bisher von allen erbitterten Heidegger-Verteidigern benutzt
    wurden: die billige Ironie (die These des Autors sei doch viel zu radikal um es ernsthaft wert zu sein, aufrechterhalten zu werden), das Autoritätsargument – der schwäbische Philosoph hätte doch reichlich Schüler gehabt; sogar Schüler die seinen Nazismus gesehen und gleichzeitig, weiter seine Größe begrüßt hätten.

    Angesichts dieses letzten Arguments wird man sich also davor hüten, auf Details der Verhältnisse zwischen diesen so genannten Schülern und ihres Lehrmeisters einzugehen, wie Richard Wolin es in seinem Buch (Heidegger’s
    Children) machen konnte.

    Als Henning Ritter gegen Ende seines Artikels vorbringt, der „abendländisch-westliche Universalismus“ kartesianischen Ursprungs, den E.
    Faye Heideggers „Geschichtlichkeit“ gegenüberstellt könnte schlimmer als diese sein, wendet er jedoch unzumutbare Methoden an.

    Das Buch von E. Faye sei darüber hinaus ein „inquisitorischer Gestus“. Muss denn wirklich in Erinnerung gebracht werden, dass sich die schlimmsten Verbrechen des 20. Jahrhunderts nicht durch kartesianischen Rationalismus legitimierten, sondern durch eine Rassentheorie, die Heidegger schändlich mit seiner Theorie der Geschichtlichkeit vermischte (wenn diese nicht von Anfang an rassistisch war)? Hat Henning Ritter denn jeglichen gesunden Menschenverstand verloren, dass er die Henker (die Inquisitoren die Bücher verbrennen und Menschen verfolgen) und deren Analysten nicht mehr vermag auseinander zu halten?

    Man hätte von dem Autor dieses Artikels wohl ein bisschen mehr Zurückhaltung und weniger Abkürzungen erwarten können.

    Christoph A. Lamy

    Rédigé par : Christoph A. Lamy | le 18/07/2006 à 16:33 | Répondre | Modifier
  73. Bonjour M. Lamy,

    Heureusement que le ridicule ne tue pas, car je me demande si l’humanité toute entière n’y passerait pas, tant nous formons une espèce de primates des plus comiques. Vous avez bien fait de répondre à ce Monsieur Ritter qui fait de notre Descartes un horrible exterminator. Je connais assez bien l’Allemagne, en tant que frontalier. Il faut dire que la culpabilité de ce peuple, après la défaite, a été quelque chose d’énorme. Et, quand on se sent honteux, on peut pour continuer à se supporter trouver des boucs émissaires, ce qui est un des mécanismes comportementaux les plus banals. Ce mécanisme apparaît dès notre enfance. Ce qui est étonnant chez nous, humains, et l’étonnement devient d’un comique irrésistible quand on le trouve chez des gens qui se considèrent comme de grands penseurs, c’est l’automatisme avec lequel il se déclenche. La réflexion ici se limite à son niveau le plus élémentaire de réflexe. Mais il existe une théorie neurophysiologique, émise au début du XIX ème siècle (Nietzsche la connaissait), selon laquelle le cerveau fonctionne de manière homogène, c.à.d. réflexe, à tous les niveaux hiérarchiques. Cette théorie m’a beaucoup aidé à comprendre pourquoi les penseurs sont victimes d’une profonde illusio, car ce que nous appelons « pensée » se produit certes à un niveau cortical, mais elle peut être aussi stéréotypée et inconsciente q’une activité de plus bas niveau. Pour moi, Heidegger est un des philosophes qui a été une des victimes les plus spectaculaires de cette forme d’illusio: il a marché à fond dans la croyance à ce que Bourdieu a appelé la toute puissance de la pensée. Il a prétendu déconstruire la métaphysique occidentale, mais justement, un des aspects majeurs de notre métaphysique, c’est notre mythologie qui fait de la pensée une activité supérieure. Heidegger ou l’arroseur arrosé.
    Bien à vous
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 18/07/2006 à 18:33 | Répondre | Modifier
  74. Merci.
    Puisqu’on en est aux textes allemands, un petit texte qui devrait faire rire M. Misslin.
    Bien le bonsoir,
    YE.

    GerhardZwerenz

    Heidegger in der Waschmaschine
    Gerhard Zwerenz
    Ossietzky 25/2005
    Der im Pariser Intellektuellenmilieu seit einiger Zeit betriebene Höllensturz Heideggers versetzt seine völkisch-deutschen Gesangvereine derart in Aufregung, daß aus der philosophischen Fachzeitschrift FAZ fast allwöchentlich Choräle zur Verteidigung erklingen. War Richard Wagner der omnipotente Musikus, wenn auch leider Antisemit, ist Heidegger der unübertreffliche Geistesriese, wenn auch leider ein privater und professoraler Hitlerianer, der den Führer führen wollte. Unser Vorschlag für die nächste Buchmesse: Genie und Nazi in einer Person.
    Die neue Aufklärungswelle erreicht allerdings in Paris Tsunami-Höhen. Angefangen bei Sartre bis hin zu Derrida lebten alle französischen Denker von Nietzsche und Heidegger, doch jetzt wird der verunglückte Nietzscheaner in frechen Büchern glatt der Dekonstruktion unterzogen, so daß nicht viel mehr übrigbleibt als ein Braunhemd mit Drang zur Waschmaschine.
    Den vorerst letzten Streich gegen den schaumschlagenden Weltdeuter führte Emmanuel Faye in seinem bei Albin Michel in Paris edierten 600 Seiten dicken Wälzer Martin Heidegger. L’ Introduction du nazisme dans la philosophie, in dem er die Aufklärung weit übertrifft, die der Heidegger-Biograph Victor Farías 1987 mit Heidegger et le nazisme im seit Sartre heideggerseligen Paris immerhin begonnen hatte.
    Die aufgescheuchte Gouvernante FAZ sorgt sich um die armen genasführten Heideggerschüler aller Länder und memoriert die Namen – ach ja, Gadamer lehrte ihn, Hans Jonas ernüchterte sich an ihm, Günther Anders und Herbert Marcuse achteten ihn wenigstens punktuell, Hannah Arendt betete ihn an und schlief mit ihm, nur die Zwangspause des Dritten Reiches wegen hygienischer Abstinenz einhaltend. Der FAZ-Meisterschüler Henning Ritter verteidigt nun seinen Geistesvater nicht schlecht, indem er ihn erst noch tiefer in die braune Jauche taucht, um ihn mit Hilfe des Weißen Riesen nach dem Waschgang um so strahlender herauszuziehen. So prächtig klappt die Entnazifizierung immer noch unter unseren deutschen intellektuellen Überfliegern. Denn die wahren Faschisten, wir erfahren es Tag für Tag im maßgebenden Zentralorgan vom Main, sind die Antifaschisten.
    Inzwischen dreht sich das Heidegger-Karussell lustig weiter. Gerade entdeckte die Frankfurter Rundschau anhand der Briefe des Philosophen an seine duldende Frau, daß für ihn »Ehebruch Geistesnahrung« gewesen sei und die Korrespondenz »vom Experiment der Freien Liebe Zeugnis« ablegt. Da kann Heideggers FAZ-Adept Henning Ritter mit seiner Liebe nicht zurückstehen. Am 29. 10. 05 färbt er den braunen Denker auf einer ganzen Zeitungsseite in einen Grünen um und bezichtigt den französischen Demonteur Faye, Heidegger »eine Verhexung des Verstandes« zu unterstellen. Faye gehe sogar noch weiter und der deutsche Ritter interpretiert ihn entsetzt mit den Worten: »Wenn man einmal begriffen habe, daß Heideggers Werk ein Pendant zum Hitlerismus und Nazismus im Denken sei, müsse man sich entscheiden, ihm heute mit derselben Entschlossenheit entgegenzutreten wie einst der deutschen Barbarei.«
    Kein Wunder, daß Faye bei Ritter gar keine guten Karten hat. Der kulturelle Urvater dieser Zeitung, der aus der Weimarer Republik siegreich zu den Nazis übergelaufene Friedrich Sieburg mag zwar verstorben sein, doch die Erben wissen es zu richten. Der FAZ-Großvater Sieburg, als er sich nach dem 1945er Desaster in dem Edel-Blatt wieder aufrichten durfte: »Der Kritiker ist ein Moralist.« So steht’s jedenfalls in Die Lust am Untergang aus dem Jahre 1961. Von der Entschlossenheit gegen die Barbarei war nichts zu verspüren. Das Manko zeugt und erbt sich fort.
    Kürzlich wurde ich bei einer Lesung in Berlin auf die postmodernen französischen Philosophen von Glucksmann bis Derrida und Lyotard angesprochen, die in Distanz zu Sartre und doch in seinem großen Schatten dessen Denktradition zu Nietzsche und Heidegger übernahmen. Unsereinem muß dieser Umweg als Holzweg erscheinen. Mag das postmoderne Paris seinem Jahrzehnte hindurch hochgelobten Heidegger nun den Heiligenschein per Dekonstruktion fortnehmen und mögen die FAZ-Gespenster ihre Ikone Martin zum Grünen umlackieren, wir benötigen keinen Umweg zu Nietzsche, Marx, Freud, jedenfalls keinen Abstecher zum Lobredner des Führers. Da lohnt es sich, mal wieder ein vergessen gemachtes Buch aufzuschlagen. Darin steht zum Beispiel: »Der Zynismus Heideggers ist hinter seinem mit Dunkelheit poetisch sein wollenden Wortschwall verdeckt.« Diese und andere Lichter werden aufgesteckt in Die Zerstörung der Vernunft von Georg Lukács. Wie hell doch den kleinen Dunkelmännern zum Trotz alte Wahrheiten im neuen Lichte glänzen können. Die Scharnierfunktion Heideggers, des Staatsrechtlers Carl Schmitt und des stahlgewitternden Eisenfressers Ernst Jünger ins Auge fassend urteilt Lukács: »Wohin geht diese Philosophie? Sie behält ihre extrem vernunftfeindliche Wesensart aus dem Präfaschismus.« Das wurde vor mehr als einem Halbjahrhundert geschrieben und ist doch so frisch wie vom jüngsten Tag.
    Inzwischen drehte sich das Verblödungskarussel weiter. Gerhard Schröder ließ sich mit einem »Zapfenstreich« genannten Tsching­darassa­bum der Bundeswehr verabschieden, die einge­schmuggelte Moritat von Mackie Messer paßt durchaus ins neue Kriminellenmilieu gehobener Kreise. Vom Himmel her erklang allerdings Donnergrollen, wahrscheinlich Bertolt Brechts grimmiger Protestfurz. Unter den 700 geladenen Gästen befand sich ein schweigsames Skelett. Es soll sich um Schröders Vater handeln, der sein Heldengrab in Rumänien, wie BILD berichten wird, zur Teilnahme am Zapfenstreich, den er von früher her noch gut kannte, für kurze Zeit verlassen durfte. Nächsten Sonntag soll er bei Christiansen zu sehen sein. Sprechen darf er auch dort nicht. Denn tote Soldaten werden bei uns gefeiert und betrauert. Zu sagen haben sie nach ihrem Tode so wenig wie vordem. So will’s der modische Patriotismus der neuen sozialchristlichen Einheitspartei.
    Wiedergabe mit freundlicher Genehmigung von Ingrid und Gerhard Zwerenz und der Zweiwochenzeitschrift Ossietzky 25/2005.

    Rédigé par : Yvon Er | le 18/07/2006 à 20:56 | Répondre | Modifier
  75. Bonjour Monsieur Er,

    Merci à vous: hilarant en effet. Ca fait du bien de lire des Allemands qui ont de l’esprit… voltairien!
    Bien à vous
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 19/07/2006 à 10:59 | Répondre | Modifier
  76. Bonsoir Monsieur Er,

    Je suis tombé par hasard sur des phrases qui vous intéresseront, je suis sûr, si d’aventure vous ne les connaissez pas, que Nietzsche a écrites quand il a appris le suicide de son charmant beau-frère, Bernard Förster: « B.F. s’est donné la mort: ça augure de la politique du R. (pour Reich). » Ou encore celle-ci: « Paraguay über alles! » Encore celle-ci qui vaut son pesant d’or: « L’antisémitraille voudrait les éliminer… L’Europe divisée par le nationalisme teutomaniaque a de jolies années exsangues devant soi. » Enfin: « Je ne suis pas juif, je suis surjuif. » Ces citations sont extraites de « Mort parce que bête » (éd. Parc, 1998, p. 13; p. 47; p. 51; p. 51), un livre qui regroupe des textes de Nieztsche après son effondrement en 1889. Dans une note, on apprend qu’il confiait à ses amis en janvier 1890 son angoisse de voir le Reich se réarmer sous Bismark et la « teutomania antisémite » se répandre. Dans ce même livre on apprend qu’en 1931, « l’entreprise de fascination de Nietzsche sous la direction de sa soeur se poursuit: on met en place un nouveau comité d’édition présidé par Rudolf OEhler, où l’on trouve entre autres, mais pas par hasard, Martin Heidegger, grand consommateur de l’idée truquée de la « volonté de puissance ». Le tout sous la coupe du Reichkanzler et du ministère de la propagande du Reich. » Walter Benjamin écrit en 1932: « Il y a des gouffres qui séparent Nietzsche de l’esprit de commerce et du philistinisme régnant dans les Archives de Weimar » (Podach : « Le scandale continue »). (p. 77). En 1935, les Archives sont réorganisées. « Walter F. Otto entre dans le directoire de la Fondation avec à ses côtés Martin Heidegger, caution scientifique du Reich. La direction échoit au major Max OEhler, neveu de Förster-Nietzsche et membre du Parti… Heidegger quitte la Fondation, sans autre explication » en 1942 (p. 78).
    Quand j’ai suggéré ici il y a quelque temps qu’il faudrait faire une lecture critique de Heidegger par Nietzsche, de plus capables têtes instruites que moi ont ironisé. Mais c’est l’ironie lucide (en dépit de sa « démence »)de Nietzsche qui m’est chère.
    Bien amicalement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 19/07/2006 à 19:55 | Répondre | Modifier
  77. François Laruelle a écrit un « Nietzsche contre Heidegger » aux éditions Payot qui pourrait vous intéresser. Au passage, il faudrait être de très mauvaise foi pour voir en les deux tomes du « Nietzsche » une apologie du nazisme lors même qu’il s’agit clairement d’une explication avec les tenants de la volonté de puissance et de la souveraineté. Le souci principal étant évidemment que Heidegger nazifie Nietzsche : mais c’est justement pour s’en démarquer! L’époque de la volonté de puissance inconditionnée , de la Machenschaft et toutes les exactions qui l’accompagne, il essaye de l’ éprouver en son essence, en sa pro-venance (à moins que toute époque n’ait poussée que de façon hasardeuse…paresse de l’esprit) pour pouvoir les dépasser. Le « nouvel accord » , le nouvel « ajointement » vers lequel tend Heidegger ne m’en semble pas un où se déchaînent les violences de la « race » de la volonté de puissance; il me semble au contraire qu’il maudit cette époque démoniaque , mais cherche à la bénir, à l’absoudre (c’est cela qui est choquant je suis le premier à le dire) en la dépassant par la « sérénité »…

    Rédigé par : Stephane Domeracki | le 19/07/2006 à 21:07 | Répondre | Modifier
  78. Vous avez vraiment une façon très objective, M. Domeracki, de minimiser l’usage que Heide fait du concept de « volonté de puissance » de Nietzsche. Quant à moi, je trouve cette méthode plutôt abjecte car elle consiste à instrumentaliser l’oeuvre d’un auteur du passé dans le but de cautionner des idées qui n’étaient certainement pas les siennes, mais bel et bien celles de Heide, si du moins on peut appeler « idées » la teutomania de Martin, avec tout ce que signifie alors l’adhésion à pareil délire. Et, contrairement à ce que vous pouvez prétendre, son truquage de la « volonté de puissance » ne s’est pas limité à ses activités politico-administratives, mais il l’a appliqué à son oeuvre puisque, à ses yeux, il s’agit d’un concept métaphysique, ce qui est on ne peut plus discutable, même aux yeux du pauvre Pécuchet que je suis à vos yeux avertis. Faire de Nietzsche un des derniers représentants de la métaphysique occidentale est un de ces tours de passe-passe de Heide pour se présenter, LUI, comme le grand démolisseur de cette métaphysique. Or, s’il y a vraiment quelqu’un qui s’est attaqué frontalement à Platon et donc à cette métaphysique, c’est Nietzsche. Bien entendu, je n’ai pas la moindre intention de vous faire changer d’avis. Tant mieux, ou tant pis, si vous trouvez chez Heide une nourriture qui vous convienne. Imprégnez-vous si cela vous chante, comme cela je pourrai vous appeler Buvard de Heide, à défaut de Bouvard, car celui-ci au moins ne méprisait pas l’empirie.
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 21/07/2006 à 12:33 | Répondre | Modifier
  79. Cher monsieur Misslin,
    au sujet du rapport Nietzsche/Heidegger, Jean-Pierre Faye a écrit plusieurs livres qui devraient vous intéresser je pense.
    Nietzsche est un philosophe assez complexe en plus d’un domaine, notamment dans son rapport aux juifs et à la germanité. On peut lire le Nietzsche solaire de Jean-Pierre Faye, ou aller lire, dans une perspective plus critique, Losurdo ou Taureck (ce dernier sur le rapport de Nietzsche au fascisme et au national-socialisme, ou plutôt de ces messieurs avec ce monsieur…). Mais il y a assurémment un Nietzsche « anti-teuton », que Heidegger ne cite pas, à moins que l’on ne s’acharne à vouloir lire le « Nietzsche » de Heide dans la version de 61 réécrite par notre grand philosophe après-guerre (on n’en a pas d’autre il est vrai en traduction française), comme le fait M. Domeracki. Sans les réécritures, c’est plus folklo.
    Bien à vous,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 21/07/2006 à 19:55 | Répondre | Modifier
  80. C’est toujours la même rengaine avec les flics de l’oeuvre heidegerienne : on a beau faire des concessions et admettre que certaines dimensions et herméneutiques nous gênent, ils ne peuvent s’empêcher de renchérir et de vouloir démolir . entièrement l’auteur en question quitte à faire fi de toute nuance.
    Pour ma part, je continuerai de suivre Jacques Derrida, pour qui l’interprétation que Heidegger donna de Nietzsche n’est pas aussi caricaturale qu’on se complaît à l’admettre, et qu’elle est plus ou moins incontournable. A moins bien entendu d’être un penseur révolutionnaire et sage comme Roger Pol-Droit ou René Misslin. Commencez donc par lire entièrement les leçons de Heidegger sur Nietzsche et on en reparlera peut être. Pour ma part j’ai donné de longs mois à ces écrits pour mon mémoire de l’année dernière: nous pourrions donc commenter point par point le détail de l’interprétation , au lieu de livrer des reflexions à l’emporte-pièce qui n’émoustillerait guère que Michou Bel. Nous pourrions aussi voir jusqu’à quel point Heidegger s’est approprié des fulgurances nietzschéennes dans son oeuvre (à ce sujet, vous pourriez vous reporter au Cahier de l’Herne ,à l’article du traducteur américain David Krell). Vociférer n’est pas philosopher, mon bon Pécuchet…Je me iche complètement de vos valeurs: tout ce qui compte c’est que vous faites de Heidegger ici. Et à part d’en confectionner de vains conféttis, je crois que vous n’en faites pas grand chose. Mais vous avez bien sûr tout un panel d’excuse pour justifier vos insuffisances, pour vous convaincre que c’est de sa faute à lui…Il me semble que c’est Heidegger qui écrivit quelque part qu’il fallait ,comme rêgle de lecture d’un auteur, ne pas le caricaturer mais le ramener à ce qu’il y a d’essentiel en lui, à le réhausser à son meilleur niveau en quelque sorte. Vous autres préférez traîner dans la boue cet adversaire qui ne peut plus vous répondre : et vous osez vous plaindre que c’est ce que fait Heidegger avec ses prédécesseurs! Je vous le répète : commmencez par lire les cours sur la volonté de puissance en tant qu’art et en tant que connaissance, et à bien assimiler les épreuves de Sein und zeit et des Gründprobleme, et là seulement vous cesserez de m’apparaître comme un rigolo qui passe son temps à geindre et à faire en même temps l’apologie de l’ »empirie ». Mais savez vous au moins de quoi vous parlez, mon vieux Pécuchet?

