« La dévastation et l’attente » de Heidegger. Notes de lecture

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1. [Dimanche/02/06 à 15h49]

Premières impressions.

Je viens de découvrir La dévastation et l’attente, Entretien sur le chemin de campagne (désormais DA). Il s’agit d’un dialogue philosophique que Heidegger a terminé au lendemain de la guerre, le 8 mai 1945 au château de Hausen. Il est publié chez Gallimard dans la collection L’infini.

Dans la mesure où j’avais été écoeuré par l’entretien du Spiegel, rédigé en 1967 pour être un écrit posthume, il n’y avait aucune raison que je ne le sois pas également par DA écrit « seulement » en 1945. Il est vrai que je n’ai pas été déçu.

1. 1. Mes premières remarques porteront tout d’abord sur quelques points des notes présentées frauduleusement comme des Notes de traduction. « Ces notes de traduction, écrivent Philippe Arjakowsky et Hadrien France-Lanord, ne constituent pas une « introduction » au Dialogue ». Non mais elles vont bien au-delà de ce qu’on peut attendre de notes de traduction. Certes il y a le contexte et il est justifié que les traducteurs fassent parfois des développements conséquents. Ils évoquent à ce propos une « extraordinaire philologie pensante ». (DA, p. 71) Mais sous couvert de ces « notes de traduction » c’est un mode d’emploi de Heidegger qui nous est sournoisement proposé. Celui-ci nous est présenté comme un opposant et un résistant au nazisme.

A propos de GEME, un texte qui permet de comprendre ce qu’a été en réalité  » l’opposition » de Heidegger au régime nazi, lequel texte est en fait une transposition ontologique de la doctrine hitlérienne, Pascal David nous a servi le potage insipide d’une biographie « soviétique ». [Voici le lien pour l’analyse de GEME : http://skildy.blog.lemonde.fr/skildy/2006/02/sur_grammaire_e.html ]

Pour DA,  c’est dans une sorte de postface que Hadrien France-Lanord et Philippe Arjakovski nous servent le dessert des desserts : un Heidegger résistant! Dans GEME le potage avait au moins le mérite de la franchise. Dans DA c’est en douce que le coup tente d’être fait : ce ne sont que des notes de traduction. Il s’agit en réalité là aussi d’une sorte d’hagiographie du philosophe. Merci pour la franchise!

1. 2. S’agissant du motif de l’insurrection (Aufstand) – motif sur lequel nous reviendrons ultérieurement – les traducteurs citent Heidegger : « La bombe atomique, cela fait longtemps qu’elle a explosé; précisément à l’instant où l’être humain est entré en insurrection à l’encontre de l’être, et de lui-même a posé l’être en en faisant un objet de sa représentation. Depuis Descartes. » (GA 15, 433 in DA p. 107). On pourrait mettre au concours le commentaire critique d’une telle citation. Je suis de moins en moins sûr que celui qui a écrit « la science ne pense pas » a su relever le défi qu’implique sa déclaration. Quel raccourci et quelle manière de faire passer la lame du rasoir dans l’histoire de la pensée!

1. 2. 1. L’histoire de la représentation et de l’objectivation est certainement bien plus complexe même si, naturellement, la philosophie de Descartes en constitue un moment important. Il y a quand même quelque chose comme un raccourci chez Heidegger, raccourci emprunté pour s’en prendre nommément à Descartes, à la modernité philosophique. Il est impossible de ne pas s’apercevoir que l’auteur tente de faire de la modernité philosophique l’élément généalogique fondamental des meurtres de masse modernes… centres d’extermination nazis compris.

1. 2. 2. Il y a de toutes manières quelque chose d’un peu bête dans ce genre d’explication. Pourquoi cela aurait-il commencé avec Descartes et non pas avec les peintres de Lascault? Pourquoi la bombe atomique n’aurait-elle pas commencé avec les premières étincelles produites par le choc intentionnel de deux morceaux de silex? Là je joue le Kubrick de 2001 Odyssée de l’espace contre le Heidegger qui hait Descartes. S’il y a eu des SS et si l’on cherche des « explications » il faut remonter au moins 40000 ans en arrière… et faire un peu l’histoire de la violence, des armes et des techniques d’oppression et de domination. Et si Auschwitz avait comme ressort la haine de la modernité?  Dans ma note sur GEME je soutiens qu’il y a un nazisme chez Heidegger – il s’agit du Heidegger de 1935 – et qu’il se fonde sur une interprétation de l’être résolumment anti-moderne. L’opération que tente Heidegger aprés 1945, opération qui est du pain béni pour tous les « réactifs » – hé! oui! – est de mettre Auschwitz sur le compte de la modernité et de la modernité « insurrectionnelle ». Et celle-ci est fondée sur Descartes. Comment peut-on qualifier avec sang-froid une telle opération? Les fautifs ne sont donc pas les « révolutionnaires nazis », dont Heidegger a été un des penseurs, mais les « insurgés de la modernité », les enfants de Descartes! Si Heidegger est un idéologue abject mais un grand penseur je vois de moins en moins ce qui sépare sa pensée et l’idéologie.

1. 2. 3. [ Même jour à 20h05]. Je reste toujours du côté des « notes de traduction » ne serait-ce que pour montrer à quel point elles constituent bien une sorte d’introduction au dialogue. Le passage, page 103, consacré à la question de la politique est proprement ahurissant. « … le dialogue avec les Grecs et avec Hölderlin a conduit le penseur à consacrer le centre de son cours du semestre d’été 1942 (GA 53) à une interrogation sur la polis grecque et à une mise en question de la notion proprement occidentale de « politique » qui en découle et qui a atteint sous une forme perverse une de ses culminations avec la vision du monde nazie. (Nous soulignons). Heidegger rompt ainsi et avec la polis grecque et avec la politique au sens moderne (la politique en tant que rapport au monde où s’exerce une puissance subjective strictement humaine sur l’étant en son entier) telle qu’elle est mise en oeuvre par les régimes totalitaires comme le nazisme et le marxisme-léninisme. A cette politique et au concept de nation qui s’y apparente, le penseur oppose notamment la notion de peuple dont la signification se précise au fil de sa lecture de Hölderlin ».

Les bras numériques m’en tombent… Comment un tel liquidateur de la politique peut-il passer pour un anti-nazi en particulier et un anti-totalitaire en général? Le tour de passe-passe est vertigineux. Car s’il y a bien une marque spécifique au totalitarisme, et au totalitarisme nazi, c’est précisément la liquidation de la politique. La politique nazie est une destruction continue de la politique, de la politique entendue comme « être ensemble d’une pluralité ». L’opération qui est ici effectuée consiste à mettre au compte de ce que le nazisme s’est fixé comme objectif de détruire, la politique, l’origine même du nazisme. Pour ce faire on bricole une « définition » de la politique comme « rapport au monde où s’exerce une puisssance subjective strictement humaine sur l’étant en son entier ». Sous couvert d’on ne sait quelle transcendance sinon instance supra-humaine celui qui est nommé « penseur » recommande tout simplement la liquidation de la vie politique de la société. La perspective est effrayante et je ne vois en aucune manière à quel titre on pourrait l’opposer à ce que fut le nazisme (et le stalinisme). Considérer le politique comme l’expression de la puissance subjective est sinon un contre sens du moins une réduction invraisemblable. Cette définition détruit le politique en l’enfermant dans la circularité d’une rhétorique pro-nazie. Le dialogue heideggerien, (et ses « notes de traduction »), semble tomber à pic pour un lectorat en retrait de la chose publique. Mais quelle serait alors cette politique d’au-delà du politique? N’était-ce pas déjà ce qu’a « accompli » le IIIe Reich? La politique est une chose sale et le nazisme serait l’expression paroxystique de cette saleté. Pour le phiblogZophe il ne s’agit ici que d’une critique nazie du nazisme… Mais puisqu’il s’agit de détruire la vie politique c’est idéologiquement cohérent. Mais, surtout, la rhétorique nazie étant par définition sans scrupule on ne voit pas pourquoi un nazi ne se servirait pas de l’image négative du nazisme pour retourner l’argument contre la politique, c’est-à-dire contre la démocratie. En 1967 il a, dans l’entretien du Spiegel, à nouveau érigé un barrage entre la pensée et la démocratie.

Mon hypothèse est alors la suivante. Heidegger considérerait que, malgré la défaite de 1945, le IIIe Reich aurait constitué une expérience « globalement positive ». Si, comme je le pense, il a approuvé, pour la transcrire ontologiquement, la doctrine hitlérienne, il est en droit d’estimer que la défaite du Reich n’est que relative. Il aurait notamment compris que la meilleure manière d’être fidèle à la grandeur et à la vérité interne du mouvement – fidélité qu’il réaffirme à mon avis dans l’entretien du Spiegel – c’est de le « récupérer » au terme d’une navigation subtile comportant critiques, dénis mais aussi euphémismes. La condamnation du politique est à mon sens la frappe la plus sûre de sa fidélité « à la grandeur et à la vérité interne » du mouvement.

Ici même je comprends mieux l’inquiétude qu’a formulée Emmanuel Faye quant au rôle désastreux que pourrait jouer Heidegger dans l’avenir. Un penseur qui proclame la fin de la politique, en la caricaturant comme expression d’une volonté de puissance subjective et strictement humaine, ne peut être qu’un (néo)-nazi. En tous cas c’est le message qui semble transiter à l’occasion de ces fameuses « notes de traduction ». A condition de les traduire…

 

 

2. [Lundi 13/02 à 13h12]

On apprend beaucoup de choses en commençant DA par les « notes de traduction ». Et alors que la répudiation du politique, défini par l’exercice d’une « puissance subjective strictement humaine sur l’étant en son entier », ne semble nullement perturber les traducteurs ceux-ci y vont de leur définition du peuple français : « … il ne peut y avoir de peuple français que si nous nous mettons à l’écoute des poètes que nous sont par exemple Villon, Molière, Poussin, Rimbaud, Proust, Debussy, Rodin, Cézanne, Matisse, Char, etc. » (DA p. 98).

Compte tenu que Descartes est un des pères de la bombe atomique – pour moi, on l’a vu, l’homme qui a vu l’homme qui, le premier, a fait surgir des étincelles en faisant s’entrechoquer deux silex est le grand père de la bombe… – il ne figure pas dans cette liste. Mais il est vrai qu’il n’est pas un poète. Tant pis pour son français philosophique.

On pourrait longuement commenter une telle définition du peuple français. J’en soupçonne l’indigence et à tout le moins la profonde insuffisance. Elle est nécessairement en partie exacte mais, telle quelle, je la trouve violente.

Le mot d’imposture me vient à l’esprit aussi bien à propos de Heidegger qu’à propos de certains de ses traducteurs. Le mal, la dévastation, la « gestellisation » tout cela remonterait à Descartes. C’est la faute de l’objectivation, de la représentation de l’étant en son entier. La « constitution » du peuple passe par contre essentiellement par les poètes. La « démocratie » mondiale, à cause des technosciences, est désertifiante… Ne s’agit-il pas cependant d’une im-POSTURE? Il suffit qu’un Heidegger ait pu bénéfier d’une analyse radiographique, à un moment délicat de l’existence, ou simplement se féliciter de la publication, sous forme papier ou sous forme de bits, de la production heideggerienne pour rendre ambigüe et suspecte la charge contre la représentation de l’étant. Les plaintes de Heidegger contre le « progrés » sont convenues. Mais il les onto-politise avec beaucoup de sophistication. Sa critique de la subjectivité moderne n’est pas sans intérêt. Il a reconnu de même qu’on ne pouvait pas simplement espèrer « sortir » de l’ére de la technique. Et pour cause. Mais il y a beaucoup de généralités passe-partout. On est surtout inquiet des perspectives politiques, déniées comme telles, que cela ouvre.

Essayons d’imaginer ce que serait une société française dont le peuple penserait son essence par la fréquentation des poètes. Des poètes « français » bien entendu. Fréquentation pratiquée, par ailleurs, dans un au-delà de la politique.

Il n’y a rien à faire. Heidegger ne s’est jamais remis de sa croyance au nazisme. « … la fameuse erreur de Heidegger, écrivent les traducteurs, … aura surtout été de croire pendant quelques mois entre mai et décembre 1933 que le national-socialisme alors naissant était ou allait pouvoir devenir un « socialisme nationel » ». (DA p. 104). Le « nationel », pour Heidegger, serait une « entente sans précédent et résolument non « politique » et non nationale de la « patrie » (DA p.104).

Je montrerai plus tard qu’on ne sort pas du nazisme par un tel nationel. Heidegger a sa conception de la « chose ». Et il aurait pu avoir de nombreux motifs, autres que cette divergence sur national et nationel, pour apercevoir la bête immonde et s’en éloigner.

Les traducteurs s’engagent : « … Heidegger est peut-être aujourd’hui encore le seul à avoir vraiment pris la mesure de sa propre erreur ». (DA p. 104).

De tout ceci nous reparlerons.

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3. [Mercredi 15/02/06 à 12h42]

Je reviens sur la question du peuple français qui, selon les « annotateurs », serait essentiellement constitué par la fréquentation de « ses » poètes.  Un début de liste est proposé : « Villon, Molière, Poussin, Rimbaud, Proust, Debussy, Rodin, Cézanne, Matisse, Char, etc. » Plus loin on apprend que « la seule référence nationale (pour nous : la Révolution française, naissance de la nation au sens moderne) est donc radicalement insuffisante, voire égarante comme l’expose Heidegger dans la suite du Dialogue, et comme il l’expliquait déjà publiquement à ses étudiants dès les cours de 1934-1935 (GA 38 et GA 39) dans une Allemagne de plus en plus furieusement nationale-socialiste. » (DA p. 98).

Même exprimée brièvement une telle idée est si stupide qu’elle s’expose à la rude question du « canon », de la liste. Quels sont les poètes – si Rodin ou Debussy alors pourquoi pas Descartes ou Bergson? – susceptibles de faire français? On observe que, dans ce début de liste particulièrement suggestif, ne figure pas Victor Hugo. Par contre, Char, qui a apporté sa caution de résistant et de combattant à un Heidegger bien encadré par « son garde du corps » Beauffret, figure dans la liste. Et comme le propos est de sortir la Révolution française du champ de l’identité on craint que tout poète un tant soit peu « révolutionnaire » ne puisse un jour figurer dans la liste des auteurs non « négatifs ». (Je reprends le mot au Heidegger de 1967-1976, celui de l’entretien du Spiegel, entretien au cours duquel il réitère sa fidélité au « concept » de littérature négative. Cette littérature négative est celle qui correspondrait au nihilisme.)

On remarque la manière rampante et pateline avec lesquels les « annotateurs » se rangent derrière l’autorité heideggerienne : « la seule référence nationale… est donc radicalement insuffisante, voir égarante comme l’expose Heidegger dans la suite du Dialogue, et comme il l’expliquait déjà publiquement… »

Nous verrons plus loin que, fondamentalement, une telle critique ne suffit absolument pas à fonder la figure d’un Heidegger anti-nazi. On nous sert ici un « naïveté mode d’emploi » affligeant. L’emballage en termes de « Notes de traduction » est au reste amplement significatif. L’extraordinaire Zagdanski, dans un e-papier récent – provocateur à souhait à propos de Hannah Arendt – met en avant la fameuse démission de Heidegger. Quelle étroitesse d’esprit! Comme si une démission prouvait l’anti-nazisme de Heidegger! Le fait qu’il n’ait pas été sérieusement inquiété après cette démission pourrait tout aussi bien prouver le contraire! « Je démissionne du rectorat, donc je suis un résistant spirituel au nazisme »! Tout ceci relève du conte à endormir debout!

Cette édition de DA, grâce au reste au concours non intentionnel des « annoteurs », est un document en réalité très intéressant. Il permet de saisir sur le vif comment, dès 1945, Heidegger met sa plume au service d’un nazisme. Peut-on, en reprenant le mot à l’intéressé lui-même, parler ainsi d’un nationel-socialisme? Il s’agira plus loin d’essayer d’approfondir en quoi il consiste. Notons au passage que la date de 1934-35 est mise en avant en faveur de Heidegger. Selon nous c’est au contraire à cette date que se cristallise le nazisme heideggerien notamment, comme on l’a vu à propos de GEME, par une ontologisation de l’hitlérisme. Mais cette ontologisation ne signifie pas transposition littérale. S’il « résiste spirituellement » c’est à une certaine conception des fondamentaux à l’oeuvre dans le nazisme. Au reste, dans l’entretien du Spiegel, il montre comment il est resté fidèle jusqu’au bout à la « grandeur et à la vérité du mouvement ».

Nous pouvons nous faire une première idée de ce que serait une société heideggerienne en imaginant ce que serait par exemple un pays comme la France dès lors qu’il mettrait en oeuvre pratiquement une constitution identitaire à partir d’une « liste » de poètes. Il est au reste révoltant de constater comment la culture est ici instrumentalisée politiquement pour « meubler » un au-delà du politique. C’est de la « barbarie culturelle ». Ce n’est pas la valorisation des grands poètes qui est naturellement contestable. C’est l’articulation idéologique qui est faite avec eux – et selon une « liste » hautement problématique – avec la sortie du politique, celui-ci étant écrasé sur la « subjectivité moderne » (d’origine cartésienne)… et avec le « concept » de littérature négative revendiqué par le dernier Heidegger, celui de l’entretien du Spiegel. La rhétorique « grande culture » ne doit pas nous dissimuler qu’elle est ici enrôlée au service d’une conception totalitaire de l’identité.

A plusieurs reprises les « annotateurs » font allusion à la correspondance de Heidegger avec Elisabeth Blochmann. Je n’ai rien à dire à propos de cette personne sauf que, dans le discours  ficelé par les « annotateurs », elle apparaît comme l’oreille qui écoute favorablement Heidegger. Elle sert ainsi de modèle à ce que doit être le lecteur : admirateur, « amoureux », ébloui, prosterné devant la « lettre » du génie. Au moins, Hannah Arendt, quant à elle, avait bien compris le « menteur ». Dire que Heidegger est un menteur c’est dire « Heidegger ment »!

Qu’on imagine seulement un échange épistolaire entre Heidegger et son ancien élève Günther Anders! Mais, précisèment, je ne sache pas qu’un tel échange ai eu lieu!

Les heideggeriens « politiques » sont hantés par le camp. La société heideggerienne est une société de camp(s). Car, avec la « constitution littéraire » de l’ identité nationelle, articulée qui plus est au « concept » de littérature négative, que faire des poètes « révolutionnaires » surtout quand, comme certains rapeurs, ils ne peuvent accepter l’injustice qui leur est faite ainsi qu’à leurs « frères »?

Char et Villon, compte tenu de l’indigence dangereusement totalitaire de la « société heideggerienne », deviendraient vite semblables au  Beethoven et au Mozart qu’on a joué dans les camps.

Heidegger n’était donc pas national-socialiste mais nationel-socialiste. Non seulement ce n’est pas mieux mais cela pourrait même, cautionné par la « haute philosophie », s’avérer être pire. Il faudra le justifier.

4. [Même jour à 16h59]

On peut lire aussi, page 103  des « notes de traduction », ceci : « Un peuple historial ne peut être que dans le dialogue qu’entretient sa langue avec les langues étrangères ». Il s’agit d’une citation de Heidegger (GA 53, 80). La citation est convoquée pour conforter la thèse selon laquel le nationel heideggerien est l’indice d’une rupture fondamentale avec le national-socialisme. En réalité les « annotateurs » perdent une occasion pour étudier comment Heidegger, au contraire, élabore sa propre conception du nazisme. Ils mettent totalement de côté la croyance heideggerienne en la supériorité ontologique de la langue allemande. Et qu’est-ce qu’un peuple historial? Il faut être volontairement aveugle pour ne pas voir que ce peuple historial, dont la langue est privilégiée pour entendre l’être, est un peuple qui se pense comme un peuple dominateur et que c’est dans le dialogue avec les « langues étrangères » qu’il peut effectivement être, c’est-à-dire dominer. Cela a été dit, selon les « annotateurs », en 1942. C’est l’année de Wannsee et celle de la défaite devant Stalingrad. L' »onto-traducteur » de Hitler des années 34-35 se replie sur la langue. Ce n’est pas qu’un virage tactique, ni une consolation, ni une illusion utile. Heidegger est un peu le « Homère » diplomate du IIIe Reich. Certes, il accuse durement le coup. Victorieuse l’armée rouge semble souffler au peuple historial la vedette en matière « d’ouverture de monde ». Mais, de toute façon, la domination du Reich pour mille ans n’aurait pu se perpétuer uniquement par la répression et les seuls camps. « L’ouverture du monde », à laquelle se livrait le « peuple historial », était appelée à éclore à travers son « commerce » avec les langues dites étrangères. Et puis, de toutes façons, il y a le fameux « concept » de littérature négative. On imagine que, dans l’Europe heideggérienne, les auteurs de littérature négative, par exemple les auteurs qui auraient contesté la pénétration bureaucratique de la pensée Heidegger dans l’enseignement, se seraient exposés à connaître les joies du camp. J’exagère? Celui qui n’a jamais critiqué en profondeur le système qu’il a contribué à mettre au pouvoir, qui a même fort habilement exploité son image négative pour charger la modernité philosophique – c’est la faute à Descartes! – ne pouvait pas ignorer les résonances qui s’attachent nécessairement au « concept » de littérature négative. Mais il est vrai qu’il prépare alors, suite à la catastrophe de 1942 – Stalingrad et non Wannsee – une version de sauvetage du nazisme, version qui nous est donnée ici avec une complaisance « naïve » consternante.

Tout ceci a une raison assez compréhensible. Heidegger est un des fournisseurs de « grains à moudre » du conservatisme politique le plus dur. Cela n’est jouable que si on dissimule le nazisme du maître. Alors pourquoi un tel investissement à propos d’un auteur dont on proclame l’indépendance de pensée par rapport à l’idéologie, séparation qui permet de faire l’économie de la question de son nazisme? Cet investissement n’est compréhensible que parce que, précisément, c’est un auteur particulièrement « idéologique ». Les « notes de traduction » qui « introduisent » de fait à DA en font la démonstration, en sont la démonstration.

5. [Jeudi 16/02/06]

Avant d’aborder le texte heideggerien lui-même résumons les points les plus significatifs de la « post-introduction » que sont en réalité les « Notes de traduction ».

* La transformation de Heidegger en opposant au nazisme, indispensable pour faire écho à sa « pensée », permet de donner un ticket de respectabilité à des motifs qui relèvent pourtant de ce qu’on appelle le totalitarisme. Ces motifs, selon moi, sont même ceux d’un (néo-) nazisme.

* Le motif le plus significatif est celui d’un dépassement de la politique. Heidegger lui-même, qui n’a jamais été à une forfaiture intellectuelle près, recycle l’horreur nazie pour charger la subjectivité moderne. Les camps sont davantage à mettre sur le compte de celle-ci, et à son « doctrinaire » fondateur que serait Descartes, que sur le réseau d’intellectuels pro-nazis qui, grands ou petits, ont apporté leur caution à la doctrine hitlérienne et leur concours actifs à sa réalisation. Le dépassement de la métaphysique doit se traduire par un dépassement de la politique puisque celle-ci est définie essentiellement comme la manifestation sociale de celle-là. Cette vision du politique est indigente et d’essence totalitaire.

* Les soi-disants « annotateurs » tentent d’heideggeriser le lecteur en proposant un mode de constitution de l’identité du peuple qui passe par la poésie. Cet enrôlement des poètes, révoltant à mes yeux, se traduit par l’esquisse d’une liste, d’un canon qui, parce qu’il s’agit de poésie, permet d’inclure Debussy, Poussin, Proust et Rodin mais d’exclure Montaigne, Descartes, Victor Hugo, Bergson. La poésie devient ici la p… enrôlée par l’heideggerisme blanchi de son nazisme et cela dans le but de justifier une entreprise totalitaire de dépolitisation. Cela correspond potentiellement, selon nous, à une société de camp.

* Je suis d’autant plus fondé à émettre cette « exagération » que le Heidegger de l’entretien du Spiegel, et les « annotateurs » se gardent bien d’y faire référence, a redit sa fidèlité au « concept » de littérature négative. Et comme le philosophe n’a jamais dissimulé son intention de diffuser la « pensée de l’être » dans tout l’enseignement on pressent ce que peut devenir un tel « concept » dans une bureaucratie cautionnée par l’onto-politique heideggerienne. La poésie, qu’il s’agisse de Hölderlin ou de Char – mais ces poètes ne sont pas ici en cause en tant que tels – servirait rapidement de masque culturel à la liquidation barbare du politique réduit à une manifestation « maligne » de la subjectivité moderne et métaphysique.

6. [Vendredi 17/02/06 à 9h 52]

La théorie des trois cercles.

La question du nazisme de Heidegger pose aussi des questions de méthode. L’opposition radicale entre les heideggeriens « résistantialistes », pour lesquels Heidegger aurait été de fait un résistant spirituel au nazisme – et alors même qu’il est resté jusqu’au bout au coeur du cyclone – et les « idéologistes », pour lesquels Heidegger n’a eu de cesse d’introduire le nazisme dans la philosophie, occulte en réalité la question de ce qu’est lire et interpréter une oeuvre.

Il faut d’entrée de jeu tenir compte qu’une des caractèristiques inédites de « l’oeuvre » Heidegger est qu’elle s’est déployée dans un contexte qui correspond à ce qu’on appelle le totalitarisme. Cela signifie doublement qu’il faut accepter d’avoir à penser de manière nouvelle la question du pouvoir tout en n’oubliant pas qu’il existe aussi des usages idéologiques de la notion de totalitarisme.

Chez les « résistantialistes » prédominent l’idée que l’oeuvre de Heidegger est celle d’un grand penseur et que nous n’avons surtout pas à nous priver de ce que sa pensée permet d’éclairer du monde contemporain. Forts de cette conviction ils font de Heidegger un « résistant spirituel » et l’exemptent de toute participation active au projet totalitaire nazi.

Cette attitude est si répandue qu’on comprend pourquoi, chez les idéologistes, on semble procéder périodiquement à des coups de boutoir. Il y aurait une forteresse de révisionnisme ou de négationnisme qu’il conviendrait d’abattre pour mettre enfin à jour ce qu’est l’heideggerisme. Bien que nous ayons pris position en faveur de cette perspective nous n’oublions pas qu’on ne saurait exclure a priori qu’il puisse y avoir des éléments de l’oeuvre Heidegger qui échappent à l’entreprise idéologique.

Mais, précisément, il faut éviter de se laisser comme fasciner par le « bruit et la fureur » qui émane du choc des deux camps. (On notera cependant que la violence du ton et le recourt à l’injure est largement le fait des « résistantialistes ». Etant certains d’être du côté de la pensée ils se sentent autorisés à réprimer verbalement ceux qu’ils considèrent comme des « barbares ».)

La question Heidegger interfère naturellement avec des stratégies universitaires. L’enseignant qui parle de Heidegger comme d’un grand penseur depuis plusieurs années ne peut être disposé à admettre que l’auteur dont il parle « introduit le nazisme dans la philosophie ». Soit qu’il considère lui-même le nazisme comme la monstruosité par excellence… soit, on ne peut absolument pas écarter cette éventualité, qu’il estime indispensable de dissimuler ses sympathies.

Dans le premier cas l’hypothèse serait que, et alors même que la référence à Heidegger n’est pas qu’une référence historique, il convient de faire précisément progresser la connaissance historique du « Heidegger réel ». Dans le second le « médiateur » s’accorde au contraire avec le projet d’introduction du nazisme.

Que pourrait être une stratégie de lecture et d’interprétation?

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7. [Même jour à 12h36]

Je suggère de nous représenter le « discours Heidegger » (DH) comme constitué de trois régions ou cercles différents.

Le premier cercle, C1, correspond au discours explicitement nazi de Heidegger. Il est rare mais non inexistant. (Aux déclarations connues, cependant, il faut ajouter ce qu’on peut savoir de la pratique politique pro-nazie de Heidegger : actes administratifs, réseaux de relation, participation à des « cercles » etc.).

Le deuxième cercle, C2, est celui de la transcription ontologique, ce que j’ai appelé l’onto-politique heideggerienne, de la doctrine nazie. C’est dans ce cercle que joue à plein la formule DN + id = DHP.(Discours nazi + jeu d’identité et de différences donne le discours heideggerien à caractère philosophique).

Le troisième cercle, C3, est constitué par les textes reconnus et admis par « l’académie ». Je pense, par exemple, à tel développement sur le temps, telle analyse du concept de production ou telle lecture d’Aristote ou de Kant.

Les partisans des deux camps – celui des « résistantialistes » et celui des « idéologistes » – mettent en avant, selon leurs options, ou C3 (dans le cas des « résistantialistes ») ou une combinaison de C1 et de C2 (dans le cas des « idéologistes »).

Le premier problème est celui de la validité de la distinction entre C3 et C2. La thèse idéologiste laisse entendre que tout Heidegger relèverait d’une manière ou d’une autre de C2. Par ailleurs, dans le camp des « résistantialistes », ne figurent pas seulement des « spéculatifs » mais aussi des heideggeriens intéressés parce que serait sinon une politique, du moins une attitude politique inspirée par la « sagesse » heideggerienne. Parmi les « résistantialistes » ce sont eux les plus virulents à l’égard des « idéologistes ».

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8. [Même jour à 14h44]

Le programme serait donc de révéler ce qu’il en est précisément des trois cercles. L’obstacle « académique » à surmonter en premier lieu est de ne pas s’interdire ce travail d’analyse au prétexte qu’on aurait affaire à une pensée, à une grande pensée. Ce motif génère de la confusion et favorise le déni. Au reste, et dans la mesure même où nous admettons à regret qu’un intellectuel comme Heidegger est nazi, il s’agit bien de rester circonspect quant à l’invocation de la pensée. « La science ne pense pas »… « Nous ne savons pas encore ce qu’est penser… » Cette mise en avant du « spirituel » pourrait bien dissimuler des intentions beaucoup moins nobles. Heidegger a vraiment cru que l’hitlérisme « ouvrait un monde »… « amondait »… La doctrine, tout étant ancrée dans le « passé », rompait par ailleurs si fortement avec le « bon sens  » politique et social qu’elle pouvait apparaître aux croyants comme prometteuse d’une « nouvelle pensée ». De même que l’anjudaïsme chrétien répétait le passage de l’ancienne à la nouvelle alliance, dans une dramaturgie de la « nouveauté » et de la « modernité » de la parole christique, l’antisémitisme nazi n’ambitionnait rien de moins que de fonder par le « vide » un « nouveau monde » et une « nouvelle pensée ».

Si, dans GEME, « l’introduction en métaphysique » consiste en une sorte de refondation de l’ontologie, cette refondation consistant pour l’essentiel en une transposition onto-politique de l’hitlérisme, le motif du dépassement de la métaphysique, aux résonances si nietzchéennes, consonne parfaitement bien avec le motif de la « solution finale. »

Il se peut que Heidegger ait parfois désigné le nazisme comme un principe barbare. Cela ne prouve, comme au reste sa fameuse démission, absolument rien. Celui que cette barbarie n’a pas empêché de s’enthousiasmer pour la révolution national-socialiste a pu très bien éprouver de la répugnance. Mon hypothèse est que  le motif de la « métaphysique » serait central dans cette histoire. Plus précisément la métaphysique serait comme une sorte de maladie spirituelle qui  sous-tendrait le nazisme dans tous ses états, y compris Auschwitz, alors même que la « fin » serait de sortir de la métaphysique. Il faudrait mettre cette hypothèse au travail. Elle signifie que la « révolution nazie » serait à la fois l’expression de la maladie et sa guérison. Telle aurait été la croyance heideggerienne. (J’expose ici le point du vue qui serait celui de Heidegger.) Du coup on comprend les difficultés qu’il y a à interpréter le motif de la métaphysique. Chez Heidegger il apparaît tantôt comme favorable tantôt comme critique. Le nazisme, en tous cas dans son moment hitlérien, aurait été comme la destruction métaphysique de la métaphysique. Il faudrait pour le moins affiner l’hypothèse.

Un autre obstacle procède de l’évitement de la problèmatique que désigne le terme de totalitarisme. Un des fidèles commentateurs du phiblogZophe, Michel Bel, soutient que Heidegger aurait été le véritable maître d’oeuvre du IIIe Reich. Hitler lui-même n’aurait été qu’une marionnette dans les mains de Heidegger… Cette représentation traduit surtout, pour nous, la méconnaissance du fonctionnement d’un dispositif totalitaire. C’est une structure en oignon a suggéré Hannah Arendt. Il n’y a pas lieu d’imaginer un Heidegger qui tire les ficelles de Hitler. Heidegger et quelques autres occupent simplement une certaine couche dans l’oignon, les différentes couches concourrant surtout à ce que jamais le politique ne reprenne ses droits. L’Etat nazi est une sorte de non-état, en tous cas un état hyper-criminel. Il est essentiel à son fonctionnement que règne un relatif chaos dans sa propre mécanique. C’est au reste pourquoi l’argument de la démission de Heidegger ne pourrait avoir du sens que si elle s’était produite dans une société plus politique. Dans le IIIe Reich de Hitler la démission de Heidegger prouve surtout qu’il était en position de le faire sans risquer le pire. Et il ne risquait pas le pire parce qu’il faisait fondamentalement partie de la « bande ». Heidegger était comme une couche à lui tout seul dans l’oignon. Dans la méconnaissance générale des mécanismes de pouvoir, et plus particulièrement des mécanismes de pouvoir en action dans les systèmes dits totalitaires, il est inévitable que, face à tant de dénis contournés, le Heidegger nazi  puisse apparaître comme le « pape » du Reich. Mais cela fait surtout obstacle à une compréhension véritable.

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9. [Même jour à 19h25]

Un correspondant soulève la question du sens réel qu’a la métaphysique chez Heidegger :

« La question de la métaphysique chez Heidegger est complexe, dans la mesure où le vocable change radicalement de sens chez lui en fonction des époques : positif en 29, négatif plus tard. C’est Jean-Pierre Faye qui a défendu l’idée que la critique heideggérienne de la métaphysique se déploie après les violentes attaques de Ernst Krieck l’accusant de « nihilisme métaphysique » (cf. Jean-Pierre Faye, Le piège). Que par la suite Heidegger ait fait du nazisme l’expression du « nihilisme » ne signifie pas forcément qu’à un moment et simultanément il a pu voir dans le nazisme et la maladie et la guérison. Il faut ici suivre précisément les changements de sens du vocable au cours du temps.
La chronologie est en ce cas qui nous occupe reine de l’interprétation. » (Yvon ER.)

D’accord pour l’exigence de rigueur. J’ai sous les yeux un exemplaire de l’édition originale de Introduction à la métaphysique dans la tradition de Gilbert Kahn. (PUF, 1958). Comme le titre l’indique – il devient, avec la publication de GEME, Introduction en la métaphysique – ce texte d’un cours de l’été 1935 semble s’inscrire pleinement encore dans une perspective métaphysique.

Il peut être utile, par ailleurs, de citer ces passages où Heidegger parle de la philosophie :

« La philosophie ne peut jamais d’une façon immédiate apporter les forces, ni créer les formes d’action et les conditions, qui suscitent une situation historique, ceci déjà pour la simple raison qu’elle ne concerne jamais immédiatement qu’un petit nombre d’hommes. Lesquels? Ceux qui transforment en créant, ceux qui opèrent une transmutation. Ce n’est que médiatement, et par des détours que nous ne pouvons jamais tracer d’avance, qu’elle prend de l’ampleur, pour finalement dégénérer un beau jour – depuis longtemps oubliée en tant que philosophie authentique – en évidence banale de l’être-là.

En revanche, ce que la philosophie peut être et doit être en vertu de son essence, c’est : une ouverture – selon le penser – des voies et perspectives d’un savoir qui détermine la mesure et le rang, de ce savoir dans lequel et à partir duquel un peuple comprend et accomplit son être-Là dans le monde proventuel de l’esprit (in der geschichtlichgeistigen Welt), de ce savoir qui aiguillonne, menace et nécessite tout questionnement et toute appréciation. » (Introducion à la métaphysique, PUF 1958 p. 17-18).

Les défenseurs de Heidegger diront sans doute qu’il a beaucoup de courage, en plein nazisme, de revendiquer pour un peuple « le monde proventuel de l’esprit ». C’est ne pas voir deux choses. Tout d’abord il revendique tout autre chose que de « créer les formes d’action et les conditions, qui suscitent une situation historique ». En réalité il se présente comme un « fondateur ». Tel est, sans doute, un des sens de « métaphysique » de ce cours de 1935. Il ambitionne pour la philosophie, sa philosophie, de ménager une ouverture pour un « savoir dans lequel et à partir duquel un peuple comprend et accomplit son être-Là dans le monde proventuel de l’esprit… ». Il ne s’agit donc pas de créer des situations historiques dépendantes de « mots d’ordre » au contenu passager, mais d’initier le peuple, le Volk, à sa mission « spirituelle ». Rien de moins. La deuxième chose c’est que, à l’évidence, il occupe nécessairement, par cette exigence, une position « d’exception » dans le système. C’est ce que lui signifiera au passage le dénommé Krieck. Mais je ne sache pas que les extraits ici cités font preuve d’une opposition anti-nazie. Il y a démarcation, mais c’est une démarcation interne au système. Il prétend que sa philosophie dépasse l’idéologie et peut jouer le rôle d’une fondation en éclairant le peuple sur sa mission.

S’agissant, donc, de métaphysique, je crois me souvenir que Jean-Pierre Faye évoque l’idée selon laquelle la « métaphysique » dont il est question chez Krieck désigne un défaut qui aurait quelque chose à voir avec « l’enjuivement » des esprits. Cela aurait d’autant plus piqué son esprit…

On comprend pourquoi, après la guerre – bien avant selon certains – Heidegger a chargé de tous les maux la métaphysique et le nihilisme. C’est le « jouet » philosophique qu’invente Heidegger pour détourner l’attention des véritables responsabilités et du génocide.

Cela dit comment comprendre le nazisme de Heidegger en fonction de son rapport à la métaphysique? Certes il faut nous adosser à la chronologie. Mais, compte tenu du caractère profondément chaotique de ce « régime d’ordre », il n’est pas sûr que Heidegger ne soit pas lui-même quelque peu chaotique. Et ce côté chaotique serait cohérent avec mon hypothèse de la « maladie et du remède ».

Ce n’est pas nécessairement très « amusant » à faire mais il faudrait comprendre quel genre d’antisémite était Heidegger. Le nazisme, le nazisme des camps surtout, serait d’un côté la maladie, à savoir la manifestation la plus terrifiante du nihilisme métaphysique et,  de l’autre,  le remède à savoir la destruction de « l’ennemi intérieur du peuple » en tant qu’il le corrompt en l’entraînant dans l’aventure nihiliste… Voilà à quelles considérations nous pousse ce Heidegger… et ceux qui font obstruction à tout travail d’approndissement de ce que fut sa politique réelle.

Mais s’il introduit le nazisme dans la philosophie, ce dont je suis convaincu, c’est qu’il pense que le génocide est à mettre au compte des réussites de la « grandeur et de la vérité interne du mouvement »…

L’hypothèse de la maladie-remède a au moins l’avantage de s’accorder avec le Heidegger s’empressant, après les insultes de Krieck, de se blanchir de toute métaphysique. Quitte, pour les foules, à ne retenir  à des fins rhétoriques que le côté maladie… réservant l’aspect remède aux spécialistes du décryptage.

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10. [Samedi 18/02/06]

Relecture des notes. Je conçois qu’à un lycéen ou qu’à un étudiant auquel on enseigne un Heidegger libre de « calomnies » cela puisse paraître incongru.

Allons-y donc de notre bonne volonté académique!

Les deux ouvrages commentés sur le blog, Grammaire et étymologie du mot être (GEME) et La dévastation et l’attente (DA) présentent cependant des particularités éditoriales qui aggravent le trouble.

La notice biographique du premier est tellement étrange que les directeurs de la collection se sont désolidarisés publiquement de son auteur.

Quant au dialogue paru récemment à l’infini on nous sert, sous couvert de Notes de traduction, un véritable prêt  à penser heideggerien. Difficile de faire aujourd’hui plus fourbe.

Cela n’arrange absolument rien.

Auschwitz est en réalité le symbole du degré de criminalité et d’abjection auquel peut parvenir une société dépolitisée… et par le racisme « primaire » pour les « masses » – et pour cela le peuple est d’abord massifié – et par, pour une fraction des élites, l’onto-politique heideggerienne…

Les acteurs qui se sont impliqués dans un tel projet ont expérimenté un « autre monde », un monde où la loi elle-même sanctifie le crime. Se fonder sur certaines déclarations ou sur des actes comme une démission rectorale c’est faire preuve de naïveté (feinte?) et d’imprudence méthodologique. L' »éthique » des nazis… (et ici le mot n’a rien de moral…) a consisté à faire leurs les astuces des criminels de profession : on n’a rien fait, on n’a rien vu, on n’était même contre…

Le dialogue servi sous le nom de La dévastation et l’attente, symboliquement signé le 8 mai 1945, montre que c’est peut-être le propre de la bête immonde que de s’avancer masquée et parfois en se drapant dans le manteau de la philosophie.

C’est ce que je vais essayer d’établir en entrant dans le texte sans le mode d’emploi proposé par les « traducteurs ».

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11. [Même jour à 20h30]

Le barrage édifié autour des recherches d’E. Faye a quelque chose de choquant philosophiquement.

* Ce sont des calomnies.

* Heidegger est rapidement devenu, malgré son erreur de 33, un « résistant spirituel ».

* Elles ne nous apprennent rien de nouveau etc.

I. Le monde intellectuel doit admettre par principe l’éventualité qu’un philosophe de talent, à l’instar de certains scientifiques ou de certains musiciens, ait pu s’impliquer dans le nazisme.

II. Il est impossible d’en rester à un statut quo quant à la possibilité d’une pénétration « subliminale » de l’idéologie nazie dans le discours heideggerien.

III. Il n’appartient à aucune académie de fixer par avance, a priori, ce qu’il en est au juste de « l’introduction du nazisme dans la philosophie » par Heidegger.

IV. S’il n’est pas difficile, en prenant appui sur des faits et des documents, de condamner le nazisme il est plus difficile d’admettre qu’il ne se réduit pas à quelques slogans bestiaux. Il a été politiquement une entreprise de destruction de la vie politique de la société. Et cette entreprise a nécessité le concours d’un certain nombre de « scribes » acquis à la « grandeur et à la vérité interne du mouvement ». L’expression de « vérité interne » est de Heidegger et signifie que les pires horreurs relèvent ou d’une « vérité externe » séparable ou d’accidents qui ne doivent pas faire obstacle à une compréhension et une appropriation de la « vérité interne ». C’est le fondement même d’une forme de négationnisme philosophique.

V. Il faut alors clairement poser le problème notamment en n’hésitant pas à tester des interprétations reposant sur le lien, par transposition « ontologique », entre fondamentaux nationaux-socialistes et philosophèmes heideggeriens.

 

12. [Mardi 21/02/06 à 20h 54].

On pourrait imaginer un dialogue entre un lecteur acquis à la thèse que j’ai appelée « résistantialiste »  selon laquelle Heidegger, s’étant très tôt repris de son erreur, serait entré dans une forme de « résistance spirituelle »;  et un lecteur « idéologiste », terme qui désigne ici le partisan de la thèse adverse à savoir que Heidegger n’aurait eu de cesse « d’introduire le nazisme dans la philosophie ».

Quoiqu’il en soit ce n’est pas drôle de lire un « grand-penseur-qui-introduit-le-nazisme-dans-la-philosophie ». L’expression désigne la difficulté qu’un « lecteur de base » éprouve du fait que l’auteur en question jouit à la fois d’une reconnaissance internationale comme grand philosophe et est accusé, non sans fondement, du projet « invraisemblable » d’introduction du nazisme dans la philosophie.

On trouvera facilement, chez de grands intellectuels des deux siècles derniers, des déclarations qui n’en font pas nécessairement des héros d’une véritable morale universelle. On connaît les dires antisémites de Marx par exemple. Avec Heidegger ce serait autre chose. Ses manquements à l’universalisme se sont articulés à  une vaste entreprise criminelle d’état que non seulement il aurait plus ou moins par « légéreté » aidée à se mettre en place mais qu’il considérerait également comme constituant une « politique » toujours possible. C’est bien ce dont il est question quand on parle d’introduction du nazisme dans la philosophie.

La première remarque à faire c’est que la réputation de « grand philosophe » ne rend pas en tant que telle l’accusion absurde. Il y aurait un Heidegger « académique » apparemment inoffensif qu’on peut effectivement rendre assez facilement présentable. Mais cet Heidegger en cacherait un autre, un Heidegger habile à monnayer l’idéologie avec de l’érudition, de l’habileté et de la virtuosité. Tant que, notamment à la suite de Farias et de Faye, on ne pose pas vraiment le problème de la signification réelle de l’ontologie heideggerienne – son onto-politique plus précisément – toute présentation strictement « académique », si elle neutralise d’un côté le contenu idéologique, contribue à renforcer le masque philosophique.

Plus haut je n’ai pas exclu l’existence d’un Heidegger « pensable » – on imagine ici le sourire dédaigneux des « spécialistes » – mais ce pensable ne peut se déterminer qu’en examinant dans toutes ses dimensions ce qu’il en est au juste du nazisme à caractère philosophique de Heidegger. Selon ma « théorie des 3 cercles » il faut évaluer l’étendue du cercle C2 et voir ce qu’il laisse intact, s’il laisse quelque chose d’intact, du cercle C3.

Rappelons également la solidarité de fait des « deux critiques ».

La première critique constitue la critique dite interne au sens où elle demeure interne au champ strictement philosophique. Lorsque Derrida pointe que Heidegger serait resté fidèle à une métaphysique de la présence il énonce une critique décisive.

La seconde critique constitue la critique dite externe. Elle consiste à caractèriser ce qu’il en est de la politique heideggerienne et d’en examiner le mode de constitution philosophique. Pour Emmanuel Faye cette politique est celle d’une « introduction du nazisme dans la philosophie ».

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Insert du 24/02 :

J’ai reçu ce commentaire de Yvon Er :

Une remarque pour Skildy :
je ne suis pas d’accord pour caractériser le travail de Faye comme une « critique externe » opposée à une critique qui demeurerait « interne au champ strictement philosophique ». D’abord parce que E. Faye accomplit un énorme travail de traduction des textes mêmes de Heidegger, qu’il expose pour une bonne partie d’entre eux pour la première fois. Il entend ce faisant montrer ce qui constitue le coeur national-socialiste de la pensée de Martin Heidegger, non simplement prendre une posture critique extérieure à son objet. C’est une critique particulièrement injuste qui lui a été faite depuis le début que de l’accuser de s’en tenir à une position moralisatrice, alors que si jugement moral il y a (et pourquoi pas ? Comme si porter ce type de jugement était une preuve de bêtise, le relativisme serait-il allé si loin ?), il ne constitue pas le tout du discours de M. Faye. Ce dernier pointe aussi la volonté heideggérienne de destruction de la pensé e logique, l’usage perverti du langage philosophique, sa récusation explicite de la philosophie contemporaine comme ayant pris fin avec Hegel et Nietzsche, son affirmation du caractère caduc de l’éthique. Toutes ces positions expliquant d’ailleurs sans doute pour une bonne part la fascination qu’a exercé Heidegger : parce qu’il prétendait tout détruire de la tradition philosophique occidentale, on a cru qu’il la dépassait.
La critique de Derrida, qui reprend la logique heideggérienne de criminalisation de la tradition, voire même la radicalise en prétendant la retourner contre son maître, ne me paraît pas du tout à la hauteur du problème posé.
Enfin, je ne comprends pas ce que pourrait bien être une philosophie « pure », ni même ne sait ce que peut bien être le « strictement philosophique » : en ce sens je ne pense pas que l’on puisse être un grand philosophe sans être savant au moins en un domaine de la connaissance positive, et les documents « historiques » (une insulte couramment pratiquée par les « Puristes ». Ô amis historiens, j’ai honte de voir comme on vous méprise…) mis au jour par Emmanuel Faye posent au moins autant de problèmes philosophiques que les saintes reliures de la production intellectuelle si « Pure » de ces dernières années.
A quand une philosophie qui tienne compte de l’histoire, de ces faits si méprisables, de la vie enfin ?
J’appellerais une telle chose : commencer à penser.
Et pour de bon.
A vous,
Yvon Er.

Réponse de Skildy :

(à suivre)

13. [Même jour à 22h49]—-> Commence ici l’étude du dialogue.

La date est problématique. DA se termine en effet par ceci :

Au château de Hausen dans la vallée du Danube,

le 8 mai 1945.

En ce jour où le monde fêtait sa victoire

et n’avait pas encore compris qu’il est,

depuis déjà des siècles, vaincu par

sa propre insurrection.

Dans une certaine mesure tout Heidegger est là, dans cette anti-date. Il fallait que DA s’achève le 8 mai 1945. Cet achèvement est symbolique. La date n’est pas celle de l’achèvement mais constitue l’achèvement comme tel.

Ou bien Heidegger a terminé le dialogue par exemple le 7 mai… et l’achève en apposant la date du 8, ou bien il l’a terminé le 9… par exemple, et l’achève par la mention de la date du 8 mai. Ce 8 mai 1945 n’est donc pas une date « réelle » mais constitue en elle-même un paragraphe, et un paragraphe qui achève le texte.

Supposons qu’il l’ait vraiment terminé le 8 mai… Cela a-t-il vraiment un sens? Un texte qui se veut important non seulement par son contenu – tous les textes de Heidegger sont « importants » – mais aussi par sa force d’appel, sa résonance contextuelle, sa symbolique peut-il être vraiment terminé à une date précise cette date étant « comme par hasard » celle du 8 mai?

Hitler s’est suicidé ainsi qu’un certain nombre de dignitaires du régime. On découvre peu à peu l’horreur et l’étendue du système concentrationnaire centres d’extermination compris. Heidegger dit aux vainqueurs : votre victoire est déjà celle d’une défaite.

Imaginons un dialogue entre Ido – l’idéologiste – et Zistan – le résistantialiste.

Ido : Voilà dans toute sa splendeur la superbe d’un nazi. « Votre insurrection contre le Reich – lequel, malgrés ses défauts… avait de la grandeur et de la « vérité » – n’est que la manifestation, semble-t-il dire,  d’une insurrection plus générale, celle de votre volonté en tant que façonnée métaphysiquement par la subjectivité, insurrection qui « vous » conduit, qui conduit toute l’humanité à la ruine! » C’est écoeurant. Heidegger prend appui sur sa réputation de grand penseur pour retourner le compliment aux vainqueurs mettant d’entrée de jeu  à distance, et pour la dédouaner, la dévastation opérée par les nazis. Au fond, pour lui, la défaite du Reich, qui met à jour ses limites et ses « défauts », n’est qu’un épisode d’un processus général de dévastation…

Zistan : Là vous vous dérobez à la pensée, à l’injonction de la pensée. Heidegger a certes toujours été un conservateur. Mais il s’est trompé sur la nature exacte du régime hitlérien. Très tôt il en a élaboré la critique et cette critique s’est pensée comme critique du nihilisme en tant qu’effet de la subjectivité moderne. Celle-ci, en objectivant et en représentant l’étant, oublie l’être mais, surtout, transforme l’étant en « chose humaine ». Le monde devient « mien », exclusivement « mien » et, de ce fait, se détruit en tant que monde. Le monde s’im-monde. N’oubliez pas que les protagonistes de DA, le plus âgé et le plus jeune, sont prisonniers dans un camp soviétique. Et ce camp est le symbole tangible du processus de dévastation. La critique heideggerienne est même plus générale que la critique du « communisme ». Les millions de morts révélés par le « livre noir du communisme » ne sont eux-mêmes qu’une fraction de ce qui est en train d’être dévasté par le déchaînement de la volonté.

(14. Mercredi 22/02/06 à 19 54)

Ido : Il n’empêche, tout d’abord, que cette datation au 8 mai 1945, qui est en soi un paragraphe d’achèvement et non une date d’achévement réel, est provocatrice. C’est surtout une manière de détourner l’attention de ce qui s’est passé en Allemagne. Je lui fais confiance pour cela : on ne peut pas dire qu’il n’a pas conscience de l’ampleur de la tragédie et de sa signification pour l’Allemagne, l’Europe et l’humanité elle-même. Voilà pourquoi il allume le pare-feu de la dévastation dans cette « fiction » du camp de prisonnier soviétique écrite dans un château du Danube. C’est tout simplement odieux. Et dire que certains de nos exégètes se prêtent au jeu en parlant d’on ne sait quelle distance philosophique. Qu’est-ce qu’il sait en jouer de cette distance! Mais, surtout, et là j’ai du mal à me contenir, je crois qu’il y a un fatras heideggerien. C’est toute la question de son rapport à la métaphysique. Non seulement c’est « complexe » mais c’est ambigü. Quand est-ce qu’il est pour? Quand est-ce qu’il est contre? Dans les « problèmes fondamentaux » il parle de « destruction » de la métaphysique. Quelques années plus tard, avec ce Hitler dont il a salué l’arrivée au pouvoir, il fait un cours pour « introduire en la métaphysique. » Il faudrait considérer « le » Heidegger comme un discours et faire des analyses qui tentent de repérer le parallélisme des motifs et des événements historiques et politiques. Sa critique du nihilisme parlons-en! On demeure en pleine ambiguïté. Sa dévastation c’est quoi on juste? S’il protège à ce point ces anciens amis (anciens vraiment?) c’est peut-être parce que, pour lui et sur l’essentiel, la dévastation c’est moins Auschwitz que ce que le nietzschéisme jüngerien nazi  n’avait fait que commencer à combattre. Il y a derrière les phrases ronflantes du « grand philosophe » une profonde vulgarité. « Vous ne perdez rien pour attendre », dit-il en narguant les vainqueurs de 45, « un jour vous comprendrez le sens du « combat pour l’être »!

Zistan : Ho! la la! Je n’en crois pas mes neurones. Il y a bien eu de sa part des erreurs, des erreurs d’appréciation. Mais ce très grand penseur s’honnore, même si c’est de manière paradoxale, d’être resté fidèle à ses racines. Pour prendre la mesure de ce que je dis il faut avoir conscience de l’énormité des problèmes inédits qui commencent à se poser aux sociétés modernes. Il a cherché, il s’est trompé, mais il a comme personne su détecter ce qui est à la racine de la dévastation et qui englobe le nazisme et ses horreurs. Ses propres errements lui ont permis de comprendre l’ampleur de la catastrophe qui s’abat, la dévastation, le désert et l’urgence qu’il y a à attendre, à attendre que ce qu’il appelle admirablement « l’insurrection de l’homme contre lui-même » fasse aux insurgés eux-mêmes la preuve de son pouvoir de destruction. Il savait de quoi il parlait. Il l’avait en somme pour une part expérimenté!

(15. Jeudi 23/02/06 à 13h37)

Ido : Nous n’avons pas la même notion de l’admirable. Pourquoi catégoriser la subjectivité moderne comme insurrection? Permettez-moi d’abord de dire que je trouve inacceptable et profondément ambigü cette manière d’être à la fois dehors et dedans. Certes la « pensée du dehors » a des vertus. Les problèmes surviennent dès lors qu’il s’agit de penser la question pratique. Il me suffit de savoir que le professeur Heidegger a pu bénéficier une fois dans sa vie d’une analyse radiographique pour trouver suspect son mode de généralisation. Il a toujours lui-même bénéficier de cette insurrection. Qu’un homme vieillissant et qu’un nazi vaincu vienne me dire qu’il faut attendre, que toute pratique est prise dans la tourmente insurrectionnelle et catastrophique a quelque chose d’une imposture. Je sens le discours de « l’arrangement » destiné à sauver les meubles du nazisme. Il est un de ces meubles et je ne suis pas convaincu que la défaite militaire du Reich signifie pour lui la défaite et la fin du « mouvement » en sa grandeur et sa vérité interne. J’ai cru lire sous la plume d’un « annotateur » qu’une grande invention de Heidegger était d’envisager la possibilité d’une sortie de la politique. Quelle commodité de ramener la politique à la subjectivité moderne! J’ai là un autre motif de révolte. Le créateur de l’ Analytique existentiale du Dasein nous promettait  une sortie des abstractions de la métaphysique et une ontologie véritablement existentielle. Je constate que, motivé idéologiquement pour en découdre avec la société moderne démocratique et, pour cela, « déconstruisant » la politique sans déconstruire au préalable sa « politique de la politique », il nous propose des généralités affligeantes. Il nous ressert en ce sens une « métaphysique ». Il est d’avance totalement fermé à la question de ce que peut et doit inventer de politique les sociétés (et les villes ) nouvellement formées. Il est fixé de manière « métaphysique »  sur un dispositif mythique de l’originaire. Même la philosophie, et son histoire, lui servent à faire barrage à toute invention. Cest « normal » puisque, selon son vocabulaire soi-disant non métaphysique, cela relève nécessairement de l’insurrection. Il s’est rendu incapable de comprendre comment a pu survenir quelque chose comme Auschwitz dans la patrie des « poètes et des penseurs ». Il nous sert des explications larges comme sa répugnance de la politique et de la modernité. Pas question, pour lui, de faire autre chose que de se servir des horreurs nazies pour charger la subjectivité insurrectionnelle. Nous le verrons, je l’espère, à la suite de notre dialogue, il est fixé sur une conception du peuple, et du peuple historial, qui ne peut le conduire qu’à se couper de tout projet à portée universelle. C’est au reste très bien ficellé, si bien ficellé que sa posture s’accorde très bien avec le mythe, qu’il sait faire vivre, du grand penseur. « Je suis d’un peuple historial… qui a combattu pour l’être… qui vient d’être battu sur le terrain militaire… Mais l’historialité ne disparaît pas avec cette défaite. J’en suis devenu en sorte le véritable Führer », semble-t-il dire. Cet intellectuel, si doué pour les grandes analyses, se garde bien de livrer au monde autre chose que sa nouvelle métaphysique de l’insurrection, de la dévastation et de l’attente. Ces notions, en apparence existentiellement concrètes, ne doivent pas nous masquer leur aspect métaphysique. L’effondrement du Reich, qui se lit quelque part dans son discours, est aussi un effondrement de son discours. Il est conduit à une métaphysique de la dénégation au nom même de la prétention à dépasser cette métaphysique. De toutes façons il y a là une zone chaotique. Comme je l’ai dit, à l’époque des problèmes fondamentaux, il annonce une « destruktion » de la métaphysique tandis qu’en 35, avec Hitler aux commandes, il « introduit en métaphysique ». Sans nous laisser abuser par l’aura académique des mots et de la discipline il faudrait suivre l’évolution de Heidegger en fonction de sa propre croyance fondamentale. Et celle-ci, pour l’essentiel, est nazie.

(16. Vendredi 24/02/06 à 13h43).

Zistan : Au fond vous vous saisissez des erreurs indéniables et gravissimes que Heidegger a commis à une certaine époque pour vous protéger de ce qu’il dévoile, pour vous protéger de l’idée même de dévastation.

Ido : Pas du tout. Car, et c’est là notre différence principale, je ne crois pas que Heidegger ait rompu sur le fond avec « son » nazisme. Il joue remarquablement bien de ce que j’ai appelé, sous le pseudonyme de « Sklidy » – excusez-moi pour cette coquetterie auto-référentielle – le système id + dif, identité et diffèrence. La philosophie sert surtout à cela pour Heidegger. C’est un espace stratégique pour élaborer un discours « fondateur » du nazisme. Ce que j’ai désigné par le cercle C2 est constitué par l’ensemble des phrases qui transpose ontologiquement la doctrine. Il joue ici de id+dif d’une certaine manière. Mais ce système id+dif il l’utilise également à l’égard du nazisme réel dans la stricte mesure où il ne peut pas faire autrement s’il veut devenir le Führer spirituel de ceux qui « attendent ». Il ne concède de critiques à l’égard du nazisme réel que celles qui lui sont nécessaires pour dissimuler, en tous cas pour dissimuler à certains, le nazisme qu’il a en tête et qu’il entend bien continuer à cultiver en « grandeur et en vérité interne ». Pour résumer : dans un cas il transpose les fondamentaux du nazisme, en passant par id + dif, en onto-politique; dans l’autre il installe son « nazisme », en passant par id+dif, dans un rapport critique au nazisme réel. C’est au reste bien dosé : l’onto-politique crypto-nazie vous glisse entre les doigts comme une anguille!

(17. Même jour à 16h15).

Zistan : Mais même en admettant que vous ayez quelque peu raison il y a de la pensée chez Heidegger. Plus tard on trouvera particulièrement courageux le fait qu’un comité ait décidé, en France, de mettre Heidegger au programme de l’agrégation.

Ido : Ce n’est pas cela qui me choque le plus. « Mais même en admettant que vous ayez quelque peu raison »… vous voyez je vous mime… ce qui est inadmissible ce sont les aboiements d’un clan de heideggeriens contre ceux qui refusent ou de cantonner le nazisme de Heidegger au rectorat de 1933… et alors, bien sûr, la démission de 34 semble l’absoudre… ou de croire que sa philosophie peut simplement se séparer de l’idéologie national-socialiste. On voit bien la difficulté. L’université ne peut qu’être dans l’embarras. Si elle reconnaît qu’il y a plus de nazisme chez Heidegger qu’on ne le pensait jusqu’à présent elle se met en difficulté. Et si elle le nie, en fixant comme par avance et a priori ce qu’il en est du nazisme de Heidegger, elle prend le risque d’apparaître à termes ou aveugle ou complice d’une forme de révisionnisme. Bref, elle met Heidegger à l’agrégation, et se pince le nez en attendant…

Zistan : C’est du courage!

Ido : C’est un peu trop manoeuvrier, voire un peu trop naïf pour être vraiment courageux. Le véritable courage, mais on ne refait pas l’histoire, aurait été de soutenir et de mettre en avant les recherches critiques sur Heidegger. Et avant même le bouquin de  Farias il y avait déjà des éléments… Mais c’est peut-être moi qui suis naïf. Les milliers de page de la Gesamtausgabe ça représente des heures et des heures de traduction, de gloses, de cours d’histoire, d’essais « heideggeriens ». C’est tout un filon même si c’est au détriment de recherches moins « logographiques » et plus en prise sur les grands problèmes contemporains…

Zistan : Heidegger est une lumière de ce côté là!

Ido : C’est un médicament… et un poison! Heidegger ou le pharmacon du philosophe! C’est cela que vous ne voulez pas voir! L’attente, par exemple, que ce nazi dépité associe à la dévastation c’est vraiment odieux! Comme souvent chez Heidegger la « poésie », je mets le mot entre guillemets, dissimule des affects ténébreux. L’attente, pour moi, c’est quelque chose comme : « soviético-américains » du monde entier vous pouvez crever! Je ne léverai pas le petit doigt de « grand intellectuel » pour vous empêcher d’être engloutis à terme par votre subjectivité insurrectionnelle. Car moi, grand penseur, je vous le certifie : toute action « volontaire » est prise dans la fatalité de la dévastation, toute action « volontaire » ne fait qu’enfermer l’homme dans le camp qui le détruit. Le monde devient un gigantesque camp où chacun est à la fois kapo et prisonnier. Croyez-moi : convaincu moi-même de la nocivité de la métaphysique juive mes actions philosophiques se sont en réalité s’avérer complices malgré elles d’Auschwitz. Et bien, chers vainqueurs, vous allez connaître le même sort… et votre victoire sera en réalité celle des constructeurs de Mondial-Camp : Arbeit macht freiheit! Vous êtes déjà sans le savoir les SS de votre engloutissement! »

Zistan : Vous voyez sa force! Vous recevez malgré vous sa lumière!

Ido : Sauf que l’attente, monsieur Zistan, c’est pour moi le fait de la vengeance sournoise et pernicieuse, le ressentiment même. Exactement comme dans l’entretien du Spiegel, où il dresse un barrage entre la démocratie et la pensée, Heidegger ne veut pas entendre parler une seule seconde d’une chance de réussite d’une civilisation moderne. A l’aide de sa nouvelle « métaphysique » soi-disant déconstruite il globalise à tours de bras et pour dire quoi? Pour dire que toute action humaine, désormais, est comme le gourmand de la sentence : elle creuse sa tombe non avec sa fourchette mais avec sa volonté. A ce prix là, et si la société mondiale devient une société de camp, il y aura alors ici ou là quelques îlots de « penseurs et de poètes » séparés, protégés par la police et par l’armée – les « attendants » et leur Führer spirituel – et de l’autre côté des barbelés, mais dans le camp, des hordes de prisionniers hagards livrés aux malheurs.

(18. Samedi 25/02/06 à 11h 24).

Zistan : Quels malheurs, Ido, quels malheurs? Précisez! Et puis pourquoi les poètes et les penseurs devraient-ils se retrouver protégés par « la police et par l’armée »? Ils pourraient tout aussi bien être du côté des prisonniers. Voyez les protagonistes du dialogue! Et puis, si vous permettez Ido, je trouve que vous devenez très idéologique! Vous échappez à la pensée, ressaisissez-vous!