  81. Je n’ai pas la moindre intention, au nom de quel droit, de vous demander de faire des concessions, Monsieur Domeracki, ni non plus de vous dissuader de lire Heide et d’y trouver de l’intérêt. La philosophie n’est pas une science. On peut donc réagir bien différemment selon ses goûts, sa formation, ses intérêts en présence d’un même texte. Que Heide ait lu dans « la volonté de puissance » de Nietzsche l’expression de la métaphysique de domination occidentale sur l’être, why not. Ca fait partie de sa mythologie personnelle et, malgré ma sénilité, je commence à la connaître. Ce que je lui reproche, c’est d’avoir apporté sa contribution à la teutomania nazie en utilisant de façon malhonnête Nietzsche: c’est quand même un peu gros, pour quelqu’un qui se présente comme un penseur hors pair, de participer à l’entreprise fascisante de la soeur de Nietzsche, soeur dont ce dernier s’est demandé un jour si elle et lui avaient eu les mêmes progéniteurs! Rire! Qu’à vos yeux, en procédant ainsi, Martin ait voulu « éprouver » jusqu’au bout cette « volonté » dans le but de la surmonter, ça, vous pouvez le raconter à qui vous voudrez, mais de là à me faire avaler cette couleuvre, il vous faudra attendre encore un peu (et vous en avez le Sein et le Zeit!), car mon cerveau n’a pas encore atteint le degré de sénilité pour gober de pareilles balivernes.
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 22/07/2006 à 12:20 | Répondre | Modifier
  82. Quand on fait preuve d’une telle insolence, monsieur Domeracki, on est tout de suite déconsidéré . Nous comprenons très bien pourquoi, maintenant, vous aimez Heidegger. Ceux qui se ressemblent s’assemblent.
    michel bel

    Rédigé par : bel | le 23/07/2006 à 09:38 | Répondre | Modifier
  83. Quand on fait preuve d’une telle insolence, monsieur Domeracki, on est tout de suite déconsidéré . Nous comprenons très bien pourquoi, maintenant, vous aimez Heidegger. Ceux qui se ressemblent s’assemblent.
    michel bel

    Rédigé par : bel | le 23/07/2006 à 10:00 | Répondre | Modifier
  84. Voilà, Heidgger est un « méchant nazi » est tout autre commentaire à son encontre n’est que baliverne. Quand je pense que c’est ici qu’on ose parler avec insistance de « déni »…

    Rédigé par : Stéphane Domeracki | le 23/07/2006 à 12:33 | Répondre | Modifier
  85. Cher monsieur Misslin,
    puisque vous avez aimé le texte de Gerhardt Zwerenz, je vous envoie un texte de sa compagne, Ingrid Zwerenz, sur Sartre et Heidegger lus par la critique de Ernst Bloch.
    Sartre a été récemment accusé d’avoir profité du fait qu’un professeur juif soit expulsé de son poste par le nouvel ordre occupant en prenant sa suite.
    Cet opportunisme est bien entendu condamnable, mais n’est pas du même ordre, contrairement à ce que j’ai pu lire, que le problème posé par Martin Heidegger, où on en est à se demander à quel point le coeur de sa pensée est nazi.
    Mais ne faites pas de moi un homme qui sépare à la va vite la vie d’un philosophe de sa pensée ! A cet égard, le texte que je donne ici à la suite donne quelques pistes pour penser le lien entre pensée sartrienne et errements sartriens.
    Bien le bonsoir,
    Yvon Er.

    Bloch über Sartre über Heidegger

    Ossietzky 22/2005

    Sartre hätte in diesem Jahr seinen 100. und Ernst Bloch seinen 120. Geburtstags begehen können. Ist es vorstellbar, daß die beiden, im Himmel oder in der Hölle, gemeinsam feiern? Eher nicht. Auf Erden hat der Jüngere den Älteren nicht wahrgenommen, obwohl er sich gern und ausgiebig von deutschen Philosophen anregen ließ – Hegel, Husserl, Heidegger, dreimal H also, ein Gesetz der Serie, im Schlagschatten des letztgenannten taucht noch ein Mann mit dem Initial H auf, Hitler. Alle Heidegger-Adepten werden nun in Tränen oder Wut ausbrechen. Zu ihrem Sankt Martin später mehr.

    Zuerst ein Blick in meine Notizen von der letzten Leipziger Bloch-Vorlesung am 17.12.1956: Darin heißt es über den Franzosen: »Sartre, geboren 1905 – bedeutender Dramatiker.« Touchez – das ist schon ein Seitenhieb, an vorderster Stelle wird der Bühnen-Autor genannt, nicht der Philosoph. Danach geht es weiter mit dessen Hauptwerk „Das Sein und das Nichts“. Bloch dazu: »’L’etre et le néant’. Was bei Heidegger die Angst, ist bei Sartre Nausea – La nausée: Es ist zum Kotzen. Im Ekel ist Kraft. Ihn zu überwinden, bedarf es der Résistance. Vorhanden ist die Freiheit zu wählen. Faschismus ist die Unfreiheit schlechthin. Dagegen: Ich kann das Wählen wählen, mein Wollen wollen. Was hindert, wird in Seiendes aufgespalten, ins An sich Seiende. Für kleine Individuen bringt das ein wenig Licht in die Finsternis. Gesucht wird das Ethische. Was wir treiben, hat jedoch keinen Anschluß an die Welt. Unsere Freiheit der Wahl bedeutet: Wir können alles wollen und können doch nichts erreichen. Eine Wahl, die inhaltliche Moral besitzt, ging gegen den Faschismus.« Aufgeschrieben habe ich eine Instant-Fassung, selbstverständlich waren Blochs Sätze viel länger, mehr davon konnte ich, angespannt zwischen Hoffen und Bangen, nicht fixieren. Wir fühlten uns animiert und beschleunigt nach Chruschtschows fulminanter Stalin-Kritik, doch witterte man schon besorgt die Ausbremser. Unser Ikarus auf dem Katheder verbrannte sich weiter die Flügel mit seiner Vorlesung: »Der (Faschismus) wird am Ende gleichgesetzt mit dem Bolschewismus, d. h. die Feinde werden verwechselt, siehe ‚Die schmutzigen Hände‘. Gesucht: Der bekannte 3. Weg. Seit Amerika faschistische Züge zeigt, wieder Änderung. Für den soziologisch nicht sehr geschulten Kopf verwirrend. Also ist Sartre ein naiver Politikus, das Ganze umrahmt vom Nihilismus, der Welt selber sind Schweinehund und Edler völlig gleichgültig. Der Anschluß an den dialektischen Materialismus ist von daher sehr weit.«

    Sartres berühmtestes Drama um einen politischen Mord, „Les mains sales“, steckte der SED quer im Hals, in der Abwertung des Stücks zeigt sich der deutsche Philosoph auf Parteilinie, ebenso im knappen Satz über den vom Franzosen gesuchten »bekannten 3. Weg« zwischen Kapitalismus und Sozialismus. Für „Die schmutzigen Hände“ gab es ganz konkrete Hintergründe. Simone de Beauvoir hatte in Paris einen Sekretär Leo Trotzkis kennengelernt, der ihr Details aus den letzten Jahren des 1940 auf Stalins Befehl im mexikanischen Exil getöteten russischen Revolutionärs erzählte. Ihr Bericht inspirierte Sartre zu seinem auch heute noch häufig aufgeführten Drama, das nur partiell an den realen Fall Trotzki erinnert. Sartres Analyse des individuellen Terrors, eines parteistrategisch begründeten Mordes traf aber exakt zu, der Vorwurf »naiver Politikus« schlägt hier auf Bloch selbst zurück, der dieses Thema damals lieber noch aussparte.

    In einer anderen Frage hätten sich die beiden Denker begegnen können. Hier schlug der Professor ganz neue Töne an, Überschrift: »Probleme der Fortentwicklung des Marxismus nach Marx.« Das wurde sein Schwanengesang an der Pleiße. Für die SED galt der historische und dialektische Materialismus als unveränderbar und abgeschlossen. Ernst Bloch riskierte in der Aufbruch­stimmung nach dem 20. Parteitag der KPdSU im Jahr 1956 neue Aspekte, wobei er sich mit dem Lenin-Wort vom »Träumen nach vorwärts« wappnete und dem Hinweis, daß Lenins philosophischer Nachlaß voller »nahrhafter Notizen« stecke. Der russische Theoretiker habe mehrmals angemerkt, »die Grenzen zeitlicher und regionaler Art bei Marx müßten beachtet werden, gesellschaftliche Schranken seien ins Kalkül zu ziehen, das mache den echten Marxisten« aus. Diese Sätze provozierten die Genossen erheblich, hielten sie sich mit ihrer fertigen ML-Wissenschaft doch für perfekt und im Besitz absoluter Wahrheiten. Der aufmüpfige Professor stichelte weiter: »Auch das Beste kann durch ständige Wiederholung abgedroschen werden, kurzum: Der Marxismus ist per definitionem Erneuerung, dazu gehört Mut, revolutionärer Elan, keine Routine, sondern materialistisch begriffene Hoffnung.« Und noch eins drauf: »Die Märtyrer des Marxismus sind nicht für ein durchorganisiertes Produktionsbudget gestorben.« Das sagte der Philosoph in einem Staat, der das höchste Ziel in der Erfüllung diverser Zwei- und Fünfjahrespläne sah und es doch nicht schaffte, weil er die Ökonomie verabsolutierte und das Individuum, den »subjektiven Faktor« in der Gesellschaft vernach­lässigte. Von einem ständig er­neuerungs­bedürftigen Marxismus zu sprechen, war 1956 in der DDR ein Wagnis. Sartre äußerte sich ähnlich, wenn er den »faulen Marxismus« in der Kommunistischen Partei Frankreichs beklagte, eine Lehre also, deren Vertreter im Gewesenen verharrten und nicht weiterdenken wollten. Damit machte er sich bei den französischen Kommunisten, mit denen er immer mal wieder zusammenarbeitete, nicht eben beliebt, doch waren die Konsequenzen in Paris nicht so verheerend wie in Leipzig. Einen Lehrstuhl konnte Sartre nicht verlieren, weil er keinen innehatte.

    Diametral entgegengesetzt hingegen ist das Urteil des deutschen und des französischen Philosophen über einem dritten: Martin Heidegger, zu dem Sartre sich auch noch bekannte, als nach 1945 dessen fatale Nähe zum Nazismus publik wurde. Die entwerte nicht, sagte Sartre, Heideggers frühere Schriften. Ganz anders Bloch über den ungeliebten Kollegen: »Hauptnichtdenker Heidegger – den Nazis bis zum bitteren Ende treu. Er hat Ahnen gesucht: Kierkegaard, Sokrates, Augustin. Scheinhaft anthro­pologischer Charakter des Existentialismus. Zwischen diesen ‚Ahnen‘ liegen gesellschaftliche Abgründe. Introvertierte Irratio soll geschaffen werden. Kommt von Husserl her, Umschlag von Wesenheiten zur Befindlichkeit, in der ich bin. Erlebnisserei bei verdunkelter Außenwelt. Worte werden zu Tode gehetzt, etymologisch falsch, berüchtigte Heidegger-Sprache. Raunende Weisheit. Je tiefer, um so weniger verstanden, es muß gefühlt werden – Philosophieren zum Hysterischen hin.« Das Urteil »Hauptnichtdenker« ist hart; vergegenwärtigt man sich jedoch, was Heidegger so von sich gegeben hat – zum Beispiel »Hitler ist mehr als die Idee, denn er ist wirklich« –, wird er damit noch recht gut bedient, denn hinter dieser Aussage Heideggers kann kein Denken stecken, nur Gefühl.

    Die beste Therapie gegen Sartres Heidegger-Manie lieferte Heidegger selbst, als er ihn Anfang der fünfziger Jahre aufsuchte. Die ganze Zeit hindurch jammerte der Deutsche wegen eines satirischen Textes, den der französische Philosoph und christliche Existentialist Gabriel Marcel über ihn verfaßt hatte. »Da von nichts anderem die Rede war«, berichtet Simone de Beauvoir in ihrem Buch „Der Lauf der Dinge“, »ging Sartre nach einer halben Stunde weg.« Später erzählte er der Lebensgefährtin, »daß Heidegger dem Mystizismus verfalle«, und fügte hinzu: »Dabei plagen sich vierzigtausend Studenten und Professoren den ganzen lieben langen Tag mit Heidegger ab, stellen Sie sich das vor!«

    Wiedergabe mit freundlicher Genehmigung von Ingrid Zwerenz und der Zweiwochenzeitschrift Ossietzky 22/2005.

    Ingrid Zwerenz
    Zur Person
    Aufsatz
    Verschiedene Verluste
    Bloch über Sartre über Heidegger
    Vorschlag für Leipzig
    Schall und Rauch
    Konkursula und Insolvenzel
    Poeten >>

    Rédigé par : Yvon Er | le 24/07/2006 à 19:51 | Répondre | Modifier
  86. Bonsoir Monsieur Er,

    Merci encore cette fois pour le texte d’Ingrid. Figurez-vous que ma femme et moi sommes les traducteurs en français de l’autobiographie de Nina Berberova (« C’est moi qui souligne « , Actes Sud). Nous l’avons bien connue. Elle a des propos ravageurs concernant la toquerie de Sartre à l’égard de l’Ereignis de la révolution soviétique. Il faut dire qu’elle avait quitté la Russie dès 1920 et elle a été ahurie, quand elle arriva à Paris, de voir un certain nombre d’intellectuels français se faire rouler dans la farine par ce qui arrivait de merveilleux là-bas ! Bourdieu a un texte que je trouve d’une acuité saisissante pour expliquer ces comportements complètement irrationnels : « Les effets de l’enfermement scolastique, redoublés par ceux de l’élection scolaire et de la cohabitation prolongée d’un groupe très homogène socialement, ne peuvent que favoriser cette distance intellectualocentrique à l’égard du monde : la coupure sociale et mentale ne se voit jamais aussi bien, paradoxalement, que dans les tentatives, souvent pathétiques et éphémères, pour rejoindre le monde réel, notamment à travers des engagements politiques (stalinisme, maoïsme, etc.) dont l’utopisme irresponsable et la radicalité irréaliste attestent qu’ils sont encore une manière de dénier les réalités du monde social. » (Méditations pascaliennes, Seuil, p. 53). Chaque mot ici compte. Je ne peux m’empêcher de penser aussi à l’attitude de Heide vis-à-vis du nazisme. Je suis tellement familiarisé avec la notion éthologique d’Einprägung, dont le concept d’ « habitus » social de Bourdieu me paraît très proche en ce qui concerne les phénomènes que ces deux termes symbolisent, que je trouve son analyse lumineuse. Dès le début de ce débat autour de l’engagement politique de Heide, je n’ai pas pu m’empêcher tout le temps de penser à ses années de formation dans les séminaires. Au lieu de formation, j’aimerais écrire déformation. Et, aujourd’hui, après avoir lu beaucoup de textes de gens très différents, c’est encore en pensant à cette formation que je peux le mieux m’expliquer les bizarreries de cet homme, aussi bien au niveau de son comportement social et politique, qu’à celui de la tonalité formelle de son œuvre. Pour moi, il est resté un théologien toute sa vie, c.à.d. un clerc qui n’a à vrai dire n’a jamais quitté le giron ecclésiastique, giron qui lui a servi de refuge contre la vie. C’est aussi pour cela que je proteste contre sa lecture de Nietzsche : s’il y a quelqu’un qui ne pouvait vraiment pas comprendre Nietzsche (et tant pis si ce que j’écris là va encore faire hurler les spécialistes), c’est vraiment un théologien ! Je n’ai cessé d’inviter mes étudiants à ne pas s’enfermer dans la formation qu’ils recevaient.
    J’ai apprécié l’expression « Hauptnichtdenker », appliquée à Heide, à sa juste saveur. Le fait que ma langue maternelle a été l’alémanique me permet de goûter les résonances vernaculaires de ce jeu de mot(heimlich, was !).
    Bien amicalement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 24/07/2006 à 23:46 | Répondre | Modifier
  87. Cher monsieur Misslin,
    je suis tout à fait en accord avec vous.
    Je vous donne en copie un texte de Gregory Charonsky sur son blog. C’est bien joli, et il condamne ceux qui refusent de lire Heidegger parce que nazi, ou qui choisissent de ne lire que les ouvrages critiques sur Heidegger. Sans doute, mais on a envie de dire à ces messieurs que si un soupçon de nazisme plane parfois (a priori, et sans doute à tort souvent, espérons), c’est aussi parce qu’a posteriori on est en mesure de voir le grand nombre d’heideggériens a priori insoupçonnables qui ont versé dans le révisionnisme voire le négationnisme, et J. Beaufret n’a pas été le seul. Au bout d’un an de réactions au livre de M. Faye, les bras m’en tombent.
    Ce qui devrait vous intéresser en tant qu’éthologue, c’est qu’il me semble parfois que les réactions de rejet des « ignorants » sont somme toutes plus rationnelles que les déploiements de délires « érudits » faits pour sauver l’insauvable. A cet égard, je ne peux supporter le renvoi dos à dos de ceux qui refusent de lire Heidegger et des négationnistes.
    Je pense au dégoût qu’a exprimé spontanément une amie alors que je lui expliquais que Heidegger avait programmé la publication de ses textes les plus nazis pour après sa mort, ou quand je lui ai dit que l’on pouvait avancer comme argument à décharge de l’antisémitisme de Heidegger le fait qu’il ait eu une maîtresse juive. J’en ai été surpris, tant le mal que j’ai à faire passer des remarques de simple bon sens sur internet en vient à me laisser croire que ce que je dis est d’une complexité insurmontable à faire passer…
    heureusement que l’on rencontre de temps en temps d’autres êtres humains…
    « Le spectacle quotidien du monde intellectuel donne effectivement l’impression que, comme dit excellemment Musil, « un authentique paranoiaque doit réellement avoir aujourd’hui bien du mal à se défendre, chez nous, contre la concurrence des amateurs. » »
    (J.Bouveresse, Le philosophe chez les autophages, p. 18)

    Bien à vous,
    Yvon Er.

    « Comme prévuNorme, standard et protocole technologiques comme condition de l’individuation esthétique (Couvent de la Tourette)
    »Heidegger, les stratégies

    Périodiquement l’affaire Heidegger,comme on la nomme depuis le livre de Farias, revient sur le devant de la scène. N’étant pas heideggerien et n’ayant fait qu’une lecture imprécise de cet auteur, je ne prend que rarement part à ces débats. Toutefois, que ce soit d’un côté comme de l’autre, il y a des stratégies d’occultation. Il y a tant et tant de manière d’occulter la responsabilité que nous laisse le travail d’Heidegger. Et si à présent je réagis c’est qu’hier un ami lors d’une conférence faisait référence à un concept heideggerien (le conflit terre/monde) et qu’un haut responsable du ministère de la culture a immédiatement réagi, sans doute suite au livre d’E. Faye, en disant qu’il ne fallait plus citer Heidegger. Et en ajoutant “Cite-t-on Hitler?” La difficulté sur ce sujet c’est qu’on semble toujours suspect, suspect d’un nazisme latent, suspect d’une complicité avec Heidegger, suspect… Il faudrait pouvoir calmement parler de cette question et pouvoir poser des alternatives, plusieurs solutions sans qu’un des participants se mette à crier et à vouloir imposer son point de vue. L’impossibilité d’avoir un débat serein, démontre que nous sommes, au sens de Lyotard, dans une situation de différend: des régimes de phrases hétérogènes sont à l’oeuvre et dissimulent leurs hétérogénéités.

    Pour le dire simplement il existe 4 positions:

    1/ Il ne faut pas lire Heidegger car il était nazi et ce serait faire l’apologie du nazisme.

    2/ On peut lire Heidegger car le nazisme n’a été qu’une erreur dans un parcours qui ne saurait se réduire à cela.

    3/ Si on lit Heidegger il faut le faire de façon critique en sachant qu’il a été nazi et que toute sa philosophie est empreinte de cette perspective politique.

    4/ Le fait qu’un philosophe important (vu le nombre et la qualité de ses lecteurs) ait été foncièrement nazi et sans doute archi-nazi, implique que nous devons lire Heidegger sans en réduire les ambiguités, les hétérogénéités, les multiplicités. On comprendra aisément que je ne peux souscrire aux deux premières hypothèses mais que les deux dernières constituent dans leur couple même, l’effort et l’exigence que nous devons tenir quant à ce sujet. Toutefois le problème de la troisième position est celle propre à toute analyse exogène: si on lit Heidegger dans l’optique d’y trouver des signes de son nazisme on en trouvera sans doute plus que la probité philologique ne le permettrait, la lecture étant un acte performateur. Il y aurait donc une cinquième position:

    5/ La lecture que nous faisons des livres d’Heidegger concerne sans doute moins l’époque où ces livres ont été écrits que notre époque. La lecture que nous faisons est un symptôme important de notre relation à cette époque, le nazisme, et de la manière dont cette époque elle-même évolue dans le temps. Bien sûr il ne faudrait pas réduire la lecture de ces livres à de simples projections de nos propres fantasmes, car ces livres développent des concepts, des réseaux sémantiques, des enchaînements d’idées. Il n’empêche que d’un point de vue philologique, il serait temps de se demander: « Qui parle? » question typologique si difficile quand celui qui parle est aussi celui qui se pose cette question.