Ido : Pour ce qui est des « poètes et des penseurs », et Heidegger pense au peuple des poètes et des penseurs, au peuple historial, n’oubliez pas que ce cher Martin a bien été du côté des « gardiens ». Pendant qu’une partie de l’humanité agonisait dans les camps du « combat pour l’être » le philosophe glosait tranquillement tout juste légérement bousculé dans son propre camp par quelques rivalités ou incompréhensions internes. C’est toujours de ce côté-là qu’il s’est trouvé! Après la guerre il a été « mis au frigo » de quoi préparer son retour pour servir dans la guerre froide… Et il fallait bien, pour cela, que les nouveaux gardiens blanchissent le plus possible son nazisme. Et là, passer par la « philosophie pure » a été trés commode. Voyez le rôle de Beauffret! Je l’ai appelé « le garde du corps de Heidegger »! Comprenez ceci : Beauffret n’a eu de cesse de blanchir la monnaie heideggerienne. Celui que Heidegger a baptisé « l’homme le plus intelligent de France » a apporté son soutien au négationnisme de Faurisson! Philosophie pure quand tu nous tiens! Voilà ce que c’est « être le plus intelligent » en France : pas de chambre à gaz! Je traduis : préparons le terrain, avec un Heidegger « le plus grand philosophe du XXe siècle », à la « vérité interne » du mouvement! Laissons les « américanos-soviétiques » – cette expression peut encore aujourd’hui symboliser les « libéraux » et les « socialistes » – s’embourber dans la dévastation. Si les « poètes et les penseurs » s’y prennent bien ils pourront se retrouver en position de pouvoir. Et pourquoi faire? La relation de Heidegger au nazisme, et j’ajouterais la question même du nazisme de Heidegger, cela fait froid dans le dos car cela manifeste un sacré paquet d’impensés du côté de la politique et de son rapport à la philosophie! Qu’est-ce que le pouvoir pour Heidegger? Qu’est-ce que l’état? Qu’est-ce que la politique? Que fait la philosophie dans son rapport au pouvoir? Que fait tout simplement la philosophie? Qu’a fait la pensée heideggerienne de l’être et de la différence ontologique? Quand les « annotateurs » de La dévastation et l’attente mettent en avant une sortie de la politique, la politique étant pour eux cela même qui s’est manifesté dans son caractère le plus hideux sous la forme du nazisme ils oublient tout simplement, ou feignent d’oublier que le nazisme est précisément une destruction de la politique! L’opération est ici proprement odieuse! Ils prennent le cadavre de la politique, ce cadavre qui est le fait même de l’assassinat nazi de la « chose publique », pour la politique elle-même! C’est pour moi la pierre de touche du nazisme substantiel de Heidegger. Là nous saisissons sur le vif son recyclage!

Zistan : Voyons voyons Ido vous êtes en pleine idéologie. Heidegger est un penseur. Il y a de la pensée chez Heidegger.

Ido : Oui il y a, comme vous dites, de l’idéologie. Mais cette idéologie est le fait même de Heidegger et des heideggeriens sectaires. Et si tout un aspect du discours heideggerien n’était qu’une sorte d’idéosophie? A l’époque des problèmes fondamentaux il esquisse un programme de destruktion de la métaphysique. On a déjà vu qu’en 35 il y a comme une régression sur le thème. Il cherche à troquer contre la métaphysique une ontologie, et une ontologie fondée sur une analytique existentiale du Dasein. Mais qu’est-ce qu’il entend au juste par métaphysique dont le retrait conditionnerait le caractère présicément non métaphysique de l’ontologie, le caractère « existentiel »? Est-ce les « droits de l’homme »? Est-ce l’universalisme? Ce qu’il jette avec l’eau de la métaphysique n’est-ce pas le « bébé », à tous les sens du terme, d’une notion universelle d’humanité? Que sa définition fasse problème je n’en doute pas. Mais que, dans son principe même, cette notion soit évacuhée parce que « métaphysique » offre la philosophie en pâture à « l’idéosophie ». Au reste c’est quelque peu amusant, mais aussi affligeant, de voir comment les « annotateurs » de DA glissent sur l’historialité. Tout le dialogue repose en réalité sur cette notion. Et l’historialité ce n’est ni plus ni moins qu’un « beau mot » philosophique pour séparer le Volk des « penseurs et des poètes » du reste de l’humanité. Ce « reste » est naturellement majoritaire. Mais il est voué à la dévastation. Les « historiaux » n’ont donc qu’à attendre et surtout ne rien faire qui prétende en quoi que ce soit s’opposer à la dévastation. Que Heidegger soit un pessimiste et qu’il jette un regard sombre sur l’avenir de la civilisation est une chose. Mais ce motif, développé en « grand penser », est articulé chez lui à la conviction que le peuple historial, qui est en mesure d’entendre l’être, saura le moment venu se faire lui-même entendre. Et comme cette historialité n’est nullement déconstruite, et qu’elle est même dans DA protégée de la « mauvaise image » du nazisme – j’espère que vous saisissez l’ironie du propos – cet horizon n’est pour moi pas autre chose que celui du (néo-) nazisme.

Zistan : Vous ne m’avez pas répondu sur deux points centraux. Celui de la pensée et celui des « malheurs »…

Ido : Sur la pensée je vous ai en partie répondu. Il s’agirait surtout d’ouvrir un véritable chantier sur la « politique » Heidegger. Nous pourrions esquisser ainsi le problème : qu’en est-il de l’ontologie heideggerienne dans son rapport à l’Etat? Quelle est la nature exacte de l’Etat national-socialiste? Au cours de la période « enchantée » du nazisme Heidegger s’est véritablement enthousiasmé. Il tenait enfin sa « révolution conservatrice », l’anti-octobre 1917 par excellence. Notons que, en admettant qu’il était parfaitement justifié de vouloir s’opposer à ce qui s’est avéré être une monstruosité bureaucratique « insurrectionnelle », cela ne rend que plus nécessaire de s’opposer au caractère nazi de la « réaction »! Mais, surtout, le caractère anti-politique de la politique nazie, sa rhétorique et sa pratique « par-delà le bien et le mal » , consonnait très bien avec la perspective anti-métaphysique, ou supposée telle, de la démarche à l’origine phénomènoloco-existentielle de Heidegger. C’est un peu comme s’il élaborait la « théologie » du IIIe Reich. Sauf qu’il s’agissait d’une pseudo-théologie – et un pseudo-dépassement du théologique – au même titre que l’Etat du Reich était à la fois un pseudo-état et un pseudo-dépérissement. Ce sont deux monstres en partie emboîtés! L’au-delà du métaphysique, dans les deux cas, c’est le consentement au crime! Certes, ceci n’est pas très « académique ». Je vous ai déjà dit : encourageons les recherches de décryptage du discours heidegger et ce qui est à sauver sera sauvé. Pourquoi il semble qu’on ne puisse envisager cela dans la sérennité? Suis-je à mon tour naïf? Ne sous-estimé-je pas le conservatisme foncier et ambigü de certains heideggeriens?

19. [Dimanche 26/02/06 à 10h29]

Zistan : Et les malheurs, cher Ido, les malheurs?

Ido : D’abord, Zistan, ne croyez-pas que nous sommes quittes avec le chapitre « pensée ». J’y reviendrai. Mais je vous vois venir avec la question des malheurs. Pauvreté, inégalités croissantes notamment devant la santé et le savoir, destruction de la diversité naturelle, prolifération d’armes de destruction massive, inéluctabilité d’une catastrophe climatique de grande ampleur, catastrophes sanitaires annoncées, entassement des pauvres dans un grand bidonville mondial, menaces terroristes… tout ceci ne serait que la dévastation en marche même si, en 1945, Heidegger avait alors surtout en vue le couple diabolique « américano-soviétique ». Bref, la volonté déchaînée des « cartésiens » serait en train de dévaster le monde et de compromettre toute possibilité de vivre ensemble. Inéluctable le progrès serait fossoyeur. Pour le dire de manière imaginée : il consomme et sacrifie l’étant en faisant des hommes les grands oublieux de l’être. Les insurgés seraient ces oublieux et leur insurrection une caricature d’action ne pouvant conduire qu’à une sorte d’extermination du monde.

Zistan : Reconnaissez que cette approche se distingue fort heureusement de tous les « blablas », ou de ce qui en subsiste, sur le thème du paradis terrestre. On ne revient pas au paradis. Le vouloir, précisément, nous voue à la caricature et au nihilisme. Mais là je parle en mon nom.

Ido : C’est la moindre des choses que quelqu’un qui est un philosophe en titre essaie de nous délivrer des « communes illusions ». Mais, avec Heidegger, j’ai l’impression que si on n’est pas du peuple « historial » – on verra plus loin ce qu’il faut en penser à propos même du dialogue – on est voué à n’être qu’un insurgé et un dévastateur. La condition humaine serait consubstantiellement tragique et sans issue. Serait alors historial ce par quoi quelque chose se lève contre cette condition. Mais, avec Heidegger, il faut attendre. On ne peut même pas s’insurger contre l’insurrection. Nous serions enchaînés, depuis Descartes, au moulin de la dévastation. Mais, et c’est là où la bifurcation a lieu, c’est pitoyable de définir la politique uniquement par la volonté et la subjectivité, et de préconiser son dépassement sinon sa disparition. Je renverserais la proposition : c’est l’absence de politique, c’est la carence de politique qui enferme l’humain soit dans la servitude soit dans l’irresponsabilité. Mais il y a une sorte de haine du politique chez Heidegger, haine qu’il habille d’une justification ontologique. Au « plus jeune », qui regrette que quelque chose étouffe « l’apparition et l’éclosion de quelque chose d’essentiel » il répond ceci : « Cet étouffement, qui plus est, se dérobe derrière quelque chose de captieux, qui se manifeste sous la figure des idéaux soi-disant les plus hauts de l’humanité, à savoir : le progrès, l’accroissement sans frein de la productivité dans tous les domaines de la production, l’offre de travail identique et indifférenciée pour tout un chacun – et par-dessus tout, enfin : le bien-être identique de tous les travailleurs compris comme sécurité sociale uniformisée ». (DA, p 26.) Ce sont, pour lui, des conséquences de la dévastation et autant de causes qui, en la dissimulant, l’aggravent et la propagent. Ce qu’il charge, en réalité, et en s’appuyant sournoisement sur la « mauvaise image » du nazisme – on a vu qu’il n’hésitait pas à mettre les camps sur le compte des « cartésiens » – c’est quelque chose comme « l’homme universel »ou, pour être plus précis, ce qui se construit, avec la constitution des sociétés modernes industrielles, d’une conception d’une humanité de droits universels. La catastrophe, la dévastation, c’est l’arrachement du « Volk » à ses racines. Le camp de prisonniers soviétique dans lequel sont captifs le « plus jeune » et le « plus âgé » illustre pour lui ce qu’il en est en réalité de la politique de « l’universel ». Cet être « universel », engagé dans un processus d’indifférenciation, c’est l’être des camps. Ou on est enraciné, ou on est dans un camp, en tous cas dans une sorte de camp. Il y aurait vraiment un travail à faire sur la présence du camp dans la philosophie du XX°siècle… Cela dit on comprend aussi pourquoi Heidegger peut être à nouveau à la mode dans certains cercles. Quelle justification « ontologique » aux politiques les plus régressives! Mais, surtout, on constate à quel point le pourfendeur de la métaphysique se complait dans des généralités caricaturalement « métaphysiques ». Que penser en effet de ce qu’il pointe comme un voile à la dévastation (et comme un facteur d’aggravation) : « le bien-être identique de tous les travailleurs compris comme sécurité sociale uniformisée ». Mais que souhaite-t-il lui qui écrit dans un château un beau dialogue poético-philosophique sur les camps soviétiques : un monde de camps? En réalité nous sommes embarqués dans un monde qui est beaucoup plus « heideggerien » qu’il n’y paraît. Car ce qui triomphe en ce moment ce n’est certainement pas la « sécurité sociale uniformisée ». En ce moment, par exemple, mais il est vrai qu’il s’agit de « paysans libres », des milliers d’africains tentent d’échapper aux griffes de la sécheresse et cela à quelques distances seulement d’hôtels luxueux pour touristes. Et des firmes cassent le marché en profitant « mondialement » de mains d’oeuvre dont le faible coût s’explique aussi parce qu’elles ne coûtent rien en termes de « sécurité sociale ». Quand on contient Heidegger dans l’espace du papier cela peut paraître presque très beau. Mais quand on lui associe une politique réalisatrice, et donc des états, des appareils, des forces on se dit qu’il fait tout autre chose que de nous sortir du camp : il nous y précipite. Car je voudrais bien savoir comment on « gère » un monde sans sécurité sociale uniformisée en faisant l’économie du camp. Regardons simplement ce qui se passe autour de nous : les camps abondent. J’ai vu hier soir le film Syriana. On suit notamment le parcours d’un jeune arabe qui le conduit de violence en violence, de chômage en humiliation, à « l’idéal » du kamikaze. On nous montre notamment ce que sont les « résidences » des jeunes émigrés dans les pays producteurs de pétrole : de véritables camps. Nos cités, en France, que sont-elles sinon des sortes de camps? Les bidonvilles qui s’accroissent à une vitesse vertigineuse que sont-ils sinon des camps? Et tout cet espace, ou ces espaces, que sont-ils sinon des espaces d’ insécurité sociale? Il y a donc bien dévastation. Mais ce qui irrigue cette dévastation c’est tout le contraire de la sécurité sociale uniformisée! Toute cette dévastation traduit aussi, à mes yeux, la profonde carence du politique dont souffre les sociétés modernes et les sociétés qui prennent contact avec la modernité. Pour avoir la paix on encourage les religions et tout ce qui pourrait contribuer à inventer le politique se trouve ainsi recyclé religieusement quitte, nous commençons à nous en apercevoir, à ce que le religieux se clone en monstres intégristes et porteurs de terrorisme. Et là aussi cela risque d’être le triomphe de l’universelle insécurité!

Zistan : Ido vous ramenez le questionnement de Heidegger à un niveau qui le banalise.

Ido : Heidegger a une véritable science du discours cher Zistan. Au reste avant d’aller en quête de la philosophie de Heidegger, de sa pensée (et tant pis si je fais éventuellement ricaner les « philosophes »), j’aimerais me demander ce que fait Heidegger de la philosophie. Quel usage en fait-il lui qui, d’une autre manière que Hegel, avait envisagé sa fin? Tout son discours me semble avoir pour centre de gravité le mythe du peuple historial. Si j’avais à concevoir une sorte « d’anti-cours » de philosophie heideggerienne je commencerais par cela. Pourquoi Heidegger fait-il de la « philosophie »? Quelles sont ses intentions? Quel usage en fait-il? Quel est son projet? Que vise-t-il dans la philosophie qu’il appelle « métaphysique » et qu’est-ce qu’il tente au juste de mettre à la place? Dans cette perspective il est clair que la question dite de « l’engagement » de Heidegger est centrale. Heidegger est tout sauf quelqu’un qui s’est engagé sur un coup de tête et qui, l’ivresse passée, passe à la « résistance spirituelle ». Notons que s’il était passé à une forme un peu moins « spirituelle » de résistance, par exemple en quittant l’Allemagne et en rejoignant les « déracinés de l’intérieur », il serait à jamais beaucoup plus crédible. Mais cela est contraire à son ontologie de « l’hyper-local ». Comment, rejoindre des Anders et des Benjamin, alors que, comme il l’a à nouveau répété sans réserve en 67-76 avec l’entretien du Spiegel, rien de grand ne se fait sans racine? Comment, au reste, ne pas voir dans ce motif la désignation de « l’ennemi »? Je m’étonne toujours du fait qu’on a guère prêté attention à la présence de ce motif en 67-76. Pour s’être de fait tu sur ce qui s’est passé en Allemagne, pour avoir dédaigné l’attente d’un Celan, ce motif, et là c’est gravissime, n’est rien moins qu’un « je persiste et je signe » quant à la pertinence de l’antisémitisme intellectuel. L’attitude de Heidegger est, comme nous le verrons en temps voulu avec DA, a toujours été d’éviter de faire d’Auschwitz un obstacle pour porter atteinte à la « vérité interne » du mouvement. Pressé notamment par ceux qui l’admiraient en tant que penseur ce qu’il a concédé est malheureusement parfaitement abject. Nous l’avons dit de manière elliptique : c’est la faute aux cartésiens! « Vous me faites confiance comme philosophe? Vous m’admirez comme penseur? Je vous fait le numéro du nihilisme global. Et si vous voyez dans mon ontologie éthique de l’enracinement une composante du nazisme sachez que vous comprendrez mieux de quoi il est question en l’interprétant comme une forme de « résistance spirituelle » au nihilisme, à la dévastation, aux cartésiens »! De ce point de vue l’ « heideggerisme » est le plus beau fleuron de l’artisanat idéologique, ou « idéosophique », du nazisme. Tout pour le peuple historial pour lequel Heidegger s’érige en prophète. Quelqu’un l’a comparé l’autre jour à Moïse. Mais Moïse c’est « tu ne tueras pas » alors que le nazisme c’est Auschwitz!

Zistan : Mais qui vous dit que le « peuple historial » est un peuple déterminé, le « Volk »!

Ido : Là vous ouvrez un chemin qui mène vers des contrées ardues. Si vous estimez que le peuple historial, c’est-à-dire le peuple qui, au lieu d’être comme voué à réaliser un programme et donc une chronologie déterminée d’avance, est capable de se projeter dans le futur de manière à « ouvrir un monde », est « composé » des individus qui auraient « décroché » du programme vous ne comprenez pas le rôle fondamental que joue la communauté comme condition de l’historialité. L’individu historialisé et donc « rallié »  est-il organiquement du peuple historial? Ne faut-il pas une communauté native et surtout cette communauté que dessine la langue maternelle surtout quand, pour Heidegger, elle est privilégiée quant à la possiblité d’une entente de l’être? Voyez ce qui arrive au résistant Beauffret… son ralliement le conduit au négationnisme! Son mot à Faurisson il fallait tout de même oser! Mais il est vrai que, pour ces courageux et ces héros, les « juifs » ne sont mondialement qu’une petite minorité! Cela, en tous cas, ne contribue en rien à calmer le jeu. Et, comme il fallait s’y attendre de la part de ces « ontico-poètes », le contraire de l’historialité – peut-on parler de déreliction – pèse lourdement sur la manière de regarder son « prochain ». Le contraire de l’historialité n’est pas simplement l’absence de « sécurité sociale uniformisée » mais, en tous cas, elle l’exclut radicalement. Le monde entre-ouvert par Heidegger est un monde où les individus n’auraient pas les mêmes droits à la sécurité. Je l’ai dit : ce monde est un monde de camp et de policiers. C’est un peu le monde actuel sauf que ce monde actuel est plus heideggerien qu’il n’y paraît… C’est la dévastation heideggerienne!

20. [Lundi 28/02/06 à 18h14]

Zistan : Cela c’est inacceptable! Ce que vous ne voyez pas c’est que précisément tout le monde semble courir après la « sécurité sociale uniformisée ». Et c’est cette course qui dévaste, c’est cette course qui est la dévastation elle-même! Et puis vous passez à côté de ce que signifie « uniformisée ».

Ido : Associé à « sécurité sociale » le mot « uniformisé » porte bien sur les éléments « sécuritaires »  du « social »! Et là on retrouve tout le côté jüngerien du fascisme de Heidegger. Les « travailleurs » doivent en quelque sorte retrouver leur « historialité » en ne s’en laissant pas compter par la « sécurité sociale uniformisée ». Seraient-ils ainsi invités à instaurer de tels rapports de pouvoir que la sécurité sociale ne soit plus quelque chose d’uniformisée? En clair : le travailleur du peuple historial doit oeuvrer pour « différencier » la sécurité sociale. C’est très exactement la logique du camp et là, bien sûr, je ne parle pas du génocide mais « seulement », si je puis dire, du simple camp de concentration. Un peu plus on compatirait au malheur qui, dans le camp de prisonnier soviétique, semble frapper les représentants du dialogue de l’âme heideggerienne avec elle-même. Alors même que, comme j’en suis maintenant convaincu, la société heideggerienne est une société de camps. La « sécurité sociale différenciée » cela donne les « maîtres », les « esclaves », les « kapos », les « émigrés » et leurs descendants dans les ghettos. Heidegger serait-il encore aujourd’hui, labelllisé grand philosophe, le fournisseur de la solution de la « sécurité sociale différenciée »? Sous couvert de poésie, de grande culture philosophique, Heidegger venderait la justification « ontologique » de la division de « l’humanité » en « zones  » de sécurité sociale différenciée. Bref, un travail de police. C’est comme son « concept » de « littérature négative ».

Zistan : Je ne peux plus entendre des choses comme cela. Vous éradiquez la pensée!

Ido : C’est Heidegger! C’est la pensée de Heidegger qui dévaste! C’est la pensée même de la dévastation dévastante!

Zistan : Je ne vous entends pas.

Ido : Je ne sais vraiment pas ce qu’il vous faut. Dans l’entretien du Spiegel, qu’il rédige comme entretien posthume en 1967 – il sera donc publié à sa mort, en 1976 – il nous ressert le « concept » de littérature négative. C’est la littérature nihiliste, la littérature des « insurgés ». Et il nous ressert également la nécessité, pour avoir accès à la grandeur, de l’enracinement. Et là, en 1945, il évacue la « sécurité sociale uniformisée ». Cela suffit à fabriquer une société de camps. Mais les camps, apparemment, cela ne le gênait pas trop quand, en plein nazisme, il enseignait au « peuple historial »! La modernité c’est un processus et un processus d’où se dégage la notion d’un homme certes « abstrait » par rapport aux modes traditionnels d’identification, mais bien concret dans la nécessité de bénéficier de droits fondamentaux. L’invention est de ce côté là. S’y refuser c’est proposer une société de camps!

Zistan : Vous refusez à Heidegger toute possibilité de se démarquer vraiment du nazisme.

Ido : Cela est écrit en toutes lettres dans son « discours ». Il a une sainte horreur du « moderne », du « démocratique ». Et les humeurs ne suffisent pas. Philosophe il fait l’ontologie de la société de camps! Pour lui, dans une certaine mesure, l’époque est celle des affrontements de » camps »! Le camp soviétique est peut-être à ses yeux le résultat de la passion pour la « sécurité sociale uniformisée ». Mais, à ce que je sache, le contraire, la sécurité sociale différenciée, c’est l’essence même du camp. C’est-à-dire une nouvelle forme d’esclavagisme. Dans l’océan tumulteux de la mondialisation capitaliste Heidegger, en nazi, a fantasmé son Volk historial, Volk dont il est le Führer spirituel, Volk qui est privilégié pour entendre l’être, et donc privilégié pour « déconstruire » la sécurité sociale uniformisée. En clair le peuple historial est un peuple de maîtres, et de maîtres dominant sur une « populace » – laquelle n’est donc évidemment pas historiale – et à propos de laquelle il « module » la sécurité sociale différenciée. L’ontopolitique heideggerienne est l’ontologie du camp!

Zistan : Puis-je seulement vous faire remarquer, cher Ido, que vous parlez d’un Heidegger qui n’existe pas? Ecoutez ce qu’il fait dire au plus âgé… c’est page 20 de DA :  » … la manière dont notre propre peuple s’est aveuglément fourvoyé en se laissant conduire dans l’errance est trop lamentable pour que nous ayons le droit de nous prodiguer en lamentations, malgré la dévastation qui étend son emprise sur notre terre natale et ses hommes désemparés ». Qu’en pensez-vous?

Ido : Tout d’abord je désirerais, comme tout lecteur exigeant, savoir comment et dans quelles conditions le texte a été écrit. Nous savons que des documents, notamment de la correspondance, ont été détruits. Heidegger  a été « nettoyé ». Nous savons aussi que des textes ont été trafiqués, des pages ajoutées, d’autres enlevées. Ce DA c’est quoi au juste? Peut-être ne le saurons-nous jamais. Faisons donc avec ce que nous avons… tout en n’oubliant pas que ce serait un « miracle » si le texte s’est conclu précisément le 8 mai 1945. Comme il a été dit, la date d’achévement n’est pas la date réelle de la fin du texte, mais la date du paragraphe qui clot le texte. Et ce paragraphe a peut-être été ajouté de manière conclusive ce 8 mai 1945, peut-être pas. On constate que cette date est donc aussi celle où la « pensée de la dévastation » commence sa carrière. Et le commencement de cette carrière sur le thème de la dévastation coïncide avec la date de la victoire des alliés. Dont acte. Ce n’est donc en aucun cas une libération ou une délivrance. Il est vrai qu’en installant le dialogue dans un camp de prisonniers de guerre soviétique il n’y a guère de chance pour que ce 8 mai soit montré comme un jour de « délivrance ». Reconnaissons qu’il voit juste, d’un point de vue rhétorique, en colorant le 8 mai 45 d’une « ambiance » stalinienne.

21. [Mardi 28/02 à 08h23]

Mais l’essentiel est bien que, du point de vue de celui qui est supposé écrire dans un château du Danube, le 8 mai 1945 signe comme l’entrée dans une conscience de la dévastation. Heidegger pense-t-il « librement »? Je veux dire pense-t-il librement relativement à ce que fut sa croyance dans le nazisme? Rappelons-nous ce qu’il dit sur le rôle de la « pré-compréhension ». Le « nazisme » de Heidegger n’est-il précisément pas cette « pré-compréhension »? Et que, bien entendu, il n’oppose pas, bien au contraire, à la liberté. Mais cela signifierait que cette pré-compréhension pèse de tout son poids sur l’interprétation de l’histoire. Et celle-ci est telle que, par conséquent, la victoire du 8 mai 45 apparaît comme un épisode dramatique – le camp soviétique – d’ une ère de la dévastation et non comme une délivrance ou, bien entendu, comme une victoire de la « démocratie ». Si victoire démocratique il y a, c’est la victoire de la « sécurité sociale uniformisée » – caricaturée par la référence permanente au camp soviétique – et donc, pour Heidegger, la victoire de la dévastation.

Zistan : Le texte, Ido, le texte!

Ido : Mais, Zistan, Heidegger ne cesse pas d’être « dans » Heidegger… Si le projet de Heidegger est de sauver les meubles, comme on dit, du nazisme – et de se « sauver » d’une certaine manière lui-même – il lui faut éviter un certain nombre d’erreurs. La plus grossière aurait été de se faire le porte-parole des plaintes du « peuple ». Après la découverte des camps, oser se plaindre eût été catastrophique! Le fait que les interlocuteurs se trouvent dans un camp soviétique – c’est presque l’horreur absolue pour des anciens héros du Reich – agit beaucoup mieux, en sous-main, pour souligner la « grandeur et la vérité interne du mouvement! » La défaite de Stalingrad est la première phase de l’épisode de la victoire de la dévastation du 8 mai 1945. C’est le moment où les soviétiques « tendent les mains », par dessus le Reich, aux américains.

Zistan : Mais, Ido, il parle bien de fourvoiement et d’aveuglement?

Ido : Certes mais c’est pour dire, « notre peuple »! Cette expression l’inclut-il ou l’exclut-il? Heidegger se compte-t-il dans « notre peuple » ou se met-il à part et je dirais comme « en réserve du nazisme »?

Zistan : C’est inacceptable Ido! Qu’est-ce qui vous permet de faire cette… calomnie!

Ido : Je « persiste et je signe » : le passage sur le fourvoiement est signé par un nazi philosophe qui protège « la grandeur et la vérité interne du mouvement ». Ce « notre peuple  » a même quelque chose d’odieux… C’est l’idéologue abject qui parle. Et donc, aussi, le « philosophe nazi »! Mais, on le sait, les nazis ont été des maîtres en matière d’instrumentalisation du peuple. Ici Heidegger se montre comme un « politique » du verbe particulièrement redoutable. En tous cas pour des lecteurs « naïfs » et, il faut le dire, la plupart du temps maintenu dans l’ignorance de ce que fut au juste la « raison nazie ». Quand vous rajoutez la « plus-value » de la spiritualité, du « grand-penser », on comprend que cela puisse passer comme une lettre à la poste. Il faut être, passez-moi l’expression, un peu « beubeuïfié » pour prendre le passage en question comme un certificat d’anti-nazisme! Le « notre peuple », que le dispositif du dialogue autorise – ce n’est pas, effectivement, Heidegger en personne qui semble parler – place l’auteur en position de surplomb et d’extériorité. Cela lui redonne la parole et, par sa parole, la parole à la « grandeur » et à la « vérité interne du mouvement ». Heidegger n’a pas été nazi : il est nazi!

Zistan : Je m’insurge contre cette interprétation. Je la trouve délirante.

Ido : Et le procès fait à la « sécurité sociale uniformisée » c’est du délire peut-être!?

Zistan : Vous caricaturez! C’est en termes de confort et de bien-être que le problème se pose. Aujourd’hui tout le monde reconnaît que si les chinois avaient le même mode de vie que les américains il leur faudrait s’accapparer l’entiéreté des ressources de la planète. Et je ne parle même pas des effets sur l’environnement.

Ido : Vous changez de niveau, Zistan, parce que la phrase heideggerienne est particulièrement gênante. Je vous parle de sécurité et non de confort. Il charge le peuple… « notre peuple »… s’est fourvoyé… et puis il s’en prend à l’égalité des hommes devant la sécurité… Quel est au juste ce philosophe qui se permet des choses comme ça? Quelle est sa morale? J’ai entendu sinon des heideggeriens, du moins des amis de Heidegger qualifier de « policiers » ceux qui, comme Faye, « traque » le nazisme de Heidegger. Mais qui est le policier dans l’histoire? Heide, comme l’appelle un commentateur, Heide est une sorte de flic en chef! Il propose ni plus ni moins de légitimer « ontologiquement » une stratégie de division de l’humain. Il brandit la peur : la dévastation. Et propose le camp avec, en effet, tout ce que suppose l’inégalité devant la sécurité : convoitises, jalousies, rivalités mesquines, compétitions pour écraser le voisin plus fragile!  Voilà à quoi mène, chez Heidegger, la « désoubliance de l’être ». Il compromet la philosophie, qu’il fait passer pour une onto-poétique sublime, dans une des opérations de division de l’humain des plus odieuses qui soient. Ce n’est pas étonnant : c’est un nazi!

22. [Mercredi 1/03/06 à 17h46].

Zistan : A vous entendre, Ido, la dévastation ce serait Heidegger.

Ido : Vous ne pouvez pas mieux dire. Quelle société monstrueuse se profile sous la plume de celui qui a prétendu dépasser la phénomènologie pour une ontologie existentielle! Du reste je n’en reviens pas. Annuler le 8 mai 1945 comme jour de libération des camps – et de libération des allemands du joug nazi – au prétexte de la dévastation tout en promouvant l’inégalité des êtres humains – je suis désolé je ne parle pas ici du « Dasein » – devant la « sécurité sociale » cela revient très exactement à justifier rétrospectivement Auschwitz. C’est l’horreur. Heidegger est dévasté et dévastant. C’est la bombe nazie philosophique…

Zistan : Arrêtez! C’est scandaleux ce que vous dites là!

Ido : Vous oubliez, Zistan, que du point de vue de la « raison nazie » le camp soviétique c’est le judéo-bolchévisme! Nos héros du Reich sont prisonniers d’un tel camp. Lequel, cette fois au sens idéologique de « camp », est celui précisément de la « sécurité sociale uniformisée ». Et quand on dénie l’égalité des êtres humains devant la « sécurité sociale » on défend non seulement la discrimination du camp « ordinaire » mais on justifie les « mesures d’extermination ».

Zistan : Cette fois c’en est trop!.. Que faites-vous alors de la critique que Heidegger fait de ce qui est arrivé à la jeunesse allemande elle qui, précisément, fut en quelque sorte à la tête du fourvoiement? Du fait, précisément, de la jeunesse?

Ido : Je vous ai dit mon sentiment à propos du fourvoiement et de « notre peuple ». Cela devrait être complété à la lumière, du reste, d’une analyse notamment de Grammaire et étymologie du mot « être ». Je soutiendrais que, parce que se posant en fondateur philosophique du nazisme, Heidegger entend « fourvoiement » dans un sens particulier. Le fourvoiement ce serait non pas ce qui a conduit au nazisme mais ce qui a conduit au nazisme de telle manière que ce ne fut pas le « Reich pour mille ans » mais uniquement pour un peu plus de dix ans.

Zistan : Ca, c’est de la paranoïa!

Ido : Dans Grammaire… mais, bien entendu, Heidegger est peut-être ici prétentieux, il expose en quoi le combat n’est pas seulement un combat contre le déjà existant. Il est convaincu que le peuple historial doit s’accorder à ceci qu’il doit ouvrir un monde, et ouvrir un monde en entendant la question de l’être. C’est l’insuffisante compréhension de cette « mission » qui lui a fait critiquer l’indigence des dirigeants. Ma thèse est que, dans DA, il ne concède de critique que ce qui lui permet de protéger la « grandeur et la vérité interne du mouvement ». Il a le nazisme chevillé au corps. C’est devenu sa seconde nature. Et l’attente c’est l’attente qu’il faut pour remettre ça… pour servir à nouveau et plus ou moins arrangée la « grandeur et la vérité interne du mouvement ». Tous les textes de Heidegger, après la guerre, sont balisés du chemin nazi. Tel est, du reste, le fameux « chemin de campagne ». Ce n’est peut-être pas la campagne bucolique mais, il faudrait se demander comment cela se dit en allemand, c’est peut-être aussi et surtout la « campagne » au sens du combat.

Zistan : Il y a du combat, chez Heidegger, mais ce n’est pas le combat nazi. Comment expliquez-vous ce qu’il dit de la jeunesse allemande. Je cite :

Le plus âgé : On nous a empêchés d’être jeunes.

Le plus jeune : Bien qu’on nous ait fait accroire que nous devrions revendiquer le droit d’être jeunes, alors qu’en réalité tout cela ne faisant en définitive que renforcer l’opposition entre l’inexpérience des adolescents et le savoir des anciens.

Le plus âgé : Et ces adolescents furent ensuite, en l’espace d’une nuit, appelés également à devenir des « hommes ».

Le plus jeune : En sorte que tous les concepts et tous les mots étaient détournés de leur sens, parce que tout procédait déjà de la confusion où tout est embrouillé.

Le plus âgé : La dévastation était déjà à l’oeuvre avant que la destruction ait commencé.

Le plus jeune : Autrement, la destruction ne pourrait pas commencer.

Le plus âgé : Et pourtant, chez bon nombre d’entre nous, elle était déjà là cette véritable jeunesse, qui, comme en tout temps toute véritable jeunesse, aurait pu remonter aux anciens pour penser loin au-devant, par-delà eux – si seulement elle avait justement eu le droit d’être jeunesse.

Ido : Emouvant, non, ce malheur qui a frappé la jeunesse du Reich?! Qu’est-ce que dit notre philosophe sinon qu’on ne l’a pas assez entendu pour affiner l’historialité du Volk? Au fond, ce que fait Heidegger à l’abri de son aura, c’est de préparer « historialement », et cela peut passer en effet par l’attente, une conception du nazisme heideggerisé, un « heide-socialisme ». Remarquez l’idée de « nationel-socialisme », qu’on peut forger avec la notion de nationel, ce n’est pas mal non plus. C’est la même chose que ce « heide-socialisme ». Remarquez que, comme à son habitude, il s’appuie sur sa hauteur philosophique pour sélectionner le « concret ». C’est suffisamment général, « métaphysique », par exemple qu’est ce que « l’embrouillé »?.. pour faire passer le monstre sous couvert de retour critique. DA est une pièce à verser au dossier du néo-nazisme philosophique.

Zistan : Vous ne pensez donc pas que la jeunesse allemande a souffert? A souffert de ne pas avoir eu le temps de sa jeunesse?

Ido : C’est toujours pareil avec Heidi… c’est toujours trop concret et pas assez. Cela vient de son ontologie, en tous cas de son onto-politique. Mais cette manière de mettre en avant la question du temps, et indirectement celle de l’historialité, c’est une manière de ne pas dire « nazisme » pour désigner ce dont a souffert cette jeunesse.  On comprend pourquoi. Il pense au fond, et là je crois que nous sommes peut-être au bord d’une sorte de folie, que la défaite du nazisme est à imputer à la dévastation elle-même, c’est-à-dire à ce qu’il avait promis de terrasser. Mais, précisément,il lui aurait manqué une pensée de la dévastation, une pensée du fait qu’elle est aussi en retrait. C’est, dans une certaine mesure, ce qu’il appelle au début de DA la malignité. Mais ce dont a souffert le plus cette jeunesse, et Heidi ne fait que semblant de l’évoquer allusivement c’est d’avoir été impliqué dans le crime d’état : délations, racisme, antisémitisme, sélection pour appartenir à la SS etc. Voilà le pire, quand on est jeune, d’être sali dans et par le crime, d’être embarqué pour détruire autrui. Heidi ne peut en parler, et encore moins le dénoncer, puisqu’il considére que la dévastation c’est « la sécurité sociale uniformisée »! « Le plus âgé » qu’est Heidegger, et là nous sommes vraiment dans l’ignoble, propose à une jeunesse future, à une jeunesse qui aurait eu le temps d’être à la hauteur de l’historialité, d’oeuvrer à une « sécurité sociale différenciée »! C’est à nouveau le crime. Avec le bénédiction du nouveau Führer, l’onto-Führer! Heildegger!

Zistan : Il me faut du courage pour vous entendre!

Ido : Il faut du courage pour s’intéresser à Heidi! Mais quand il dit : La dévastation était déjà à l’oeuvre avant que la destruction ait commencé, il n’a absolument pas en vue ce que le Reich a détruit : des millions d’êtres humains, par la guerre, les camps, la chambre à gaz ou, par exemple en Russie, des milliers de villages. La destruction est celle du Reich : c’est Berlin en ruine! Au fond son explication, qui porte exclusivement sur le « malheur allemand » – le motif de la destruction – c’est qu’à cause d’une jeunesse qui n’aurait pas eu le temps de sa maturation l’historialité du Volk n’aurait pas été ce qu’elle aurait du être. Il s’est laissé dévasté offrant alors le Reich comme objet  à détruire à ses ennemis : judéo-bolchévico-américains. Nous y viendrons en son temps. Le mouvement, ce mouvement qui a, aux yeux de Heidegger, tant de grandeur et de vérité interne, se serait laissé piégé par le national. Les historiens, les stratéges, les géo-politiciens apprécieront la thèse du philosophe mais, en se plaçant sur le terrain de la nation et du nationalisme le mouvement mettait ses ennemis dans la meilleure situation pour le vaincre. Qu’on pense, par exemple, au patriotisme révolutionnaire des cadres staliniens. Qu’aurait pu être alors un Heidi-socialisme ou un nationel-socialisme effectivement installé pour mille ans?.. Mais, cela dit, est-ce que ce n’est pas à cela que peuvent songer des néo-nazis heideggeriens? Ce que Heidegger ne comprend peut-être pas ce sont les données géo-politiques en tant qu’elles déterminent une certaine urgence. Les nazis réels avaient-ils eu le temps d’avoir le temps? Cela dit, et pour autant que Heidi rejette la « sécurité sociale uniformisée », on imagine à quel degré de froide cruauté un Reich heideggerien, parfaitement « historial », aurait pu parvenir.

23. [Vendredi 3/03/06 à 21h15].

Zistan : Je ne vous suis pas dans cette interprétation. On dirait que vous faites monter les enchères. Ce que vous dites à propos de la « sécurité sociale uniformisée » est exagéré.

Ido : Comment « exagéré »? Heidegger est expert dans l’art de trouver des formules. Celle-ci est une des plus extraordinaires qu’ on ait jamais inventé pour faire passer le fameux « Arbeit macht freiheit ». Et cela passe d’autant mieux que le « grand philosophe » nous éblouit et nous impressionne. Même si Heidegger n’avait en vue que de légères « modulations » du droit à la sécurité sociale, sa formule, dès lors qu’elle deviendrait celle d’un état fasciste se transformerait en une arme redoutable contre la société. De modulation en modulation on en arrive vite à l’affirmation selon laquelle certains individus ou certains groupes peuvent être comme exemptés du droit à exister. Vous voyez le résultat : les héros d’un peuple qui n’a pas, pour ne pas avoir assez pensé, été à la hauteur de sa propre historialité, se retrouvent dans un camp de prisonniers soviétiques, un camp « judéo-bolchévique ». Ne croyez pas que je dise cela de gaîté de coeur. Je ne m’attendais certainement pas à lire un traité de résistance antifasciste. Mais ce que je découvre peu à peu en lisant DA me soulève littéralement le coeur. Heidegger fait la promotion d’un néo-nazisme potentiellement encore plus radical que l’ancien. Et cela dans la mesure où, précisément, il intégre dans la « haute philosophie » l’inégalité des hommes devant la « sécurité sociale ». C’est comme s’il s’agissait d’un manuel d’anti droits de l’homme. Je suis stupéfait devant l’aveuglement des commentateurs académiques.

(A suivre)

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112 commentaires à « La dévastation et l’attente » de Heidegger. Notes de lecture

  1. Bonjour Monsieur

    C’est vrai, vous avez raison, on a vraiment affaire à un drôle de penseur avec Heidegger. Et M. Faye est en droit de se demander si ce type est recommandable à la jeunesse, surtout en raison d’un non moins étrange aveuglement de la part de pas mal de philosophes, en particulier français, qui se sont fait prendre aux filets de cette rhétorique tordue. Heidegger m’apparaît comme une espèce de « primitif » qui ne peut concevoir une société qu’à l’état tribal, c.à.d. un état dans lequel les individus n’ont pas d’existence propre puisque c’est le groupe qui constitue l’être par excellence. Cette profonde involution de la posture sociale de Heidegger constitue pour ainsi dire le noyau dur de son orientation profondément vécue, donc impensée. La soi-disant cohérence de sa « pensée » et son incapacité à faire retour sur lui-même montrent, en fait, une structure comportementale paranoïde, réactionnaire et défensive. Son identification au Reich me paraît répondre à l’insécurité affective dans laquelle se trouve ce type de personnalité. Aussi ne faut-il pas s’étonner de sa fidélité, au-delà de toute capacité réflexive, au IIIème Reich. Il faut vraiment analyser dans tous les sens du mot cette ontologie bloquée et ne pas se laisser prendre au jeu de cette folle mystique.
    R. MIsslin

    Rédigé par : Misslin René | le 13/02/2006 à 14:05 | Répondre | Modifier
  2. Monsieur Misslin,
    vous avez mis le doigt sur la plaie. Je suis heureux de ne plus être le seul à l’avoir vue. Il faudra bien un jour que toute l’intelligentsia française se mette à ouvrir les yeux.
    Je suis persuadé que demain on ne parlera que de ça. Vous imaginez le filon pour les intellectuels et pour la librairie!
    michel bel
    j’approuve ce texte.
    MB

    Rédigé par : bel | le 14/02/2006 à 22:25 | Répondre | Modifier
  3. Depuis longtemps je me pose une question: pourquoi tant de « catholiques » sont-ils attirés par Heidegger? Seraient-ils comme les alouettes fascinés par les miroirs qui n’ont pour seule fonction que de les amener à disparaître?

    Heidegger a dirigé toute son action, toute son oeuvre littéraire et historiale contre le Christ, des milliers de prêtres sont morts ou ont été bafoués pour que triomphe cette Weltanschauung, que peuvent-ils donc trouver dans Heidegger? Seraient-ils tous des disciples de l’indigne Monseigneur Baudrillart? Ou sont-ils attirés par le blé entouré de mort aux rats? J’avoue que je ne comprends pas. L’anticommunisme primaire les conduirait-il à pactiser avec Satan? Je répète ici ce que j’ai déjà fait remarquer par ailleurs, que Heidegger s’est fait l’incarnation de Zarathoustra, figure nietzschéenne que Nietzsche lui-même nomme indifféremment Dionysos ou l’AntiChrist. Les trois termes d’égale valeur étant substituables.

    Le premier cours sur Nietzsche s’affiche volontairement anti-chrétien. ne parlons pas des autres. Considèreraient-ils que les cours sur Nietzsche ne font pas partie de la pensée de Heidegger? Ce serait se voiler la face. Heidegger a révendiqué lors de la publication de ses cours son entière adhésion à la cause de Nietzsche. Seraient-ils aussi inconséquents que Max Scheler qu’on appelait en son temps « le chrétien nietzschéen »? Le « chrétien nietzschéen », qu’est-ce que cela veit dire? Il serait peut-être temps que nos universitaires « catholiques heideggériens » révisent quelque peu leur position.

    Mais peut-être est-ce moi qui suis dérangé?

    L’erreur est d’autant plus grave qu’elle est diplômée. Si on faisait la liste de nos « catholiques heideggériens » aujourd’hui à l’université on serait peut-être surpris de leur nombre. On serait aussi étonné de leur manque de discernement. L’odeur des fleurs de « la gerbe » aurait-elle encore pour eux des senteurs énivrantes?

    Michel Bel.
    J’approuve ce texte.
    MB

    Rédigé par : bel | le 15/02/2006 à 16:43 | Répondre | Modifier
  4. Yeap,
    bonne question…
    en étudiant Sein und Zeit, et la manière proprement heideggérienne de recycler (on dit aussi « séculariser ») des concepts chrétiens, je me suis demandé si la piste qui consiste à considérer Heidi comme un chrétien perdu, pour déconsidérée qu’elle soit par les nietzschéens de service, ne serait pas la bonne.
    C’est Bruno Pinchard, dans les émissions de France Culture diffusées après la publication du livre de Emmanuel Faye, qui a dit je crois que le problème était celui du rapport heideggérien à la faute. De fait il y a bien une déchéance dans le monde, un « Verfallen », mais sans théorie du salut-sans salut chrétien, en tous cas.
    Nous vivons dans le péché, mais nous ne croyons pas au salut…
    …de là à transposer cette lecture de Sein und Zeit en analyse de la psychologie de nos chers penseurs pas toujours si catholiques, il y a un pas.
    Que je n’aurais pas de mal à franchir pour certains de ceux que je connais.
    Mes biens chers frères, bonsoir.
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 15/02/2006 à 18:55 | Répondre | Modifier
  5. Je vais essayer de rebondir sur la question de M. Bel qui se demande pourquoi tant de catholiques sont séduits par l’oeuvre du théologien de l’Etre. Je poserai la question différemment: est-ce que ce n’est pas la tournure religieuse, malgré toutes les apparences (trompeuses), de l’oeuvre de Heidegger qui a attiré tant de gens? Et pour répondre à cette question, je prendrai mes références dans le très beau livre de Clément Rosset: « L’anti-nature ». Pourquoi? Parce que C. Rosset écrit ceci: « L’explication naturaliste des phénomènes apparaît dès lors comme le modèle idéologique dont s’inspirent toutes les explications, y compris les explications religieuses… Les présupposés de base de l’idéologie religieuse ne sont autres, en effet, que des présupposés naturalistes qui apparaissent comme le noyau de toute religion: l’invention du monde (idée de nature) précède nécessairement l’invention d’un dieu à l’origine du monde (idée religieuse). Ceci permet à Rosset de d’opposer deux types de philosophes: les naturalistes (Platon, Aristote, Rousseau) et artificialistes(Empédocle, les sophistes, les atomistes, B. Gracian, Hobbes). Ce qui caractérise, aux yeux de Rosset, les penseurs naturalistes, c’est le rejet de l’idée de hasard au nom de la croyance en la transcendance, c.à.d. en l’existence d’un ordre pré-établi, ne dépendant pas des hommes. Je ne veux pas trop m’étendre pour ne pas lasser, mais je pense que Heidegger appartient à la catégorie des philosophes naturalistes. Ce n’est pas parce qu’il était, ou se voulait, athée qu’il n’était pas « religieux », bien au contraire, ai-je envie de dire. Les athées sont souvent plus virulents que les croyants, ce sont des croyants dépités. Son appel à l’Etre, à l’enracinement, à la pureté raciale à retrouver, à l’authenticité, son rejet viscéral de la modernité et de l’artificialité ressenties comme une chute de l’Etre dans la paraitre et le faux, sa haine antisémite motivée par la présence sur son sol de penseurs sans terre, intellectuels, mensongers et creux, sa détestation de la démocratie, oeuvre humaniste, son fantasme d’une société holiste, totalitaire, tout cela me fait dire que nous avons affaire à un penseur profondément religieux dans le sens de Rosset. Ce sont tous ces aspects qui, parfois, comme je l’ai écrit à M. Er, me font penser à Rousseau. On peut se demander si le succès des penseurs religieux selon Rosset ne correspond pas à une attente affective inscrite un besoin profond de sécurité. J’en veux pour preuve la résurgence actuelle de manifestations religieuses fortes un peu partout dans le monde, y compris dans nos sociétés dites libérales. Comme l’écrit encore Rosset: « L’idée de nature appartient non au domaine des idées, mais au domaine des désirs ». Et G. Durand, dans « Mythodologie » écrit: « Ceci montre une fois de plus l’irrépressible pouvoir des fantasmes dont la fonction est de transcender toujours la conscience du néant et de la mort. »
    Amicalement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 16/02/2006 à 13:38 | Répondre | Modifier
  6. Cher René Misslin,
    je vous ai répondu pour Rousseau, dans mon message du 13.02 qui fait suite à la réponse de Emmanuel Faye à Catherine Malabou, je répondrai donc ici au reste.
    Je suis tout à fait d’accord pour penser qu’il y a une dimension théologique dans l’oeuvre de Heidegger. D’abord, parce qu’il recycle à l’évidence une connaissance de la théologie chrétienne, toute la question étant de l’usage qu’il en fait. Ensuite parce que cette pensée a un rapport évident à l’autorité, de manière mystique. En parlant ici de théologie et de mystique j’entends, sans vouloir passer pour le calotin de base, me distinguer d’interprétations qui feraient de la religion en soi la cause de telles dérives intellectuelles et morales. Après tout toute quête de transcendance n’est pas blamable en soi, et toute croyance n’est pas « völkisch ». C’est lorsque le discours religieux fonctionne en simple discours d’autorité et prétend de manière mystique en finir avec la pensée rationnelle qu’il y a problème.
    La pensée théologique oppose à la pensée critique et scientifique et à son exigence de précision un discours d’autorité, un fondement mystique qui vient répondre à tout. Prétendre que la pensée scientifique n’est qu’une croyance comme une autre est un des moyens employés par le discours de type théologique (ou « idéologique » si on veut) pour en finir avec la science. Dans un entretien filmé sur un autre site on peut voir Heidegger répondre à des journalistes que les marxistes ont une religion, ce que je veux bien croire, mais il ajoute que cette religion est une croyance en la science, ce que je rejette.
    Dire ceci c’est voir dans la science une nouvelle source de dogmes, ce qu’elle ne peut être que par trahison de l’idéal scientifique (trahison que les scientifiques commettent il est vrai souvent). Elle se définit bien plutôt comme un scepticisme méthodique, ce que pour le coup la pensée heideggérienne n’est pas du tout.
    Je pense effectivement que la science suppose l’idée que le monde extérieur soit une « nature », mais cette supposition n’est pas un préjugé arbitraire, une décision métaphysique impensée, puisque c’est celle qui nous permet de vivre et de nous diriger dans le monde. Je ne pense donc pas que l’on puisse simplement dire que l’ »invention de la nature » n’est qu’une croyance comme une autre, une version athée de la transcendance divine, dans la mesure où elle permet justement à la pensée critique de se déployer. Je pense plutôt comme Bergson que c’est l’idée d’un chaos qui est le produit de notre subjectivité, issu d’une déception par rapport à l’ordre existant, et qu’il n’y a que des ordres se substituant l’un à l’autre.
    Heidegger n’est absolument pas un penseur « naturaliste » en ce sens que pour lui le « principe de raison » est bien une simple décision métaphysique impensée comme une autre, une approche arbitraire du monde extérieur qui peut-être renversée par le « penseur » qui vient dire l’impensé.
    Il a je crois été cherché ceci chez Schopenhauer, et on a là une source commune à Rosset et à Heidegger. C. Rosset m’est sympathique (sa « Lettre sur les chimpanzés » m’a fait hurler de rire), mais je ne le suis pas du tout dans son « anti-naturalisme ». Pensez par ailleurs en morale combien l’idée de « nature humaine » a pu servir à défendre l’homme contre l’asservissement théologique.
    Vous qui aimez Montaigne, je crois que vous avez là une bonne lecture à creuser…
    Bien à vous,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 17/02/2006 à 16:59 | Répondre | Modifier
  7. A Skildy, sur la métaphysique :

    la question de la métaphysique chez Heidegger est complexe, dans la mesure où le vocable change radicalement de sens chez lui en fonction des époques : positif en 29, négatif plus tard. C’est Jean-Pierre Faye qui a défendu l’idée que la critique heideggérienne de la métaphysique se déploie après les violentes attaques de Ernst Krieck l’accusant de « nihilisme métaphysique » (cf. Jean-Pierre Faye, Le piège). Que par la suite Heidegger ait fait du nazisme l’expression du « nihilisme » ne signifie pas forcément qu’à un moment et simultanément il a pu voir dans le nazisme et la maladie et la guérison. Il faut ici suivre précisément les changements de sens du vocable au cours du temps.
    La chronologie est en ce cas qui nous occupe reine de l’interprétation.
    Bien à vous,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 17/02/2006 à 17:06 | Répondre | Modifier
  8. Cher monsieur Skildy,
    j’ai bien reçu votre critique et je me réjouis d’être combattu par vous car c’est lorsqu’on s’oppose le plus à une thèse qu’on finit par admettre qu’elle est peut-être vraie.

    Je ne sais pas ce qu’est la structure du totalitarisme car le totalitarisme n’a pas une structure unique passe partout. En revanche je sais ce qu’est un ordre religieux et j’appuie mes paroles sur les déclarations d’Hitler à Rauschning: « Je fonde un ordre ». Cette parole est confirmée par les faits. A chaque étage de la pyramide du totalitarisme nazi il y a prestation de serment au Führer. Cette prestation de serment est une force pychologique considérable. Personne ne veut se dédire de peur d’avouer sa honte. Le nazisme est fondé sur le sens de l’honneur et de la fidélité. Toute la nation a été soumise progressivement aux impératifs de cet ordre. Et à la tête de l’ordre, il y a le « pape » de l’ordre auquel Hitler obéit, comme en son temps Hugues de Payns obéissait à Saint Bernard.

    Ce sont des ordres qui ont fait les croisades. Heidegger et Hitler ont copié. Les deux références clés du troisième Reich sont d’une part, la Grèce des tyrannoctones , des guerriers, des esclaves et des oeuvres d’art, de l’autre l’Ordre des chevaliers et celui des chevaliers teutoniques. Tout est soumis à la pyramide de l’obéisance absolue au Cesar Borgia pape, au dieu nouveau autour de qui se crée le monde nouveau. Heidegger n’a pas introduit seulement le nazisme en philosphie, il l’a aussi introduit en histoire, non seulement dans l’historiographie mais aussi dans l’histoire réelle, et dans l’art, dans toutes les formes d’art. Le racisme dans le nazisme n’est qu’un dispositif (Gestell) pour atteindre une fin qui dépasse toutes les autres: la domination planétaire absolue.A cette fin il fallait éliminer les porteurs de la morale judéo chrétienne et leurs souches puisque pour Heidegger les idées et le sang sont liés. Mais le sang ne suffit pas pour donner de bonnes idées il faut encore obéir au chef spirituel. Qui fut le chef spirituel des croisades? Un moine: Saint Bernard. En prêchant la pauvreté,Heidegger veut rejoindre cet idéal du moine. Ce qui l’obsède ce n’est pas la richesse, ce n’est pas l’étalage des vanités qu’il exècre, c’est l’orgueil du pouvoir absolu.

    Je crois que nous n’avons pas encore bien compris cette parole de Nietzsche qu’il a assimilée très jeune: « Je ne conçois pas que dieu existe et ne pas l’être ».

    Qu’on veuille croire à ce que j’essaie de faire comprendre ou non, m’importe peu. ça n’empêchera pas la vérité d’avoir existé quoi qu’on qu’on puisse penser de ce que je dis. Je sais qu’il faudra du temps pour l’admettre. Mais l’éternité est longue et les meilleurs ont parfois du mal à se laiser toucher par la lumière qui les éclaire et dont ils sont si proches.
    En toute amitié,
    michel bel.

    Rédigé par : bel | le 17/02/2006 à 22:58 | Répondre | Modifier
  9. Bonjour Monsieur Er

    Merci encore une fois pour vos commentaires des plus éclairants. Je comprends la réserve que vous faites concernant « L’anti-nature » de C. Rosset. Je ne lis pas ce texte littéralement. Etant chercheur en neurosciences, ce livre m’a beaucoup aidé à mieux me situer philosophiquement parlé, car dans le milieu scientifique, on ne se pose pas forcément beaucoup de questions philo, ce qui, comme vous le soulignez, fait que beaucoup de scientifiques ont des présupposés peu élucidés. Ce qui me plaît dans l’opposition nature/artifice c’est l’idée que les penseurs « religieux » adoptent à l’égard du réel une attitude idéaliste en ce sens qu’ils en appellent à une instance transcendante quasi divine, absolue, parfaite, déterminée, idéale quoi, tandis que les penseurs que Rosset appellent artificialistes admettent un réel évolutif, changeant, soumis à des phénomènes chaotiques (dans le sens mathématique du mot)et « catastrophiques » (dans le sens de René Thom). Cette opposition m’est chère aussi, car, politiquement parlé, elle débouche sur deux visions différentes, l’une, la religieuse, sur l’idée qu’une société doit être conforme à un ordre très réglé, d’inspiration autoritaire, théologique en somme (voir notre royauté, voir le communisme), l’autre admet là aussi le caractère relatif dans le temps d’une société, historique, avec possibilité des hommes d’intervenir, de modifier les institutions au gré des besoins. Bref, l’une manifeste une nostalgie de l’éternité, de l’immuable, de l’absence du temps, l’autre au contraire intègre le temps. Je m’arrête là, car cela nous éloigne du sujet, je veux dire de celui que M. Bel considère comme le grand Démon (dans le sens dostoïeskien) du IIIème Reich, Herr Heide (le Païen!). Excuse-moi de plaisanter ainsi, mais franchement, je balance avec ce type entre l’écoeurement et la rigolade. Bien que je lise attentivement M. Bel, il y a des jours où j’ai l’impression que Heidegger était un pitoyable funambule, non le grand Satan que M. Bel nous décrit. Mais, je manque trop de données biographiques. J’aimerais avoir plus de détails biographiques précis, pas seulement allusifs, sur l’enfance et l’adolescence de Heidegger. Je pense avec M. Bel que cet homme a pu avoir dans sa jeunesse certains traumatismes pour se lancer dans une oeuvre aussi prolixe et folle. Cette espèce de magalomanie paranoïde qui transparaît dans ces textes me ferait dire qu’il n’a pas commis « eine grosse Dummheit » en s’engageant dans la Partei, mais qu’il était la proie d’un grosser Wahnsinn.
    Bien amicalement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 18/02/2006 à 13:44 | Répondre | Modifier
  10. Avertissement. Le phiblogZophe ne fait nullement sienne la version maintes fois développée par M. Bel. Elle fait obstacle, qui plus est, à la compréhension de ce qu’est un dispositif totalitaire de type nazi. Malgré les apparences il ne fonctionne pas sur un mode pyramidal et Hitler n’était pas une marionnette dans les mains de Heidegger. Hannah Arendt voyait plus juste lorsqu’elle parlait de la structure en oignon du système. Il est fait de couches concentriques qui peuvent sur de nombreux points être en rivalité. La démission du rectorat de Heidegger se comprend mieux dans ce cadre. Le IIIe Reich n’était nullement un système autoritaire « théocratique » à l’ancienne même si, à maints égards, il en a emprunté certains traits.

    Cher monsieur Misslin,

    pour prendre au sérieux l’hypothèse de la paraphrénie heidggérienne il faut d’abord avoir compris le rôle réel qu’il a joué dans l’histoire de l’Europe. La destruction des juifs ne relève pas d’une attitude saine, mais comme il a fait exécuter cette tâche par son premier disciple, personne, bien que ses écrits soient explicites, n’ose la lui attribuer. Il faut un con comme moi pour franchir le pas. ET si je l’ai franchi c’est parce qu’aucune autre hypothèse historique ne convient. La répression de sa relation avec Gröber a fait de lui un emmuré vivant qui a eu besoin de se libérer et d’exploser.

    Comme tous les psychotiques, il s’est chargé d’une mission. Ce qui est nouveau chez lui, c’est qu’il en a chargé aussi un peuple qu’il a prétendu libérer.Il n’a pas eu seulement un complice, il en a eu des milliers. C’est dire à quel point l’espèce humaine conditionnée par des psychopathes ayant eu l’energie nécessaire et les appuis voulus pour acquérir le pouvoir, est fragile.

    J’ai mis très longtemps à comprendre la psychose de Heidegger car du fait de la division des rôles et de la séparation des fonctions, elle n’est pas visible au premier abord. Comme tout le monde et sous l’influence de Jean Beaufret, j’ai cru dans les années soixante que Heidegger était un philosophe. Que connaissions-nous de lui à ce moment-là? Presque rien. Et ses textes étaient bien énigmatiques. On m’aurait dit alors que je parlerais comme je parle aujourd’hui je ne l’aurais jamais cru. Je savais trop peu de choses sur lui pour pouvoir le comprendre. Aussi m’abstenais-je de porter un jugement sur lui quel qu’il fût.

    Vis à vis de l’exigence de vérité son oeuvre était pour moi indécidable. La fin de la philosophie me paraisssait absurde mais j’attendais de connaître ses raisons. Quand je lus quelques temps plus tard la « Métaphysique de Nietzsche », un soupçon s’éveilla: expose-t-il la métaphysique de Nietzsche, me dis-je, ou sa propre pensée? Les incidentes hors sujet me donnèrent vite la réponse. Je relus la préface à l’édition des cours sur Nietzsche. C’était clair. Je mis cette découverte en relation avec ses propos sur le mal et sur ses considérations d’époque dans le cours sur Schelling de 1936 et aucun doute n’était plus permis. La métaphysique de Nietzsche était bien la quintessence de la pensée heideggérienne.

    Quel rapport pouvait avoir cette pensée avec la politique hitlérienne? Les publications de Schneeberger ne laissaient planer aucun doute. Le philosophe dont parlait Hitler dans Mein Kampf et qui, non seulement l’avait formé personnellement, mais avait aussi créé le parti, c’était bien lui. Deux témoignages le confirmaient. Le journal Der Alemanne en 1933 et le discours d’Hitler de 1936: « Pour un idéal purement artistique ».

    Y avait-il dans l’oeuvre de Heidegger une trace de cette décision en dehors des discours politiques et des positions de 1933? Oui. Il suffisait de lire en le décodant le texte intitulé « mon chemin de pensée et la phénoménologie ». L’engagement de Heidegger y est clairement affirmé. Il suffit de connaître son rapport à l’histoire réelle et non seulement à l’historiographie pour le voir. Seulement c’est dit d’une manière qui ne correpond pas à la manière habituelle de dire cette chose-là. Pas folle la guêpe! Elle veut bien piquer à mort, mais ne pas être tuée. Alors Heidegger l’a dit dans son langage « phénoménologique ».

    Oh! bien sûr, pour comprendre il fallait bien connaître Husserl, Hegel et Marx, ce qui était mon cas. Au moins pour une fois je n’avais pas fait des études pour rien.

    Y avait-il dans les 25 points du programme du NSDAP une trace de Heidegger? Oui . la référence à « un christianisme positif ». L’ambiguïté de la formule était en accord avec la conclusion du Duns Scot, avec les oeuvres de Hegel, de Schelling et avec « le plus ancien programme de l’idéalisme allemand ». Nous étions en plein dans Hölderlin, dans Schelling et dans Novalis. Que venait faire ce « christianisme positif » dans les 25 points du programme nazi? Je ne tardai pas à le comprendre. Hölderlin était considéré par Heidegger comme un prophète. Le III° Reich était l’accomplissement de sa poésie « prophétique ». Heidegger accomplissait selon ses vues nouvelles la positivité issue du christianisme pseudo mystique de l’idéalisme allemand. Cette religion ne pouvait pas s’accomplir sans la violence. C’était cela la positivité du mal proclamée en 1936 dans le cours sur Schelling.