    Ps: une simple remarque, j’ai rencontré plusieurs personnes n’ayant jamais lu de livres d’Heidegger mais lisant par contre tous les livres sur cette question de la relation entre le philosophe et le nazisme. Ce prisme unique, aussi aveuglant que l’autre prisme qui sous-estime l’engagement radical du philosophe, le fait que ce prisme fascine le public: « rendez-vous compte un philosophie nazi! », ne doit-il pas nous questionner sur la relationde notre époque à la pensée.

    Cet article a été publié le Dimanche 10 avril 2005 à 11:46 am et est classé dans Philosophie. Vous pouvez suivre les réponses reçues par cet article grâce au fil RSS 2.0. Vous pouvez laisser un commentaire, ou faire un trackback depuis votre propre site.

    Rédigé par : Yvon Er | le 25/07/2006 à 15:12 | Répondre | Modifier
  88. Bonjour Monsieur Er,
    Je suis content de savoir que vous êtes d’accord avec le contenu de mon dernier message. Merci aussi pour les remarques de M. Chatonsky: le ton adopté par ce monsieur contraste avec les vociférations de certains heidegerriens de service contre le livre de M. Faye. C’est vrai qu’on peut s’intéresser à Heide en lisant son oeuvre, replacée dans le contexte. C’est sous cet éclairage qu’elle m’intéresse. Pour moi, une oeuvre philosophique c’est un peu comme un arbre dont les branches tentent de s’élever pour capter les photons solaires. Celle de Heide pourrait de ce point de vue représenter le témoignage d’un homme jeté dans un monde qui justement n’en était plus un, c.à.d. qui avait perdu les repères correspondant à certains besoins humains et qui tente, par la pensée, de trouver des chemins (Wege!) pour retrouver dans cette affreuse obscurité un peu de lumière. Et comme Heide avait reçu une formation chrétienne, il a exprimé cette quête avec des réminiscences chrétiennes évidentes pour moi, même si elle est symbolisée philosophiquement. On pourrait, par exemple, pour être un peu plus concret, considérer que sa thématique du « Gestell » est une sorte de symbole comparable à celui de la tour de Babel biblique: l’expression de la démesure humaine, et le châtiment qui attend ceux qui ont oublié l’être, c.à.d. en fin de compte ce dieu qui « seul peut nous sauver ». Même sa sympathie pour le fascisme hitlérien peut dans cette perspective (!) se lire comme l’expression d’un besoin très angoissé à l’établissement d’un ordre politique fort, avec à la tête un chef qui ne craint pas de se présenter avec les atours, si je puis dire, d’un vrai Führer, c.à.d. celui qui est capable s’assumer ce terrible rôle qui consiste à servir de guide à la horde égarée. En raison de ma formation éthologique, je pourrais sans peine traduire tout cela en termes de recherche d’un écosystème politico-social sûr, stable, défini: le Boden germanique, quitte à devoir recourir au sang pour le rendre suffisamment conforme aux besoins d’un vrai Allemand, c.à.d. d’un authentique membre de la tribu germanique: dehors tous les parias qui polluent la tribu! Vous citez Musil que j’adore: en une phrase humoristique, qui a l’air d’une plaisanterie comme certains aphorismes nietzschéens, il fait éclater une vérité sur nous, ici les aspects paranoïdes de notre comportement. Car, les réactions paranoïdes représentent un système de défense contre tout ce qui peut nous gêner dans notre environnement. Et Dieu sait comme nous sommes susceptibles. Ce qu’en psychiatrie on appelle paranoïa ne représente, à mes yeux, que l’exaspération de ce système. De ce point de vue, je perçois chez Heide, phénoménologiquement (rire!)parlé, par mal de symptômes défensifs contre le monde dans lequel il vivait et qui lui était plutôt insupportable. Franchement, il y avait de quoi!!! D’où ce caractère réactionnel de certains de ses textes, et en contrepoint, l’appel quiétiste.
    Bien à vous
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 26/07/2006 à 12:28 | Répondre | Modifier
  89. Cher monsieur Misslin,
    nous avons déjà eu plus ou moins cette conversation : si il y a chez Heidegger un fond théologique, une quête d’un « fondement sûr » pour reprendre de manière raccourcie votre analyse, le Heidegger des années 30 est également très anti-chrétien. Il reprend donc peut être certains des besoins légués par sa formation théologique et le catholicisme de sa jeunesse, mais pour lui donner un tour qui lui est propre.
    Cher monsieur Misslin, pouvoir discuter avec vous sur internet a été à plusieurs reprises un bonheur certain, mais l’été arrive pour moi aussi.
    Je ne souhaite pas laisser à Hitler le dernier mot, mais je vais le citer, une fois n’est pas coutume :
    « Je remercie le destin de ce qu’il m’a épargné les oeillères d’une éducation scientifique. J’ai pu me tenir libre de nombreux préjugés simplistes. »
    Hitler à Rauschning, dans « Hitler m’a dit », nouvelle édition revue et complétée, Editions Aimery Somogy, 1979, p. 301 (cité par Jacques Bouveresse dans « Le philosophe chez les autophages », Les éditions de Minuit 1984, p. 47).
    Bien le bonsoir,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 26/07/2006 à 17:37 | Répondre | Modifier
  90. Cher Skildy,
    je crois que je peux et dois vous demander de mettre fin au blog qui suit mon intervention sur les « dangers du « négationnisme ontologique » ».
    Nous avons largement laissé le temps d’une réponse, et l’été universitaire arrive.
    Je ne suis cette fois pas intervenu plus tôt dans la mesure où j’ai souhaité donner le plus de temps possible à certains intervenants, afin qu’ils puissent revenir sur les propos qui les ont eux-mêmes entachés : j’ai déjà dit dans mon intervention de janvier suite au texte « Pour l’ouverture des archives Heidegger » que je souhaitais laisser leur chance aux personnes, même si les propos étaient inacceptables. M. Teitgen s’entête néanmoins à ne pas voir du nazisme dans la référence au « Blut und Boden » chez Heidegger dans les années 33-34, et ce en maintenant ses dires à l’origine de mes critiques, à savoir que le Blubo aurait une origine antérieure au nazisme. L’antisémitisme aussi, cela ne fait pas d’un appel à la « lutte contre l’asiatique » proféré dans ces années là un « simple » antisémitisme « réactionnaire » ou « catholique ».
    Par ailleurs que les références heideggériennes au Blubo s’amenuisent par la suite n’innocente en rien ses dires des premières années du IIIème Reich sur le même thème : propager le Blut und Boden dans ces années là, c’était participer à la construction de l’idéologie raciale du nazisme, entérinée en 1935 avec les lois de Nüremberg, qui sont bien un dispositif capital dans le processus de l’extermination des juifs d’Europe, contrairement à ce qu’a affirmé le dit « Maximilien Lehugeur », et comme l’a écrit par contre Raoul Hilberg ; après 35 le « Blubo » n’est plus une idéologie à imposer mais la loi même. A quoi bon propager encore ce qui fait force de loi ? Mais laissons cela : je me suis déjà rendu trop souvent au « Sonderbereich » de la bibliothèque d’État pour lire des livres marqués d’un bandeau rouge afin de vérifier une énième fois ce genre de choses.
    Demander benoîtement ce que pouvait bien attendre Heidegger du nazisme en 1933 et ce qu’il en comprenait, et la différence entre cette compréhension et le « nazisme « réel » » et « ce qu’il est devenu par la suite » (comme l’a fait monsieur Teitgen dans le courriel de la fin janvier que vous m’avez fait suivre à sa demande, et que je vous demande de conserver), c’est gommer, volontairement ou non, l’extrême virulence du régime dès ses débuts, qui conduit logiquement et juste après aux lois raciales. Que Martin Heidegger ait été recteur dans une des facultés « pionnières » du régime aurait dû suffire à provoquer plus de réflexions, mais je comprends maintenant après lecture des diverses « réponses » qui ont pu être données au problème comment une série d’euphémisations a pu étouffer l’interrogation avant que M. Faye ne publie son livre.
    Si la question de la responsabilité intellectuelle a été abordée, celles posée par mon intervention sur l’article de Servanne Jollivet sont restées sans vraie réponse ni vraie contestation. On m’a objecté que je n’aurais pas saisi la sérénité et la mesure de ce type d’approches. Si S. Jollivet représente la nouvelle sagesse universitaire, je crains que cette « sagesse » n’accouche de certaines fureurs déjà connues d’ailleurs.
    Enfin, je suis consterné par la gravité des documents publiés par monsieur Er, d’autant que cette publication a été immédiatement suivie d’une apparente indifférence qui rappelle un peu trop à mon goût l’ambiance de « Festen », et par une série de conversations qui peuvent être intéressantes, mais qui ne font pas vraiment directement avancer la chose même.
    Je souhaitais en intervenant ainsi prévenir un trouble et obtenir des éclaircissements, je repars plus troublé que jamais, et comprenant que nous sommes face à des problèmes politiques et moraux dépassant largement ma petite personne. L’interrogation ouvre parfois d’étranges portes. Je souhaite donc que de plus forts que moi se chargent de relever les défis à la fois anciens et nouveaux qui se présentent : ils ne seront sûrement pas seuls.
    Pour ma part, j’en ai assez vu, et vous laisse à vos propres travaux, à moins que les menaces de procès dont vous avez fait l’objet fin janvier ne me conduisent à me porter à votre aide.
    Je salue donc messieurs Er et Misslin, ainsi que Skildy qui nous a accueillis.
    Amis, salut.
    Christoph A. Lamy.

    Rédigé par : Christoph A. Lamy | le 26/07/2006 à 18:34 | Répondre | Modifier
  91. Merci, Monsieur Er, et bonnes vacances.
    C’est vrai, pour quiconque veut se livrer à ses pulsions sans frein, et en faire une idéologie, il vaut mieux ne pas s’adonner à la recherche scientifique: celle-ci, à tous moments, falsifie vos intuitions que vous croyiez pourtant fondées, et vos hypothèses qui vous paraissaient les plus heuristiques. Souvent, c’est au détour d’une expérience qui ne confirme pas votre hypothèse qu’on trouve une solution non imaginée. Mais Hitler n’avait que faire de confronter ses délires de parano à la réalité: la réalité déplaisante au parano, il la détruit!
    Bien amicalement et peut-être à plus tard.
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 26/07/2006 à 20:23 | Répondre | Mo

91 commentaires

  1. Monsieur Er,

    Si mon « arrogance en la matière » consiste à pointer votre incurie totale, alors je crois même qu’elle dépasse tout ce que vous pourriez imaginer. Je repose donc une question simple, à laquelle vous n’avez toujours pas répondu : puisque Dastur, Malabou, Guest (je n’ose m’ajouter à cette liste flatteuse) sont des imbéciles et / ou des salauds qui n’ont rien compris, dites-moi, je suis avide de savoir, où vous avez déversé le précieux suc de votre pensée, laquelle fait de l’ombre à tous ces braves gens ? Car enfin, il y a tout de même des moments ou l’esbrouffe ne suffit plus, cher Monsieur. je suis certain qu’un spécialiste comme vous, initié au sens secret des textes, instruit de patientes et nombreuses lectures, a écrit maints articles, participé à quantité de colloques… Et si tel n’est pas le cas, croyez que j’en suis désolé : sans vous, la philosophie française ne serait sans doute que ce qu’elle est.

    Coutinuez, Monsieur Er : nous le savons tous, et vous mieux que personne : le ridicule ne tue pas, pas plus que la bêtise.

    P Teitgen

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  2. Bonjour Monsieur Teitgen
    Merci pour l’information concernant le livre de M. Guest, Wittgenstein/Heidegger. Je vais me le procurer. Je suis tout à fait d’accord avec vous quand vous écrivez qu’il faudrait être stupide pour ne pas se préoccuper des retombées du « nihilisme ». Je mets ce dernier terme entre guillemets, car il ne convient pas à ma sensibilité, et ce n’est pas cet aspect de l’oeuvre de Nietzsche qui m’intéresse spécialement. Je n’ai pas non plus une grande affinité avec ceux qu’on peut appeler les « réactionnaires » ou les « conservateurs », non pas parce que je ne peux pas comprendre ce genre de posture, mais au contraire, je la comprends trop bien. J’ai étudié pendant des années le comportement néophobique des animaux, il s’agit de robustes systèmes défensifs. J’essaie de résister à l’anthropomorphisme, en revanche, comme vous voyez, j’aurais tendance à faire du zoomorphisme! Quand je nous vois en train de nous chamailler sur le blog de M. Skildy, que je tiens à remercier au passage pour sa grande hospitalité et tolérance, quand je vois partout dans le monde les primates humains se frictionner, je ne peux pas m’empêcher, et tant pis pour Martin, de faire des comparaisons et de trouver des analogies flagrantes avec ce qui se passe dans les groupes de primates, voire ailleurs! Pardonnez-moi, Monsieur, ne me prenez pas trop au premier degré, mais je trouve que les groupes humains, quels qu’ils soient, ressemblent étrangement à des zoo humains (Je pense que M. Sloterdijk pourrait être d’accord avec moi sur ce point).
    En introduction à mon cours de paléontologie humaine, je disais aux étudiants que les humains finalement n’ont pratiqué que trois « formes de vie » et de pratiques économiques, celle de chasseurs-cueilleurs nomades (pendant des millénaires) vivant en petits groupes (démographie: quelques milliers d’êtres), celle d’agriculteurs, artisans, lors de la sédentarisation néolithique il y a 10.000 ans seulement, c’était hier,(démographie: en croissance nette), enfin celle de notre monde industriel (depuis deux siècles, avec une démographie exponentielle explosive). Ces formes de subsistances se sont accompagnées de diverses formes « politiques ». Martin, en bon conservateur,(je ne me moque absolument pas) avait, je crois, la nostalgie du village néolithique (que j’ai bien connu dans mon enfance alémanique!). Notre « challenge » (pour parler comme les footballeurs)c’est comment nourrir ces milliards d’êtres humains, comme leur assurer l’énergie nécessaire, comment faire pour ne pas épuiser les ressources, tout en leur permettant une croissance de leur niveau de vie, de leur bien-être, de leur culture? Je crains qu’une réaction conservatrice du genre moins d’étant et retour à l’être ne soit qu’un rêve, pardonnez-moi, légèrement enfantin, et que seule la technologie soit capable de répondre à un défi aussi impressionnant. Suis-je naïf? Peut-être. Mais je ne sacralise pas la technologie, j’essaie de voir les choses de façon pragmatique. On a beau taper sur le « capitalisme », mais mis à part quelques nostalgiques du communisme, quelques révolutionnaires « progressistes » ou conservateurs attardés, je constate que la plupart des hommes souhaitent adopter le mode de vie des sociétés dites industrielles. On peut toujours parler du déclin de l’occident selon Spengler (et beaucoup de penseurs ont été influencés par lui, dont Heidegger, Wittgenstein ou Kraus). Mais devant une situation aussi menaçante, les postures aristocratiques et rêveuses sont peut-être charmantes et romantiques, mais ici il faudra mettre en oeuvre notre intelligence pratique et une mobilisation considérable. Et je me fierai plus aux penseurs capables de prendre à leur compte ce défi, plutôt qu’à ceux que ce défi fait seulement réagir. Mais, tout cela sans dogmatisme!
    Bien à vous
    R. Misslin

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  3. Bonjour monsieur Domeracki,

    je vais répondre brièvement à votre message (30/06/06, 22:01). Peut-être vais-je vous étonner (quoique je doute un peu qu’un petit scientiste, de surcroît « gâteux » (sic et rire!) à vos yeux, puisse étonner un savant comme vous. Mais, je me lance quitte à être ridicule. Dans un livre qui m’a beaucoup intéressé, « L’inconscient cérébral » (Seuil, Paris, 1992), M. Gauchet suggère que si l’inconscient mentaliste de Freud a éclipsé, momentanément le courant organiciste qui a traversé tout le XIXème siècle, c’est grâce à Nietzsche que « le choc fondamental » nous a été transmis au point que les progrès actuels des neurosciences vont peut-être faire que « l’inconscient cérébral pourrait en somme avoir le dernier mot. » C’est le vitalisme organiciste que Nietzsche a hérité de Schopenhauer, mais aussi des physiologistes de son temps qu’il lisait avec passion (voir un livre de Mme Stiegler à ce sujet)qui m’a séduit chez Friedrich. Voici un de ses aphorismes que je préfère: « Ce que l’on attribue communément à l’esprit me paraît composer l’essence de la vie organique; dans les plus hautes fonctions de l’esprit, je ne trouve que des fonctions organiques sublimées… » (« La volonté de puissance I » (§210). Je ne suis pas certain que Friedrich aurait tellement apprécié les sublimations spiritualisantes de Martin.
    Bien à vous
    R. Misslin

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  4. J’ai moi aussi cédé dés mes premières lectures de Heidegger à la tentation d’assurer à partir de Nietzsche une critique de la pensée de l’être. Pas de chance pour ce reflexe banal chez tous les lecteurs du penseur de la physiologie , celui ci manque complètement son sujet; en effet, là où la météphysique dans son ensemble se perd effectivement en abstractions et en fétichismes divers (mais procèdant toujours du Même) , la pensée de l’estre elle s’enquiert de ce qui est on ne peut plus « concret », « manifeste » , ce qu’on ne manque pas de lui reprocher lorsque ce manifeste n’est pas au goût de certains sensibilités. Pour ma part , je pense au contraire qu’on peut rapprocher le comportement heideggerien, de s’en tenir à ce qui est avec un certain « scepticisme viril » dont Nietzsche se réclamait, sans céder à l’intellectualisme , au noétique, aux conceptualisations ad hoc, aux constructions de l’esprit.
    Autre point , Monsieur Misslin , je vois que vous venez de dévoiler avec fièreté une autre attitude elle aussi fort banale, celle consistant à accepter en haussant les épaules l’ère ultra-capitaliste où tout est mobilisé pour une Domination de la technique (dû celle ci essayer de nourrir tout le monde -ô douce naïveté!). On ne peut avancer de propos aussi usités et aussi peu à l’écoute de ce qui appelle. Ce qui appelle , si cela doit me faire passer pour un rêveur, tant pis : car c’est là l’aune des chantres du Gestell, de ceux qui ont déjà toutes les réponses pour notre monde, là où le dernier siècle aurait pourtant dû servir de leçon. Mais réjouissez vous Monsieur Misslin, le futur vous donnera probablement raison. Vous pourrez vous en tenir à pousser votre caddie remplit et votre cervelle fannée vers le néant, sans vous faire troubler par quelques poètes hallucinés, et quelques penseurs ayant fait signe vers l’imminence d’une catastrophe. Catastrophe procédant des sociètés « industrialisées ». Vous voilà au bout du compte plus heideggerien que Heidegger lui-même puisque celui ci souhaitait à un moment une « marche au Danger » , une objectivation intégrale de ce qui est , y compris l’homme. Réjouissez-vous! Et continuez , surtout, de rejeter le terme de « nihilisme », celui-ci ne renseignant que sur le conservatisme stupide de ceux qui en ont parlés. Prions ensemble le nouveau dieu! (son nom ,semble-t-il , est « croissance », et ses prêtres sont Aron ,Jean-Pierre Gaillard et Ernest-Antoine Sellière) Qui sait , peut être que le capitalisme qu’il protège nourrira-t-il un jour toute l’humanité?

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  5. Cher Monsieur Domeracki,
    Je m’aperçois que je n’ai pas répondu à la dernière question que vous me posiez dans votre message du 30/06/06. Tout d’abord, j’ai déjà écrit ici que je me considérais comme un agnostique, ce qui signifie que toute forme d’athéisme m’est étrangère. Par conséquent, je ne trouve pas que l’attitude religieuse soit à proscrire, ni non plus à promouvoir. Sur ce point, je n’ai pas à me prononcer. Epécho! comme disait, enfin … vous savez qui! Je ne pourrai pas reprocher à Heide sa piété, si effectivement vous trouvez dans son oeuvre l’expression de cette attitude. Ce serait crétin. Comme vous savez, il m’arrive de lire des mystiques rhénans dans le texte, car c’est ma langue vernaculaire et j’y trouve un plaisir exquis.
    Quant au sort de l’humanité, je ne la pose pas en terme de « nihilisme » : je trouve ce terme nietzschéen peu pertinent, pas plus que les concepts de déclin, de déréliction, de décadence: je ne connais pas de périodes dans l’histoire des hommes, ni des civilisations au cours desquelles leur vie était une sinécure. Compte tenu de l’évolution démographique explosive, franchement, comment pourrions-nous répondre à ce défi sans recourir à la technologie? Comment ferions-nous aujourd’hui si nous n’avions pas opté pour le nucléaire? Quand j’entends des gens crier au loup mais sans proposer des solutions alternatives et efficaces, tout en continuant à bénéficier des avantages de la technique, je me dis: bon, c’est l’heure de la récréation. Il y a des gens aujourd’hui qui réfléchissent concrètement pour relever le défi: scientifiques, techniciens, politiques, philosophes. Ce ne sera pas facile, pouvez-vous répliquer. Mais encore une fois, qui dit que la vie est une baignade sans fin dans un lagon chaud des Caraïbes?
    Bien à vous
    R. Misslin

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  6. Ce que vous appellez « défi »n’est , aux vues des industriels , qu’un pseudo défi. Le capitalisme se nourrissant justement des malheurs des uns pour tonifier l’économie des autres. Mais ce serait là rentrer daus un débat trop vaste, ce qui apparemment ne vous effraie pas puisque vous semblez avoir déjà planifié les tâches que l’humanité doit se proposer prioritairement , et les moyens dont il doit user pour cela. Je vous le dis: vous êtes plus heideggerien que vous ne le croyez , en tant que vous mêmes appuyez sans ambage la perversité intrinsèque de l’ère hyper-moderne, où l’harmonie et le sacré semblent bien obsolètes à côté du culte de la personnalité, de la puissance technologique, et de l’insurrection du mâitre et possesseur de la nature.

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  7. Monsieur Domeracki,
    Mais, que proposez-vous au juste? De revenir en arrière? Mais vers quel arrière? Le paléolithique? Le néolithique? L’Antiquité? Le Moyen-Age? Comment vous nourrissez-vous? Vous ne prenez pas de caddie quand vous allez aux supermarchés? Vous plantez vos tomates vous-même? Vous vous éclairez à la bougie? Ou mieux, vous allumez le bois de votre cheminée avec du silex? Vous élevez des poules? Ou mieux vous chassez, pêchez, cueillez? Vous vous déplacez à pied, sans doute? Vous ne voyagez pas? Si, comment? Pas en avion, ni en train, ni en voiture (quelle horreur). Comment? En bateau? A la voile, alors? Vous n’avez pas de compte en banque, l’argent, pouah! Bref vous êtes un poète. Vous vivez d’inspiration, de rêveries extatiques, qui vous emmènent loin des miasmes de la civilisation à la rencontre fabuleuse de l’Etre de l’Utopie. Bon voyage, mais moi, je ne suis qu’un simple terrien. Quant à « ma cervelle fanée vers le néant » (?), je ne sais pas vraiment ce que vous voulez dire, mais le savez-vous vous-même? Si mon cerveau est fané, le vôtre, je n’ose pas trop me prononcer sur son état, compte tenu de la manière dont vous vous exprimez. Consultez plutôt un spécialiste. A moins que le rôle de ventriloque de Heide vous ravit à ce point. Dans ce cas, vous pouvez faire une carrière au cirque plutôt qu’à l’université. Ce serait peut-être plus lucratif!
    Cordialement
    R. Misslin

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  8. Cher Monsieur Mislin,

    Je comprends votre position, mais je crois qu’elle repose (ne m’en veuillez pas de ce terme) sur un double malentendu.

    1°) Je ne crois pas que Heidegger ait jamais été « conservateur », et c’est même ce que j’aurais tendance, personnellement, à lui reprocher… Il avait (en tous cas dans les années 1920 et début 30) un petit côté « il faut que ça change » et des sympathies révolutionnaires (il suffit de lire le Discours de rectorat pour s’en rendre compte) qui expliquent à mon avis bien des choses (je vais encore me faire taper dessus, mais ne vous inquiétez pas : j’ai le cuir solide) ; sans doute en est-il revenu par la suite, mais un peu tard à mon goût. Même après, je ne crois pas cependant qu’on puisse assimimiler ses positions à un quelconque agrarisme passéiste à la Méline, loin de là — il ne s’agit pas de conserver le passé à tout prix (Nietzsche nous a appris à quel point ce genre d’attitudes étaient réactives !), mais de poser la question du prix du changement — et de se rendre compte que la facture, peut-être, est un peu salée (à savoir, comme Heidegger, n’en déplaise à certains, le dit clairement : die Menschenvernichtung)
    2°) Sur la technique, il ne fait aucun doute qu’elle parviendra effectivement à résoudre la plupart de nos problèmes, et qu’elle peut, de ce point de vue, être l’objet de toutes nos espérances… C’est justement ce qui inquiète Heidegger : non pas son potentiel destructeur (la question de la technique, pour parler vulgairement, ce n’est pas l’angoisse d’un Terminator !) mais au contraire son trop-plein d’efficace : on n’aura bientôt plus besoin que d’elle, et voilà le danger. D’autant que (le constat est assez facile à faire !) se cache derrière cette efficace une forme particulièrement déchaînée de volonté de puissance, où l’homme veut (à ses risques et périls) s’ériger en « seigneur de l’étant ». Je suis frappé, pour ma part, de l’allergie croissante de nos contemporains à l’âpreté du réel, au fait même qu’il y ait du donné qui nous résiste (nous pouvons désormais décider de la forme de notre corps par un judicieux recours à la chirurgie, les enfants peuvent à présent choisir leur nom de famille, ou faire un procès s’ils jugent leur prénom par trop ridicule, pour ne citer que des anecdotes plaisantes). Ce constat n’a rien de bien original, je le sais : d’autres l’ont fait avant Heidegger, et après lui. Je vous cite pour mémoire un magnifique texte, celui qui clôt la Trahison des clercs de Julien Benda (qu’on ne saurait par ailleurs suspecter d’attachement douteux à la Terre qui elle, c’est bien connu, « ne ment pas »):

    « Nous disions plus haut que la fin logique de ce réalisme intégral professé par l’humanité actuelle, c’est l’entre-tuerie organisée des nations ou des classes. On peut en concevoir une autre, qui serait au contraire leur réconciliation, le bien à posséder devenant la terre elle-même, dont elles auraient enfin compris qu’une bonne exploitation n’est possible que par leur union, cependant que la volonté de se poser comme distinct serait transférée de la nation à l’espèce, orgueilleusement dressée contre tout ce qui n’est pas elle. Et, de fait, un tel mouvement existe ; il existe, par-dessus les classes et les nations, une volonté de l’espèce de se rendre maître des choses et, quand un être humain s’envole en quelques heures d’un bout de la terre à l’autre, c’est toute la race humaine qui frémit d’orgueil et s’adore comme distincte de la création. (…) On peut penser qu’un tel mouvement s’affirmera de plus en plus et que c’est par cette voie que s’éteindront les guerres interhumaines. On arrivera ainsi à une « fraternité universelle », mais qui, loin d’être l’abolition de l’esprit de nation avec ses appétits et ses orgueils, en sera au contraire la forme suprême, la nation s’appelant l’Homme et l’ennemi s’appelant Dieu. Et dès lors, unifiée en une immense armée, en une immense usine, ne connaissant plus que des héroïsmes, des disciplines, des inventions, flétrissant toute activité libre et désintéressée, revenue de placer le bien au-delà du monde réel et n’ayant plus pour Dieu qu’elle même et ses vouloirs, l’humanité atteindra à de grandes choses, je veux dire à une mainmise vraiment grandiose sur la matière qui l’environne, à une conscience vraiment joyeuse de sa puissance et de sa grandeur. Et l’histoire sourira de penser que Socrate et Jésus Christ sont morts pour cette espèce.  » (je rappelle pour mémoire que La Trahison des clercs a été publiée en 1927, la même année que SZ).

    L’originalité de Heidegger tient donc non pas au constat (il suffit pour le faire d’avoir des yeux pour voir !) mais si j’ose dire à son étiologie : le déchaînement de la volonté de puissance (l’humanité qui n’a plus pour Dieu « qu’elle-même et ses vouloirs ») est une conséquence en un sens logique du premier commencement grec de la métaphysique (ce pourquoi d’ailleurs il ne saurait être question pour Heidegger d’un « retour aux Grecs » : nous n’en sommes pas encore sortis !).

    3°)J’ajoute, chemin faisant, un troisième point.
    Sur le rapport tumultueux de Nietzsche au vitalisme, savez-vous qu’il y a un excellent article de W. Muller-Lauter sur le sujet, dans son ouvrage Physiologie de la volonté de puissance ? Je vous le recommande vivement, ainsi du reste qu’à M. Domeraki (je demeure d’ailleurs à sa disposition s’il a besoin de conseils bibliographiques pour l’année prochaine).

    Mais je m’aperçois que les lectures que j’indique enflent dans des proportions inconvenantes… Vous voudrez bien, je l’espère, m’en excuser.

    En vous remerciant de me montrer que parfois, et malgré toutes les différences possibles d’approches et d’interprétation, la discussion est et demeure possible,

    P Teitgen.

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  9. Bonjour Monsieur Teitgen,
    moi aussi j’apprécie de pouvoir dialoguer avec vous. Merci pour m’avoir signalé le livre de M. Muller-Lauter: je l’ai dans ma bibliothèque et j’ai énormément apprécié sa lecture. Je ne lis pas le concept de « volonté de puissance » de Nietzsche de manière strictement humaniste, je veux dire, comme si cette « volonté » était le propre de l’être humain. Compte tenu de la sensibilité « vitaliste » de Nietzsche, j’interprète ce concept comme un synonyme d’instinct de conservation, ou mieux, comme l’élan vital de Bergson, non comme un instinct de domination pure (même s’il y avait chez Nietzsche aussi des pulsions germaniques!). Nietzsche n’était pas vraiment cartésien, c’est le moins que l’on puisse dire,il ne pouvait donc pas considérer que notre fin était de nous rendre maîtres de la nature, mais que nous partageons avec les autres êtres vivants le destin de « vouloir » ( dans le sens schopenhauerien)persévérer dans l’être comme on dit. Mais peut-être que mon interprétation ne tient pas la route. Dans ce cas, je suis prêt à en accepter une autre si l’on m’en propose une de plus pertinente. Vous savez, monsieur Teitgen, je n’ai pas de certitudes. Je considère que nous procédons par essais et erreurs, que nous bricolons, que nous construisons comme nous pouvons nos raisons de croire, d’espérer, d’aimer, mais aussi de désespérer, de nous révolter. Sans doute parce que comme l’a dit un jour M. F. Jacob, l’évolution est un vaste bricolage, et que nous sommes un des millions d’essais de ce bricolage. J’ai une question: je n’ai toujours pas réussi à vraiment savoir ce que Heidegger pouvait bien proposer pour nous tirer du mauvais pas de ce qu’il appelait le Gestell. Quand les étudiants me demandaient parfois ce que je pensais du problème de la vie, je leur répondais que la vie n’était pas vraiment un problème, mais plutôt un drame, dans le sens antique de ce mot, parfois comique, parfois tragique, et même tragi-comique!.
    Bien cordialement
    R. Misslin

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  10. Bonjour Monsieur Teitgen,

    Permettez-moi de revenir à votre précédent message. J’ai bien aimé la citation de J. Benda et je en vous remercie, car elle est effectivement très éclairante pour moi, et surtout écrite … en français et non point en heideggerien (pardonnez-moi, mais j’ai vraiment du mal avec le style de Martin: j’ai beau faire, j’essaie de le lire à petites doses, car très vite, j’abandonne, avec ce pénible sentiment de ne jamais savoir en fait où il veut en venir. Je n’ai ce problème avec aucun autre penseur, fût-il « néo-allemand », pour reprendre l’expression drôle de Kraus). Dans votre commentaire, vous écrivez: « … l’humanité qui n’a plus pour Dieu qu’elle-même et ses vouloirs. » Sans doute touchons-nous ici à la question autour de laquelle tourne ce que les spécialistes appellent le second Heidegger, celui du Gestell. Or, et je comprends beaucoup mieux, grâce à vous et à Benda, mon sentiment à l’égard de Heidegger: c’est que la façon dont il pose cette affaire ne m’intéresse pas, elle est trop loin de mon mode de fonctionner. Les hommes, à mes yeux, n’ont jamais eu pour dieux qu’eux-mêmes, et encore ce n’est pas correct d’exprimer cela ainsi: comme nous sommes des animaux sociaux, qu’il est donc impensable d’imaginer des êtres humains vivant seuls, individuels, je crois qu’il est plus juste de dire que jamais les hommes n’ont vécu autrement que pour défendre en groupes leur existence contre tout ce qui à tort ou à raison est susceptible de menacer leur survie. Vous savez bien, monsieur Teitgen, que les dieux sont de notre invention, mais pas issus de notre volonté selon Descartes, mais du « Wille » selon Schopenhauer et Nietzsche, ce qu’avec M. Gauchet j’appelle l’inconscient cérébral. Vous connaissez mieux que moi ce que Xénophane de Collophon, dans un esprit voltairien avant la lettre, disaient de ces inventions. Et comme nous sommes une espèce territoriale, un des systèmes de défense constant dans toute l’histoire des hommes a été de s’emparer d’un territoire, de le marquer en le délimitant, et d’en interdire l’accès aux autres « bipèdes sans plumes » quitte à s’aventurer dans leur territoire et, si besoin, à les massacrer. M. Godelier, dans son livre « Métamorphoses de la parenté, a décrit de façon très détaillée, pour avoir vécu là-bas un temps, une population traditionnelle de la Nouvelle-Guinée, les Baruya. M. Godelier rapporte que dans son histoire, il est arrivé à ce groupe de liquider entièrement une tribu voisine. Pourquoi je me sens très loin de la façon qu’a Heidegger de poser la question de la technique, mais pas seulement lui, de bien d’autres philosophes, de parler de l’humanité? Parce que je ne surestime pas le pouvoir de notre pensée, je ne crois pas qu’en adoptant la posture qui consiste à surplomber par l’intellect l’histoire d’une culture, comme il le fait avec ce vocabulaire « essentialiste »on comprend mieux que le commun des mortels ce qui nous arrive et ce qu’il cinviendrait de faire pour nous tirer d’un mauvais pas. En procédant ainsi, je crois que nous nous donnons l’illusion, grâce au verbe, de pouvoir saisir la totalité de l’histoire. C’est l’étude du comportement animal qui m’a appris, je l’espère en tous les cas, une forme d’humilité intellectuelle. Nietzsche dit quelque part que les hommes sont « innocents ». Personnellement, je ne mets pas cela sur le plan moral, lui non plus d’ailleurs, mais sans doute voulait-il dire que nous ne sommes pas les maîtres du jeu. Quand on observe comment s’organise la stucturation sociale chez telle ou telle espèce de primates, par exemple, on est fasciné de voir que cette « forme » (pour parler comme Aristote, un penseur majeur pour moi)émerge des interactions individuelles, et il est pour ainsi dire impossible de modéliser cette structure, tant elle résulte de la somme de multiples variables. Nous les humains, nous avons été capables, dans une certaine mesure (et pas dans une mesure certaine) de « mythologicer » certains aspects de notre vivre ensemble (je prends mythe dans les sens large, et le logos y est inclus). Mais comme chez les autres espèces, la structure des groupes humains n’est pas non plus stable dans le temps. D’où les ruptures, entre autres au niveau des mythes (religions, philosophies, idéologies). D’où les tentatives de « re-mythologisation » (souvent on se tourne vers d’anciens mythes censés être plus authentiques, parce que plus anciens: cf la mythologie de la germanitude pré-hitlérienne, cf plus récemment le recours des Serbes à des mythes idéalisants du passé). Tout cela pour dire que les hommes ont toujours dû se débrouiller avec les moyens du bord (qui sont loin d’être ridicules du reste)pour persévérer dans leur être d’Homo sapiens sapiens. Cette aventure dure seulement depuis environ 150 000 ans. Quant à la suite… Inch’Allah! rire)
    Bien cordialement
    R. Misslin

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  11. Je ne fais évidemment en aucun cas la promotion de comportement rétrogrades, réacs! (Même si au passage je suis complètement piéton). Heidegger,du reste , non plus! Il ne fait que décrire des faits : il ne prétends pas les amender. Il entrevoit juste une porte de sortie possible mais de plus en plus improbable. Heidegger est celui qui a le courage d’affirmer que la technique n’est pas tant au service de l’homme que l’homme complètement arraisonné; au point notamment que la moindre assertion dépréciative à son sujet passe pour un crime de lèse-majesté. En l’occurence je profite des « bienfaits » du Gestell (dont 95 pour cent sont dispensables: divertissements et divers moyens de rétrécissement du monde). Mais, à la suite de Heidegger ,je pense qu’il ne faut pas être dupe de la direction qu’a prise l’humanité en tâchant de se constituer en tant que souveraine rêgnant sur l’étant. Mais puisque l’optimisme est de « raison », j’imagine que l’arsenal nucléaire , la recherche meurtrière en devellopement militaire , les thérapies géniques à venir et l’émergence de la nanotechnologie seront pour vous d’agréables bienfaits pour les hommes ,qui sauront bien entendu s’en rendre maître grâce à une superbe éthique…Heidegger a su montrer l’insuffisance foncière des ressources métaphysiques et humanistes pour relever le défi de la technique , celui qui nous anéantira physiquement , mais qui a déjà anéanti l’âitre de l’homme , son essence la plus haute : celle qui fait de lui le seul être capable de recevoir de façon féconde ce don le plus haut qu’est le fait qu' »il y a ». Cette dimension ne peut certes qu’attirer les sarcasmes de ceux qui se battent littéralement pour continuer à pouvoir s’affairer et s’oublier dans l’étant en aggravant la marche au Danger. Heidegger ne critique pas tant ces « très nombreux » (dont je fais partie) : il explique leur nécéssité , l’aspect inéluctable et effrayant (car apparemment illimitée) de cette mauvaise passe, dû à une « malignité de l’être ». Jamais Heidegger ne nie les « bienfaits » relatif aux avancées scientifiques modernes. Mais il constate que cela n’a pu advenir qu’à partir d’un abandon plus haut , ontologiquement parlant. Et surtout , il a le courage d’expliquer en quoi ces bienfaits procèdent aussi de leur envers inavouable : toute la dimension meurtrière que permet l’époque technique. A l’époque où l’homme a bien intégré le fait qu’il est celui qui doit se rendre souverain de ce qui est , il n’est guère étonnant que l’objectivation ait atteint la partie qui aurait pu être intouchable , sacrée : l’homme lui-même. Et vu la cours actuel des choses, que vous semblez bénir, je peux déjà vous annoncer sans risque que les exactions et les catastrophes les plus gigantesques sont encore à venir. Car l’homme n’est pas encore reconnu en sa vraie dignité. Je ne dis pas que j’adhère automatiquement à toutes ce shypothèses heideggeriennes. Mais je dois dire qu’elles ne me paraissent pas complètement absurdes. Elles ne le paraissent qu’à l’aune des conceptions du monde qu’ a justement rejeté Heidegger. C’est son choix. Je ne suis pas sûr qu’il relève tant que ça de l’idéologie, que d’une pensée reondement nmenée jusqu’à ses ultimes conséquences.

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  12. Monsieur Mislin,

    1°) Tout à fait d’accord lorsque vous dites que pour Nietzsche, nous ne sommes « pas maîtres du jeu » — voir sur ce point toutes ses critiques de la « superstition grammaticale » d’un sujet substantiel et cause de ses actions / pensées.
    Sur le statut de la volonté de puissance, trois textes me semblent importants pour comprendre : l’aphorisme 36 de Par-delà Bien et Mal (qu’il faut comprendre à partir de l’aphorisme 19, critique du vouloir-vivre schopenhauerien) et le Fragment posthume XI 38 [12]. Il en ressort que Nietzsche lui-même ne résume pas la volonté de puissance à un quelconque « instinct de conservation » (lequel n’en est qu’une conséquence locale et secondaire) : la volonté de puissance comme puissance d’interprétation explique tout ce qui est, jusqu’à l’inorganique ! Mais là, nous nous aventurons dans des questions fort complexes. Je vous recommande sur ce point l’ouvrage de P. Wotling, Nietzsche et le problème de la civilisation, qui propose une explication fort intéressante de ce point.

    2°) Sur le Gestell, la réponse de Heidegger est simple : d’une part, croire que tout est en notre pouvoir, c’est le comble de la pensée technique et calculante : il y a dans cette histoire quelque chose qui nous échappe essentiellement (regardez l’article de Guest dans le dernier numéro de l’Infini sur ce point). D’autre part, Heidegger avoue assez souvent (et assez nettement) son impuissance : il est encore trop tôt pour savoir comment nous en sortir (si nous le pouvons encore). Ce qui est certain, c’est que la tâche primordiale pour préparer une éventuelle solution future, c’est de s’atteler au travail de la pensée, pour méditer le fond métaphysique du Gestell et ainsi penser l’origine du danger comme danger. L’idée aussi (profondément nietzschéenne) que les temps de crise (comme le nôtre) sont décisifs autant qu’incertains, que « là est le danger croît aussi ce qui sauve », et que bien malin serait celui qui pourrait d’avance dire ce qui en sortira.