    Dès lors tout alla très vite. Qu’est-ce qui avait pu pousser Heidegger à cela? J’étudiai des cas semblables. Dostoievski et ses personnages, Lacenaire et Avril, Achille et Patrocle, je cherchai à comprendre la psychose missionnaire, la paranoïa, je lus et je relus Pierre Rivière, Freud, Lacan, tous les analystes contemporains qui pouvaient m’apporter quelques lumières, et, sur ces entrefaites, Farias publia son ouvrage. Ce qui lui avait échappé me sauta aux yeux. Le traumatisme explicatif était là, étalé au grand jour en conformité totale avec les autres écrits de Heidegger sur son adolescence, sur sa convalescence. L’hypothèse était confirmée. Il s’était passé quelque chose au foyer Saint Conrad avant le départ de Heidegger, un drame qui ne se dénoua apparemment qu’en 1911, mais très mal. Nous étions en présence d’une « résilience dévoyée ». Tout concordait. Le vilain petit canard s’était pris pour un cygne. La libération de la caverne le confirmait. La volonté de devenir un grand libérateur signait la psychose. Plus terrible encore: la paranoïa criminelle agissant par complices interposés servant de bouclier, et utilisant une escorte pour parvenir à ses fins car, tirant les leçons du Prince de Machiavel il avait compris que « les prophètes désarmés périssent ».Il fallait tirer les leçons du cas Savonarole et de Bruno.

    Toutes les précautions étant prises, Il ne restait plus qu’à dresser les plans et à les faire accomplir pour libérer la Germanie de l’oppression chrétienne c’est à dire, en dernière instance, de sa racine juive. Une fois la racine éradiquée, la Germanité pourrait vivre non pas en paix, mais fifèle à ses principes originaux grecs. Pour assurer le non retour du judaïsme, il fallait pratiquer l’extermination. Ce ne fut écrit qu’en 1940, après la victoire sur la France qui laissait le champ libre pour faire la conquête de l’Est. Et pendant que les troupes seraient au front, on « nettoierait la vermine à l’arrière » comme Hitler l’avait dit dans Mein Kampf en plein accord avec l’ »état major des intellectuels » qui avait pensé le Reich, intellectuels qui tout en se dissimulant lui avaient confié la direction du parti.

    Le Handbuch der Philosophie, le cercle des philosophes gardiens et le chancelier faisant fonction de fusible en cas d’échec, furent mis en route en même temps. Le dispositif étant bien préparé Heidegger pouvait se consacrer à la diffusion de l’idéologie du nouveau Reich, de son Reich, comme si de rien n’était. En précisant de temps à autre la nouvelle étape à franchir.

    Qui aurait pu penser que sous la toge d’un professeur apparemment apolitique et d’apparence très calme, se cachât le pire des psychopathes? Personne! Si, un con comme Bel qui avait appris à connaître ces étranges personnages pendant ses longues années d’étude dans les livres,lors de visites à des patients sur les lieux de soins et durant son service armé en Algérie.

    Heidegger n’échappait pas à la règle. Sa psychose était simplement plus excarbée que celle des autres, parce que la souffrance avait été plus longtemps contenue , que son érudition et ses capacités intellectuelles étaient plus grandes.

    Mes lectures ultérieures de Heideggger et sur Heidegger ne firent que confirmer ce diagnostic. nous étions en présence d’un cas unique. Un penseur fou qui se prenait pour dieu: « la conscience absolue » et qui s’était donné pour objectif de sustituer son pouvoir à celui du dieu moral (principes de la pensée, Introduction à l’histoire du temps,cours sur Nietzsche, Hegel et son concept de l’expérience,etc ) C’était bien « la conscience malheureuse » en tant qu’aiguillon, comme il le dit dans le cours sur la phénoménologie de l’esprit de Hegel, en 1930, qui faisait avancer l’événement et l’histoire. Et la tâche qu’il proposait métaphoriquement aux étudiants à cette date était la constitution des bûchers en s’exerçant à la vertu de patience. Bûchers des Wandervogel? ou des Judefrei? L’histoire nous a répondu.

    Qu’Hitler fut dérangé, c’est certain, mais le fou qui était derrière lui et qui lui soufflait les voies à suivre, le tyran fou qui était derrière sa tête et qui faisait fonction de Providence, c’était bien Heidegger. Le païen à la herse. Celui dont la présence allégorique était accrochée en tant que tableau champêtre au mur de la chancellerie du Reich. (Heide – egger).

    Vous en ai-je dit assez pour vous mettre sur la voie? J’ose espérer qu’aujourd’hui , peut-être pour la première fois, je n’ai pas labouré la mer.Vous pouvez me joindre par E-mail si vous le souhaitez.
    Bien à vous,
    michel bel
    J’approuve entièrement ce texte. MB

    Rédigé par : bel | le 18/02/2006 à 18:27 | Répondre | Modifier
  11. Bonsoir Monsieur Bel

    Je vous remercie pour la peine que vous êtes donnée de répondre à mes interrogations. J’ai suivi avec intérêt ce qui s’est écrit sur ce blog sur l’implication de Heidegger dans le national-socialisme. Le livre de M. Faye m’avait intrigué et je voulais un peu comprendre comme un philosophe si célèbre a pu tremper dans l’horreur nazi. Peu à peu, et en particulier en raison du style bizarre de cet homme, en découvrant qu’A. Arendt n’a pas hésité de parler à propos de son ancien professeur de « pathologie », en lisant que Deleuze et Guattari se sont demandé un jour si ce « strict professeur n’était pas plus fou qu’il ne paraissait », en vous lisant, enfin en voyant très nettement que Heidegger s’est identifié au fantasme d’une Allemagne puissante, racialement pure, ayant pour mission de sauver le monde de la décadence causée par la métaphysique judéo-chrétienne, et qu’il s’est pris à ce jeu au point de vouloir en être le héraut, j’en suis moi aussi arrivé à me dire que, comme vous l’écrivez, ça ne devait pas tourner rond chez cet illuminé. J’en sais assez à présent. Ce genre de personnages ne m’intéresse vraiment pas. Ce n’est pas ce que je cherche en philosophie. Mais après tout, il n’y aucune raison pour que de temps à autre, la philosophie ne revête la tenue de la marotte. Des maniaques, on en trouve partout, dans toutes les professions. Pour ma part, je lui souhaite de pouvoir poursuivre sa pauvre errance à bord de la nef de S. Brant, mais cette fois sur les eaux noires du Styx. Quant à moi, comme me le conseille M. Er, je vais dare dare retrouver Montaigne dont la lecture a la vertu de l’ellébore! Merci encore
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 18/02/2006 à 21:13 | Répondre | Modifier
  12. Cher René Misslin (réponse au message du 18.02),
    je suis heureux que mes commentaires vous aient apporté un peu. Bien sûr on a le droit de s’inspirer de Clément Rosset, et il m’avait déjà semblé comprendre ce qui pouvait vous intéresser dans sa position, dont vous faites une lecture quasi bergsonienne, et pourquoi pas ? Ce philosophe est moins simple qu’il n’y paraît en première lecture, et offre de ce fait un parcours inverse que bien des « penseurs » illisibles en première instance.
    On a même le droit de s’inspirer de Heidegger, pourquoi pas ? Comme l’a pointé Skildy on n’a pas à être un « idéologiste » systématique. Tout le problème, et il a déjà été abordé, c’est que ce monsieur a l’art de diluer son nazisme et de le masquer derrière des commentaires d’auteurs, de ronflantes platitudes, un jargon scolastique. Ce en quoi il est à la fois certes plus intelligent, mais surtout aussi plus dangeureux que MM. Rosenberg et Krieck, auxquels il ne cède rien en radicalité, comme l’a vu Löwith. La question de savoir si il a été un des papes du nazisme, qui fut un crime collectif (ce qui, pas plus que pour les viols collectifs, n’est une circonstance atténuante, n’est-ce pas…je suis impressionné du nombre de fois où j’ai pu lire le contraire sur les blogs), m’indiffère un peu, je me pose surtout la question de savoir si notre druide nazi va réussir son pari « post mortem », et devenir le pontife des réunions académiques du prochain Reich-mais inutile de se torturer inutilement.
    La distinction entre l’idéologique et le philosophique, si du moins elle est en droit possible, ne me paraît en ce cas que très rarement faisable, et ce qui échapperait à l’idéologique chez le bonhomme m’impressionne assez peu.
    Mais c’est assez sur ce point.
    Bien amicalement,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 20/02/2006 à 12:11 | Répondre | Modifier
  13. Cher monsieur Bel,
    (commentaire du message du 18.02 à 18:27)
    J’ai constaté que Skildy a pris ses distances d’avec votre dernier message. Je partage plutôt ses réserves, même si pour ma part (et aussi la sienne je crois) je ne pense pas du tout que votre but conscient soit de troubler la compréhension du dispositif nazi.
    Simplement pour revenir sur la forme de vos interventions, je trouve profondemment regrettable que vous les gâchiez, alors qu’elles sont souvent intéressantes voire courageuses pour une bonne part, par votre « heideggéro-césarisme ».
    Ainsi de certaines de vos mises en persperctives historiques, voire (moins) de certains de vos rapprochements textuels, parfois pertinents.
    Mais surtout je crois vos critiques de certains de nos « intellectuels » particulièrement bienvenues : ainsi quand vous avez pointé le caractère insoutenable des propos de Marcel Conche, dans une lettre cependant beaucoup trop longue pour avoir la moindre chance d’être publiée, et où de surcroît vous avez cru bon de rajouter vos propres hypothèses.
    Vous êtes sûrement quelqu’un de généreux monsieur Bel, vos colères sont celles d’un généreux au sens classique du terme, et de ce fait vous devriez comprendre qu’il y va de votre devoir de ne pas ruiner la lutte contre le révisionnisme intellectuel que vous entreprenez avec ce type de courrier avec vos théories que vous avez bien entendu le droit de soutenir, mais à condition qu’elles ne nuisent pas à la réception de vérités plus directement recevables par la droite et saine raison, ou qui ont été établies par les juristes et les historiens du nazisme.
    Vous n’êtes pas par ailleurs un calculateur : cela se voit. Pensez néanmoins que vous avez un public, et qu’il n’est pas infâme de réfléchir aux conditions de la réception de son discours. Vous avez écrit un nombre considérable de pages depuis le début de l’affaire, non sans répétitions, et je vous suggère d’ordonner votre propos si vous souhaitez continuer.
    Vous avez, avec vos interventions, entrepris plusieurs combats à la fois.
    Ne gâchez pas ce qu’il peut y avoir de noble dans votre entreprise.
    En vous saluant,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 20/02/2006 à 12:35 | Répondre | Modifier
  14. Bonjour Monsieur Er,

    C’est vrai que la lecture des livres de M. Rosset m’a beaucoup appris. Car, en plus d’une façon personnelle d’aborder les problèmes philosophiques, il écrit ses réflexions dans une langue d’une clarté et d’une honnêteté exemplaires. C’est, je l’avoue, pas si fréquent en philosophie, pour que je souligne. Je me suis mis à lire, sous son impulsion, Schopenhauer et Nietzsche qui m’ont passionné car ils se sont inspirés des physiologistes de leur temps et ont revigoré la philosophie en y introduisant, après Spinoza, le « corps », c.à.d. l’organisme. Avant même de m’intéresser au cas Heidegger, j’étais un jour tombé sur un texte de ce dernier où il parlait de Nietzsche et je me suis révolté de la façon dont il interprétait Nietzsche. A présent, je comprends mieux le pourquoi de la chose. Et aussi sa perversion à se camoufler derrière des penseurs pour leur faire dire le contraire de ce qu’ils écrivent. Quel sinistre personnage.
    Amicalement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 20/02/2006 à 17:49 | Répondre | Modifier
  15. Monsieur Misslin,
    n’encensez pas trop Nietzsche. N’oubliez pas cette parole terrible: « Soyez durs! les créateurs sont durs! » Le marteau parle. Heidegger n’est pas parti de rien, croyez-moi. Mais il y a loin de la parole « incitative » au passage à l’acte. Sur le chemin germanique allant du christianisme à la renaissance de la grécité il y a trois étapes importantes: Hölderlin, Nietzsche, Heidegger. L’enthousiasme , l’appel à la dureté, le passage à l’acte. Ne vous étonnez pas qu’Heidegger ait pu considérer Hölderlin comme un prophète.L’un chante le Beau. L’autre valorise l’esclavage et l’épuration qui ont permis de le réaliser en Grèce, le troisième, pour réaliser le règne du Beau, (le troisième Reich de Schiller), passe aux actes avec son escorte d’abord, puis avec son armée, enfin avec tout son peuple. Mais la guerre de Dionysos contre Yaveh n’a pas réussi. L’échec a été total. Qu’à cela ne tienne il recommencera. Dionysos renaîtra de ses cendres pour nous coller la guerre atomique. Il voulait le faire en 1945. on l’a empêché. Il réussira bien à le faire au XXI° siècle. « Ya de l’espoir »!

    Michel bel
    J’approuve ce texte.
    MB

    Rédigé par : bel | le 20/02/2006 à 19:45 | Répondre | Modifier
  16. Bonsoir Monsieur Bel,

    Oui, comme je vous lis attentivement, je sais que vous faites de Nietzsche un des acteurs importants du combat Christ/Dionysos et donc un maillon essentiel dans la chaîne qui nous amène à Heidegger. Le seul problème que je vois dans votre interprétation, c’est qu’à mes yeux, c’est Heidegger qui a instrumentalisé ces auteurs pour se revêtir de leurs habits et leur faire dire ce qu’il n’avait pas le courage d’exprimer ouvertement. Pensez à sa conduite à l’égard de Celan. C’est toujours le même procédé, et avec Celan, cela atteint un degré de cruauté insupportable. C’est littéralement terrifiant. Ne vous faites pas piéger de votre côté, en prenant les interprétations que Heidegger fait de Nietzsche et de Hölderlin à la lettre: c’est de la monnaie de singe. Vous savez mieux que quiconque à quel jeu pervers se livrait cet homme. Permettez-moi de vous rappeler combien les antisémites écoeuraient Nietzsche, ainsi que la germanitude, si je puis dire. Quant à la façon dont Heidegger a instrumentalisé Hölderlin, c’est proprement absurde. De toute façon, son autisme le rendait incapable d’empathie et il ne pouvait en aucune façon accéder à autrui. Cela explique aussi son incapacité pathologique à éprouver le sentiment de culpabilité. Ce type était barricadé à mort.
    Amicalement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 20/02/2006 à 21:13 | Répondre | Modifier
  17. Cher monsieur Misslin,

    je vous remercie de votre conseil mais j’ai étudié Nietzsche avant d’étudier Heidegger et expliqué son Zarathoustra dans la présentation de Deleuze au début des années 70. Je n’ai cessé de l’étudier depuis; ma dernière explication fut le crépuscule des idoles dont certaines traductions françaises sont alarmantes.

    Lisez donc les préfaces pour des livres qui n’ont jamais été écrits et vous aurez un autre son de cloche que celui qu’on peut trouver dans les morceaux choisis de Humain trop humain, ou de la naissance de la tragédie. Lisez la naissance de la tragédie intégralement , lisez la première dissertation de la généalogie de la morale , lisez la théorie aristocratique de par delà le bien et le mal et peut-être aurez-vous de Nietzsche une autre image que celle de la revalorisation du corps. je sais bien que Jean Pierre Faye a revalorisé Nietzsche pour l’opposer à Heidegger mais je ne peux pas adhérer à son point de vue . S’il peut le voir comme il le présente tant mieux pour lui, moi je ne peux pas.

    Mais je sais faire la différence entre une oeuvre écrite et une intervention politique dans l’histoire réelle. Le défoulement littéraire est nécessaire bien qu’on ne soit jamais obligé de publier. Le papier est un confident pour ceux qui sont seuls ou qui souffrent. Je pense également à Sade,à Vigny,à Julien Green. Mais dès que la vision du monde qu’on s’est construite cherche à se faire historiale au mépris des êtres humains réels, je ne suis plus d’accord.

    Quand j’ai eu compris qui était réellement Heidegger je n’ai eu de cesse d’étudier année après année, quelquefois mois après moi ses rapports avec l’histoire réelle pour être bien sûr que je ne me trompais pas tant l’hypothèse à laquelle mes recherches m’avaient conduit m’apparaissait monstrueuse. Rien n’est publié de ce travail mais le constat est accablant.

    Heidegger a subtilement joué sur la polysémie des mots pour tromper le lecteur et l’auditeur. Mais on a vite repéré son manège. Bien sûr pour le découvrir il faut s’astreindre à le lire, ligne à ligne, à décoder son message, à voir comment il triture les textes et les auteurs pour leur faire dire ce que lui veut leur faire dire.. C’est un travail colossal.

    Rassurez-vous, je ne confonds pas le Nietzsche restitué par l’édition des oeuvres complètes telle que nous le connaissons aujourd’hui et le Nietzsche de Heidegger. Pas davantage le Hölderlin d’ »Hypérion » et le Hölderlin de Heidegger, mais le culte de la Grécité idéalisée n’est pas né du néant. Et la tentative de renaissance aryenne n’aurait pas eu lieu sans Hypérion, sans Nietzsche et sans Renan. N’oublions pas Schelling (les âges du monde et les divinités de Samothrace)Les 7 cabirs ont peut-être un chiffre qui rappelle quelque chose. Mais passons.

    Ce qui est mauvais, ce n’est pas l’écriture d’un texte , ce qui est mauvais c’est la foi qu’on accorde à un texte. Et la foi est d’auatnt plus sollicitée que l’oeuvre a été incarnée dans l’histoire et peut servir d’exemple. Si je combats Heidegger, c’est à cause de la foi qu’on lui accorde. Si on laissait son oeuvre dormir en paix sur une étagère , je ne m’intéresserais pas du tout à cette oeuvre. Elle n’aurait aucun impact. A partir du moment où certains trouvent génial de valoriser un monstre, je les combats et je le combats. Mais je ne le combats pas n’importe comment. Puisque cette oeuvre est « offerte » et n’est pas « ouverte » selon la très juste expression de Granel, je m’efforce , puisque je l’ai fréquentée longtemps de montrer comment on peut abaisser le pont-levis pour pénétrer à l’intérieur de la forteresse. Je l’ai indiqué après l’avoir longtemps cherché moi-même: c’est la biographie intime. Il n’y en a pas d’autre. C’est la biographie intime seule et non l’évolution conceptuelle qui permet de comprendre le passage de Heidegger du Dieu de la Bible à l’Être, au prétendu oubli de l’Être. La blessure seule peut expliquer la dérivation.

    Vous savez mieux que moi de par votre profession qu’il y a des blessures qui cicatrisent et d’autres qui deviennent assassines. Chez Heidegger et chez Hitler elles sont devenues génocidaires et conquérantes. Il s’agit là d’une syzygie unique dans l’histoire. Et tant qu’on n’a pas compris cette syzygie on passe à côté du problème, du véritable Heidegger.

    Vous savez moi je n’ai aucun intérêt à vendre telle thèse ou telle autre. Je ne cherche pas à être docteur, pas davantage à enseigner à l’université. Ma carrière enseignante dans le cycle secondaire est terminée. Je ne vise qu’une chose: aider ceux qui le souhaitent à découvrir les vérités qui ne sont pas évidentes au premier abord. Et croyez-moi il y a fort à faire. Je ne laisserai aucun repos au géniteur intellectuel du III° Reich. Car le troisième Reich est la négation de l’humanité. Et tout homme qui se respecte se doit de défendre l’humanité ne serait-ce que parce qu’il la porte en lui. Le nazisme est un ténia. On a cherché à neutraliser ses anneaux les uns après les autres mais on n’a pas tué la tête pensante et ordonnante. Et la tête, c’est Heidegger. Mais il faut le fréquenter très très très longtemps pour s’en rendre compte. C’est lui la « fausse conscience absolue » qui n’a eu de cesse de détruire l’humanité pour imposer son règne. Comment appelleriez-vous un tel être? Pour ma part je ne connais qu’un seul nom. Il répond très exactement au nombre 666.
    Au revoir et à bientôt, j’espère.
    Michel Bel.
    J’approuve ce texte.
    MB

    Rédigé par : bel | le 20/02/2006 à 23:02 | Répondre | Modifier
  18. Cher monsieur Bel,
    comme je vous l’ai déjà dit, vos raccourcis historiques me paraissent quelque peu systématiques au mauvais sens du terme. Si je suis d’accord avec vous pour pointer le caractère politiquement non innocent de plus d’un développement de Schopenhauer et de Nietzsche (qui me semblent cependant d’une autre taille que M. Heidegger), j’ai plus de mal encore quand vous remontez au-delà.
    Je connais mal Höderlin et peut donc difficilement vous répondre à son sujet, mais qu’est-ce que le pauvre Schiller vient faire parmi les origines intellectuelles du nazisme ? Je sais bien que l’idéalisme allemand, avec son rapport si particulier à la langue et à la nation, n’est pas sans taches, même si il y a là un véritable débat à mener. Quant au classicisme de Weimar, pour le coup…j’ai pour le moins du mal à voir les origines du nazisme dans les « Brigands » de Schiller, ou dans ses lettres sur l’éducation esthétique de l’homme.
    Je veux bien que l’idéal du retour à la Grèce ait fait parfois entendre d’étranges échos, et qu’il ait sombré dans l’instrumentalisation nazie, mais n’oublions pas non plus qu’il fut d’abord un idéal de liberté personnelle et politique.
    A moins de vouloir faire d’Athènes la source du mal, et je ne vous suivrai pas non plus dans cette direction.
    Mais j’espère que vous voudrez bien préciser votre position, à moins que vous ayiez choisi de ne plus me répondre depuis mon courriel du 20.02 à 12:35, ce qui est votre droit.
    En vous saluant,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 21/02/2006 à 14:08 | Répondre | Modifier
  19. Bonjour Monsieur Bell

    Moi aussi, j’ai parfois du mal à vous suivre. L’anti-sémitisme racial du national-socialisme, je n’aurais pas le réflexe premier de le chercher auprès de Schopenhauer ou de Nietzsche, très franchement. On peut vraiment trouver mieux: darwinisme social, Gobineau, Vacher de Lapouge, S. Chamberlain, von Schönerer, Günter. C’est en général ce que les historiens retiennent comme sources premières. Et Hitler n’avait pas besoin de Heidegger pour les connaître. Je crains que les bases de votre montage ne soient trop fragiles. Personnellement, je pense que Heidegger aurait certes voulu jouer le rôle de la Muse philosophique de la révolution conservatrice national-socialiste, mais Hitler n’avait pas vraiment besoin de lui pour ça. D’où un certain dépit chez Heidegger.
    Amicalement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 21/02/2006 à 15:52 | Répondre | Modifier
  20. Monsieur Er et Monsieur Misslin,
    je vous remercie de votre participation. C’est d’ailleurs le but d’une agora de réunir des gens qui ne se connaissent pas et qui n’ont pas les mêmes visées, sur un même thème de réflexion, en l’occurrence le rôle exact joué par Heidegger dans l’histoire de l’Europe, entre 1933 et 1945 notamment.
    Ce que vous me proposez comme certitudes historiques a été mon point de départ parce que moi aussi j’ai eu des cours d’histoire qui ont mis l’accent sur les auteurs que vous me citez. Ce n’est pas de gaieté de coeur que j’ai lu Chamberlain, Vacher de Lapouge, Gustave Le Bon, Gobineau, Günther, Galton, Woltmann, Gumplowitz, Reimer, Treitschke, etc..

    Eh bien dites-vous bien que ça ne marche pas. Rien à partir de leurs écrits ne permet d’expliquer le génocide. Les écrits d’Eugen Fischer ne le permettent pas davantage. Ceux de Paul de Lagarde y conduisent mais ne vont pas jusqu’au bout. Un seul auteur a fait état de l’anéantissement et s’est comporté d’une manière positive vis à vis de lui, c’est Heidegger. Un seul futur chancelier obéissant au philosophe a jugé nécessaire de supprimer la vermine juive à l’arrière en temps de guerre pendant que les soldats seraient au front: Hitler.

    Hitler et Heidegger ont jugé les actions de Schönerer et de Lueger insuffisantes. Ne parlons pas de Class et des autres dirigeants pangermanistes antisémites au service de la haute bourgeoisie regroupés sous la bannière du Hammer. Le mouvement nazi est parti des chrétiens sociaux en liaison étroite avec l’Armée (Kapp, Ludendorff) mais en 1927, il n’y avait plus ni Kapp ni Ludendorff. Leur échec a été total.Ce n’est qu’en 1927 -souvenez-vous de la date – que la rencontre personnelle d’Hitler avec Kirdorf un des plus hauts représentants de l’industrie lourde, que fut défini le but du NSDAP: »une organisation de combat pour la création d’un nouvel empire et pour la victoire sur l’état actuel ». Pour réaliser cet empire dont le modèle prototypique fut élaboré par Guido List, très fortement soutenu par Lueger, et par son disciple Lanz von Liebenfels, il fallait une doctrine philosophique solide capable de s’opposer au marxisme et non pas des élucubrations de girovagues comme disait si bien Hitler. En rapprochant le deuxième livre de Mein Kampf et Être et temps publiés la même année, tout le monde instruit comprenait que c’est à la conception nouvelle du monde de Heidegger qu’on avait à faire maintenant. Seule une doctrine raciste antichrétienne pouvait avoir les chances de réussir à élaborer un Reich car elle était sans scrupule. Et pour qu’elle ait d’autant plus de chances de séduire tous les intellectuels il ne fallait pas qu’elle parle de race car personne ne croyait à ce pseudo concept dans les milieux cultivés, mais d’ontologie et de racines culturelles grecques. Tradition germanique, tradition philosophique, tradition artistique et tradition herméneutique obligent.

    Pour faire fléchir les industriels dont certains étaient pangermanistes et antisémites, (pas tous), Hitler associa son parti, en 1932, à la grève des transports berlinois . C’est à ce moment-là que le parti porteur d’une conception nouvelle du monde reçut le milliard du grand patronat. Grâce à sa participation à la grêve il fit peur au patronat qui, pour éviter un front commun des travailleurs, et voyant que le parti était aussi capable de mobiliser les travailleurs, cèda à sa demande.

    On connaît la suite, élections au Reichstag, chantage à Hindenburg, nomination d’Hitler au poste de Chancelier,etc. La nouvelle conception du monde proclamant haut et fort une « renaissance aryenne » était en marche. Pour faire renaître le sentiment unitaire de la Germanitude Heidegger s’adressa aux intellectuels en mettant l’accent sur la parenté profonde de la germanitude et de la grécité, Hitler s’adressa au peuple en développant une théorie affective de la nécessité de la pureté raciale. (Stratégie révélée par Hitler dans Mein Kampf)

    Hitler et Heidegger étaient nourris des théories de l’idéalisme allemand et des théories de Woltmann et de Fischer. La nécessité de régénérer la germanitude par l’épuration raciale et par le développement spirituel venait essentiellement de Renan et de Nietzsche, ce Nietzsche auquel Vacher de Lapouge rend hommage dans les Sélections raciales ( librairie Thorin 1896 p.470. reproduit par les amis de Gustave Le Bon, 1990).

    Mais à quoi bon en dire davantage? Il faut d’abord assimiler les bases germaniques du nouveau Reich avant de s’autoriser à porter un jugement. C’est la discipline que je me suis imposée.

    C’est Michelet qui m’a appris à lire le nazisme. Dans son livre La sorcière, il écrit en substance: au lieu de se demander ce qu’est la sorcellerie, les historiens feraient mieux de se demander comment on devient sorcière. C’est ce que j’ai fait. Au lieu de se demander ce qu’est le nazisme, il fallait se demander comment on devient nazi. J’ai donc suivi l’évolution réelle des acteurs de ce mouvement et c’est ainsi que j’ai découvert le rôle fondamental de Heidegger, son action sur Hitler, sur les intellectuels et sur l’armée.

    Vous n’êtes pas obligés de me suivre dans ma démarche rigoureuse de chercheur, mais cela n’est plus de mon ressort.

    J’espère que vous comprendrez que je ne dis pas des paroles en l’air pour le plaisir de parler. Vous vous rendrez compte , vous aussi, en travaillant de cette manière là, que tout le monde croit savoir mais que personne ne sait rien. Et que ceux qui savaient vraiment quelle était la vraie genèse et quel était le vrai fonctionnement du nazisme avaient tout intérêt à se taire et à se faire oublier. Avant que les historiens ou les philosophes trouvent, de l’eau aurait coulé sous les ponts et ils vieilliraient tranquilles. Sans compter qu’avec le cloisonnement des disciplines il y a avait peu de chances pour qu’un philosophe se fasse historien et pour qu’un historien devienne philosophe. Mais il y a toujours des poissons volants bien que ce ne soit pas la majorité du genre.
    En toute amitié. Michel bel.

    J’approuve la totalité ce ce texte.
    MB

    Rédigé par : bel | le 21/02/2006 à 19:27 | Répondre | Modifier
  21. Cher monsieur Er,
    comme je ne peux pas répondre à toutes les questions d’un coup, il faut me laisser un peu de temps.

    Schiller a beau être le représentant de ce qu’on appelle en Allemagne le classicisme, il n’en est pas moins l’auteur de prédilection des nazis. Son théâtre est un théâtre de l’héroïsme Ses deux pièces les plus aimées étaient celles des héros tragiques Guillaume Tell et Jeanne d’Arc, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Don Carlos a été un modèle politique et le Wallenstein a été particulièrement prisé de Heidegger pour le rôle qu’y joue Abraham a Sancta Clara, le maître à penser de Heidegger. Le récit historique de Schiller sur les chevaliers de Malte a été également très instructif pour lui. Les Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme ont été l’objet d’un séminaire au semestre d’hiver 1941-42 au pire moment des grandes décisions qui allaient permettre à l’Allemagne d’entrer dans le Reich de la beauté.

    Ce qu’il faut surtout éviter de faire c’est de lire Schiller avec nos yeux d’aujourd’hui. Il faut voir comment les nazis l’ont lu et l’ont interprêté.. Schiller a été mis au service du III° Reich comme Hölderlin. Il est censé donner la signification de « l’habitat poétique ». Il est censé montrer ce que signifie « habiter en poète ». Il est le chantre de « l’Amitié ». Il est aussi le poète de la « grâce » qu’Heidegger va interprêter dans un sens pseudo religieux et non plus esthétique. Mais il est aussi le chantre de l’alignement des armées opposé à la débandade, alignement considéré comme le symbole du beau par les nazis. Il est aussi et surtout pour Heidegger dans Don Carlos le metteur en scène du « roi-dieu »- que Heidegger rêve d’être. Appliquez à cela la parole de Nietzsche: « Et maintenant il faut passer du théâtre à l’histoire. » et vous aurez compris beaucoup de choses, du moins je le souhaite.

    Ce ne sont là que quelques indices de l’interprétation frauduleuse de Schiller faite par les nazis. J’ai fait toute une étude sur cette question. Croyez-moi, c’est édifiant.

    Maintenant ne me faites pas dire ce que je n’ai jamais dit et que je ne dirai jamais, à savoir que les germes du nazisme étaient contenus dans Schiller, ce qui serait totalement faux. Que dis-je, le plus énorme contre sens. Ce serait comme me faire dire que le nazisme était contenu dans Aristote. L’usage que Heidegger a fait d’Aristote est un usage nazi mais Aristote est aussi éloigné du nazisme que le sont les galaxies qui sont diamétralement opposées aux confins de l’Univers. C’est l’usage qu’on fait d’un auteur qui peut être nazi, non l’auteur. Et les nazis étaient très forts pour pervertir toute la culture comme l’a bien vu Hannah Arendt. C’est cela l’effet sophistique du National socialime. Insuffler dans la lecture des oeuvres des artistes et des philosophes le venin nazi afin de mieux faire accepter par les Allemands, par le recours à l’Art, et au sport qui lui est lié, le traitement médical producteur du « lourd bonheur » . Ce lourd bonheur qui commence par le crime et se prolonge par la plus grande orgie criminelle que les Dionysies et les bacchanales antérieures les plus débridées aient jamais connus. Oralement je pourrais vous montrer de nombreuses autres utilisations perverties des oeuvres culturelles mais la frappe au clavier de l’ordinateur me fatigue assez vite. Veuillez m’en excuser.
    Ne croyez pas que j’aie mal pris vos paroles. Au contraire. Toute critique amicale est constructive car elle oblige à affiner les recherches et c’est une excellente chose. Poussé à chercher pour vérifier ou pour approfondir toujours davantage j’ai beaucoup appris depuis que je participe à ces blogs et mon regard sur l’histoire s’en est trouvé renforcé..

    Bien à vous
    Michel Bel.
    J’approuve ce texte.
    MB

    Rédigé par : bel | le 21/02/2006 à 22:52 | Répondre | Modifier
  22. Monsieur Er,
    votre demande d’éclaircissement sur les rapports du nazisme à Schiller tombe à point. Je viens d’apprendre que le Deutsches Literatur Archiv de Marbach vient de rendre public le séminaire de Heidegger pour débutants du semestre d’hiver 36-37 portant justement sur « l’entente » heideggérienne, c’est à dire intellectuellement nazie, des Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme de Schiller. 1936-37 et 1941-42 sont deux dates importantes dans la progression du III° Reich conduit intellectuellement par Heidegger.