    3°) Sur le rapport de l’homme aux dieux, la question est effectivement, là encore, fort complexe chez Heidegger. Il est clair en tous les cas (sans qu’il faille nécessairement parler ici de créations imaginaires) que seul un être fini peut se rapporter à l’infini… Et il ne s’agit pas d’espérer en la venue d’un Sauveur divin, contrairement à ce qu’on a pu croire (et que Heidegger a d’ailleurs laissé croire de façon visiblement tout à fait volontaire). L’idée fondamentale est peut-être la suivante : que notre humanité ne soit plus capable d’éprouver le frisson du divin n’est pas nécessairement une libération en soi. On peut comprendre ce phénomène au contraire comme une désappropriation radicale de la finitude : non pas se libérer des anciens mythes et des croyances (utilitaires ? Peut-être!)en Dieu, mais s’ériger soi-même comme Dieu. On peut entendre ce phénomène de façon positive (je pense ici à Feuerbach) ; on peut y voir aussi quelque chose de plus inquiétant : la volonté de puissance sous sa forme la plus déchaînée, l’érection de l’homme en seigneur de l’étant, ce qui s’atteste tous les jours un peu plus, phénomène-de-fond dont nous n’avons sans doute pas fini de payer les conséquences, tant nous sommes loin encore d’en avoir conscience (ne serait-ce même qu’en termes de réchauffement climatique, de l’impact de notre mode de vie délirant sur la biodiversité, etc. : je viens d’écouter ce matin JP Jancovici, qui tenait sur ce point des propos affolants sur nos « esclaves énergétiques et qui soulevait, comme chemin faisant, la question de la capacité de la démocratie à relever le défi immense qui lui est posé).

    Quant aux travaux de M. Godelier, j’avoue que je ne les connaissais pas, et que je les lirai avec intérêt.

    Cela étant, M. Mislin, je suis désolé de voir cette discussion tourner (déjà!) court, et de ma faute : j’ai beaucoup de travail en retard, ce qui m’oblige à abandonner là cet échange, à regrets, parce que je pense qu’il aurait pu en ressortir quelque chose d’intéressant — veuillez, je vous en prie, m’en excuser.

    Pierre Teitgen

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  13. a) J’ai terminé ma lecture de « Die Heidegger Kontroverse » (Frankfurt am Main, Athenäum, 1988 – textes en réaction au livre de Victor Farias réunis par Jürg Altwegg, qui traite de l’affaire Heidegger dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung).
    Il s’agissait pour moi de comparer les différentes « affaires » Heidegger. De fait, et comme cela a été répété à l’envie, il y a des choses qui se répètent, et notamment des prises de position. GA Goldschmidt est déjà là, Bourdieu aussi, dont la présence aurait été bienvenue dans cette nouvelle affaire qui nous occupe actuellement. Alain Finkielkraut, qui ne parlait alors pas plus l’allemand qu’aujourd’hui, avance qu’il y aurait dans la critique de Heidegger « une forme de stalinisme qui rappelle les années 30 » (p. 108), sans vouloir voir que ce n’était pas de stalinisme qu’il était question. Pour Jürgen Busche « Also gut Heidegger war ein nazi ! » (Plasterstrand du 23 janvier 1988 ; Jürgen Busche a par ailleurs été un des vifs défenseurs de Peter Handke lors de ses récentes prises de position révisionnistes, avec Botho Strauss pour qui le génie a somme toute un droit à l’horreur que les éboueurs eux n’ont pas). Sous-entendu « et alors ? ». C’est que pour lui comme pour Rudolf Augstein (auteur de « Aber bitte nicht philosophieren ! » en 1987 dans le Spiegel, et en 1947 du fameux « Spiegel-Gespräch » avec le philosophe teutomanne) ou pour Henning Ritter (auteur à l’époque d’un « Bruder Heidegger »), la pensée ne saurait être touchée par l’engagement politique. Le fait que ces journalistes aient eu par ailleurs ou au cours des polémiques en question des positions ultra-réactionnaires n’a donc rien à voir avec leur défense de Heidegger. Dans son article du 29 octobre 2005 sur le livre de Emmanuel Faye, Henning Ritter a avancé qu’à tout prendre le nazisme de Heidegger serait moins dangereux que Descartes, ce dernier ayant le tort d’être « zu westlich », trop occidental…il n’y a pas besoin de beaucoup plus de commentaires.
    Le Nouvel Observateur du 22.01/1988 avait par ailleurs publié des extraits de « La fiction du politique » de Philippe Lacoue-Labarthe, qui a heureusement bien évolué depuis. En les relisant je me suis rappelé pourquoi je n’ai pas réussi à aller beaucoup plus loin que la préface de cet immortel ouvrage (préface où il est avancé que Victor Farias n’est somme toute qu’un complot de Jean-Pierre Faye. On peut choisir de rire). P. 122 on apprend ainsi que la prise de parti heideggérienne pour le national-socialisme aurait été une erreur si celui-ci n’avait pas été porteur d’une possibilité que Heidegger a bien vu en lui. P. 123 on apprend que Heidegger s’est trompé en 33, mais qu’en 43 il sait qu’il s’est trompé, « non sur la vérité du national-socialisme, mais sur sa réalité » (réalité et vérité n’ont donc rien à voir…). P. 124 notre penseur nous apprend qu’il entend se limiter à une question de pensée, et qu’il lui semble inutile de revenir aux faits. Puisqu’on vous dit que vérité et facticité n’ont rien à voir… circulez. Notre penseur ne voit pas en quoi être nazi était un crime- je cite la traduction allemande p. 124 : « Ich sehe nicht (…) daß nazi zu sein ein Verbrechen war. Diese Rede kann man politisch führen, und sie ist es, die ich persönlich führe. Aber die Sache bleibt zu denken, und hier sind Anekdoten [sic. Pourquoi pas des « détails de l’histoire »] von keinerlei Hilfe, selbst wenn es Dokumente und Zeugnisse gibt, die meines Erachtens bestürzend sind. » Voilà donc une estimation qui ne saurait être bouleversée par des choses aussi inintéressantes pour elle que l’histoire, l’existence, la réalité, les « documents et témoignages », toutes ces choses pour ploucs positivistes. Cette citation me suffit.
    Notre penseur avait pourtant vu que prendre parti pour le national-socialisme c’était prendre parti pour un racisme : « Indem man sich dem Nationalsozialismus anschloß, für wie kurz auch immer, schloß man sich notwendig einem Rassismus an. » (id.). Mais Auschwitz est la révélation de l’essence de l’Occident, j’imagine donc que le concept de responsabilité individuelle n’a plus cours : « Nicht mehr und nicht weniger als das Wesen des Abendlandes ist es, was sich in der Apokalypse von Auschwitz enthüllt hat » (p. 125). Quand on a prononcé ce genre de phrase, des questions comme « comment, où, qui », n’ont plus vraiment lieu d’être.
    Par ailleurs on peut penser ce que l’on veut de Derrida et de son livre « De l’esprit », mais sa réaction de 1988 (dans un entretien avec Didier Eribon, le Nouvel Obs du 6 novembre) était cependant supérieure à bien des dénégations impossibles que l’on peut encore lire aujourd’hui (Altwegg p. 87, on m’excusera le ridicule qu’il y a à citer la traduction allemande, mais je n’ai rien d’autre sous la main) : « welcher anspruchvoller Leser hat jemals geglaubt, die Rektoratszeit sei eine isolierte und leicht eingrenzbare Episode gewesen ? » Demandant lui même quel lecteur exigeant a jamais pu croire que le rectorat n’était qu’un épisode isolé et facilement délimitable, on aurait pu s’attendre à ce qu’il nous sorte autre chose comme explication du nazisme heideggérien qu’une nouvelle inculpation de la « métaphysique occidentale ».
    Mais mon désappointement le plus grand a par ailleurs été la lecture de l’article de Lévinas, dont avec Bourdieu je regrette le plus l’absence aujourd’hui. Qui d’autre que lui parmi les élèves de Heidegger, sauf peut-être Löwith (et Anders, mais ce dernier en se dégageant presque complètement de son emprise), a vu et décrit le mieux le pire de la pensée heideggérienne ? En 1988 il se contente d’abord de dire lui aussi que dans le livre de Farias de nombreuses informations qui sont données étaient en fait déjà connues, et que d’autres devront être vérifiées : « das Buch von Farias, in dem viele bekannte Informationen wieder aufgenommen werden und zahlreiche andere hinzukommenderen Details gewiß einer kritischen Überprüfung bedürfen » (p. 103). Mais ensuite Lévinas avance pourtant que même « Être et temps » pourrait bien être entaché par « le mal », avant de s’en tirer par une pirouette qui laisse quelque peu sur sa faim, et qui était déjà celle du titre (« Das Diabolische gibt zu denken », le diabolique donne à penser…on a envie de demander « …quoi ? ») : « Was die intellektuelle Stärke in SuZ angeht, so kann dem ganzen immensen Werk, das auf dieses außergewöhnliche Buch von 1926 gefolgt ist, die Bewunderung nicht versagt werden. Kann man aber sicher sein, daß das Böse darin nie auf ein Echo stieß ? (…) Was wollen Sie, das Diabolische gibt zu denken. » Il y a-t-il un lien entre cette esquive, ainsi que le malaise à parler du nazisme de Heidegger (dont témoigne par exemple Marc de Launay, qui avait fait une intervention sur le nazisme de Heidegger à partir du Scheeberger dans le séminaire de Lévinas), et le statut de l’histoire réelle dans la pensée lévinassienne ? Dans un autre registre, D. Janicaud parlait je crois d’ « érotisme de vitrail » pour désigner les descriptions lévinassiennes de la caresse, assez loin il est vrai de l’érotique réelle, mais bon. Je pensais quant à moi au statut de la responsabilité selon Lévinas, qui va jusqu’à voir dans le commandement une exigence de prendre sur soi jusqu’à la culpabilité du bourreau – responsabilité qui va jusqu’à englober celle de mon persécuteur ; ce n’est ici qu’une esquisse, mais je crois que le problème est à creuser.
    Je passe ici sur l’intervention de Pierre Aubenque, qui s’emploie à pointer plusieurs faiblesses du livre de Farias et à rappeler que KO Appel a été nazi (« alors hein pourquoi on nous embête, les analytico-machins aussi »), en faisant semblant d’ignorer le travail de Hugo Ott, déjà disponible à l’époque. Bien pratique.

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  14. b) J’en viens à l’immortel article de Jean Baudrillard paru dans « Libération » du 29 janvier 1987. « Zu spät ! » dit la traduction allemande, trop tard…
    On assiste, nous est-il dit p. 166 du Altwegg, à un revival du fachisme, du nazisme et de l’extermination des juifs, en ce temps de bilan du siècle (on est encore en 1987, mais le millénarisme n’attend pas…). Après avoir accusé Marx d’avoir couché avec sa bonne, Freud d’être un sexiste, voilà qu’on accuse Heidegger d’avoir été nazi (p. 167 ; ces problèmes sont bien évidemment du même niveau…). Ce souci mémoriel ne tient pour notre penseur qu’au fait que nous voulons nous prouver que nous sommes morts en 1940 et 1945 à Auschwitz et à Hiroshima, et ce parce nous ne serions « aujourd’hui » plus « présents » politiquement et historiquement (sic., p. 167). Parce que la philosophie n’est plus présente, elle devrait prouver qu’elle est devenue muette à Auschwitz. De même, nous est-il dit, les arméniens tentent « en vain » de chercher une preuve « inutile » du fait qu’ils ont été massacrés, une preuve qui « d’une certaine manière déterminée » est insaisissable ; je cite la traduction allemande de cet éternel chef d’oeuvre : « In ähnlicher Weise bemühen sich die Armenier, den Beweis zu erbringen, daß man sie in 1917 abgeschlachtet hat, ein unfaßbarer und überflüssiger Beweis, der aber in einer gewisser Weise unangreifbar ist. » (ibid., p. 167).
    Et pourquoi je vous prie ? Parce que de toutes façons notre réalité, y compris les événements tragiques, est passée dans les poubelles des media, ce qui signifie qu’il est trop tard pour les vérifier et les concevoir (ibid., p. 168).
    On aurait voulu donner un exemple digne d’un manuel de complicité entre le négationnisme le plus bas et l’irrationnalisme « post-moderne » le plus chic et choc, que l’on aurait pas trouvé mieux. Puisqu’on vous dit que des concepts comme ceux de responsabilité, de cause objective, de sens ou de non-sens, ont disparu ou sont en train de disparaître (ibid.)…
    On apprend par la suite que nous vivons dans l’ère de l’échangeabilité bourreau-victime, que nous sommes tous coupables, d’où comment une amnistie ? et que plus on étudie le national-socialisme et les chambres à gaz, moins ils deviennent saisissables : « les événements cessent d’avoir existé », et on en viendra à se demander si Heidegger lui-même a existé, « Eines Tages wird man sich fragen, ob Heidegger überhaupt existiert hat. » (p. 169). En se mettant ainsi lui même un bonnet à clochettes (il finit son article en demandant une pétition pour la suppression des années 90, qui serait « plus intéressante que les pétitions humanitaires »), Baudrillard a sans doute échappé à l’accusation de négationnisme. Mais pourquoi s’est-il senti obligé de jouer au bouffon sur ce thème là ? D’autant que porter cet habit à clochettes et faire lustrer son escroquerie mondaine permet de faire passer des phrases qui rendent moins un bruit de clochettes que de bottes : p. 170 il nous est dit que ce n’est pas la nostalgie du fachisme qui est dangereuse (Finkie nous a bien appris par la suite que l’antiracisme pouvait être plus dangereux que le racisme), et que l’affaire Heidegger, le procès Barbie, ne sont que les convulsions douloureuses d’une perte de réalité : « Faurisson übersetzt ihn nur zynich in die Vergangenheit ». On venait, p. 169, d’apprendre qu’il n’y a pas de punition équivalente à Auschwitz, et que quand la punition est irréelle, les faits le deviennent aussi :
    « Es gibt kein vorstellbares Äquivalent der Bestrafung, und wenn die Strafe irreal ist, werden auch die Fakten irreal » (sic.). Je ne suis heureusement pas sûr que nous soyions passé depuis, en dépit de la prophétie baudrillardienne, à un nouveau stade mythique : « im Augenblick erleben wir jedoch etwas anderes. Was sich jetzt als kollektives Erleben in all den Prozessen, all den Polemischen konfus abspielt, ist der Übergang aus dem historischen Stadium in ein mythisches » (p. 169).
    Pas encore. Tant pis pour lui.

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  15. c) mais je dois dire que dans la lecture du Altwegg, c’est celle d’un article de Michael Haller, que jusqu’alors je ne connaissais pas, qui m’a permis le plus de préciser mes pensées au sujet de l’évolution des « affaires Heidegger » (Michael Haller, « Die Philosophen-Streit zwischen Nazi-Rechtfertigung und postmoderner Öko-Philosophie », Die Zeit du 29 janvier 1988 ; M. Haller parle quant à lui du travail de H.Ott).
    Disons d’abord que Michael Haller a bien vu cette tendance qu’il y a en Allemagne face à ce type d’affaires, et qui consiste à ironiser en disant que somme toute, « nous autres allemands » nous savions déjà tout cela, quitte à se moquer en passant de ces pauvres français qui se sont fait des films sur le passé de Heidegger (Dieter Thomä a rejoué exactement ce petit jeu dans sa recension du livre d’Emmanuel Faye). A cela M. Haller répond en demandant : et alors, pourquoi cette connaissance est-elle restée sans suites jusqu’à la fin de l’automne 1987 ? Il se moque là-dessus des heideggériens qui quittent le navire à propos duquel ils n’avaient jusqu’alors rien à redire :
    « Unter der westdeutschen Intellektuellen und Publizisten begann die Debatte typisch deutsch, nämlich mit viel Verspätung une einer Belehrung der angeblich ignoranten Franzosen : Vieles von dem, was Farias aufzeigt, sei in Westdeutschland schon seit langem bekannt und darum nichts neues. Das stimmt. Nur : warum blieb dieses Wissen bis zum Spätherbst des Jahres 1987 folgenlos, und warum führt es jetzt plötzlich im Nachklapp der internationalen Debatte zur Fahnenflucht so vieler Heidegger-Vehrerer ? Plötzlich soll der große alte Mann aus dem Schwarzwald, den Besuch zu haben sich etwa Rudolf Augstein stets rühmte, nur ein Schaumschläger gewesen sein, der mit « verbalen Spielereien seinen legitimen Schwindel » trieb, wie es jetzt im Spiegel heißt. Motto : Rette sich, wer kann. » (Altwegg p. 203)
    Mais ce qui m’a le plus intéressé, c’est la manière dont il décrit le destin du livre de Scheeberger : comment personne, dans l’Allemagne « démocrate chrétienne » du miracle économique des années 60, n’a voulu le publier, et comment G.Schneeberger a fini par s’auto-éditer. Michael Haller décrit alors comment, étrangement, le livre que les bibliothèques universitaires avaient pourtant commandé ne se retrouvait jamais sur les rayons, voire disparaissait complètement – le maître et ses compromissions était déjà devenu tabou :
    « 1961, im christdemokratischen Wirtschaftswunderland mit seinem Globkes und Lübkes, fand sich kein deutscher Verleger, der Schneeberger Dokumentation publizieren wollte. So enschloß Schneeberger sich, das Buch im Selbstverlag zu vertreiben : Zum Preis von zehn Mark mußte es direkt beim Editor zu Bern in der Hochfleldstr. bezogen werden.
    Viele deutsche Universitätsbibliotheken beschaffen sich zwar das Buch, doch merkwürdigerweise gelangte es nicht in die Regale. In Freiburg, München und Marburg, erinnern sich einstige Studenten, ließen Assistenten und Professoren das Kompendium verschwinden : Die Nazi-Verstrickungen des inszwischen weit über 70 jährigen waren tabu ; der Meister galt, wie es der stets kommodierende Heidegger-schüler Hans-Georg Gadamer formulierte, als « ein Schender. Ein Denkender, der sieht. » Schneeberger erstaunliche Dokumentation geriet in Vergessenheit. » (p. 207)
    Il y a cependant un point sur lequel hélas l’affaire actuelle est allée plus loin que celle qui a suivi la publication du Farias en 87 : p. 204 M. Haller avance qu’à la différence de lors de l’ « Historikerstreit » qui vient d’avoir lieu, la relativisation de l’Holocauste n’est pas au cœur de l’affaire Heidegger en 1987 (à l’exception du délire mondain de Baudrillard toutefois ; et c’est à cette période que commence à naître le « Heidegger nous aide à penser Auschwitz », Bourdieu s’en plaint déjà dans son entretien). Elle est malheureusement, par contre, au cœur de celle de 2005. En ce sens on ne peut pas dire que les « affaires Heidegger » se répètent : elles empirent à chaque fois.
    J’ai ouvert il y a peu le Schneeberger et son « étonnante documentation », et de fait ceux qui ont pu le feuilleter ont dû avoir l’impression de ne pas tout découvrir en 1987 : le problème est qu’il s’agissait d’une toute petite élite, dont on peut se demander pourquoi elle a surtout choisi de laisser le problème de côté. Il n’y avait pas là forcément malice, même si malice il y a eu. Mais il n’y avait sûrement pas un grand courage non plus.