    Introduire dans le fond des archives Schiller cette interprétation nazie des écrits de Schiller est extrêmement grave. Voilà ce qui arrive quand une poignée d’intellectuels s’est efforcée de blanchir Heidegger depuis plus de soixante ans. Le loup de l’éloge de Schlageter est à la longue devenu un mouton d’apparence inoffensive. Ce à quoi s’est employée activement la Société Heidegger.

    Je pense que les Allemands devraient réagir assez vite. C’est déjà un scandale que les écrits de Heidegger se trouvent à Marbach , -compte tenu de leur teneur ils devraient être archivés dans le fond nazi de la Bibliothèque d’Etat- c’en est un plus grave encore, sous prétexte que « le roi secret » a commenté Schiller, d’introduire Heidegger dans le fond Schiller. Pourquoi ne pas y introduire également Mein Kampf puisque Hitler a parlé aussi -et combien élogieusement!- de Schiller et que, lors de l’affaire Sorlot il s’est même trouvé des intellectuels français de haut niveau pour dire que Mein Kampf était une oeuvre d’art, ce qui a fait perdre à Sorlot le procès qu’ Hitler lui avait intenté pour non respect de la législation sur les droits d’auteur lors de sa diffusion de la traduction de Mein Kampf pour attirer l’attention des Français sur le danger imminent qui les menaçait?

    L’acquisition du « séminaire » de Heideggera été faite le 11 novembre 2005. Le nazisme sous sa forme intellectuelle progresse partout. En France avec le programme d’agrégation de philosophie, en Allemagne avec l’ouverture du fond Schiller à l’influence sophistique, séductrice et néfaste de ce mouvement. D’un côté on commémore Auschwitz et de l’autre on réintroduit le loup dans la bergerie. Bel exemple de cohérence politique et institutionnelle. Je rappellerai simplement ce mot de Boileau que j’ai souvent cité à propos de Heidegger:
    « Il n’est point de serpent ni de monstre odieux
    Qui par l’art imité ne puisse plaire aux yeux ».
    Pour plus de renseignements rendez vous sur le site Deutsches Literatur Archiv Marbach.
    michel bel
    J’approuve ce texte.
    MB

    Rédigé par : bel | le 22/02/2006 à 12:21 | Répondre | Modifier
  23. Bonjour Monsieur Bel

    Soyons bien clairs. Même si je ne peux pas toujours vous suivre dans votre propre cheminement, parce que je n’ai pas les sources que vous avez, il n’est pas question pour moi de nier la responsabilité de Heidegger, celle-là même qu’il a refusée d’assumer, victime de sa mégalomanie. Je peux comprendre parfaitement qu’en tant que professeur de philosophie vous ayez été particulièrement écoeuré d’une part que Heidegger ait utilisé la philosophie pour faire la propagande d’un nationalisme allemand totalitaire et destructeur, et d’autre part qu’il ait réussi à passer pour un grand philosophe, en particulier aux yeux de nombreux penseurs français qui n’ont pas bien réalisé combien Heidegger a su astucieusement mixer philosophie et idéologie. Sur ce point, je vous suis complètement. Le livre de M. Faye a le mérite de bien mettre en évidence cette affreuse mixture qui permet de légitimer l’insupportable, et avant tout bien entendu la Shoah. Il s’agit bien d’une im-posture, c.à.d. d’une posture qu’il faut dénoncer de la façon la plus claire. J’espère que vous publierez un jour les résultats de vos propres recherches car, si parfois certains d’entre nous ont du mal à vous suivre, c’est parce que votre démonstration ne peut pas se faire sur un blog, c’est évident.
    Maintenant, on peut se poser une question, entre nous, celle de savoir si Heidegger réalisait vraiment sa « perversion ». Je pose cette question, parce que j’ai la conviction que nous sommes loin de pouvoir prétendre être transparents à nous-mêmes et aux autres. Wittgenstein a même un jour considéré que Hitler lui-même, on pouvait le comprendre! En outre, Hitler était loin d’être l’imbécile brute et rustre qu’on en fait parfois. M. Er a bien suggéré le côté « pulsionnel » de l’oeuvre de Heidegger. Une des tâches de la philosophie n’est-elle pas de tenter de faire la part entre le passionnel, l’irréfléchi, l’impensé et la raison? Mais, nous savons aussi, grâce à cette même philosophie, que la limite entre la raison et la passion dans le vécu de chacun d’entre nous n’est pas évidente à tracer. Il y a des hommes qui refusent tout simplement de l’admettre: Heidegger a fait partie de ces hommes. Il a adoré et sacralisé ses passions et, comme Narcisse, s’est fait piéger. Mais, en neurosciences, nous avons appris combien nos pulsions sont renforcées cérébralement.
    Bien amicalement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 22/02/2006 à 12:45 | Répondre | Modifier
  24. Cher monsieur Bel,
    je souhaite d’abord vous remercier de toutes ces précisions au sujet de Schiller. Sa récupération par le nazisme est une perversion impardonnable.
    Merci aussi pour votre message du 21 à 19:27, qui présente une version moins spéculative de vos analyses.
    Je serais plutôt d’accord pour voir en Heidegger quelqu’un qui assez tôt a voulu être le « Führer spirituel » du nazisme académique, ce qui n’est pas être le créateur du nazisme tout court. J’y reviens très vite, dès que j’ai une seconde à moi.

    Une remarque pour Skildy :
    je ne suis pas d’accord pour caractériser le travail de Faye comme une « critique externe » opposée à une critique qui demeurerait « interne au champ strictement philosophique ». D’abord parce que E. Faye accomplit un énorme travail de traduction des textes mêmes de Heidegger, qu’il expose pour une bonne partie d’entre eux pour la première fois. Il entend ce faisant montrer ce qui constitue le coeur national-socialiste de la pensée de Martin Heidegger, non simplement prendre une posture critique extérieure à son objet. C’est une critique particulièrement injuste qui lui a été faite depuis le début que de l’accuser de s’en tenir à une position moralisatrice, alors que si jugement moral il y a (et pourquoi pas ? Comme si porter ce type de jugement était une preuve de bêtise, le relativisme serait-il allé si loin ?), il ne constitue pas le tout du discours de M. Faye. Ce dernier pointe aussi la volonté heideggérienne de destruction de la pensée logique, l’usage perverti du langage philosophique, sa récusation explicite de la philosophie contemporaine comme ayant pris fin avec Hegel et Nietzsche, son affirmation du caractère caduc de l’éthique. Toutes ces positions expliquant d’ailleurs sans doute pour une bonne part la fascination qu’a exercé Heidegger : parce qu’il prétendait tout détruire de la tradition philosophique occidentale, on a cru qu’il la dépassait.
    La critique de Derrida, qui reprend la logique heideggérienne de criminalisation de la tradition, voire même la radicalise en prétendant la retourner contre son maître, ne me paraît pas du tout à la hauteur du problème posé.
    Enfin, je ne comprends pas ce que pourrait bien être une philosophie « pure », ni même ne sait ce que peut bien être le « strictement philosophique » : en ce sens je ne pense pas que l’on puisse être un grand philosophe sans être savant au moins en un domaine de la connaissance positive, et les documents « historiques » (une insulte couramment pratiquée par les « Puristes ». Ô amis historiens, j’ai honte de voir comme on vous méprise…) mis au jour par Emmanuel Faye posent au moins autant de problèmes philosophiques que les saintes reliures de la production intellectuelle si « Pure » de ces dernières années.
    A quand une philosophie qui tienne compte de l’histoire, de ces faits si méprisables, de la vie enfin ?
    J’appellerais une telle chose : commencer à penser.
    Et pour de bon.
    A vous,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 22/02/2006 à 15:59 | Répondre | Modifier
  25. Monsieur Misslin, monsieur Er, je tiens d’abord à vous remercier pour votre participation à ce blog car vous m’obligez à étudier des aspects latéraux de l’oeuvre de Heidegger que je n’aurais peut-être pas étudiés sans vos interventions.

    Je voudrais dire d’abord que je ne méprise aucun historien ni aucun philosophe sérieux.Ce que je n’aime pas en revanche c’est que les auteurs se copient ou s’autorisent à raconter ce qui leur paraît vraisemblable sans avoir interrogé suffisamment les textes, les indices et les faits sélectionnés.
    Ainsi croire sur parole Heidegger quand il dit qu’il a quitté le rectorat pour raison de mésentente avec ses collègues recteurs, c’est faire preuve d’une naïveté surprenante qui s’accorde mal avec les exigences de la déontologie de l’istoriographie. On a mis cent fois en cause les déclarations de Jules César dans La guerre des Gaules, et on n’y mettrait jamais celles de Heidegger alors qu’il ment à tour de bras par détournement ou par omission! C’est quand même un peu fort.

    Si Heidegger a quitté le rectorat , c’est tout simplement parce que , en plein accord avec l’armée, il préparait la décapitation des S.A. afin de constituer une armée nationale unique pour construire l’empire. Le commentaire du Rhin qui rend compte de la nuit dite des longs couteaux est particulièrement clair. Encore faut-il vouloir le lire. Et pour cela vouloir apprendre l’ »heideggérien ». La traduction de François Fédier est une catastrophe . Elle n’a d’autre but que de transformer le commanditaire de la boucherie en agneau de sacristie. Bientôt ce serait lui la victime.

    Il faut apprendre à lire le commentaire du Rhin pour voir que c’est Heidegger lui-même qui freine la fougue de Röhm pour créer la force unique qui bâtira l’empire. C’est dit, c’est écrit noir sur blanc. Pourquoi ne le lit-on pas? Toutes les révélations fondamentales sur le troisième Reich sont faites dans le commentaire du Rhin. Evidemment la rhétorique du sophiste a orné de poésie les actes les plus sordides de telle façon qu’ils ont été rendus méconnaissables. Mais c’est dit. Emmanuel Faye a essayé de toucher quelque peu à la chose. Qu’est-ce qu’il n’a pas pris sur le dos, le pauvre! Si je vous démonte ligne à ligne Le Rhin, vous allez dire à chaque étape: « Ah! oui, c’est vrai! ». La grosse astuce de Heidegger a consisté à rendre compte de la réalité sordide historique et historiale en s’abritant derrière le masque de la poésie. Ah! il a été plus malin que Carl Schmitt, c’est sûr. Mais l’un parlait en juriste, l’autre en cistercien dévoyé.Laisser croire qu’on parle de Hölderlin alors qu’on parle des événements contemporains, c’est une ruse de chasseur de la préhistoire pour mieux approcher le troupeau de rennes ou de caribous sans l’effrayer. Et Fédier l’inventeur de l’imposture de la « tendresse » du tyran Heidegger a même reconnu que si Heidegger avait quitté le rectorat, c’était pour continuer de manière encore plus radicale la tentative du rectorat. Traduisons: pour conduire la « mision » à son terme. Il fallait éliminer les gêneurs, politique du Prince de Machiavel oblige. Quant aux « valets profanateurs » après les avoir utilisés pour des tâches de contrôle, bien qu’ils soient gênants, il serait facile de les muter pour leur faire exécuter des tâches d’extermination le moment voulu . J’ai nommé Rosenberg et son groupe. Les autres, les intellectuels, les non « étrangers », finiraient bien par comprendre le « grand dessein ».

    Mais qui jusqu’à aujourd’hui a voulu lire La Germanie et le Rhin? Je ne parle pas de Comme au jour de fête, de Andenken ou de Der Ister. Non, c’est encore trop fort. Il faudra bien que les Français se décident un jour à ouvrir les yeux et à laisser leurs verres cathédrales responsables de leur malvoyance , sur le bord du chemin. Pourquoi refusent-ils de lire ce qui est écrit? Laval, Pétain, Louis Bertrand et Jouhandeau auraient-ils fait des émules sans qu’on s’en rendre compte? Des émules dansle corps professoral?

    Quand je dis que ces textes sont des faits, c’est que ce sont des faits. N’en déplaise à tous les heideggériens de mauvaise foi qui font semblant de ne pas savoir ce qu’est un fait en histoire.

    Si vous avez du mal à lire la Germanie et le Rhin, vous qui me paraissez de bonne foi, je suis tout prêt à vous aider. Arno Brecker disait « Prêt », moi aussi mais pour l’engagement diamétralement opposé au sien. Nous ne pratiquons pas le même art.
    Bien à vous;
    Michel bel
    J’approuve entièrement ce texte;
    MB

    Rédigé par : bel | le 22/02/2006 à 19:32 | Répondre | Modifier
  26. Voici le texte paru sur le site du D.L.A. de Marbach
    ————-

    PM 98/2005, 11. November 05

    Martin Heidegger erklärt seinen Studenten Schiller: Der achte Band der Marbacher Bibliothek veröffentlicht erstmals eine Seminar-Mitschrift
    Im Wintersemester 1936/37 liest Martin Heidegger mit Studenten Schillers Briefe über die ästhetische Erziehung des Menschen. Diese »Übung für Anfänger« wird nicht in der Heidegger-Gesamtausgabe erscheinen – und kann nun doch, am Ende des Schillerjahrs, nachgelesen werden. In einem neuen Band der Marbacher Bibliothek, die in taschenfreundlichen Leseausgaben zumeist unveröffentlichte Schätze aus dem Deutschen Literaturarchiv Marbach an die Öffentlichkeit bringt, erscheint nun die Seminar-Mitschrift von Wilhelm Hallwachs. Gerade der Charakter der Mitschrift lässt den Denker und Lehrer Heidegger besonders lebendig werden. Die Edition von Ulrich von Bülow bietet neben Anmerkungen und Quellenbericht zwei besondere Zugaben: den 19. und 20. der Briefe über die ästhetische Erziehung als Faksimile nach dem Handexemplar Heideggers mit dessen handschriftlichen Randbemerkungen sowie, ebenfalls faksimiliert, ein Referat über Dürers Hasen, das Werner Körte im Rahmen von Heideggers Seminars gehalten hat. Der Philosoph Odo Marquard geht in seinem Nachwort »Der Schritt in die Kunst – Über Schiller und Heidegger« der Frage nach, wie die Brücke aussieht, die aus der Ideenwelt des 18. Jahrhunderts in die des 20. führt – und welcher Gedanke es wagt, sie zu überschreiten?
    MARBACHER BIBLIOTHEK 8: Martin Heidegger: Übungen für Anfänger. Schillers Briefe über die ästhetische Erziehung des Menschen. Wintersemester 1936/37. Hrsg. von Ul-rich von Bülow. Mit einem Essay von Odo Marquard. 2005. 206 Seiten. Pappbd. mit Schutz-umschlag. € 18,–. ISBN 3-937384-14-6. JAHRESGABE 2006 FÜR DIE MITGLIEDER DER DEUTSCHEN SCHILLERGESELLSCHAFT

    Foto: Mathias Michaelis/DLA Marbach

    ——
    la photographie du livre ne s’est pas imprimée.

    MB
    Il est inutile de faire un dessin pour voir la tendance du jour.

    En ce qui concerne la critique de la technique effectuée par Heidegger depuis 1945, je reprendrai la remarque de Skildy dont la justesse est on ne peut plus confirmée par tous les écrits antérieurs de Heidegger: « il savait de quoi il parlait. Il l’avait expérimenté. »
    Mais je pense qu’il faut encore aller plus loin et reprendre la formule nazie énoncée par Frick ouvrant le congrès des juristes allemands le 3 octobre 1933  » Pour les nationaux-socialistes, le droit c’est ce qui sert le peuple allemand. L’injustice, c’est ce qui lui porte dommage ». Le danger ne devient danger pour Heidegger que lorsque les nationaux socialistes ne sont plus les maîtres de la technique. Entendons outre les techniques de transformation, les techniques de domination et de destruction. Pour s’approprier à nouveau ces techniques, ce « Gestell », il faut faire bloc autour de la langue, entendue comme langue de tradition (germanique) et non plus seulement comme langue d’usage.(Cf. conférence de Combourg du 18 juillet 1962). Le pacifisme et la sagesse apparente que Heidegger finissant fait semblant de répandre dans ses écrits n’est que de poudre de perlin pinpin que l’enchanteur Merlin du national-socialisme jette aux yeux de ses auditeurs ou de ses lecteurs pour endormir leur vigilance.Il y a toujours des gens prêts à se laisser hypnotiser et… qui en redemandent.
    M.B
    J’approuve ces textes.

    Rédigé par : bel | le 23/02/2006 à 02:07 | Répondre | Modifier
  27. Bonjour Monsieur Bel,

    Pouvez-vous me préciser les raisons de votre indignation concernant la parution du 8ème volume de la bibliothèque de Marbach? Ce volume contient effectivement un séminaire que Heidegger a donné comme « exercice pour débutants » durant le semestre d’hiver 1936/37. Ce séminaire était consacré à des lettres de Schiller sur l’éducation esthétique de l’Homme. Il ne paraîtra pas, est-il précisé, dans les oeuvres complètes de Heidegger si bien que la Bibliothèque de Marbach a décidé de le publier en clôture de l’année Schiller.
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 23/02/2006 à 10:56 | Répondre | Modifier
  28. Cher monsieur Bel,
    je suis tout prêt à continuer à vous lire, mais qu’il soit bien clair que pour moi mes objections du 08.02/2006 à 18:56 restent valables.
    Pour les raisons déjà dites, je ne crois pas en un Heidegger dirigeant secret du Reich, dans la mesure où il n’avait tout simplement pas l’envergure pour. Je le répète : où sont ses connaissances dans le domaine financier, technique, etc. ?
    D’après les éléments dont nous disposons, on sait désormais qu’il fut attiré très tôt par le nazisme, et a souhaité prendre la direction de la dimension disons, académique, du mouvement. Son rôle fut à cet égard important (plus important après-guerre dirais-je pour ma part, dans la mesure où contrairement à Rosenberg et Krieck il a survécu à la fin de la seconde guerre mondiale et poursuivi sa carrière), et reste pour une part à déterminer même si les documents fournis par Emmanuel Faye sont accablants et prouvent un engagement permanent pour le régime, sous des formes diverses, et jusqu’à sa fin.
    Pour toutes les raisons déjà dites, donc, je ne vois pas de sens à « en rajouter » à ce tableau accablant-et l’accablant tient peut-être plus encore à la manière dont il a été recyclé qu’au personnage lui-même.
    A ceci s’ajoute un problème de méthode qui recoupe une question d’ordre psychologique, car enfin si il y a un point où je ne peux hélas qu’être dur avec vous, c’est que je crois que vous vous êtes laissé fasciné par le personnage. Pourquoi ? La question n’a pas à recevoir ici de réponse, mais il ne faut pas qu’elle vienne perturber l’analyse.
    Ainsi pourquoi prendre au mot Heidegger quand il dit que la philosophie a un rôle fondateur, qu’en un sens elle est le moteur de l’histoire ? Cette prétention ridicule des philosophes et des gens de lettres en général ne mérite que l’ironie, comme celle qu’a pu développer Jacques Bouveresse par exemple.
    Enfin pour autant que l’on puisse donner des ordres dans un commentaire philosophique (??), je ne pense pas qu’une investigation comme celle que vous entendez mener puisse se limiter à des textes, que l’on va sinon surinterpréter et confirmer l’un par l’autre pour former un système auto-référentiel. Je veux bien que l’on ne démontre pas en histoire comme en physique, mais il faut bien à un moment que les mots cessent de renvoyer aux mots.
    Vous déclarer ainsi que Heidegger a fondé le NSDAP. Fort bien. Si vous prouvez simplement qu’il navigait dans ces cercles au début des années 20 et participait à la Thule Gesellschaft ou autre cochonnerie vous aurez fait faire un grand pas à la recherche historique. Mais il nous faut pour cela plus que des évocations !
    Vous semblez par ailleurs bien connaître tout ces mouvements « ésotériques », et donc être capable de déchiffrer certains textes à partir de cette connaissance. Cela est précieux, mais puisqu’on est là dans le domaine du nébuleux par excellence, il faut poser des principes herméneutiques clairs et rigoureux, ce que je n’ai pas toujours vu à l’oeuvre dans votre traitement des textes.
    Ainsi de la petite phrase sur la poignée de destructeurs en chef, et qui mise en contexte sent son anti-sémitisme de comptoir : c’est la surcharger identiquement, quoiqu’en des directions différentes, que d’y voir une critique du régime ou à l’inverse un développement machiavélique comme vous semblez le croire.
    Cher monsieur Bel, l’analogie peut-être une voie féconde, mais elle ne saurait suffire en sciences humaines. Je ne saurais trop vous conseiller encore une fois de réunir le fruit de vos recherches en une forme modérée et fondée, comme vous avez par moments prouvé pouvoir le faire.
    Mais je me répète, et désespère de vous voir sortir de votre systématisation qui n’a que l’apparence de la rigueur. Je ne nie absolument pas votre culture ni votre travail, mais constate que vous vous livrez à une mythologisation de ce triste personnage. En ce sens ceux qui sont au plus prêt de votre thèse ne sont pas ceux qui comme moi seraient à mi-chemin de la montagne parce qu’ils ont du mépris pour le personnage et l’oeuvre de Heidegger, mais ceux qui, ennivrés par la lecture de Koinon et de Besinnung (on a les alcools qu’on peut), voient en Heidegger le gourou des pogroms à venir et se considèrent comme la future élite dirigeante du prochain Reich parce qu’ils sont capables de bégayer le souabo-hölderlinien (ils sont déjà beaucoup plus nombreux qu’on ne le voudrait).
    De la part d’un homme de lettres qui ne se fie pas qu’aux mots,
    votre,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 23/02/2006 à 16:38 | Répondre | Modifier
  29. Cher Monsieur Misslin,
    mon indignation vous étonne. C’est parce qe vous n’avez pas encore bien compris la méthode du sophiste Heidegger. En se référant à Schiller il présente son troisième Reich (le Reich heideggérien) comme l’expression du règne du beau (le 3° Reich de Schiller). C’est en cela qu’il y a perversité. Toute la violence nazie va être présentée ensuite comme le chemin nécessaire pour l’accès au beau. La lecture des Lettres sur l’éducation esthétique fait suite à l’Introduction à la métaphysique qui présente la violence criminelle comme nécessaire, -j’ai déjà cité ces passsages sur un blog – , et précède les grandes décisions destructrices d’expansion coloniale en Europe et d’anéantissement, de 1941-42, année où le même cours- séminaire sur Schiller pour commençants sera repris. Le cours de 1936 est contemporain du cours sue Schelling où il déclare que « le bien c’est le mal » et vice versa. Déclaration qui a pour lui valeur d’assertion et qui est la mise en application directe de « l’être en faute », application annoncée dès 1925 dans l’histoire du concept de temps et reprise dans Être et temps en 1926-27. « Être en faute » auquel nos traducteurs français n’ont hélas! absolument rien compris car ils n’ont pas lu la conception du héros tragique de Max Scheler. Ce qui le prouve c’et leur traduction de l’être en faute par l’être en dette, expression qui chez Heidegger n’a aucun sens. Nous ne sommes plus dans la tradition juive : « remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs ». Heidegger n’a contracté aucune dette. Simplement il a été gratifié par l’Être, selon ses dires, d’un regard nouveau qui le met en faute sans qu’il l’ait voulu. C’est cela le héros tragique de max Scheler. Il tombe en faute sans l’avoir voulu du fait de l’acuité de son regard. Et la nouvelle valeur transcendante qu’il voit le met en opposition à tous ses semblables qui croient encore aux anciennes valeurs. C’est la raison pour laquelle il va vouloir libérer tous les prisonniers de la caverne qui croient encore aux anciennesz valeurs, et s’il se disssimule, s’il se cache derrière des masques, c’est pour ne pas être lynché par leur réaction d’indignation.

    C’est que le beau pour Heidegger comme pour Vico dont il s’inspire aussi, n’est que « le commencement du terrible ».
    Quand on a compris la visée de Heidegger on ne peut qu’être indigné de l’aveuglement de ceux qui le valorisent et surtout scandalisé par l’attitude de ceux qui valorisent cette visée mille fois criminelle. Mais tant que les gens n’auront pas compris le sens de « l’être en faute »,ils agiront comme des niais. Croire que ce n’est pas dangereux serait stupide car derrière la conduite de la valorisation de Heidegger il y a des nazis et des fils de nazis au visage souriant qui n’ont pas abandonné l’idéologie de la germanitude dominatrice et exterminatrice et qui savent parfaitement ce qu’ils font. Les niais par leur admiration stupide et naïve pour Heidegger ne font que leur faciliter la tâche.
    Michel bel
    J’approuve ce texte.
    MB

    Rédigé par : bel | le 24/02/2006 à 00:53 | Répondre | Modifier
  30. Cher monsieur Bel,
    je vous remercie vivement de ce commentaire.
    La mise en perspective avec Scheler est en effet d’importance, et oubliée par les commentateurs au profit d’une perpective qui met Heide en dialogue avec Kant et Aristote plus qu’avec ses contemporains.
    Je pense que pour l’analyse du « devancement de la mort » la relation avec Scheler et ses textes sur la première guerre mondiale est également importante. Auriez-vous lu le livre de R.Linde (« Was bin ich, wenn ich nicht denke ? ») à ce sujet ?. Pour en revenir à quelque chose que j’ai plus ou moins déjà dit, je suis impressionné par la manière dont Heide recourt à des références chrétiennes, notamment St Augustin, dans un livre qui s’en prétend délivré, puisque si on en croit Didier Franck Être et temps est un ouvrage non théologique (?). N’a-t-on pas là une perversion du christianisme (ou sa paganisation) qui expliquerait la fascination exercée par heidegger sur certains milieux, notamment catholiques ? A creuser.
    Bien à vous,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 24/02/2006 à 10:51 | Répondre | Modifier
  31. Cher monsieur Er,
    je n’ai pas lu intégralement le livre de Linde, je n’en connais que des extraits. Certains d’entre eux ainsi qu’une présentation soignée ont été publiés sur internet. Je les ai indiqués durant l’été sur certains blogs lorsque j’étais harcelé par certains heideggériens dont je préfère taire les noms. Mais Linde n’est pour moi qu’un renfort. C’est aux textes même de Heidegger que je me réfère. Je vais d’ailleurs donner prochainement sur ce blog un extrait de mon analyse de l’histoire du concept de temps. Cette histoire échafaudée par Heidegger autour de trente cinq ans est un trait d’union indispensable entre son Duns Scot et l’engagement politique « officiel » de 1933. L’engagement politique en fait a commencé en 1913 sur le Haut Meissner lors du rassemblement des jeunes pro germanistes, mais il n’a été rendu officiel qu’en 1933 lorsque le parti qu’il a créé en 1919 (« la mise en pratique de son regard phénoménologique ») a réussi à s’emparer du pouvoir par la ruse, par le chantage et par la force. Il a regretté plus tard d’avoir crevé la couverture sous laquelle il s’agitait mais il était trop tard. Alors il a crié à l’accident et plaidé pour l’erreur, mais il n’y a que les benêts qui le croient.

    Ce que vous dites de la perversion du christianisme , de la transmutation du salut chrétien en salut national socialiste est totalement vrai. Jean François Courtine l’avait d’ailleurs mis en évidence en 1990. Je ne sais pas pourquoi il est revenu sur ses pas. Il était alors lecteur de Martin Buber. J’attends toujours sa réponse aux lettres que je lui ai envoyées. Il va bien falloir qu’on sorte de la crise et qu’on crève l’abcès un jour, même si ça doit faire mal quelque part..

    Je vous remercie d’être attentif à la critique de Heidegger qui est conduite sur les blogs de Skildy. C’est lui qui avec Emmanuel Faye sauve l’honneur de l’université française aujourd’hui et je dirai même l’honneur de la France car le ministère de l’éducation nationale a pris parti pour les « heideggériens » contre la révélation de la réalité historique ce qui est un scandale sans précédent depuis une certaine époque de sinistre mémoire.
    la lecture des « Prolégomènes de l’histoire du concept de temps » au prochain envoi.
    Michel Bel
    J’approuve la totalité de ce texte.
    MB .

    Rédigé par : bel | le 24/02/2006 à 12:15 | Répondre | Modifier
  32. Bonjour Monsieur Bell,

    Je trouve aussi que vous prenez le cas Heide beaucoup trop à coeur. Ce qui me paraîtrait intéressant à adopter comme méthode (et les suggestions de M. Er me paraissent très judicieuses, car il faut de la méthode, comme nous l’a appris le grand Descartes) c’est non point de prendre cette oeuvre au mot, et de poursuivre cette espèce d’exégèse obsessionnelle comme si cette oeuvre contenait un message fabuleux, inouï, abyssal, et autres sornettes romantico-mystico-débiles, mais de montrer comme un enfant du peuple, issu du monde rural, à qui l’église catholique a payé les études secondaires et universitaires pour en faire éventuellement un prêtre, a été happé par la tourmente qui secouait l’Allemagne d’une manière effrayante et a essayé de s’en sortir comme il pouvait. En somme, il conviendrait d’adopter vis-à-vis de cet homme, de sa vie et de son oeuvre, le regard d’un éthologiste qui étudierait les tentatives adaptatives d’un individu confronté à un environnement plutôt bouleversant et stressant. Ce qui me frappe, personnellement, c’est la capacité de Heidegger à se protéger, d’une part intellectuellement, en recourant à une recheche mystique (or, les conduites mystiques sont des comportements adaptatifs de fuite dans l’imaginaire), d’autre part socialement en adoptant les mythologies de son temps qui viennent souvent de l’époque romantique (le romantisme allemand a été un mouvement autrement plus secouant que chez nous): national chauvinisme, féchitisme germanophile, mystique de la nature et de la terre (cf les Wandervögel), purification éthnique, réactions anti-modernes, au nom de retrouvailles magiques avec l’authenticité germanique, bref un « bazar » assez invraisemblable qui constituait comme une sorte de piscine onirique dans laquelle était plongés les gens, en particulier les jeunes (voir le vote massif de la jeunesse pour Hitler). Je dois vous avouer, Monsieur Bell, que j’ai toujours peur de l’attitude par trop accusatrice dont la racine n’est pas forcément exempte de passion. Vous possédez beaucoup d’informations sur cette affreuse période que vous semblez connaître de l’intérieur (« inniglich », comme on aimait dire alors là-bas): pourquoi ne pas décrire objectivement l’itinéraire d’un penseur (ein Mensch der denkt!) à une époque tourmentée?
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 24/02/2006 à 13:12 | Répondre | Modifier
  33. Monsieur Misslin,
    deux mots pour aller dans votre sens. Heidegger n’est pas d’un milieu aisé, certes, mais ce n’est pas tout à fait un enfant du peuple. Ce n’est pas le « petit Chose ». Et c’est justement la raison pour laquelle il a eu une ambition démesurée: paraître plus grand qu’il n’était en réalité lui qui avait été humilié et grandement humilié. Faire l’histoire de Heidegger c’est faire l’histoire du troisième Reich depuis sa naissance comme une faible source quasi insignifiante en 1906 jusqu’à sa dernière tentative de reprise en 1975 avec la Gesamtausgabe un an avant sa mort.Cela fait soixante dix ans consacrés au rêve d’un empire puis à sa création. Je ne puis donc pas vous suivre lorsque vous me proposez d’écrire une vie au rabais. Heidegger ESTle troisième Reich. Sans lui il n’y aurait rien eu. RIEN. Sous sa houlette pseudo ecclésiastique, l’Allemagne vaincue est passée de la division religieuse et territoriale à l’unité raciale, nationale. Il ne serait jamais parvenu à réaliser cet exploit s’il n’avait pas épousé une fille d’officier. C’est ce qui lui a permis d’avoir un pied à l’étrier. L’armée dont certains membres étaient très cultivés (cf. Hellingrath) avait besoin d’un universitaire pour canaliser l’idéologie impérialiste. Et un universitaire de la stature de Heidegger, ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval. Alors bien qu’il fût de petite extraction on lui a fait des passe-droit en lui permettant d’avoir très vite un terrain pour bâtir sa maison alors que la plupart des demandeurs attendaient des années. On sait porquoi. La lettre à Schwoerer de 1929 le dit ouvertement. Au départ il voulait être prédicateur de Cour comme son modèle Abraham a Sancta Clara. Mais l’issue de la guerre de 1914-18 en a décidé autrement. En 1916 encore, il espère diriger dans ce qu’il appelle le cercle de la transcendance, sûrement au service de l’empereur, mais peut-être prépare-t-il déjà la relève car les pangermanistes trouvent le Hohenzollern Guillaume II trop mou. Ils rêvent d’un passé plus glorieux: celui des Hohenstauffen. Ils rêvent d’une renaissance des grands ordres militaires. Durant l’incarcération d’Hitler Ludendorff a essayé de mettre sur pied un parti politique en comptant sur son prestige militaire. Ce fut un échec lamentable. Un fiasco tel qu’Heidegger et Hitler se séparèrent de lui définitivement. Le seul qui se révélât capabler de conduire les masses, justement parce qu’il venait du peuple et non de l’aristocratie ou de la haute bourgeoisie était Heidegger. Cela les Yorck von Wartenburg le comprirent très vite. Le seul qui fut capable d’opposer une idéologie germanique cohérente aux forces du marxisme et de l’Eglise était le professeur de Marbourg le gendre prometteur de l’officier prussien PETRI.