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  16. Si les « affaires Heidegger » empirent à chaque fois, il ne saurait donc tarder (dix ans tout au plus..) que le futur héros de cette suite d’affaire soit le vénérable Michel Bel, qui détient pour le moment le record du point de vue de l’intensité inquisitrice (oui, Heidi n’y est rien de moins que le diable!. L’impérissable et indispensable ouvrage de Faye ne sera guère uv que comme un pallier , hein, une fois que Michou nous aura unefoispour toute décrit le diaolique gay de Messkirch. « La marche à l’étoile, rien d’autre! »

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  17. Bonsoir Monsieur Er,

    Certes, Bourdieu nous manque, mais fort heureusement, il laisse derrière lui des écrits, en particulier ces extraordinaires « Méditations pascaliennes » que je lis comme un livre de désenvoûtement, de désintoxication, une vraie cure laxative qui vous débarrasse le cerveau d’une multitude de mythologies logomachiques présentes et passées. Et par-dessus tout, une invitation à retrouver la quotidienneté,à aimer nos pratiques, nos activités de singes sociaux et à nous détourner de tous ces hâbleurs scolastiques qui jouent aux saintes nitouches sous prétexte qu’eux n’ont pas à se salir les mains, et donc qu’ils sont plus propres, plus purs et, en un mot, meilleurs que le commun des mortels. Bourdieu reconnaît qu’il n’a jamais pu adopter cette posture aristocratique. Moi non plus. J’ai vomi la khâgne parce que nos professeurs nous faisaient croire que nous étions destinés à participer à un jeu qui nous plaçait au-dessus de la masse. J’ai refusé de me présenter au concours, et je suis parti, écoeuré, en colère, révolté contre une pareille prétention. « La trahison des clercs » dépasse de loin ce que Benda en a écrit: les clercs trahissent la vie, la vraie vie, celle des humbles et celle des bêtes (les humbles ressemblant du reste aux bêtes, n’est-il pas vrai?!)). Bourdieu cite le passage du Théétète où Platon distingue les types « élevés dans la liberté et le loisir » de ceux qui « ont été éduqués pour le mensonge et l’échange d’injustices », c.à.d. trivialement parlé les intellectuels et les manuels, les premiers étant vertueux, les autres égoïstes, menteurs, vicieux. Et Bourdieu d’écrire que Platon naturalise de cette façon ce qui n’est que l’effet d’une hiérarchie sociale, « préludant ainsi aux analyses qui, telles celles de Heidegger,traiteront les conditions d’existence et les modes de vie (« authentique » ou « inauthentiques ») comme s’il s’agissait d’arts de vivre électifs ». Heide a marché à fond dans ce conditionnement clérical, le séminaire catholique le préparant efficacement à prendre l’ascenseur social. Son « oubli de l’être » ne fait qu’exprimer ce fait trivial que seuls peuvent oublier l’être ceux qui sont restés au bas de l’échelle sociale, au fond de la caverne. L’attitude de Heide à l’égard des nazis relève, me semble-t-il (mais corrigez-moi si vous trouvez que je vous semble raconter des blagues)aussi de cette posture: n’ayant aucun sens politique réel (voir Anders à ce sujet), il s’est lancé dans la révolution conservatrice par « idéalité » (idéalisme serait un mot tout à fait déplace ici, je crois), c.à.d. saisi par cette « illusio » dont parle Bourdieu qui porte ces penseurs abstraits à croire que leur science seule est capable de guider le peuple ignare et superstitieux. Je crois que Heide a été vexé du peu de considération qu’il rencontrait auprès des collègues autrement plus politiquement engagés et qu’il a gardé pour le reste de ses jours une rancune vis-à-vis de ces pauvres types d’incapables qui n’ont pas su réaliser la vraie révolution que LUI avait fantasmée, comme sans doute jadis Platon avait fantasmé la cité idéale. « Folie de clerc » ai-je écrit sur ce site. Marotte scolastique aurait-pu dire Bourdieu.
    Bien à vous
    R. Misslin

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  18. Cher monsieur Misslin,
    vous avez eu plus de courage que moi en khâgne ! Pour ma part j’y suis resté, malgré mon peu d’amour pour la plupart de mes camarades et de mes professeurs. Mais la faculté ne semblait proposer que plus médiocre encore, du moins pour ce que j’en connaissais à l’époque. Il est vrai par ailleurs (je ne cherche pas à m’excuser…) que, allergique moi aussi aux concours, j’ai fait plus ce qui me plaisait que ce qui « convenait », au grand désespoir de certains de mes professeurs qui tenaient à ce que je rentre dans la grande boîte normalisée.
    Mais je dois sans doute à la khâgne mes faiblesses encore persistantes en logique et en culture scientifique, que je tente tant bien que mal de rattraper.
    Pour ce qui est de Heidegger, il est clair que son « idéalisme » a orienté ses prises de position, mais si le bonhomme n’est pas un organisateur, n’oublions pas qu’il sait surfer : au séminaire de Bultmann, il laisse croire qu’il est « tout à fait protestant » ; jeune, il tente de faire croire aux autorités catholiques qu’il l’est toujours afin d’avoir des bourses. Plus tard, il engage un échange intellectuel avec Husserl alors qu’il n’a que peu d’intérêt pour sa pensée. « Ce que je pense, je le dirai quand je serai professeur ordinaire »…
    Le sieur de Messkirch sait au besoin se faire discret.
    Par contre devenir recteur d’une des facs les plus radicales du Reich, participer à la commission pour le droit allemand, à l’édition de Nietzsche telle que voulue par le régime, tenir les discours qu’il a tenu, etc., sont des actes très politiques ; ne parlons même pas des opérations de blanchiment de l’après-guerre.
    Qu’ensuite il n’ait pas forcément de grand talent pratique (ce qui permet d’ailleurs d’être encore plus radical et prétentieux, vous avez parfaitement raison sur ce point il me semble), cela ne l’excuse en rien mais permet peut-être en effet de comprendre certains des déboires de sa carrière – en politique on ne peut pas tout avoir, ce qui n’empêche pas de se plaindre…

    Par ailleurs M. Bel, à qui j’ai assez souvent formulé mes réserves pour ne pas les répéter ici, a à mon avis au moins mis le doigt sur certains des aspects les plus sombres de la fantasmatique heideggérienne, de son idéalisme meurtrier. Il est je crois surtout tombé dans le piège qui consiste à confondre le gourou de Todtnauberg et son « ideal » du moi. Un piège qui transforme un bien pathétique professeur en démon de la nuit…danger.
    Ce que je voulais dire, bien sûr, en disant que les affaires se dégradent, c’est qu’à chaque fois le négationnisme et le nazisme font surface avec une arrogance nouvelle, même si c’est parfois avec des habits neufs.
    Contrairement à ce qui a été dit, il n’y a donc pas des « affaires Heidegger », cycliques, qui reviendraient tous les 20 ans. Dans 20 ans si nous continuons ainsi, il n’y aura plus de révélations qui pourront faire scandale, et le nazisme aura largement reconquis droit de cité, ce qui était bien semble-t-il le but de notre grand penseur en programmant la publication posthume de ses textes nazis.
    Motto : Rette sich, wer kann.
    Yvon Er.

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  19. Note :
    en appui à mes développements (1/, 2/, 3/) sur le numéro de « la pensée libre » consacré à Heidegger et au livre de M. Faye : Nicolas Plagne parle sous son propre nom de Haushofer dans un de ses commentaires sur le site d’amazon (voir :
    http://www.amazon.fr/gp/cdp/member-reviews/A2NFZO07YPDD95/171-9649756-8211419 )
    Je cite ce commentaire tel qu’il est donné à lire au public d’amazon :

    De la géopolitique par Karl Haushofer
    Edition : Broché
    Disponibilité : Article momentanément indisponible

    le dossier karl haushofer, 4 Aoû 2005
    édition française (collaboration scientifique franco-allemande) bien conçue sur la vie et l’oeuvre d’un des inventeurs de la géopolitique, le sulfureux Haushofer, pour réhabiliter un pionnier à l’oeuvre passionnante et à la vie plus complexe qu’on ne l’a dit. Général de 14-18 et professeur d’université, Haushofer invente la notion d’Espace vital, qu’il transmet à son disciple et assistant Rudolf Hess, qui tentera de l’expliquer à Hitler. On accuse Haushofer, nationaliste partisan d’une Grande Allemagne, d’avoir été le stratège du 3ème Reich et un responsable de la 2de Guerre mondiale, mais la préface et l’introduction remettent les pendules à l’heure. Haushofer n’est pas l’inspirateur principal de Hitler et rejette la conception illimitée de l’espace vital hitlérien. Il n’est pas nazi.
    [fin de citation]

    J’ai déjà dit qui était Haushofer, membre de la société de Thule et inspirateur de l’imagerie et de la stratégie nazie.
    Après la réécriture révisionniste de la vie de Maurice Sachs (sur le même site) dont j’ai parlé récemment sous le blog qui précède (sous la lettre de F. Dastur), cette « approche » de la vie et de l’oeuvre de Haushofer, identique dans son révisionnisme à celle du numéro de la Pensée libre signé « Lehugeur »,vient s’ajouter comme élément confirmant l’argumentation que j’ai déployée en 3/, mais qui se suffit.
    Yvon Er.

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  20. Bonjour Monsieur Er,
    Je trouve que tout en ayant subi les charmants rites d’initiation khâgneux, vous avez su vous débarrasser sérieusement de l’empreinte (dans le sens éthologique de « Prägung » selon Lorenz, « imprinting »)qui marque en général pour la vie la plupart de ceux qui ont franchi les célestes portes qui mènent à la révélation du Bien suprême, je veux dire une position sociale enviables, c.à.d. qui suscite l’envie de ceux devant qui les portes de ce séminaire laïc se sont fermées! Je ris, car le jeu social est pour moi une source inépuisable de drôleries, surtout quand je vois les figures sérieuses et pleines d’elles-mêmes des normaliens: les dominants ne peuvent pas rire en public, de peur que les dominés ne les surprennent dans cette posture et en profitent pour se moquer de leur manque de sérieux. Heide avait aussi appris cela, d’où sa pesanteur sérieuse au-delà de toute limite. En ce qui concerne son hâblerie, je suis tout à fait d’accord avec vous. Il y avait du Julien Sorel dans ce gaillard-là, un côté sombre d’enfant du peuple qui avait une revanche à prendre sur le destin de son Dasein. Vivre en société n’est une sinécure pour personne! Malheureusement pour lui, si l’on peut dire, les nazis étaient tout de même trop élémentaires dans l’expression de leurs pulsions pour convenir à la délicatesse feutrée du séminariste.
    Je pense que vous lu ce qu’a écrit récemment dans « le Point » M. R. Paul-Droit. Des trois attitudes qu’il préconise face à l’oeuvre de Heide, j’opte sans la moindre hésitation pour la … quatrième. Contrairement à vos craintes, j’aurais tendance à penser que l’humanité (si l’on peut parler ainsi sans se moquer de soi) n’aura que faire d’écrits aussi obscurs et ennuyeux. Cette oeuvre est celle d’un initié qui s’adresse à des initiés, c.à.d. comme disait un jour Rorty à propos des lacaniens, à deux ou trois individus dans le monde. Cette remarque m’a fait rire comme faisaient certains jours les dieux de l’Olympe! Et je vous invite très amicalement à rire de tout cela, car la vie vaut mieux que toute l’oeuvre d’un Heide!
    Bien à vous
    R. Misslin

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  21. Cher monsieur Misslin,
    je ne partage malheureusement pas tout à fait votre optimisme : je suis bien d’accord pour dire que Heidegger et son « oeuvre » n’accoucheront jamais d’un mouvement de masse, mais nazifier les « élites » n’est jamais sans conséquences-Heidegger ne serait d’ailleurs pas l’unique responsable de cette nazification, mais sa « GA » peut y servir.
    Je ne suis pas non plus d’accord pour qualifier les nazis « d’élémentaires ». Il y a un nazisme cultivé, instruit, qui est sans doute tout aussi bête dans le fond mais qui sait se faire « fin », au besoin discret, sans perdre aucunement de sa nocivité et de sa radicalité. Vous qui aimez Robert Musil, souvenez vous de sa conférence sur la bêtise : celle-ci n’est pas que liée à un défaut dans la rapidité de compréhension, il y a aussi des formes de bêtises qui ont partie liée aux émotions, aux pulsions, et des formes de nazisme qui peuvent réciter des poèmes…
    La barbarie « cultivée » doit être prise au sérieux.
    Bien à vous,
    Yvon Er.

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  22. A propos d’une intervention récente de M. Er : il est vrai qu’en Allemagne, même si dans l’ensemble l’accueil fait au livre de M. Faye a été d’une toute autre nature que dans certains milieux français, des arguments typiques de l’extrême droite, notamment allemande, ont été employés (vrai aussi qu’on entend parfois le « nous, on savait déjà »). Ainsi en fut-il effectivement de Henning Ritter dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, pour qui somme toute le nazisme heideggérien est moins dangereux qu’un Descartes qui a par trop le tort d’être « de l’ouest », ce qui m’avait conduit à envoyer cette lettre en réaction :

    Für die Leserbriefeabteilung der FAZ:

    In seinem Artikel des 29. Oktober 2005 über Emmanuel Fayes Buch scheint Henning Ritter den Inhalt dieses kürzlich in Frankreich erschienenen Werkes ausführlich zu analysieren (Emmanuel Faye, L’introduction du nazisme dans la philosophie, Albin Michel 2005).

    Dem ist jedoch nicht so. Der Autor scheint sich eher der Neutralisierung der Analysen von Emmanuel Faye zu widmen, statt diese zu diskutieren; und das mit Mitteln die bisher von allen erbitterten Heidegger-Verteidigern benutzt
    wurden: die billige Ironie (die These des Autors sei doch viel zu radikal um es ernsthaft wert zu sein, aufrechterhalten zu werden), das Autoritätsargument – der schwäbische Philosoph hätte doch reichlich Schüler gehabt; sogar Schüler die seinen Nazismus gesehen und gleichzeitig, weiter seine Größe begrüßt hätten.

    Angesichts dieses letzten Arguments wird man sich also davor hüten, auf Details der Verhältnisse zwischen diesen so genannten Schülern und ihres Lehrmeisters einzugehen, wie Richard Wolin es in seinem Buch (Heidegger’s
    Children) machen konnte.

    Als Henning Ritter gegen Ende seines Artikels vorbringt, der „abendländisch-westliche Universalismus“ kartesianischen Ursprungs, den E.
    Faye Heideggers „Geschichtlichkeit“ gegenüberstellt könnte schlimmer als diese sein, wendet er jedoch unzumutbare Methoden an.

    Das Buch von E. Faye sei darüber hinaus ein „inquisitorischer Gestus“. Muss denn wirklich in Erinnerung gebracht werden, dass sich die schlimmsten Verbrechen des 20. Jahrhunderts nicht durch kartesianischen Rationalismus legitimierten, sondern durch eine Rassentheorie, die Heidegger schändlich mit seiner Theorie der Geschichtlichkeit vermischte (wenn diese nicht von Anfang an rassistisch war)? Hat Henning Ritter denn jeglichen gesunden Menschenverstand verloren, dass er die Henker (die Inquisitoren die Bücher verbrennen und Menschen verfolgen) und deren Analysten nicht mehr vermag auseinander zu halten?

    Man hätte von dem Autor dieses Artikels wohl ein bisschen mehr Zurückhaltung und weniger Abkürzungen erwarten können.

    Christoph A. Lamy

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  23. Bonjour M. Lamy,

    Heureusement que le ridicule ne tue pas, car je me demande si l’humanité toute entière n’y passerait pas, tant nous formons une espèce de primates des plus comiques. Vous avez bien fait de répondre à ce Monsieur Ritter qui fait de notre Descartes un horrible exterminator. Je connais assez bien l’Allemagne, en tant que frontalier. Il faut dire que la culpabilité de ce peuple, après la défaite, a été quelque chose d’énorme. Et, quand on se sent honteux, on peut pour continuer à se supporter trouver des boucs émissaires, ce qui est un des mécanismes comportementaux les plus banals. Ce mécanisme apparaît dès notre enfance. Ce qui est étonnant chez nous, humains, et l’étonnement devient d’un comique irrésistible quand on le trouve chez des gens qui se considèrent comme de grands penseurs, c’est l’automatisme avec lequel il se déclenche. La réflexion ici se limite à son niveau le plus élémentaire de réflexe. Mais il existe une théorie neurophysiologique, émise au début du XIX ème siècle (Nietzsche la connaissait), selon laquelle le cerveau fonctionne de manière homogène, c.à.d. réflexe, à tous les niveaux hiérarchiques. Cette théorie m’a beaucoup aidé à comprendre pourquoi les penseurs sont victimes d’une profonde illusio, car ce que nous appelons « pensée » se produit certes à un niveau cortical, mais elle peut être aussi stéréotypée et inconsciente q’une activité de plus bas niveau. Pour moi, Heidegger est un des philosophes qui a été une des victimes les plus spectaculaires de cette forme d’illusio: il a marché à fond dans la croyance à ce que Bourdieu a appelé la toute puissance de la pensée. Il a prétendu déconstruire la métaphysique occidentale, mais justement, un des aspects majeurs de notre métaphysique, c’est notre mythologie qui fait de la pensée une activité supérieure. Heidegger ou l’arroseur arrosé.
    Bien à vous
    R. Misslin

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  24. Merci.
    Puisqu’on en est aux textes allemands, un petit texte qui devrait faire rire M. Misslin.
    Bien le bonsoir,
    YE.

    GerhardZwerenz

    Heidegger in der Waschmaschine
    Gerhard Zwerenz
    Ossietzky 25/2005
    Der im Pariser Intellektuellenmilieu seit einiger Zeit betriebene Höllensturz Heideggers versetzt seine völkisch-deutschen Gesangvereine derart in Aufregung, daß aus der philosophischen Fachzeitschrift FAZ fast allwöchentlich Choräle zur Verteidigung erklingen. War Richard Wagner der omnipotente Musikus, wenn auch leider Antisemit, ist Heidegger der unübertreffliche Geistesriese, wenn auch leider ein privater und professoraler Hitlerianer, der den Führer führen wollte. Unser Vorschlag für die nächste Buchmesse: Genie und Nazi in einer Person.
         Die neue Aufklärungswelle erreicht allerdings in Paris Tsunami-Höhen. Angefangen bei Sartre bis hin zu Derrida lebten alle französischen Denker von Nietzsche und Heidegger, doch jetzt wird der verunglückte Nietzscheaner in frechen Büchern glatt der Dekonstruktion unterzogen, so daß nicht viel mehr übrigbleibt als ein Braunhemd mit Drang zur Waschmaschine.
         Den vorerst letzten Streich gegen den schaumschlagenden Weltdeuter führte Emmanuel Faye in seinem bei Albin Michel in Paris edierten 600 Seiten dicken Wälzer Martin Heidegger. L’ Introduction du nazisme dans la philosophie, in dem er die Aufklärung weit übertrifft, die der Heidegger-Biograph Victor Farías 1987 mit Heidegger et le nazisme im seit Sartre heideggerseligen Paris immerhin begonnen hatte.
         Die aufgescheuchte Gouvernante FAZ sorgt sich um die armen genasführten Heideggerschüler aller Länder und memoriert die Namen – ach ja, Gadamer lehrte ihn, Hans Jonas ernüchterte sich an ihm, Günther Anders und Herbert Marcuse achteten ihn wenigstens punktuell, Hannah Arendt betete ihn an und schlief mit ihm, nur die Zwangspause des Dritten Reiches wegen hygienischer Abstinenz einhaltend. Der FAZ-Meisterschüler Henning Ritter verteidigt nun seinen Geistesvater nicht schlecht, indem er ihn erst noch tiefer in die braune Jauche taucht, um ihn mit Hilfe des Weißen Riesen nach dem Waschgang um so strahlender herauszuziehen. So prächtig klappt die Entnazifizierung immer noch unter unseren deutschen intellektuellen Überfliegern. Denn die wahren Faschisten, wir erfahren es Tag für Tag im maßgebenden Zentralorgan vom Main, sind die Antifaschisten.
    Inzwischen dreht sich das Heidegger-Karussell lustig weiter. Gerade entdeckte die Frankfurter Rundschau anhand der Briefe des Philosophen an seine duldende Frau, daß für ihn »Ehebruch Geistesnahrung« gewesen sei und die Korrespondenz »vom Experiment der Freien Liebe Zeugnis« ablegt. Da kann Heideggers FAZ-Adept Henning Ritter mit seiner Liebe nicht zurückstehen. Am 29. 10. 05 färbt er den braunen Denker auf einer ganzen Zeitungsseite in einen Grünen um und bezichtigt den französischen Demonteur Faye, Heidegger »eine Verhexung des Verstandes« zu unterstellen. Faye gehe sogar noch weiter und der deutsche Ritter interpretiert ihn entsetzt mit den Worten: »Wenn man einmal begriffen habe, daß Heideggers Werk ein Pendant zum Hitlerismus und Nazismus im Denken sei, müsse man sich entscheiden, ihm heute mit derselben Entschlossenheit entgegenzutreten wie einst der deutschen Barbarei.«
         Kein Wunder, daß Faye bei Ritter gar keine guten Karten hat. Der kulturelle Urvater dieser Zeitung, der aus der Weimarer Republik siegreich zu den Nazis übergelaufene Friedrich Sieburg mag zwar verstorben sein, doch die Erben wissen es zu richten. Der FAZ-Großvater Sieburg, als er sich nach dem 1945er Desaster in dem Edel-Blatt wieder aufrichten durfte: »Der Kritiker ist ein Moralist.« So steht’s jedenfalls in Die Lust am Untergang aus dem Jahre 1961. Von der Entschlossenheit gegen die Barbarei war nichts zu verspüren. Das Manko zeugt und erbt sich fort.
         Kürzlich wurde ich bei einer Lesung in Berlin auf die postmodernen französischen Philosophen von Glucksmann bis Derrida und Lyotard angesprochen, die in Distanz zu Sartre und doch in seinem großen Schatten dessen Denktradition zu Nietzsche und Heidegger übernahmen. Unsereinem muß dieser Umweg als Holzweg erscheinen. Mag das postmoderne Paris seinem Jahrzehnte hindurch hochgelobten Heidegger nun den Heiligenschein per Dekonstruktion fortnehmen und mögen die FAZ-Gespenster ihre Ikone Martin zum Grünen umlackieren, wir benötigen keinen Umweg zu Nietzsche, Marx, Freud, jedenfalls keinen Abstecher zum Lobredner des Führers. Da lohnt es sich, mal wieder ein vergessen gemachtes Buch aufzuschlagen. Darin steht zum Beispiel: »Der Zynismus Heideggers ist hinter seinem mit Dunkelheit poetisch sein wollenden Wortschwall verdeckt.« Diese und andere Lichter werden aufgesteckt in Die Zerstörung der Vernunft von Georg Lukács. Wie hell doch den kleinen Dunkelmännern zum Trotz alte Wahrheiten im neuen Lichte glänzen können. Die Scharnierfunktion Heideggers, des Staatsrechtlers Carl Schmitt und des stahlgewitternden Eisenfressers Ernst Jünger ins Auge fassend urteilt Lukács: »Wohin geht diese Philosophie? Sie behält ihre extrem vernunftfeindliche Wesensart aus dem Präfaschismus.« Das wurde vor mehr als einem Halbjahrhundert geschrieben und ist doch so frisch wie vom jüngsten Tag.
         Inzwischen drehte sich das Verblödungskarussel weiter. Gerhard Schröder ließ sich mit einem »Zapfenstreich« genannten Tsching­darassa­bum der Bundeswehr verabschieden, die einge­schmuggelte Moritat von Mackie Messer paßt durchaus ins neue Kriminellenmilieu gehobener Kreise. Vom Himmel her erklang allerdings Donnergrollen, wahrscheinlich Bertolt Brechts grimmiger Protestfurz. Unter den 700 geladenen Gästen befand sich ein schweigsames Skelett. Es soll sich um Schröders Vater handeln, der sein Heldengrab in Rumänien, wie BILD berichten wird, zur Teilnahme am Zapfenstreich, den er von früher her noch gut kannte, für kurze Zeit verlassen durfte. Nächsten Sonntag soll er bei Christiansen zu sehen sein. Sprechen darf er auch dort nicht. Denn tote Soldaten werden bei uns gefeiert und betrauert. Zu sagen haben sie nach ihrem Tode so wenig wie vordem. So will’s der modische Patriotismus der neuen sozialchristlichen Einheitspartei.
    Wiedergabe mit freundlicher Genehmigung von Ingrid und Gerhard Zwerenz und der Zweiwochenzeitschrift Ossietzky 25/2005.
     