    L’ambition de Heidegger jointe à la puissance de l’Armée a fait le reste. Croyez-vous que les officiers auraient prêté serment à Hitler s’il n’y avait pas eu derrière lui une puissance idéologique capable de donner du panache au mouvement impérialiste? Qui a donné l’ordre de tuer von Scleicher qui gênait par son attitude trop sociale?
    A côté de Heidegger il y a des forces puissantes, qui rêvent d’éliminer les gêneurs,j’en ai déjà parlé: les gros agrariens et les grands maîtres de la sidérurgie. Mais leurs intérêts ne sont pas convergents. Qui a fait converger les racistes nordiques, les gros agrariens menacés par la victoire communiste en Russie, et les intérêts de la grande bourgeoisie dans un semblant d’unité commune cristallisée autour du Dasein germanique? Heidegger. Werner Sombart le dit dans son livre sur le socialisme allemand, sans citer Heidegger bien sûr, mais en parlant de l’inspiré qui se réfère directement à l »Être » et qui en a reçu la « grâce ». Depuis que Langbehn a montré l’intérêt du clair-obscur en politique on ne doit plus commettre l’imprudence de citer le moindre nom. L’aristocratie a compris avec les troubles de Bavière et le saccage de la Thulé. Seuls les « fusibles » doivent s’afficher en tant qu’annonciateurs de la « Providence » « éclairée et éclairante ». Mais un fusible n’est qu’un fusible , ce n’est pas lui qui est à l’origine du courant même si le contact passe par lui. « Schaltung », ce contact entre prétendus égaux: la « Gleichschaltung », l’harmonisation, qui deviendra la « mise au pas ».
    Chez Heidegger il n’y a pas que du Julien Sorel, il y a aussi du Julien l’Apostat. Et plus encore que du Julien l’Apostat, du mosaïsme. Ce dont rêve Heidegger c’est d’une puissnce comparable à celle de Moïse et de Josué, cette puissance juive dont il a peur, qu’il rêve de faire disparaître et de supplanter. Cette puissance des enfants d’Abraham qui à ses yeux est arrivée à dominer le monde aux dépens des premiers habitants de la planète que sont pour lui les Germains. Mythologie de la langue de tradition oblige. mMis je vous en dirai davantage une autre fois. Le temps me presse . Veuillez m’excuser.
    Michel bel
    J’approuve ce texte.
    MB

    Rédigé par : bel | le 24/02/2006 à 19:33 | Répondre | Modifier
  34. Cher monsieur Bel,
    vous savez désormais que nous ne pouvons vous suivre quand vous dites que sans Heidegger il n’y aurait « RIEN » eu.
    Je suis tout à fait en accord avec monsieur Misslin sur ce point, qui a des formulations heureuses.
    Je suis quelque peu déçu que vous en restiez ainsi à la mythologisation de Heidegger, même si on peut bien sûr continuer à s’interroger sur l’ampleur de son rôle.
    Mais je ne vais pas répéter mille fois les mêmes arguments logiques et historiques, je n’ai guère l’espoir de vous convaincre, mais sait désormais qu’en pointant vos faiblesses on peut tirer mieux de vous.
    Je vais donc me contenter de vous suivre, que ce soit sur le commentaire du « Rhin », le concept de temps ou autre chose, et vous demanderai des précisions. Qu’il soit bien clair cependant pour vous et pour tous que le désaccord (néanmoins amical, même si je me suis fait critique et parfois durement) reste.
    Je ne pourrai peut-être pas répondre toujours avec la même promptitude que ces derniers temps, mais cela ne signifie pas que vous ne serez pas lu.
    A vous,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 24/02/2006 à 20:13 | Répondre | Modifier
  35. Bonsoir Monsieur Bel,

    Merci pour votre réponse. Ce qui est amusant avec vous, c’est que vous distillez vos informations au compte-gouttes si bien qu’on a vraiment du mal à rassembler les morceaux du puzzle qui vous a conduit à construire ce que dorénavant j’ai envie d’appeler l’épopée de Heide, ou les aventures de la réincarnation moderne d’un héros du panthéon germanique, disons Siegfried II, la paix par la victoire. Malheureusement pour Heide, il y a bien eu la paix, mais dans la défaite, et puis il y a un point bien plus important qui est gênant dans cette réincarnation, c’est la couleur de la pilosité du héros. Pour un Nibelungen, c’est pas de chance: Siegfried II est un mutant! Pardon , Monsieur Bel, mais j’ai envie de vous amuser un peu, car j’ai vraiment le sentiment que ce triste sire de Heide vous obsède. Je peux le comprendre, car quand j’ai lu quelques lignes de ce penseur, j’ai le sentiment de lire des textes de science-fiction qui me plonge dans un état de déréliction profond. Alors me dire que vous vous êtes tapé des oeuvres entières, je vous plains.
    Je ne veux pas vous embêter avec mes questions, mais, quand vous écrivez, par exemple, que vous ne pensez pas que les officiers n’auraient pas prêté serment à Adolf sans le secours d’aucune puissance idéologique, je ne peux vraiment pas vous suivre. Vous imaginez un peu dans quel état se trouvaient les officiers allemands après la défaite de 18. Vous croyez vraiment que ces gars avaient besoin d’être motivés par des idées? Et puis, personnellement, en me mettant à la place de ces militaires, franchement, je trouve que Hitler était mille fois plus convaincant dans ses discours qu’une ligne de la littérature fumeuse de Heide. Si je devais sur ce point comme sur d’autres pouvoir vous suivre, il me faudrait des documents, car un historien travaille sur des documents, et votre hypothèse de travail est celle d’un historien. Peut-être ne voulez-vous pas donner vos sources sur un blog, ce que je comprendrais. Ce qui est un peu curieux, c’est que vous n’ayez pas publié les résultats de vos investigations. Une autre de mes sources de perplexité est le reproche que vous faites aux heideggeriens de n’avoir pas su décrypter le code secret de Heide comme vous avez su le faire, d’après ce que vous avancez en tous les cas. Mais Heidegger s’est présenté du début de sa carrière universitaire jusqu’à la fin comme un penseur et un professeur. Nombreux ont été ceux qui n’ont rien remarqué de « nazi » dans son oeuvre, et des gens qui n’étaient pas tous des fanatiques de Heide. Je trouve que ce serait bien si vous pouviez fournir à ces personnes qui ne sont pas toutes ni naïves, ni des idéologues pro-nazi, des données conséquentes s’appuyant sur une documentation elle aussi conséquente, plutôt que de leur reprocher de n’avoir pas vu ce que vous avez vu. J’appellerai cela une pédagogie charitable comme on dit dans la philosophie anglo-saxonne une lecture charitable d’un texte.
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 24/02/2006 à 22:16 | Répondre | Modifier
  36. Re-bonsoir Monsieur Bel,

    Pardonnez-moi de vous répondre encore une fois, mais je me rends compte que j’ai oublié de rebondir sur un autre passage qui m’a énormément intéressé dans votre dernier message. C’est quand vous écrivez que Heidegger s’est pris aussi pour Moïse ou Josué. Je vous suivrai assez aisément sur ce point. Voici mes raisons. Heidegger a été élevé dans la religion catholique; on dit que sa maman était très croyante. Comme je suis né de l’autre côté du Rhin par rapport au lieu de naissance de Heidegger, mais dans un écosystème culturel rural fort semblable, avec une éducation catholique très classique, je me suis demandé dans quelle mesure le jeune homme a supporté le climat païen qui régnait alors en Allemagne. Moi-même, j’ai fait partie de la Hitlerjugend, par obligation, mais j’ai protesté quand on nous faisait chanter des chants obscènes en passant à côté de l’église et j’ai quitté ce scoutisme dévoyé, avec l’aide de mon grand-père qui a grondé mes parents de m’avoir obligé à y aller, mais il faut dire que je leur servais de couverture pour cacher des activités anti-nazi très graves. Jeté dans un monde chaotique, nihiliste, néo-paganiste, alors qu’il sortait d’un milieu certes pas misérable, mais plutôt protégé, n’a-t-il pas subi des chocs affectifs qu’il a essayé de compenser (vous parlez ailleurs de résilience ratée, mais résilience quand même)en tentant de construire un mythe du salut adapté au Zeitgeist. Pour moi, en tous les cas, son oeuvre m’apparaît comme un appel permanent, quasi désespéré, à retrouver la foi, pas une oeuvre de philosophie classique. La fascination qu’exerçait Nietzsche sur lui me paraît intéressante sur ce point. Lui aussi était issu d’une famille chrétienne, et comment Heidegger, il a vécu aussi le choc de perdre sa foi. Or, je trouve chez Nietzsche d’une part une conscience aiguë de la gravité de la disparition de la foi chrétienne dans nos sociétés, et d’autre part des tentatives de compensation de toutes sortes, qui fonctionnent un peu comme des ersatz de l’ancienne croyance. Je pense à tout cela parce que mes études de neurobiologie comportementale m’ont sensibilié aux marquages précoces de notre affectivité. Or, on a beau décidé, adulte, de se séparer, par exemple, de sa foi enfantine, le système nerveux ne se laisse pas commander ainsi. Je m’arrête, car je ne veux pas vous ennuyer. Mais je ne peux pas m’empêcher de ressentir dans l’oeuvre de l’un comme de l’autre de ces auteurs un climat de religiosité, bizarroïde certes et pour cause. Leur référence à la Grèce antique m’apparaît comme une référence romantique. Mais le romantisme n’est-il pas une nostalgie? (voir Nerval le plus romantique et le plus germanique de nos poètes).
    Bien à vous
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 24/02/2006 à 23:28 | Répondre | Modifier
  37. Que dois-je faire pour faire comprendre qui était Heidegger? Je répondrai par une seule réponse: il faut apprendre à le lire. Cela demande une longue fréquentation de son style, de ses manières de penser, de son hostilité au christianisme et de son rapport personnel au mal. On ne peut pas faire l’économie de la lecture pour comprendre Heidegger, pas plus qu’on ne peut le faire pour comprendre Husserl. Et quand bien même on aurait prouvé mille fois que Heidegger est le fondateur du Reich et le commanditaire du génocide, que l’initiative de celui-ci et les ordres pour l’exécuter sont contenus dans son oeuvre et sont l’expression de sa vision du monde, ça n’empêcherait pas un grand nombre de lecteurs de trouver encore un grand plaisir à sa lecture car l’effet poétique, l’effet religieux et l’effet d’érudition gardent leur pouvoir d’illusion même lorsqu’on a déjoué l’illusion. Freud a dit tout ce qu’il fallait dire sur ce phénomène.

    Si vous voulez connaître la monstruosité de Heidegger, lisez-le en le passant au peigne fin en pesant chaque énoncé à son poids plein. J’ai indiqué mille fois la méthode. Nul ne peut se substituer à la nécessité du travail personnel. L’illusion reste l’illusion. La dissimulation , la dissimulation. Je n’y peux hélas! rien. La lecture de Heidegger à contre sens a encore de longs jours devant elle. Mais Heidegger s’en moquait puisque le plus important pour lui était la construction de l’empire. Le discours n’était qu’un écran sur lequel étaient données les instructions pour les uns, les effets de dissimulation pour les autres. Telle est la double fonction d’un écran. Il sert à inscrire et à occulter.
    michel bel
    J’approuve ce texte.
    MB

    Rédigé par : bel | le 25/02/2006 à 02:15 | Répondre | Modifier
  38. Bonjour Monsieur Bel,

    Je regrette, comme Monsieur Er, que vous vous soyez finalement laissé piéger par l’oeuvre de Heidegger: dans le fond, vous êtes fasciné par cette étrange écriture comme on peut éprouver de la fascination-répulsion devant quelque chose de monstrueux. Pourquoi pas. Notre gros cerveau a plus d’une prouesse à sa disposition. En fait, en vous lisant, j’ai peu à peu acquis la conviction inverse de la vôtre: je suis persuadé que Hitler était mille fois supérieur à Heidegger et que c’est ce dernier qui a été subjugué par son modèle. Pourquoi? Parce que Hitler osait alors que Heidegger était un trouillard. Hitler a eu l’envergure de Napoléon: une formidable soif de pouvoir et une énergie folle pour la satisfaire. Bien sûr c’étaient des « bandits » (pour reprendre le mot de Tolstoï sur Napoléon), mais ils avaient du génie. Heidegger n’avait pas de génie, c’était un penseur besogneux et servile.
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 25/02/2006 à 13:14 | Répondre | Modifier
  39. « L’onto-politique crypto-nazie vous glisse entre les doigts comme une anguille ». Voilà une excellente formule. Elle illustre parfaitement ce que Bourdieu appelait « l’effet de champ ». Vous avez parfaitement compris ce qu’est la transposition d’un encodage dans un autre. Avec Heidegger nous sommes placés d’entrée de jeu dans l’univers de la « significativité ». Le drame c’est que cet univers qui se caractérise par les variations intentionnelles et institutionnelles de l’accès au SENS est constitué de « mondes » qui sont continuelllement en interférence les uns par rapport aux autres. Chaque encodage a sa validité dans un champ mais les champs peuvent se recouper en partie comme des surfaces superposées sur un plan horizontal, ou comme des longueurs d’onde d’émissions de radio ou de télévision. Chaque encodage renvoie à un champ spécifique mais peut aussi, par interférence, renvoyer à d’autres champs. Ce qui signifie que la signification définitive n’est jamais atteinte puisqu’on peut toujours passer d’une pièce dans une autre du fait de la polyvocité de certains signes qu’on pourrait appeler des signes jocker. Ainsi en va-t-il du Dasein. Le Dasein est le signe Jocker par excellence puisqu’il peut désigner soit l’individu, soit la communauté, soit la société, soit la totalité de l’étant considérée comme appréhension signifiante du pouvoir signifiant du Dasein.

    Bref Heidegger n’invente rien. Il ne fait que dire autrement ce que Hegel, Vendryes et Cassirer avaient dit d’une manière moins alambiquée et moins prétentieuse sur la « fonction symbolique » propriété fondamentale de l’existence humaine et de certains animaux rôdés à la capacité d’appréhension des réflexes conditionnés. Le langage et les symboliques humaines n’étant que des réflexes conditionnés enrichis d’une potentialité de signification in-finie. Associer deux étants, puis les séparer et renvoyer de l’un à l’autre voilà l’origine de la significativité.

    En quoi consiste l’originalité de Heidegger? Dans le fait d’abuser systématiquement du phénomène de polyvocité et d’équivocité pour tromper son auditoire, pour lui faire prendre son point de vue pour le point de vue fondamental et pour instaurer dans l’ »être-ensemble », à la faveur de cette équivocité, un clivage entre la communauté germanique et la société germanique, voire la société humaine dans son ensemble.Nous sommes au coeur même de la perversion carctérisée par la tromperie sur la marchandise.

    Tant qu’on n’a pas compris ce jeu d’interférences des horizons de signification, on passe à côté du véritable Heidegger. On voit un reflet d’argent au ventre du serpent VITA mais on ne voit pas la totalité de la « Bête ». Les espaces ou les champs de signification chez Heidegger renvoient d’un champ à l’autre comme des effets de miroirs mais les auditeurs ne peuvent accéder aux différents champs que s’ils ont reçu une initiation aux différents systèmes d’encodage d’une part,et une initiation supplémentaire au système de liaison des éléments encodés.

    Prenons un exemple simple. Les langues dans lesquelles les lettres sont aussi des chiffres utilisent deux systèmes d’encodage avec les mêmes signes. Ceux qui ne savent pas que les signes servent également pour le calcul ne voient que des lettres. Et ceux qui ne voient que des signes mathématiques ne voient pas que leur combinaison constitue aussi un langage et ouvre un autre « monde » de signification. Mais ces systèmes de signes qui servent à encoder du sens, peuvent aussi être associés à des signes matériels tels qu’une borne désignant un territoire, un cube désignant l’accès à la perfection, ou un vestige renvoyant à un monde perdu dont le seul vestige suffit à raviver le souvenir. Ainsi tel tesson de poterie ou tel mot ancien dans la langue en tant que fossile linguistique peut renvoyer à un univers disparu dont la détresse présente peut raviver le souvenir, voire l’inventer, et embellir la réalité qu’il pouvait représenter, créant ainsi un fossé de nostalgie propice à l’action, quelle que soit la nature morale de cette dernière. La valeur morale étant considérée à son tour comme le produit d’un système d’encodage n’ayant pas de valeur en soi.

    Heidegger confronté très tôt par l’apprentissage des langues et des visées à la réalite de « mondes » différents (chrétien, romain, grec, germanique et français (Taine)), a perçu l’importance des significations globales et le caractère relatif des catégories. Mais il a, sans l’avouer ouvertement au public, valorisé une longueur d’onde plutôt qu’une autre. Ses enseignements esotériques et ses enseignements exotériques ne font pas accéder les auditeurs aux mêmes niveaux de signification. Il y a toujours décrochage ou décalage. Ce n’est que lorsqu’on est en possession de tous les signifiés fondamentaux et de tous les systèmes d’encodage utilisés qu’on arrive à voir clair en lui. Cela suppose un effort considérable. Effort auquel Heidegger nous invite à participer afin de pouvoir accéder à sa disimulation par l’usage d’écrans d’encodage interposés. Je ne prendrai qu’un seul exemple significatif de toute sa production verbale et historiale: la signification du « secret » dans le commentaire de la Germanie, signification qui fait écho aux théories du signe émises les années précédentes: (NRF p.261): » Non seulement chacun est éloigné du secret différemment de tous les autres par une distance plus ou moins considérable, mais plus esentiellement, la singularité des vraies mesures consiste en ceci que là, en général, les orientations avec lesquelles on évalue habituellement sont inversées. »
    Heidegger nous livre une partie de ses codes. L’autre partie il faut la déchiffrer à partir du contexte.

    J’espère que cette contribution malgré son caractère technique pourra servir à clarifier le débat sur la nature du discours heideggérien. De nombreux éléments de ce que je viens d’exposer sont lisibles dans le cours de 1925, dans l’essai sur Duns Scot, dans Être et temps et dans l’Esthétique de Hegel. Pour accéder à la perversité de Heidegger il faut commencer par apprendre les codes et les rapports signifiant/signifié qui conduisent à son univers de significativité. Ce n’est pas en termes de preuves qu’Heidegger se laisse appréhender mais en termes d’univers de signification. Voilà pourquoi j’ai toujours dit sur les blogs que la compréhension de Heidegger relevait de l’esprit de finesse pour pouvoir accéder aux codes et pour les repérer et non de l’esprit de géométrie qui exige la démonstration et la preuve. Il faut se munir d’un stétoscope, marteau de Laënnec oblige.
    michel belm
    J’approuve ce texte.
    MB.

    Rédigé par : bel | le 25/02/2006 à 14:59 | Répondre | Modifier
  40. Monsieur Mislin,
    je viens de lire votre contribution sur les compétences respectives de Hitler et de Heidegger. Comment pouvez-vous arriver à émettre de semblables jugements? Qu’il y ait une relation primaire/secondaire dans les rapports Heidegger/Hitler , c’est certain. Mais de là à dire qu’Hitler était supérieur à Heidegger, il y a un monde et c’est intenable. Nous sommes ici au coeur des relations décrites par Dostoïevski dans Pensées d’un souterrain mais le primaire Hitler n’est que le bras armé du secondaire Heidegger.
    Hitler n’a pas été son seul bras,du reste , c’est toute l’armée allemande qui a été mise au service de sa vision du monde impérialiste et de sa volonté d’épuration.

    S’il n’y avait pas eu Heidegger on aurait eu une autre guerre, un autre type d’épuration peut-être mais pas cette industrie de la mort systématique . Pour en arriver là il fallait un mystique dépité, un faux mystique s’attribuant une fonction divine. Je n’en connais qu’un seul en Allemagne qui se soit attribué cette fonction missionnaire et qui se soit considéré comme envoyé par l’Être pour accomplir cette tâche: Heidegger. Ce n’est peut-être pas un hasard si le psychologue Jaensch l’avait considéré en 1933 comme un « schizophrène hautement dangereux ». On a beaucoup critiqué Jaensch mais on ferait bien d’y regarder de plus près pour ce qui concerne l’état mental de Heidegger. Krieck qui pourtant n’était pas un saint avait très vite noté que « ce philosophe « construisait sa domination dans un empire dont il serait lui-même le souverain, le pape et le mystagogue » (Archives de Colmar).

    Eh bien, oui: souverain, pape et mystagogue , c’est bien ce qu’Heidegger a été au nez et à la barbe de tous. Ce qu’il m’a fallu plus de vingt ans pour découvrir, Krieck dont je ne connaissais pas le rapport avant que Faye ne le publie en annexe de son travail,en 2005, l’avait noté dès 1933. Une telle déclaration de Krieck n’a pu être faite qu’à la suite d’une confidence de Heidegger sur ses projets car son contenu est invisible au premier abord et il faut avoir une connaissance approfondie de l’oeuvre de Heidegger pour le voir. Ce n’est de toute évidence que parce que Heidegger leur a révélé son projet que Krieck et Jaensch ont pu le connaître. Heidegger a dû s’ouvrir à eux à Marbourg comme il s’est ouvert à Jaspers à la même époque. Mais Jaensch et Krieck ont vu en lui, de l’extérieur, un ami des juifs et un traitre à la cause germanique – ils n’ont rien compris à sa ruse-, alors que Jaspers de son côté a cru voir en lui un ami. Les deux bords se sont trompés dans leur appréciation mais la référence faite par Heidegger au « rai de lumière » dans le commentaire de la Germanie en 1934-35 confirme qu’ils étaient bien au courant du projet impérialiste de Heidegger, projet qu’ils ne pouvaient connaître que parce qu’ Heidegger leur avait livré le fond de son « Innigkeit ».

    Leur hostilité à ce projet a été considérée par Heidegger comme le deuxième aiguillon planté dans sa chair. Puisqu’ils ne voulaient pas de lui de leur plein gré pour conduire le Reich, eh bien ils le subiraient de force car de toute façon celui qui avait l’oreille d’Hitler, c’était lui, lui, le philosophe qui l’avait formé, qui avait contribué à le mettre en place pour qu’il accomplisse sa politique autocratique et purificatrice. Pour qu’il guérisse le corps du peuple malade du mélange des races aryenne et sémite et de sa décadence spirituelle par rapport à son commencement grec.

    Dès 1909, comme Farias l’a mis en évidence en citant sa relation privilégiée à Abraham a Sancta Clara, Martin s’est senti appelé à remplir sa mission de régénérateur du corps et de l’âme du peuple. En 1910, il disait « si le besoin s’en faisait sentir ». En 1919, il jugea incontestablement que le besoin s’en était fait sentir. Il créa le DAP, lui et non pas Harrer qui n’était que le président du parti, non pas Drexler qui n’était que le président du groupe local de Munich, lui, car lui seul était considéré comme le « président du Reich »; (le président du nouveau Reich potentiel)(Cf.Mon combat p.355 et p.219.) Heidegger était alors très lié avec le pseudo économiste Feder. Son épouse Elfriede était étudiante en « économie politique » . Heidegger illuminé « par la grâce de l’Être » se sentait une vocation de médecin de l’âme et du corps du peuple comme naguère son compatriote du Heuberg, Ulrich Megerle, prédicateur à la Cour de Vienne. Compatriote qui avait été honoré par le docteur Tomola de Vienne disciple de Guido List, venu tout spécialement à Kreenheinstetten pour l’inauguration de sa statue. Comment Martin âgé de vingt ans n’aurait-il pas rêvé d’une gloire semblable? Il obtint beaucoup plus et s’effondra en 1945 dans beaucoup moins. Voilà qui me paraît plus crédible qu’un universitaire à la remorque du tyran. Crédible n’est pas le mot. C’est ce qui advint.
    Muchel Bel

    Rédigé par : bel | le 25/02/2006 à 19:34 | Répondre | Modifier
  41. Heidegger est en attente de la destruction du monde, moi je suis en attente des réponses des universitaires à mon courrier.

    Voyez-vous ce qui m’indigne aujourd’hui, c’est QUE L’UNIVERSITE SOIT DEVENUE INCAPABLE DE S’INDIGNER devant LA PENETRATION DU MAL. C’est comme ça que l’Allemagne est devenue nazie de 1919 à 1945 sous l’influence conjuguée de Heidegger, des ambitions stupides et de la passion du capital. Nous prenons le même chemin .

    L’histoire ne se répète pas, dit-on? Non, elle amplifie ses errements générateurs de meurtres de masse. C’est ce que j’appelle le « logarithme de la connerie ». Après 1870 on a eu 14-18, après 14-18 on a eu 39-45, après 39-45 on aura…la fin des étoiles sans doute.

    Alors, moi je préfère l’évangile de Jean à la volonté de puissance heideggérienne dût l’université française faire ses délices de la prose infâme de cet incitateur au meurtre.

    -Oh!Vous vous rendez compte comment il parle du Dasein celui-là! Mais il n’a rien compris. Il faudra qu’on lui explique qui est Heidegger, tout de même On ne peut pas le laisser mourir comme ça.

    -Et s’il s’obstine à ne pas vouloir reconnaître la grandeur de Heidegger?

    -Eh bien on lui donnera la biographie écrite par Pascal Petit.Et on mettra un peu de sucre sur chaque page pour qu’elle soit plus facile à avaler.

    -Et s’il refuse le sucre ?

    -Eh bien on lui fera comprendre que s’il veut avoir l’agregation il devra adorer Lucifer de Messkirch.

    -Tu ne crois pas que tu vas un peu loin.

    -Il faut voir loin si on veut devenir un surhomme dans l’Eternel retour.

    -Et faire une expérirnce avec la vérité en laissant mourir son prochain?

    -Quand on voit loin on n’a pas de conscience. Quand on a choisi de « vouloir avoir conscience », on choisit aussi d’ »être sans conscience ».

    -De qui tiens-tu cela?

    -Devine!

    -De Heidegger? Où ça?

    -Dans son cours de 1925 sur l’histoire du concept de temps.

    -Ce n’est pas possible!

    -Eh bien, si. NRF page 461 traduction Boutot et Fédier. ça t’épate, hein!

    -Mais ça ne te révolte pas d’entendre des choses semblables avec l’instruction que tu as?

    -Puisque je n’ai plus de conscience. Pourquoi veux-tu que je me révolte? Je suis devenu c.. C’est mon droit, non?

    -Oui. Mais ce n’est pas une obligation.

    -Et si ça me plait, à moi!

    -Dans ce cas… Mais es-tu bien sûr d’avoir choisi le bon comportement?

    -Puisque c’est un droit.

    -Eh bien, voyons!
    Droit, soit.

    ……

    -Tout de même c’est un peu dur à avaler. Même avec des pastilles roses que des heideggériens sûrement bien intentionnés nous demandent de prendre. Je suis persuadé que même avec ces pastilles roses l’inversion de la conception du bien chez Heidegger, afin de valoriser la positivité du mal, ne passera pas..
    Au fait qu’y a t-il donc dans ces pastilles?

    -Un petit Adolf !…

    -En chocolat?

    -Pas sûr!…
    …..

    michel Bel

    Rédigé par : bel | le 25/02/2006 à 23:35 | Répondre | Modifier
  42. Bonjour Monsieur Bel,

    Très amusant votre dialogue. Du reste, cela fait pas mal de temps que je voulais vous suggérer d’écrire un roman sur Heide. Vous pourriez l’intituler Le Possédé ou encore Le Diabolique. Je vous trouve doué plus pour la fiction que pour l’histoire véritable. Je vous écris cela avec bienveillance, car tout en n’étant pas d’accord avec vous, je vous trouve tout à fait sympathique.
    Votre référence à Abraham a Santa Clara m’intéresse beaucoup. Je trouve ce personnage haut en couleurs. Je pense comme vous que plus ou moins consciemment Heide s’est identifié à cette figure. Du reste, ne voulait-il pas devenir prédicateur à la cour de Prusse? Dommage que la guerre a stoppé cette vocation qui était sans aucun doute, à mes yeux, celle qui lui convenait le mieux, vu sa pulsion didactico-théologique. On ne passe pas des années au séminaire sans séquelles! Je me dis que dans le fond, il a tenté de poursuivre cette vocation en essayant de devenir Le philosophe, Le Penseur, L’Oracle du nouveau Reich promis à durer éternellement pour le bien du monde entier. Hélas! Le Führer n’a pas été à la hauteur de ce rêve grandiose. Comme lot de consolation, il est devenu « le plus grand philosophe » du 20ème siècle, ce qui n’est pas si mal, après tout, peu de penseurs en sont arrivés là. De la même façon que nous ne saurons nous débarrasser, à volonté, des croyances, des superstitions, de la magie, de même, nous ne pouvons pas nous passer de mythologie. Heide est devenu un mythe philosophique. Et du reste, même vous, Monsieur Bel, êtes peut-être, sans vous en douter, en train d’en faire un héros noir, vous pourriez l’appeler Eliminator. Excusez-moi si vous me trouvez un peu espiègle, mais je ne peux pas m’empêcher de nous trouver nous, qui nous appelons des hommes, de drôles de primates!
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 26/02/2006 à 16:28 | Répondre | Modifier
  43. Le phiblogZophe réitère qu’il ne souscrit pas à l’idée selon laquelle Heidegger serait le créateur du nazisme et le conseiller quasiment charnel de Hitler. Il a voulu seulement, si on peut dire, fonder philosophiquement le nazisme. Et du coup « l’introduire dans la philosophie ». Cela suffit!

    Cher Monsieur Misslin,
    je suis très étonné que vous ayez été davantage accroché par le trait d’humour qui pour moi est insignifiant, que par les paroles de Jaensch et de Krieck qui eux connaissaient le personnage. Je ne partage pas entièrement toutefois, le diagnostic de Jaensch.Il devait bien y avoir quelques empreintes de schizophrénie chez Heidegger mais il y avait surtout beaucoup de paranoïa pour des raisons de traumatisme d’adolescence, raisons que j’ai déjà évoquées. Tout le monde ne réagit pas à une initiation comme Roger Peyrefitte. Je suis navré de voir que la paranoïa de Heidegger a été si peu prise au sérieux par les chercheurs.

    Dissimulé derrière la fonction professorale, donnant l’impression de ne pas se mêler de politique, Heidegger pouvait s’en donner à coeur joie en impulsant chaque étape de l’avancée de la volonté de puissance selon une progression et un code établis d’avance. Hitler et Heidegger le disent chacun de leur côté dans des styles différents.
    Le III° Reich est une application du plan secret élaboré par Heidegger et le cercle restreint de la transcendance, dès 1919. Les seules décisions qui étaient liées à l’initiative privée dans le Reich étaient celles qui portaient sur l’adaptation des ordres aux circonstances. Les différentes instances à tous les niveaux, puisque tous les chefs à tous les étages étaient des Führer, étaient chargées de proposer des solutions pour réaliser au mieux l’étape en cours et pour préparer l’étape suivante, mais les grandes décisions qui consistaient à passer d’une étape à l’autre étaient réservées au chef suprême. Et ce chef qui commandait tous les Führer y compris le Führer suprême Hitler, était « celui qui obéissait à la voix intérieure », celui qu’Hitler dans Mein Kampf nomme « le grand homme ».

    Les cours sur Nietzsche qui ne cessent de parler du commandement sont particulièrement clairs, les propos de Nicolas Sombart également. Pour qui lit attentivement , c’est facile à voir.

    Seulement je vais vous dire, à quelques exceptions près, les Français sont des paresseux qui refusent de faire l’effort de lire et de lire les yeux ouverts. Alors bien sûr ile ne voient pas. Car c’est pénible de lire surtout avec assiduité. Il faut faire preuve de persévérance et, de surcroît, les livres coûtent cher alors quand un « ayant-déjà-lu » vient vous mettre la becquée dans la bouche, c’est plus facile, ça descend mieux. On prend tout ce qu’il nous fait ingurgiter sans être capable de critiquer. Et pour cause, on n’a pas lu.