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  25. Bonjour Monsieur Er,

    Merci à vous: hilarant en effet. Ca fait du bien de lire des Allemands qui ont de l’esprit… voltairien!
    Bien à vous
    R. Misslin

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  26. Bonsoir Monsieur Er,

    Je suis tombé par hasard sur des phrases qui vous intéresseront, je suis sûr, si d’aventure vous ne les connaissez pas, que Nietzsche a écrites quand il a appris le suicide de son charmant beau-frère, Bernard Förster: « B.F. s’est donné la mort: ça augure de la politique du R. (pour Reich). » Ou encore celle-ci: « Paraguay über alles! » Encore celle-ci qui vaut son pesant d’or: « L’antisémitraille voudrait les éliminer… L’Europe divisée par le nationalisme teutomaniaque a de jolies années exsangues devant soi. » Enfin: « Je ne suis pas juif, je suis surjuif. » Ces citations sont extraites de « Mort parce que bête » (éd. Parc, 1998, p. 13; p. 47; p. 51; p. 51), un livre qui regroupe des textes de Nieztsche après son effondrement en 1889. Dans une note, on apprend qu’il confiait à ses amis en janvier 1890 son angoisse de voir le Reich se réarmer sous Bismark et la « teutomania antisémite » se répandre. Dans ce même livre on apprend qu’en 1931, « l’entreprise de fascination de Nietzsche sous la direction de sa soeur se poursuit: on met en place un nouveau comité d’édition présidé par Rudolf OEhler, où l’on trouve entre autres, mais pas par hasard, Martin Heidegger, grand consommateur de l’idée truquée de la « volonté de puissance ». Le tout sous la coupe du Reichkanzler et du ministère de la propagande du Reich. » Walter Benjamin écrit en 1932: « Il y a des gouffres qui séparent Nietzsche de l’esprit de commerce et du philistinisme régnant dans les Archives de Weimar » (Podach : « Le scandale continue »). (p. 77). En 1935, les Archives sont réorganisées. « Walter F. Otto entre dans le directoire de la Fondation avec à ses côtés Martin Heidegger, caution scientifique du Reich. La direction échoit au major Max OEhler, neveu de Förster-Nietzsche et membre du Parti… Heidegger quitte la Fondation, sans autre explication » en 1942 (p. 78).
    Quand j’ai suggéré ici il y a quelque temps qu’il faudrait faire une lecture critique de Heidegger par Nietzsche, de plus capables têtes instruites que moi ont ironisé. Mais c’est l’ironie lucide (en dépit de sa « démence »)de Nietzsche qui m’est chère.
    Bien amicalement
    R. Misslin

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  27. François Laruelle a écrit un « Nietzsche contre Heidegger » aux éditions Payot qui pourrait vous intéresser. Au passage, il faudrait être de très mauvaise foi pour voir en les deux tomes du « Nietzsche » une apologie du nazisme lors même qu’il s’agit clairement d’une explication avec les tenants de la volonté de puissance et de la souveraineté. Le souci principal étant évidemment que Heidegger nazifie Nietzsche : mais c’est justement pour s’en démarquer! L’époque de la volonté de puissance inconditionnée , de la Machenschaft et toutes les exactions qui l’accompagne, il essaye de l’ éprouver en son essence, en sa pro-venance (à moins que toute époque n’ait poussée que de façon hasardeuse…paresse de l’esprit) pour pouvoir les dépasser. Le « nouvel accord » , le nouvel « ajointement » vers lequel tend Heidegger ne m’en semble pas un où se déchaînent les violences de la « race » de la volonté de puissance; il me semble au contraire qu’il maudit cette époque démoniaque , mais cherche à la bénir, à l’absoudre (c’est cela qui est choquant je suis le premier à le dire) en la dépassant par la « sérénité »…

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  28. Vous avez vraiment une façon très objective, M. Domeracki, de minimiser l’usage que Heide fait du concept de « volonté de puissance » de Nietzsche. Quant à moi, je trouve cette méthode plutôt abjecte car elle consiste à instrumentaliser l’oeuvre d’un auteur du passé dans le but de cautionner des idées qui n’étaient certainement pas les siennes, mais bel et bien celles de Heide, si du moins on peut appeler « idées » la teutomania de Martin, avec tout ce que signifie alors l’adhésion à pareil délire. Et, contrairement à ce que vous pouvez prétendre, son truquage de la « volonté de puissance » ne s’est pas limité à ses activités politico-administratives, mais il l’a appliqué à son oeuvre puisque, à ses yeux, il s’agit d’un concept métaphysique, ce qui est on ne peut plus discutable, même aux yeux du pauvre Pécuchet que je suis à vos yeux avertis. Faire de Nietzsche un des derniers représentants de la métaphysique occidentale est un de ces tours de passe-passe de Heide pour se présenter, LUI, comme le grand démolisseur de cette métaphysique. Or, s’il y a vraiment quelqu’un qui s’est attaqué frontalement à Platon et donc à cette métaphysique, c’est Nietzsche. Bien entendu, je n’ai pas la moindre intention de vous faire changer d’avis. Tant mieux, ou tant pis, si vous trouvez chez Heide une nourriture qui vous convienne. Imprégnez-vous si cela vous chante, comme cela je pourrai vous appeler Buvard de Heide, à défaut de Bouvard, car celui-ci au moins ne méprisait pas l’empirie.
    R. Misslin

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  29. Cher monsieur Misslin,
    au sujet du rapport Nietzsche/Heidegger, Jean-Pierre Faye a écrit plusieurs livres qui devraient vous intéresser je pense.
    Nietzsche est un philosophe assez complexe en plus d’un domaine, notamment dans son rapport aux juifs et à la germanité. On peut lire le Nietzsche solaire de Jean-Pierre Faye, ou aller lire, dans une perspective plus critique, Losurdo ou Taureck (ce dernier sur le rapport de Nietzsche au fascisme et au national-socialisme, ou plutôt de ces messieurs avec ce monsieur…). Mais il y a assurémment un Nietzsche « anti-teuton », que Heidegger ne cite pas, à moins que l’on ne s’acharne à vouloir lire le « Nietzsche » de Heide dans la version de 61 réécrite par notre grand philosophe après-guerre (on n’en a pas d’autre il est vrai en traduction française), comme le fait M. Domeracki. Sans les réécritures, c’est plus folklo.
    Bien à vous,
    Yvon Er.

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  30. C’est toujours la même rengaine avec les flics de l’oeuvre heidegerienne : on a beau faire des concessions et admettre que certaines dimensions et herméneutiques nous gênent, ils ne peuvent s’empêcher de renchérir et de vouloir démolir . entièrement l’auteur en question quitte à faire fi de toute nuance.
    Pour ma part, je continuerai de suivre Jacques Derrida, pour qui l’interprétation que Heidegger donna de Nietzsche n’est pas aussi caricaturale qu’on se complaît à l’admettre, et qu’elle est plus ou moins incontournable. A moins bien entendu d’être un penseur révolutionnaire et sage comme Roger Pol-Droit ou René Misslin. Commencez donc par lire entièrement les leçons de Heidegger sur Nietzsche et on en reparlera peut être. Pour ma part j’ai donné de longs mois à ces écrits pour mon mémoire de l’année dernière: nous pourrions donc commenter point par point le détail de l’interprétation , au lieu de livrer des reflexions à l’emporte-pièce qui n’émoustillerait guère que Michou Bel. Nous pourrions aussi voir jusqu’à quel point Heidegger s’est approprié des fulgurances nietzschéennes dans son oeuvre (à ce sujet, vous pourriez vous reporter au Cahier de l’Herne ,à l’article du traducteur américain David Krell). Vociférer n’est pas philosopher, mon bon Pécuchet…Je me iche complètement de vos valeurs: tout ce qui compte c’est que vous faites de Heidegger ici. Et à part d’en confectionner de vains conféttis, je crois que vous n’en faites pas grand chose. Mais vous avez bien sûr tout un panel d’excuse pour justifier vos insuffisances, pour vous convaincre que c’est de sa faute à lui…Il me semble que c’est Heidegger qui écrivit quelque part qu’il fallait ,comme rêgle de lecture d’un auteur, ne pas le caricaturer mais le ramener à ce qu’il y a d’essentiel en lui, à le réhausser à son meilleur niveau en quelque sorte. Vous autres préférez traîner dans la boue cet adversaire qui ne peut plus vous répondre : et vous osez vous plaindre que c’est ce que fait Heidegger avec ses prédécesseurs! Je vous le répète : commmencez par lire les cours sur la volonté de puissance en tant qu’art et en tant que connaissance, et à bien assimiler les épreuves de Sein und zeit et des Gründprobleme, et là seulement vous cesserez de m’apparaître comme un rigolo qui passe son temps à geindre et à faire en même temps l’apologie de l' »empirie ». Mais savez vous au moins de quoi vous parlez, mon vieux Pécuchet?

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  31. Je n’ai pas la moindre intention, au nom de quel droit, de vous demander de faire des concessions, Monsieur Domeracki, ni non plus de vous dissuader de lire Heide et d’y trouver de l’intérêt. La philosophie n’est pas une science. On peut donc réagir bien différemment selon ses goûts, sa formation, ses intérêts en présence d’un même texte. Que Heide ait lu dans « la volonté de puissance » de Nietzsche l’expression de la métaphysique de domination occidentale sur l’être, why not. Ca fait partie de sa mythologie personnelle et, malgré ma sénilité, je commence à la connaître. Ce que je lui reproche, c’est d’avoir apporté sa contribution à la teutomania nazie en utilisant de façon malhonnête Nietzsche: c’est quand même un peu gros, pour quelqu’un qui se présente comme un penseur hors pair, de participer à l’entreprise fascisante de la soeur de Nietzsche, soeur dont ce dernier s’est demandé un jour si elle et lui avaient eu les mêmes progéniteurs! Rire! Qu’à vos yeux, en procédant ainsi, Martin ait voulu « éprouver » jusqu’au bout cette « volonté » dans le but de la surmonter, ça, vous pouvez le raconter à qui vous voudrez, mais de là à me faire avaler cette couleuvre, il vous faudra attendre encore un peu (et vous en avez le Sein et le Zeit!), car mon cerveau n’a pas encore atteint le degré de sénilité pour gober de pareilles balivernes.
    R. Misslin

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  32. Quand on fait preuve d’une telle insolence, monsieur Domeracki, on est tout de suite déconsidéré . Nous comprenons très bien pourquoi, maintenant, vous aimez Heidegger. Ceux qui se ressemblent s’assemblent.
    michel bel

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  33. Quand on fait preuve d’une telle insolence, monsieur Domeracki, on est tout de suite déconsidéré . Nous comprenons très bien pourquoi, maintenant, vous aimez Heidegger. Ceux qui se ressemblent s’assemblent.
    michel bel

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  34. Voilà, Heidgger est un « méchant nazi » est tout autre commentaire à son encontre n’est que baliverne. Quand je pense que c’est ici qu’on ose parler avec insistance de « déni »…

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  35. Cher monsieur Misslin,
    puisque vous avez aimé le texte de Gerhardt Zwerenz, je vous envoie un texte de sa compagne, Ingrid Zwerenz, sur Sartre et Heidegger lus par la critique de Ernst Bloch.
    Sartre a été récemment accusé d’avoir profité du fait qu’un professeur juif soit expulsé de son poste par le nouvel ordre occupant en prenant sa suite.
    Cet opportunisme est bien entendu condamnable, mais n’est pas du même ordre, contrairement à ce que j’ai pu lire, que le problème posé par Martin Heidegger, où on en est à se demander à quel point le coeur de sa pensée est nazi.
    Mais ne faites pas de moi un homme qui sépare à la va vite la vie d’un philosophe de sa pensée ! A cet égard, le texte que je donne ici à la suite donne quelques pistes pour penser le lien entre pensée sartrienne et errements sartriens.
    Bien le bonsoir,
    Yvon Er.

    Bloch über Sartre über Heidegger

    Ossietzky 22/2005

    Sartre hätte in diesem Jahr seinen 100. und Ernst Bloch seinen 120. Geburtstags begehen können. Ist es vorstellbar, daß die beiden, im Himmel oder in der Hölle, gemeinsam feiern? Eher nicht. Auf Erden hat der Jüngere den Älteren nicht wahrgenommen, obwohl er sich gern und ausgiebig von deutschen Philosophen anregen ließ – Hegel, Husserl, Heidegger, dreimal H also, ein Gesetz der Serie, im Schlagschatten des letztgenannten taucht noch ein Mann mit dem Initial H auf, Hitler. Alle Heidegger-Adepten werden nun in Tränen oder Wut ausbrechen. Zu ihrem Sankt Martin später mehr.

    Zuerst ein Blick in meine Notizen von der letzten Leipziger Bloch-Vorlesung am 17.12.1956: Darin heißt es über den Franzosen: »Sartre, geboren 1905 – bedeutender Dramatiker.« Touchez – das ist schon ein Seitenhieb, an vorderster Stelle wird der Bühnen-Autor genannt, nicht der Philosoph. Danach geht es weiter mit dessen Hauptwerk „Das Sein und das Nichts“. Bloch dazu: »’L’etre et le néant’. Was bei Heidegger die Angst, ist bei Sartre Nausea – La nausée: Es ist zum Kotzen. Im Ekel ist Kraft. Ihn zu überwinden, bedarf es der Résistance. Vorhanden ist die Freiheit zu wählen. Faschismus ist die Unfreiheit schlechthin. Dagegen: Ich kann das Wählen wählen, mein Wollen wollen. Was hindert, wird in Seiendes aufgespalten, ins An sich Seiende. Für kleine Individuen bringt das ein wenig Licht in die Finsternis. Gesucht wird das Ethische. Was wir treiben, hat jedoch keinen Anschluß an die Welt. Unsere Freiheit der Wahl bedeutet: Wir können alles wollen und können doch nichts erreichen. Eine Wahl, die inhaltliche Moral besitzt, ging gegen den Faschismus.« Aufgeschrieben habe ich eine Instant-Fassung, selbstverständlich waren Blochs Sätze viel länger, mehr davon konnte ich, angespannt zwischen Hoffen und Bangen, nicht fixieren. Wir fühlten uns animiert und beschleunigt nach Chruschtschows fulminanter Stalin-Kritik, doch witterte man schon besorgt die Ausbremser. Unser Ikarus auf dem Katheder verbrannte sich weiter die Flügel mit seiner Vorlesung: »Der (Faschismus) wird am Ende gleichgesetzt mit dem Bolschewismus, d. h. die Feinde werden verwechselt, siehe ‚Die schmutzigen Hände‘. Gesucht: Der bekannte 3. Weg. Seit Amerika faschistische Züge zeigt, wieder Änderung. Für den soziologisch nicht sehr geschulten Kopf verwirrend. Also ist Sartre ein naiver Politikus, das Ganze umrahmt vom Nihilismus, der Welt selber sind Schweinehund und Edler völlig gleichgültig. Der Anschluß an den dialektischen Materialismus ist von daher sehr weit.«

    Sartres berühmtestes Drama um einen politischen Mord, „Les mains sales“, steckte der SED quer im Hals, in der Abwertung des Stücks zeigt sich der deutsche Philosoph auf Parteilinie, ebenso im knappen Satz über den vom Franzosen gesuchten »bekannten 3. Weg« zwischen Kapitalismus und Sozialismus. Für „Die schmutzigen Hände“ gab es ganz konkrete Hintergründe. Simone de Beauvoir hatte in Paris einen Sekretär Leo Trotzkis kennengelernt, der ihr Details aus den letzten Jahren des 1940 auf Stalins Befehl im mexikanischen Exil getöteten russischen Revolutionärs erzählte. Ihr Bericht inspirierte Sartre zu seinem auch heute noch häufig aufgeführten Drama, das nur partiell an den realen Fall Trotzki erinnert. Sartres Analyse des individuellen Terrors, eines parteistrategisch begründeten Mordes traf aber exakt zu, der Vorwurf »naiver Politikus« schlägt hier auf Bloch selbst zurück, der dieses Thema damals lieber noch aussparte.

    In einer anderen Frage hätten sich die beiden Denker begegnen können. Hier schlug der Professor ganz neue Töne an, Überschrift: »Probleme der Fortentwicklung des Marxismus nach Marx.« Das wurde sein Schwanengesang an der Pleiße. Für die SED galt der historische und dialektische Materialismus als unveränderbar und abgeschlossen. Ernst Bloch riskierte in der Aufbruch­stimmung nach dem 20. Parteitag der KPdSU im Jahr 1956 neue Aspekte, wobei er sich mit dem Lenin-Wort vom »Träumen nach vorwärts« wappnete und dem Hinweis, daß Lenins philosophischer Nachlaß voller »nahrhafter Notizen« stecke. Der russische Theoretiker habe mehrmals angemerkt, »die Grenzen zeitlicher und regionaler Art bei Marx müßten beachtet werden, gesellschaftliche Schranken seien ins Kalkül zu ziehen, das mache den echten Marxisten« aus. Diese Sätze provozierten die Genossen erheblich, hielten sie sich mit ihrer fertigen ML-Wissenschaft doch für perfekt und im Besitz absoluter Wahrheiten. Der aufmüpfige Professor stichelte weiter: »Auch das Beste kann durch ständige Wiederholung abgedroschen werden, kurzum: Der Marxismus ist per definitionem Erneuerung, dazu gehört Mut, revolutionärer Elan, keine Routine, sondern materialistisch begriffene Hoffnung.« Und noch eins drauf: »Die Märtyrer des Marxismus sind nicht für ein durchorganisiertes Produktionsbudget gestorben.« Das sagte der Philosoph in einem Staat, der das höchste Ziel in der Erfüllung diverser Zwei- und Fünfjahrespläne sah und es doch nicht schaffte, weil er die Ökonomie verabsolutierte und das Individuum, den »subjektiven Faktor« in der Gesellschaft vernach­lässigte. Von einem ständig er­neuerungs­bedürftigen Marxismus zu sprechen, war 1956 in der DDR ein Wagnis. Sartre äußerte sich ähnlich, wenn er den »faulen Marxismus« in der Kommunistischen Partei Frankreichs beklagte, eine Lehre also, deren Vertreter im Gewesenen verharrten und nicht weiterdenken wollten. Damit machte er sich bei den französischen Kommunisten, mit denen er immer mal wieder zusammenarbeitete, nicht eben beliebt, doch waren die Konsequenzen in Paris nicht so verheerend wie in Leipzig. Einen Lehrstuhl konnte Sartre nicht verlieren, weil er keinen innehatte.

    Diametral entgegengesetzt hingegen ist das Urteil des deutschen und des französischen Philosophen über einem dritten: Martin Heidegger, zu dem Sartre sich auch noch bekannte, als nach 1945 dessen fatale Nähe zum Nazismus publik wurde. Die entwerte nicht, sagte Sartre, Heideggers frühere Schriften. Ganz anders Bloch über den ungeliebten Kollegen: »Hauptnichtdenker Heidegger – den Nazis bis zum bitteren Ende treu. Er hat Ahnen gesucht: Kierkegaard, Sokrates, Augustin. Scheinhaft anthro­pologischer Charakter des Existentialismus. Zwischen diesen ‚Ahnen‘ liegen gesellschaftliche Abgründe. Introvertierte Irratio soll geschaffen werden. Kommt von Husserl her, Umschlag von Wesenheiten zur Befindlichkeit, in der ich bin. Erlebnisserei bei verdunkelter Außenwelt. Worte werden zu Tode gehetzt, etymologisch falsch, berüchtigte Heidegger-Sprache. Raunende Weisheit. Je tiefer, um so weniger verstanden, es muß gefühlt werden – Philosophieren zum Hysterischen hin.« Das Urteil »Hauptnichtdenker« ist hart; vergegenwärtigt man sich jedoch, was Heidegger so von sich gegeben hat – zum Beispiel »Hitler ist mehr als die Idee, denn er ist wirklich« –, wird er damit noch recht gut bedient, denn hinter dieser Aussage Heideggers kann kein Denken stecken, nur Gefühl.

    Die beste Therapie gegen Sartres Heidegger-Manie lieferte Heidegger selbst, als er ihn Anfang der fünfziger Jahre aufsuchte. Die ganze Zeit hindurch jammerte der Deutsche wegen eines satirischen Textes, den der französische Philosoph und christliche Existentialist Gabriel Marcel über ihn verfaßt hatte. »Da von nichts anderem die Rede war«, berichtet Simone de Beauvoir in ihrem Buch „Der Lauf der Dinge“, »ging Sartre nach einer halben Stunde weg.« Später erzählte er der Lebensgefährtin, »daß Heidegger dem Mystizismus verfalle«, und fügte hinzu: »Dabei plagen sich vierzigtausend Studenten und Professoren den ganzen lieben langen Tag mit Heidegger ab, stellen Sie sich das vor!«

    Wiedergabe mit freundlicher Genehmigung von Ingrid Zwerenz und der Zweiwochenzeitschrift Ossietzky 22/2005.

    Ingrid Zwerenz
    Zur Person
    Aufsatz
    Verschiedene Verluste
    Bloch über Sartre über Heidegger
    Vorschlag für Leipzig
    Schall und Rauch
    Konkursula und Insolvenzel
    Poeten >>

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  36. Bonsoir Monsieur Er,

    Merci encore cette fois pour le texte d’Ingrid. Figurez-vous que ma femme et moi sommes les traducteurs en français de l’autobiographie de Nina Berberova (« C’est moi qui souligne « , Actes Sud). Nous l’avons bien connue. Elle a des propos ravageurs concernant la toquerie de Sartre à l’égard de l’Ereignis de la révolution soviétique. Il faut dire qu’elle avait quitté la Russie dès 1920 et elle a été ahurie, quand elle arriva à Paris, de voir un certain nombre d’intellectuels français se faire rouler dans la farine par ce qui arrivait de merveilleux là-bas ! Bourdieu a un texte que je trouve d’une acuité saisissante pour expliquer ces comportements complètement irrationnels : « Les effets de l’enfermement scolastique, redoublés par ceux de l’élection scolaire et de la cohabitation prolongée d’un groupe très homogène socialement, ne peuvent que favoriser cette distance intellectualocentrique à l’égard du monde : la coupure sociale et mentale ne se voit jamais aussi bien, paradoxalement, que dans les tentatives, souvent pathétiques et éphémères, pour rejoindre le monde réel, notamment à travers des engagements politiques (stalinisme, maoïsme, etc.) dont l’utopisme irresponsable et la radicalité irréaliste attestent qu’ils sont encore une manière de dénier les réalités du monde social. » (Méditations pascaliennes, Seuil, p. 53). Chaque mot ici compte. Je ne peux m’empêcher de penser aussi à l’attitude de Heide vis-à-vis du nazisme. Je suis tellement familiarisé avec la notion éthologique d’Einprägung, dont le concept d’ « habitus » social de Bourdieu me paraît très proche en ce qui concerne les phénomènes que ces deux termes symbolisent, que je trouve son analyse lumineuse. Dès le début de ce débat autour de l’engagement politique de Heide, je n’ai pas pu m’empêcher tout le temps de penser à ses années de formation dans les séminaires. Au lieu de formation, j’aimerais écrire déformation. Et, aujourd’hui, après avoir lu beaucoup de textes de gens très différents, c’est encore en pensant à cette formation que je peux le mieux m’expliquer les bizarreries de cet homme, aussi bien au niveau de son comportement social et politique, qu’à celui de la tonalité formelle de son œuvre. Pour moi, il est resté un théologien toute sa vie, c.à.d. un clerc qui n’a à vrai dire n’a jamais quitté le giron ecclésiastique, giron qui lui a servi de refuge contre la vie. C’est aussi pour cela que je proteste contre sa lecture de Nietzsche : s’il y a quelqu’un qui ne pouvait vraiment pas comprendre Nietzsche (et tant pis si ce que j’écris là va encore faire hurler les spécialistes), c’est vraiment un théologien ! Je n’ai cessé d’inviter mes étudiants à ne pas s’enfermer dans la formation qu’ils recevaient.
    J’ai apprécié l’expression « Hauptnichtdenker », appliquée à Heide, à sa juste saveur. Le fait que ma langue maternelle a été l’alémanique me permet de goûter les résonances vernaculaires de ce jeu de mot(heimlich, was !).
    Bien amicalement
    R. Misslin

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  37. Cher monsieur Misslin,
    je suis tout à fait en accord avec vous.
    Je vous donne en copie un texte de Gregory Charonsky sur son blog. C’est bien joli, et il condamne ceux qui refusent de lire Heidegger parce que nazi, ou qui choisissent de ne lire que les ouvrages critiques sur Heidegger. Sans doute, mais on a envie de dire à ces messieurs que si un soupçon de nazisme plane parfois (a priori, et sans doute à tort souvent, espérons), c’est aussi parce qu’a posteriori on est en mesure de voir le grand nombre d’heideggériens a priori insoupçonnables qui ont versé dans le révisionnisme voire le négationnisme, et J. Beaufret n’a pas été le seul. Au bout d’un an de réactions au livre de M. Faye, les bras m’en tombent.
    Ce qui devrait vous intéresser en tant qu’éthologue, c’est qu’il me semble parfois que les réactions de rejet des « ignorants » sont somme toutes plus rationnelles que les déploiements de délires « érudits » faits pour sauver l’insauvable. A cet égard, je ne peux supporter le renvoi dos à dos de ceux qui refusent de lire Heidegger et des négationnistes.
    Je pense au dégoût qu’a exprimé spontanément une amie alors que je lui expliquais que Heidegger avait programmé la publication de ses textes les plus nazis pour après sa mort, ou quand je lui ai dit que l’on pouvait avancer comme argument à décharge de l’antisémitisme de Heidegger le fait qu’il ait eu une maîtresse juive. J’en ai été surpris, tant le mal que j’ai à faire passer des remarques de simple bon sens sur internet en vient à me laisser croire que ce que je dis est d’une complexité insurmontable à faire passer…
    heureusement que l’on rencontre de temps en temps d’autres êtres humains…
    « Le spectacle quotidien du monde intellectuel donne effectivement l’impression que, comme dit excellemment Musil, « un authentique paranoiaque doit réellement avoir aujourd’hui bien du mal à se défendre, chez nous, contre la concurrence des amateurs. » »
    (J.Bouveresse, Le philosophe chez les autophages, p. 18)

    Bien à vous,
    Yvon Er.

    « Comme prévuNorme, standard et protocole technologiques comme condition de l’individuation esthétique (Couvent de la Tourette)
    »Heidegger, les stratégies

    Périodiquement l’affaire Heidegger,comme on la nomme depuis le livre de Farias, revient sur le devant de la scène. N’étant pas heideggerien et n’ayant fait qu’une lecture imprécise de cet auteur, je ne prend que rarement part à ces débats. Toutefois, que ce soit d’un côté comme de l’autre, il y a des stratégies d’occultation. Il y a tant et tant de manière d’occulter la responsabilité que nous laisse le travail d’Heidegger. Et si à présent je réagis c’est qu’hier un ami lors d’une conférence faisait référence à un concept heideggerien (le conflit terre/monde) et qu’un haut responsable du ministère de la culture a immédiatement réagi, sans doute suite au livre d’E. Faye, en disant qu’il ne fallait plus citer Heidegger. Et en ajoutant “Cite-t-on Hitler?” La difficulté sur ce sujet c’est qu’on semble toujours suspect, suspect d’un nazisme latent, suspect d’une complicité avec Heidegger, suspect… Il faudrait pouvoir calmement parler de cette question et pouvoir poser des alternatives, plusieurs solutions sans qu’un des participants se mette à crier et à vouloir imposer son point de vue. L’impossibilité d’avoir un débat serein, démontre que nous sommes, au sens de Lyotard, dans une situation de différend: des régimes de phrases hétérogènes sont à l’oeuvre et dissimulent leurs hétérogénéités.

    Pour le dire simplement il existe 4 positions:

    1/ Il ne faut pas lire Heidegger car il était nazi et ce serait faire l’apologie du nazisme.

    2/ On peut lire Heidegger car le nazisme n’a été qu’une erreur dans un parcours qui ne saurait se réduire à cela.

    3/ Si on lit Heidegger il faut le faire de façon critique en sachant qu’il a été nazi et que toute sa philosophie est empreinte de cette perspective politique.

    4/ Le fait qu’un philosophe important (vu le nombre et la qualité de ses lecteurs) ait été foncièrement nazi et sans doute archi-nazi, implique que nous devons lire Heidegger sans en réduire les ambiguités, les hétérogénéités, les multiplicités. On comprendra aisément que je ne peux souscrire aux deux premières hypothèses mais que les deux dernières constituent dans leur couple même, l’effort et l’exigence que nous devons tenir quant à ce sujet. Toutefois le problème de la troisième position est celle propre à toute analyse exogène: si on lit Heidegger dans l’optique d’y trouver des signes de son nazisme on en trouvera sans doute plus que la probité philologique ne le permettrait, la lecture étant un acte performateur. Il y aurait donc une cinquième position:

    5/ La lecture que nous faisons des livres d’Heidegger concerne sans doute moins l’époque où ces livres ont été écrits que notre époque. La lecture que nous faisons est un symptôme important de notre relation à cette époque, le nazisme, et de la manière dont cette époque elle-même évolue dans le temps. Bien sûr il ne faudrait pas réduire la lecture de ces livres à de simples projections de nos propres fantasmes, car ces livres développent des concepts, des réseaux sémantiques, des enchaînements d’idées. Il n’empêche que d’un point de vue philologique, il serait temps de se demander: « Qui parle? » question typologique si difficile quand celui qui parle est aussi celui qui se pose cette question.

    Ps: une simple remarque, j’ai rencontré plusieurs personnes n’ayant jamais lu de livres d’Heidegger mais lisant par contre tous les livres sur cette question de la relation entre le philosophe et le nazisme. Ce prisme unique, aussi aveuglant que l’autre prisme qui sous-estime l’engagement radical du philosophe, le fait que ce prisme fascine le public: « rendez-vous compte un philosophie nazi! », ne doit-il pas nous questionner sur la relationde notre époque à la pensée.

    Cet article a été publié le Dimanche 10 avril 2005 à 11:46 am et est classé dans Philosophie. Vous pouvez suivre les réponses reçues par cet article grâce au fil RSS 2.0. Vous pouvez laisser un commentaire, ou faire un trackback depuis votre propre site.

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  38. Bonjour Monsieur Er,
    Je suis content de savoir que vous êtes d’accord avec le contenu de mon dernier message. Merci aussi pour les remarques de M. Chatonsky: le ton adopté par ce monsieur contraste avec les vociférations de certains heidegerriens de service contre le livre de M. Faye. C’est vrai qu’on peut s’intéresser à Heide en lisant son oeuvre, replacée dans le contexte. C’est sous cet éclairage qu’elle m’intéresse. Pour moi, une oeuvre philosophique c’est un peu comme un arbre dont les branches tentent de s’élever pour capter les photons solaires. Celle de Heide pourrait de ce point de vue représenter le témoignage d’un homme jeté dans un monde qui justement n’en était plus un, c.à.d. qui avait perdu les repères correspondant à certains besoins humains et qui tente, par la pensée, de trouver des chemins (Wege!) pour retrouver dans cette affreuse obscurité un peu de lumière. Et comme Heide avait reçu une formation chrétienne, il a exprimé cette quête avec des réminiscences chrétiennes évidentes pour moi, même si elle est symbolisée philosophiquement. On pourrait, par exemple, pour être un peu plus concret, considérer que sa thématique du « Gestell » est une sorte de symbole comparable à celui de la tour de Babel biblique: l’expression de la démesure humaine, et le châtiment qui attend ceux qui ont oublié l’être, c.à.d. en fin de compte ce dieu qui « seul peut nous sauver ». Même sa sympathie pour le fascisme hitlérien peut dans cette perspective (!) se lire comme l’expression d’un besoin très angoissé à l’établissement d’un ordre politique fort, avec à la tête un chef qui ne craint pas de se présenter avec les atours, si je puis dire, d’un vrai Führer, c.à.d. celui qui est capable s’assumer ce terrible rôle qui consiste à servir de guide à la horde égarée. En raison de ma formation éthologique, je pourrais sans peine traduire tout cela en termes de recherche d’un écosystème politico-social sûr, stable, défini: le Boden germanique, quitte à devoir recourir au sang pour le rendre suffisamment conforme aux besoins d’un vrai Allemand, c.à.d. d’un authentique membre de la tribu germanique: dehors tous les parias qui polluent la tribu! Vous citez Musil que j’adore: en une phrase humoristique, qui a l’air d’une plaisanterie comme certains aphorismes nietzschéens, il fait éclater une vérité sur nous, ici les aspects paranoïdes de notre comportement. Car, les réactions paranoïdes représentent un système de défense contre tout ce qui peut nous gêner dans notre environnement. Et Dieu sait comme nous sommes susceptibles. Ce qu’en psychiatrie on appelle paranoïa ne représente, à mes yeux, que l’exaspération de ce système. De ce point de vue, je perçois chez Heide, phénoménologiquement (rire!)parlé, par mal de symptômes défensifs contre le monde dans lequel il vivait et qui lui était plutôt insupportable. Franchement, il y avait de quoi!!! D’où ce caractère réactionnel de certains de ses textes, et en contrepoint, l’appel quiétiste.
    Bien à vous
    R. Misslin

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  39. Cher monsieur Misslin,
    nous avons déjà eu plus ou moins cette conversation : si il y a chez Heidegger un fond théologique, une quête d’un « fondement sûr » pour reprendre de manière raccourcie votre analyse, le Heidegger des années 30 est également très anti-chrétien. Il reprend donc peut être certains des besoins légués par sa formation théologique et le catholicisme de sa jeunesse, mais pour lui donner un tour qui lui est propre.
    Cher monsieur Misslin, pouvoir discuter avec vous sur internet a été à plusieurs reprises un bonheur certain, mais l’été arrive pour moi aussi.
    Je ne souhaite pas laisser à Hitler le dernier mot, mais je vais le citer, une fois n’est pas coutume :
    « Je remercie le destin de ce qu’il m’a épargné les oeillères d’une éducation scientifique. J’ai pu me tenir libre de nombreux préjugés simplistes. »
    Hitler à Rauschning, dans « Hitler m’a dit », nouvelle édition revue et complétée, Editions Aimery Somogy, 1979, p. 301 (cité par Jacques Bouveresse dans « Le philosophe chez les autophages », Les éditions de Minuit 1984, p. 47).
    Bien le bonsoir,
    Yvon Er.

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  40. Cher Skildy,
    je crois que je peux et dois vous demander de mettre fin au blog qui suit mon intervention sur les « dangers du « négationnisme ontologique » ».
    Nous avons largement laissé le temps d’une réponse, et l’été universitaire arrive.
    Je ne suis cette fois pas intervenu plus tôt dans la mesure où j’ai souhaité donner le plus de temps possible à certains intervenants, afin qu’ils puissent revenir sur les propos qui les ont eux-mêmes entachés : j’ai déjà dit dans mon intervention de janvier suite au texte « Pour l’ouverture des archives Heidegger » que je souhaitais laisser leur chance aux personnes, même si les propos étaient inacceptables. M. Teitgen s’entête néanmoins à ne pas voir du nazisme dans la référence au « Blut und Boden » chez Heidegger dans les années 33-34, et ce en maintenant ses dires à l’origine de mes critiques, à savoir que le Blubo aurait une origine antérieure au nazisme. L’antisémitisme aussi, cela ne fait pas d’un appel à la « lutte contre l’asiatique » proféré dans ces années là un « simple » antisémitisme « réactionnaire » ou « catholique ».
    Par ailleurs que les références heideggériennes au Blubo s’amenuisent par la suite n’innocente en rien ses dires des premières années du IIIème Reich sur le même thème : propager le Blut und Boden dans ces années là, c’était participer à la construction de l’idéologie raciale du nazisme, entérinée en 1935 avec les lois de Nüremberg, qui sont bien un dispositif capital dans le processus de l’extermination des juifs d’Europe, contrairement à ce qu’a affirmé le dit « Maximilien Lehugeur », et comme l’a écrit par contre Raoul Hilberg ; après 35 le « Blubo » n’est plus une idéologie à imposer mais la loi même. A quoi bon propager encore ce qui fait force de loi ? Mais laissons cela : je me suis déjà rendu trop souvent au « Sonderbereich » de la bibliothèque d’État pour lire des livres marqués d’un bandeau rouge afin de vérifier une énième fois ce genre de choses.
    Demander benoîtement ce que pouvait bien attendre Heidegger du nazisme en 1933 et ce qu’il en comprenait, et la différence entre cette compréhension et le « nazisme « réel » » et « ce qu’il est devenu par la suite » (comme l’a fait monsieur Teitgen dans le courriel de la fin janvier que vous m’avez fait suivre à sa demande, et que je vous demande de conserver), c’est gommer, volontairement ou non, l’extrême virulence du régime dès ses débuts, qui conduit logiquement et juste après aux lois raciales. Que Martin Heidegger ait été recteur dans une des facultés « pionnières » du régime aurait dû suffire à provoquer plus de réflexions, mais je comprends maintenant après lecture des diverses « réponses » qui ont pu être données au problème comment une série d’euphémisations a pu étouffer l’interrogation avant que M. Faye ne publie son livre.
    Si la question de la responsabilité intellectuelle a été abordée, celles posée par mon intervention sur l’article de Servanne Jollivet sont restées sans vraie réponse ni vraie contestation. On m’a objecté que je n’aurais pas saisi la sérénité et la mesure de ce type d’approches. Si S. Jollivet représente la nouvelle sagesse universitaire, je crains que cette « sagesse » n’accouche de certaines fureurs déjà connues d’ailleurs.
    Enfin, je suis consterné par la gravité des documents publiés par monsieur Er, d’autant que cette publication a été immédiatement suivie d’une apparente indifférence qui rappelle un peu trop à mon goût l’ambiance de « Festen », et par une série de conversations qui peuvent être intéressantes, mais qui ne font pas vraiment directement avancer la chose même.
    Je souhaitais en intervenant ainsi prévenir un trouble et obtenir des éclaircissements, je repars plus troublé que jamais, et comprenant que nous sommes face à des problèmes politiques et moraux dépassant largement ma petite personne. L’interrogation ouvre parfois d’étranges portes. Je souhaite donc que de plus forts que moi se chargent de relever les défis à la fois anciens et nouveaux qui se présentent : ils ne seront sûrement pas seuls.
    Pour ma part, j’en ai assez vu, et vous laisse à vos propres travaux, à moins que les menaces de procès dont vous avez fait l’objet fin janvier ne me conduisent à me porter à votre aide.
    Je salue donc messieurs Er et Misslin, ainsi que Skildy qui nous a accueillis.
    Amis, salut.
    Christoph A. Lamy.

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  41. Merci, Monsieur Er, et bonnes vacances.
    C’est vrai, pour quiconque veut se livrer à ses pulsions sans frein, et en faire une idéologie, il vaut mieux ne pas s’adonner à la recherche scientifique: celle-ci, à tous moments, falsifie vos intuitions que vous croyiez pourtant fondées, et vos hypothèses qui vous paraissaient les plus heuristiques. Souvent, c’est au détour d’une expérience qui ne confirme pas votre hypothèse qu’on trouve une solution non imaginée. Mais Hitler n’avait que faire de confronter ses délires de parano à la réalité: la réalité déplaisante au parano, il la détruit!
    Bien amicalement et peut-être à plus tard.
    R. Misslin

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