    Mais quand il se trouve que des gens lisent et qu’ils s’interrogent sur le sens des phrases prononcées, alors tout change. Et cela ne plaît pas aux idéologues qui s’étaient bâtis leur abri de chasse aux canards pour combattre le communisme marxiste, pour donner une idéologie présentable à une certaine pédérastie et pour – mais c’est un comble – mettre au goût du jour le christianisme ou enrichir conceptuellement la tradition juive. Car c’est tout cela qui se retrouve dans les étalages de foire de Heidegger. Prenez les tous les uns après les autres les heideggériens et vous verrez dans quel rang ils se classent.

    Mais qui veut lire réellement Heidegger? Personne! Si! ceux qui ont appris à exercer leur esprit critique auprès de Platon, de Descartes, de Bergson, de Freud, de Galilée, de Pascal, de Spinoza, de Kant, de Marx, du Christ, de Rousseau et peut-être de quelques autres, mais la liste n’est pas très longue. Car on a vite fait de glisser de la philosophie vraie à l’idéologie et d’abandonner l’esprit critique pour une conviction de pacotille.

    Combien en avons-nous vu de nos maîtres glisser dans ce travers, que nous avons rappelés à l’ordre quelquefois. Car il est difficile de se maintenir constamment dans l’espace de l’esprit critique. L’argent, la fonction, les honneurs, les alliances font souvent perdre la rigueur et la pureté des origines. Mais tout ça ne se voit pas. Seul le diplôme et la fonction sociale tiennent lieu de garantie. Les parapets devenus vermoulus craquent et c’est le saut dans le vide et dans le mensonge. La colombe de l’esprit plane dans l’espace de l’intérêt et abandonne le ciel pur de la critique et l’air désintéressé de la recherche du vrai. Fort heureusement il reste encore quelques irréductibles qui préfèrent endurer les flèches empoisonnées des malins plutôt que d’être dans le camp des tireurs aux ordres de leurs passions intimes.

    Quand on a compris comment se fait la réception d’un auteur et la lecture d’une oeuvre on a compris beaucoup de choses. C’est parce qu’on a le devoir de léguer la vérité aux générations futures avec les méthodes d’accès à cette vérité, qu’il vaut la peine de se battre contre les fauteurs de mensonges même et surtout s’ils croient, illusoirement, être dans le vrai.

    A qui voudrez-vous apprendre que la terre est ronde si votre interlocuteur n’a comme seul horizon que les montagnes qui bordent son champ? Pour le constater, il faut prendre beaucoup de recul jusqu’à ce que ayant atteint une certaine distance la rotondité commence à apparaître. Il en est de même pour l’oeuvre de Heidegger. Il faut prendre suffisamment de recul pour embrasser la totalité de l’oeuvvre dans son cadre historique et se rendre compte enfin que la décision heideggérienne précède tous les actes du nazisme. Ce n’est pas en ajoutant des petits bouts à des petits bouts qu’on peut comprendre le créateur que fut Heidegger et sa dureté mais en regardant le geste ample et continu de sa main depuis l’origine du mouvement jusqu’à son terme. Tant qu’on reste le nez collé aux montagnes que représentent ses différents cours, on ne peut rien voir. Ce n’est qu’en prenant un recul suffisant que la courbure commence à apparaître et que la rotondité de son oeuvre se dessine, que son ouroboros crache alors son venin. Mais tant que le travail de distanciation n’est pas effectué ce n’est la peine d’espérer comprendre Heidegger.

    L’oeil butera toujours sur l’horizon étroit de la montagne proche quand ce n’est pas sur les tuiles du clocher. Bergson avait compris contre Spencer que ce n’est pas en additionnant de l’évolué à de l’évolué qu’on peut comprendre le sens de l’évolution , c’est en refaisant pour son propre compte le geste ample et continu de l’artiste créateur. L’oeuvre étant d’autant plus parfaite selon Heidegger que le créateur s’efface entièrement derrière son oeuvre.
    Il en va de la création nazie comme de la création divine, à ceci près que les valeurs sont inversées.
    A la vérite s’oppose le mensonge de l »aletheia », au Bien , le Mal et au Beau , le terrible.
    Quand on commence par la conscience absolue et par l’ »être en faute », il ne peut pas en être autrement.Quand on sacrifie l’amour du prochain à l’amour du lointain et que ce lointain n’a que l’horizon étroit d’un empire fût-il planétaire, il ne peutpas en être autrement. Et ça, ce n’est pas Hitler qui pouvait le penser. Il n’avait pas la culture voulue. Il ne pouvait tout au plus être qu’un exécutant, un chancelier, non le Dieu lui-même.

    J’ose espérer qu’à votre tour vous aussi, vous verrez maintenant la courbure. Et je le crois d’autant plus fermement que l’esprit critique est universel.
    En toute amitié

    michel bel

    P.S. L’histoire, comme disait Heidegger, c’est notre histoire. Seulement voilà, nôtre histoire n’est pas la sienne.
    MB

    Rédigé par : bel | le 26/02/2006 à 23:56 | Répondre | Modifier
  44. Bonsoir Monsieur Bel,

    Si vous continuez à lire trop sérieusement ce clown philosophique, vous allez finir par vous empoisonner la vie. Cela me peinerait, car vraiment, Heide ne mérite pas ça, lui qui n’a roulé que pour lui, qui n’a vécu que pour satisfaire son ambition personnelle, qui a été flatté d’être appelé aux fonctions de recteur de l’université de Fribourg avant de renoncer, dépité, à ce poste, tout en gardant l’espoir qu’on l’appellerait à nouveau une autre fois. Cet homme était la proie d’une vanité niaise de parvenu intellectuel. Je suis étonné, comme vous, mais pas pour les mêmes raisons, qu’on ait pu faire de ce fumeux penseur un authentique philosophe. C’est à se demander si une certaine tradition philosophique, je pense en particulier à l’idéalisme allemand, n’est pas responsable de la cécité des lecteurs de Heide. J’ai l’habitude de penser que nous reproduisons, nolens volens, la formation que nous avons reçue. Or, je trouve que si, étudiant, on a passé des années à lire une littérature aussi abstraite, littéraire dans le sens le plus mauvais du terme, dépourvue de toute empirie, de toute possibilité de se coltiner avec autre chose qu’avec des signifiants qui, depuis des siècles, ont perdu une quelconque référence réelle, bref un langage qui tourne en rond sur lui-même, un néant qui se néantise (sic!), il y a des chances qu’on a définitivement perdu l’aptitude et le goût d’aimer la vrai savoir. L’oeuvre de Heide m’apparaît comme le stade extrême de cette déperdition du sens du réel. Je lis dans « Qu’appelle-t-on penser » ceci: « Lorsque nous pensons à ce que c’est qu’un arbre qui se présente à nous, de sorte que nous pensons nous placer dans le face-à-face avec lui, alors il s’agit enfin de ne pas laisser tomber cet arbre, mais tout d’abord de le laisser être debout, là où il est debout. Pour quelle raison disons-nous « enfin »? Parce que la pensée jusqu’ici ne l’a encore jamais laissé être debout là où il est. » (PUF, 1959, pp. 40). Est-ce que vous vous rendez compte où une formation comme celle qu’a reçue Heide peut mener: croire que c’est cela, cet exercice vide et creux, penser et, de plus, croire qu’on vient d’inventer l’art de penser, qu’avant lui, personne n’a jamais su vraiment le faire, en particulier pas la science! Alors qu’à son époque, Einstein, N. Bohr, Schrödinger, Heisenberg étaient en train de mener, à partir de leurs travaux, une réflexion épistémologique sur ce qu’on appelle la matière, l’espace, le temps plus étonnante qu’aucun philosphe, peut-être, n’a jamais su le faire. Et vous croyez, Monsieur Bel, que Hitler avait besoin d’un type comme ça pour mener à ses fins son délire paranoïaque. Mais si tel avait été le cas, pourquoi Heide n’est-il donc pas devenu un des grands dignitaires du régime? Or, on ne l’a même jamais vu en compagnie du Führer! Que voulez-vous faire avec un type qui passe le clair de son temps à courir après un infinitif. Du reste, H. Arendt, dans une des lettres qu’elle a adressées à son cher penseur (pauvre Hanna, elle aurait pu mieux choisir tout de même)lui fait délicatement (car la bête était susceptible) remarquer qu’en hébreu il n’y avait pas de verbe « être ». Bien sûr que le penseur de l’abîme n’a rien répondu à cette subtile perfidie féminine, car cette petite remarque qui n’a l’air de rien fait s’écrouler tous les châteaux de cartes verbaux appelés métaphysique que des scolastiques depuis des siècles construisent sur le rivage de la philosophie, à l’instar des enfants jouant au bord de la mer. Heisenberg, lui, était intéressant pour Adolf et ses sbires, car lui au moins était capable d’inventer autre chose que du baratin « talmudique » (sic).
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 27/02/2006 à 22:43 | Répondre | Modifier
  45. monsieur Missslin,
    Les citations que vous venez d’apporter sont de l’or. Pourquoi en faites-vous un usage aussi restreint? Bien sûr que Heidegger savait qu’il n’y a pas de verbe être en langue sémitique. C’est même pour cela qu’il a attribué l’être aux seuls Aryens. Il avait lu Renan et Pictet. Pictet n’a cessé de dire que c’étaient les Aryens qui avaient inventé l’être. Cela ne vous met-il pas la puce à l’oreille?

    Ce que vous appelez une perfidie féminine n’était en fait qu’un aveu de naïveté de la part d’Hannah qui ignorait les sources de la connaissance de Heidegger. Ne portez pas des jugements aussi rapides , monsieur Misslin. Pesez bien les énoncés de Heidegger avant d’émettre un jugement sur eux. Lisez l’histoire du concept de temps et le début de Être et temps, et vous verrez que l’ambition de Heidegger est de refonder l’historiopraxie (la pratique politique de l’histoire) comme Einstein a refondé la physique et Hilbert les mathématiques. C’est cette prétention de refondation qui l’a conduit à l’exigence de la pureté de « naissance » laquelle a donné la politique que vous savez. Mais pas de manière exclusivement intellectuelle , sous le conceptuel il y avait l’affectif, moteur de l’action. C’est encore dans le cours sur le concept de temps de 1925. Quant à l’arbre qui est au coeur de la phénoménologie de Husserl, nous en reparlerons.
    michel Bel

    Rédigé par : bel | le 28/02/2006 à 00:05 | Répondre | Modifier
  46. Bonjour Monsieur Bel,

    Bien sûr que je connais les délires indo-germanisch d’Adolf (tiens, encore un!) Pictet et de bien d’autres. C’étaient des piqués comme Heide, des pseudo-scientifiques qui déliraient philologiquement sur le génie des langues indo-européennes. Ca fait partie de ce romantisme de bazar qui a tellement imprégné la culture européenne. On cherchait les racines de l’âme des nations dans l’étymologie. Si vous voulez me convaincre, Monsieur Bel, et je ne suis pas fermé à l’autre comme l’était l’autiste de Souabe, il ne faudra pas vous contenter des fables de cet acabit. C’est la même chose aussi avec les Schwärmereien grécisantes du M. Jourdain de Messkirch. Toutes ces ficelles lamentables ont certes alimenté les fantasmagories de cet antisémite allemand de base, comme quelqu’un l’a appelé. Ces complexés nationaux à la Le Pen se nourrissent toujours de cette soupe. Et Heide s’est mis dans sa pauvre tête de petit gars de la Forêt-Noire que les Juifs avaient beau être des types doués, intelligents, artistes, inventeurs, cosmopolites, universels, tout cela ne valait pas d’être né dans la glèbe de Messkirch, dans la Heimlichkeit des Heim der Heimat.
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 28/02/2006 à 10:59 | Répondre | Modifier
  47. Monsieur Misslin,
    aujourd’hui je ne cherche plus à convaincre qui que ce soit. J’attends que les esprits s’ouvrent. Et s’ils ne veulent pas s’ouvrir à la réalité, fût-elle la plus dissimulée, je n’y peux rien. Je trouve qu’Emmanuel Faye a eu beaucoup de courage. Il a montré la présence réelle de l’idéologie nazie dans la pensée de Heidegger. Il reste maintenant à montrer comment le nazisme s’est formé dans l’Allemagne des années 10 et des années 20. Et si c’était dans la pensée de Heidegger! Heidegger avait raison lorsqu’il disait: « rien de tout cela na passera dans les livres d’histoire ». Ce n’est pas seulement avec de la preuve qu’on fait de l’histoire, c’est aussi avec de la finesse. Pour comprendre l’histoire il faut d’abord vouloir comprendre et pour cela lancer des hypothèses et si elles résistent contre vents et marées, continuer à explorer ces pistes. C’est ce que j’ai fait. Mais je ne demande pas à mes contemporains de gravir l’Annapurna sans préparation, ils n’y arriveraient pas. Quand on veut s’attaquer à « cet unique massif » comme dit Heidegger il faut d’abord s’entraîner sur des montagnes moins hautes. Je suggère la « Constitution de l’Allemagne » de Hegel par exemple qui date de 1802 ou le « Machiavel  » de Fichte. Ensuite seulement on peut se permettre de gravir plus haut puisque Heidegger, selon ses propres paroles, est la réalisation politique de l’idéalisme allemand (cf. son Schelling), idéalisme auquel il a quand même ajouté une touche personnelle.. Très exactement ce qu’un certain jean-marie appelait « un détail de l’histoire ». Vous pourrez aisément comprendre , je pense, qu’il n’avait pas envie de le crier sur les toits s’il voulait réussir sa « mission » et qu’il avait tout intérêt à se faire passer pour l’ami des juifs au risque d’être discrédité et inquiété par le « balte obtus » qu’était Rosenberg. C’est Hitler qui le nomme ainsi. Il avait ses raisons. Ni Krieck, ni Rosenberg ni Bäumler n’ont compris le jeu subtil de Heidegger, sa ruse de félin. Quand aux Français d’aujourd’hui, ils en sont à six cent mille coudées. mais que voulez-vous le vraisemblable a toujours eu davantage d’attrait que le vrai. Il est tellement plus facile à croire. Et puis, c’est ce que tout le monde pense. Alors c’est vrai, sinon on ne le dirait pas, etc, etc…J’ai essayé de montrer qu’il y avait d’autres pistes pour accéder à la réalité du nazisme que celles qu’on a voulu nous faire prendre pour vraies. Peine perdue!
    Et pourtant la genèse du nazisme ne nous est pas encore bien connue. Mais tout le monde s’en fout. ou presque tout le monde. Quand on a sa vérité pourquoi irait-on chercher ailleurs. Mais peut-être que la connaissance du vrai est à ce prix. Si vous avez encore envie de chercher le vrai, je vous souhaite beaucoup de courage.
    Michel bel

    Rédigé par : bel | le 28/02/2006 à 16:58 | Répondre | Modifier
  48.  » … la manière dont notre propre peuple s’est aveuglément fourvoyé en se laissant conduire dans l’errance est trop lamentable pour que nous ayons le droit de nous prodiguer en lamentations, malgré la dévastation qui étend son emprise sur notre terre natale et ses hommes désemparés ».

    Monsieur « Skildy », c’est justement ce passage que je vous avais commenté et qui s’est envolé avant que je ne puisse vous l’envoyer. Ce passage est monstrueux. L’absence de complémént d’agent à la voie passive en dit long sur la dissimulation de Heidegger. Par qui « notre propre peuple » « s’est-il laissé conduire dans l’errance »? si ce n’est par Heidegger lui-même? Il en fait l’aveu dans « l’expérience de la pensée »:  » qui pense grandement il lui faut errer grandement » (Questions III p.31). Heidegger en 1945 ne dit pas « par Hitler et par son équipe » parce qu’on n’est pas sûr encore à cette époque qu’Hitler soit réellement mort. Parlant de la repentance de Heidegger qui ne vient jamais, Ernst a eu ce mot magnifique un peu plus tard. Si heidegger ne s’est pas accusé, dit-il en substance, c’est parce qu’il attendait qu’Hitler ressuscite pour s’excuser, lui, Heidegger de l’avoir induit en erreur ». Jean Michel Palmier qui a rapporté cette anecdote l’a ensuite modifiée en disant : « il attendait qu’Hitler ressuscite pour qu’il s’excuse auprès de lui Heidegger. » ce qui ne veut plus rien dire. Toutes les pages que Heidegger consacre à l’acte de commander dans les cours sur Nietzsche prouvent que c’est bien lui, Heidegger, qui a dirigé le mouvement. Concevoir c’est commander, vouloir c’est commander, commander seul le peut celui qui obéit à la voix intérieure, etc, etc…Les choses sont encore plus claires dans le cours de 1943 exposé dans Chemins : »le mot de nietzsche: « dieu est mort » p.193,194 et suivantes. Hitler ne cessera de dire quent à lui: « Je suis la voie que me dicte la providence avec l’assurance d’un somnambule ». Qui est la providence pour Hitler si ce n’est le philosophe qui lui trace le chemin (Cf. Mein Kampf NEL. 109 et 379). Relisez les passages sur Calchas dans « La parole d’Anaximandre ».

    Si à partir de là vous n’êtes pas convaincu que c’est Heidegger qui a dirigé le Reich, je ne sais plus comment vous le montrer. Un seul type de documents peut le prouver, s’il existe, pour ceux qui exigent des preuves. Ce sont ses rapports avec l’armée allemande et notamment avec le ministre de la guerre Blomberg qui a fait prêter serment au Führer par toute l’armée allemande au lieu de faire prêter serment à la patrie. Après l’assassinat de Röhm, le serment de Blomberg, c’était vraiment du pain bénit pour Heidegger. Dionysos avait son armée. Rien ne l’empêcherait par la suite de le congédier quand il deviendrait moins docile sous prétexte qu’il avait épousé une prostituée. Quelles furent ses relations exactes avec Blomberg? Je l’ignore. De toute façon elles ont existé; elles sont postulées comme nécessaires par la passation de serment. Dans quel fond d’histoire de la deuxième guerre mondiale ces relations se cachent-elles? Si corespondance il y a, c’est dans cette direction qu’il faut chercher. Seul Heidegger pouvait obtenir de l’armée la prestation de serment au Führer. Je dirai même mieux, cette prestation de serment était la condition première de l’assasinat de Röhm par Hitler. Donnant, donnant. Il faut absolument trouver cette correspondance secrète dans les archives de l’armée si elle n’a pas été détruite. J’invite tous les chercheurs à ratisser, à passer au peigne fin le fond Blomberg. Mais rien ne prouve que cette correspondance ait existé. Les relations ont pu simplement rester orales. Mais cela ne coûte rien de chercher. Ces relations ont existé. il faut en trouver la trace d’une manière ou d’une autre. Heidegger y fait référence dans la parole d’Anaximandre (Chemins) et dans le comment-taire du Rhin. Hitler ferait le coup s’il obtenait le commandement de l’Armée et l’Armée ne lui laisserait la direction que s’il y avait quelqu’un capable de conduire avec sûreté derrière lui. Ce ne pouvait être que le voyant. Ne croyez pas que les généraux auraient fait confiance à un caporal à demi givré s’ils n’aveient eu des garanties. C’est parce qu’ils pouvaient dire Heidegger est des nôtres, Hitler n’est qu’un prête nom à qui on fait endosser le crime, que l’opération a pu se réaliser. Marché de dupes pour qui? Pour Heidegger ou pour l’Armée? Le limogeage ultérieur de Blomberg prouve que c’est Heidegger qui a gagné.

    Quand on se situe à ce niveau on voit que la surveillance idéologique du ministre sans portefeuille Rosenberg ne pesait pas plus qu’une plume à côté d’une tonne d’or. Mais à la libération, ce sont les relations avec l’Amt Rosenberg qu’Heidegger a mises en avant. Bien entendu. Pas folle la guêpe. Elle n’allait pas révéler comment les choses s’étaient passées. C’est le « voyant », le faux mystique, qui guide l’armée d’Agamennon (p.281 à 286). Heidegger parle continuellement par allusion. Entende qui a des oreilles pour entendre.Heidegger a parlé, il suffit de l’écouter et pour cela , il faut être disposé à l’entendre.

    Quant à la « dévastation » c’est tout simplement le triomphe du communisme et du libéralisme, ces objets de haine contre lesquels il était parti en guerre, à côté des autres motivations (la déjudaïsation et la déchristianisation).

    Maintenant que l’essentiel a été dit je consacrerai le reste de mon temps à faire comprendre les « prolégomènes ».
    Michel bel

    Rédigé par : bel | le 28/02/2006 à 19:00 | Répondre | Modifier
  49. Bonsoir.
    Bon, la conversation n’a pas eu besoin de moi pour continuer tout en en restant au même point.
    Je ne puis que formuler mon accord avec R.Misslin, même si j’aurais du mal à qualifier Hitler de « génie », fut-il politique.
    Peut-être fut-il une marionnette, mais je ne vois toujours pas en quoi celle de Heidegger. D’où vient que l’armée allemande, si « finaude », aurait eu besoin du « philosophe », fut-il de taille ?
    C’est la première fois pour ma part que je vois un esprit de finesse se déployer sans référence aux faits.
    Quant aux faux mystiques, il s’agit là d’une production sociale des plus banales, surtout par temps de fachisme…
    Je ne vois pas non plus en quoi il aurait fallu que Heidegger se dévoile pour qu’on reconnaisse en lui le mystagogue…
    Bref on en reste au même point, mais il certain par contre que l’histoire des débuts du nazisme reste en bonne partie à écrire (y compris d’un point de vue financier, que Heidegger ignorait), et que le rôle de Heide dans tout cela n’est pas encore complètement cerné.
    A vous,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 28/02/2006 à 20:23 | Répondre | Modifier
  50. Bonsoir Monsieur Bel,

    C’est vrai que je n’arrive pas à vous suivre et que j’ai, personnellement, le sentiment que vous avez imaginé une fiction historique. Je ne suis du reste pas le seul dans ce cas, mais cela n’est pas un argument suffisant, certes. Et puis, je n’ai aucune envie de vous faire changer d’avis: vous-même et d’autres intervenants me permettez de réfléchir un peu sur cette période que j’ai connue, enfant, mais sur laquelle je n’avais pas envie de revenir, tellement elle m’avait terrorisé. C’est le livre de M. Faye qui a provoqué ma curiosité. Ce qui m’étonne chez vous, et je tiens à être sincère et à ne pas pratiquer, comme qui vous savez, les non-dits , ou les dits pas dits tout en étant dits(on ne se relève pas facilement quand on a subi comme Heide des années de séminaires, je trouve qu’il a vraiment pris le style « curé » catholique classique), c’est que, avant la parution du livre de M. Faye, vous n’avez jamais rien publié sur vos recherches. J’avoue que cela me trouble dans la mesure où vous ne cessez de dire que vous avez longuement étudié cette affaire et que cela vous a pris beaucoup de temps. Or, à la façon dont vous intervenez ici, on a le sentiment que vous éprouvez un besoin très fort de rendre public ce que vous avez découvert, que cela vous tient à coeur de dénoncer l’imposture de Heide. Enfin, malgré tout ce que vous nous écrivez, personne, je crois, n’est encore convaincu par ce que vous avancez. Je veux bien qu’on soit idiot, et j’accepte parfaitement d’être traité comme tel si la personne me donne les arguments: on est toujours l’idiot de quelqu’un. Vous avez vraiment une bizarre manière de présenter votre idée. Pourquoi, au lieu d’utiliser cette façon indirecte de présenter les choses, en prenant de plus l’attitude de celui qui sait bien plus que tout le monde (les historiens du Reich, les sociologues, les philosophes), pourquoi ne nous écrivez pas une fois pour toutes, par exemple, comment, où, quand Heide a formé les militaires à ses idées, où, quand, comment est-il entré en relation avec Hitler, où est leur correspondance, combien de fois ils se sont vus, comment, de façon claire et précise, Hitler a pu utiliser des textes de Heide pour écrire, en prison, son K(r)ampf, et quels textes; et, puisque vous en faites un chef de guerre, comment pouvait-il donner ses ordres, par quelle voie, puisqu’il n’avait aucune fonction officielle (mise à part ses 8 mois de rectorat). Enfin, était-il à l’épouvantable conférence de Wannsee, et il a bien fallu qu’il y soit, si on vous suit, puisque vous en faites l’instigateur de toutes les folies du Reich?
    Pour le reste, et jusqu’à nouvel ordre,ce que Farias, Faye et d’autres ont publié montre combien Heide a tenté de faire jouer à sa prétendue philosophie le rôle d’inspiratrice du nouveau Reich, de transformation radicale de la société (par une épuration)en un peuple authentiquement germanique dont le destin était de sauver l’Europe du libéralisme américain et du communisme bolchévique. Comme R. Ruyer, je me méfie énormément de l’utopisme quel qu’il soit. Mais en même, je sais aussi combien l’utopie est une réponse à une grave souffrance existentielle. Dans le fond, c’est une étude psychopathologique rigoureuse qu’il conviendrait de faire de l’oeuvre de Heide afin d’y repérer le malaise qui était le sien dans la civilisation dans laquelle il vivait.
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 28/02/2006 à 21:23 | Répondre | Modifier
  51. A monsieur Bel,

    Selon vous :

    * Heidegger aurait créé le nazisme
    * Il aurait été l’inspirateur, l’alter ego de Hitler
    * Il aurait commandé l’armée allemande
    * Il serait le véritable concepteur de la solution finale.

    CES THESES SONT ABSURDES ET RIDICULES.

    NOUS N’AVONS PAS BESOIN DE CES « SCOOPS » POUR SAVOIR A QUOI NOUS EN TENIR A PROPOS DE HEIDEGGER.

    Depuis des années vous vous obstinez à vendre votre « concept » d’un Heidegger extraterrestre du nazisme et cela contre toute objection de bon sens.

    Vous vous adressez à moi en ses termes :

    « Les choses sont encore plus claires dans le cours de 1943 exposé dans Chemins : »le mot de nietzsche: « dieu est mort » p.193,194 et suivantes. Hitler ne cessera de dire quant à lui: « Je suis la voix que me dicte la providence avec l’assurance d’un somnambule ». Qui est la providence pour Hitler si ce n’est le philosophe qui lui trace le chemin (Cf. Mein Kampf NEL. 109 et 379). Relisez les passages sur Calchas dans « La parole d’Anaximandre ».

    Si à partir de là vous n’êtes pas convaincu que c’est Heidegger qui a dirigé le Reich, je ne sais plus comment vous le montrer. »

    Et bien c’est simple : je vous prie instamment de ne plus vous obstiner à tenter de me convertir à votre religion absurde et délirante.

    Elle compromet vos analyses les plus intéressantes. Et discréditent de fait les raisons que beaucoup ont à estimer fondée la thèse selon laquelle Heidegger « introduit le nazisme dans la philosophie ».

    Vos conclusions sont absolument contreproductives. Comment se fait-il que vous ne vous en rendiez pas compte?

    Rédigé par : Skildy | le 01/03/2006 à 09:44 | Répondre | Modifier
  52. Monsieur Misslin,
    vous posez les bonnes questions et je m’en réjouis. Commençons par le commencement. Si je n’ai rien publié, c’est parce que la caverne n’était pas prête à m’entendre. Aucun prof de fac n’aurait voulu assumer cette thèse et j’ai testé les plus avancés en la matière. Que dire des autres? Deuxièmement l’opinion publique était tellement formatée sur la question de l’origine du nazisme qu’il était impossible de lui faire entendre raison. On lui avait dit que les responsables étaient Gobineau et les industriels allemands et cela suffisait pour satisfaire ses préoccupations. Le capital et la théorie raciale de Gobineau étaient responsables du national socialisme. Tout le monde était content. Mais comment tout cela pouvait-il expliquer l’holocauste? Des historiens plus malins firent intervenir les circonstances et au plan d’extermination on substitua la pression des événements. Vous comprenez que toutes ces pseudo explications généralistes étaient loin de me satisfaire.

    Pour comprendre il fallait refaire le chemin qui permettrait de voir comment un allemand, un intellectuel, un économiste, un industriel, un employé,un homme politique pouvait devenir nazi. Et d’abord qu’est-ce que cela signifiait: devenir nazi? Vous comprendrez que le charisme d’Hitler dont se repaît encore Kershaw a du mal à passer dans l’esprit d’un philosophe rompu à l’esprit critique par toute une carrière d’enseignement. Il fallait balayer toutes ces ombres et revenir au soleil ou comme on dit, aux choses même.

    Comme je l’ai déjà expliqué, c’est après avoir lu La sorcière de Michelet que j’ai découvert la bonne méthode historique. Pour comprendre l’histoire, il faut rentrer mentalement dans les personnages qui font l’histoire. Non pas les regarder de l’extérieur mais les comprendre de l’intérieur. il faut les replacer dans leur contexte historique. Comment en Allemagne, pays à forte coloration socialiste entre les deux guerres a-t-on pu devenir nazi? Il fallait se pencher sur la littérature allemande pour comprendre.

    Mes premiers introducteurs ont été Fest et Andler. Et de fil en aiguille j’ai appris à connaître ce qui s’était publié en Allemagne depuis Lessing jusqu’à Heidegger pour fixer un cadre d’idées. Comment l’Allemagne était-elle passée de la franc-maçonnerie d’Etat à l’aryanisation? Vous comprendrez aisément que Gobineau ne suffisait pas surtout quand on sait comment ses premières publications ont été reçues en Allemagne. La deuxième vague d’édition de ses oeuvres a eu un écho différent parce que des gens comme Woltmann er Max Scheler étaient passés par là ainsi que l’entourage des de Latour et Taxis. Mais c’est surtout avec l’influence de Renan et d’Eugen Fischer après le massacre des Herreros dans la colonie allemande de Namibie que les choses ont basculé. C’est en 1910, en gros , pour fixer une date que les rapports entre les questions raciales, les questions politiques et l’histoire se sont mis en place. Donc bien avant la première guerre mondiale. C’est justement l’époque où Heidegger en rupture vindicative avec l’église qui l’a humilié va se mettre à la lecture de Nietzsche et bientôt de Max Scheler – l’homme de ressentiment-. A cette époque-là le temps change en Allemagne. Dans les hautes sphères intellectuelles et politiques on commence à substituer aux valeurs chrétiennes, sous l’influence de Fischer, de de Vries, de Renan et de Nietzsche, les valeurs raciales, les valeurs « grecques », et les valeurs nietzschéennes. La branche commence à craquer imperceptiblement mais après la défaite de 1918 les événements vont très vite se précipiter. Si l’Allemagne avait perdu la guerre, disait-on, c’était à cause de la trahison juive. Aux valeurs raciales a succédé une campagne raciste orchestrée par Ludendorff. Un général comme lui ne pouvait pas perdre la guerre. C’était la faute aux autres et en premier lieu aux socialistes et aux juifs, d’ailleurs pour lui, c’était la même chose.

    Mais tout cela ne fait pas un impérialisme en état de marche et bien coordonné. L’armée ne peut rien faire sans une idéologie et sans la finance, surtout lorsqu’elle a été réduite à néant, limitée à un effectif de 100.000 hommes, moins que le nombre de cadres en activité. L’humiliation est totale et les humiliés vont se rejoindre et décider d’une reprise en main du grand empire germanique passé. Le pan germanisme conduit par des hommes sans envergure a fait fiasco en tant que mouvement politique mais le conditionnement de la population par le presse et par la création de loges aryennes dans toute l’Allemagne commence à porter ses fruits idéologiques. C’est en tant que penseur et acteur du pangermanisme que Heidegger et Hitler vont se présenter. Les loges maçonniques chrétiennes (où l’on n’admettait pas les juifs) de plus en plus transformées en loges aryennes font leur effet. Il ne manque qu’un pape pour unifier tous ces cardinaux. Un grand libérateur. Mais « Dans le péril croît aussi ce qui sauve ». Heidegger est là. Möller van den Bruck s’est suicidé. Le coup d’Etat a raté. Il faut reprendre le conditionnement idéologique à la racine. Il faut proposer aux Allemands une nouvelle conception du monde. Mais l’idéologie raciale ne suffit pas. Il faut spiritualiser la conception raciale. Comment? L’Allemagne connait depuis longtemps un poète de prédilection qui est aussi un chouchou de l’armée: Hölderlin. George et Hellingrath avaient eu l’idée de faire de lui un prophète. La solution était trouvée. Copiant la tradition judéo-chrétienne dont elle était imprégnée, l’Allemagne militaro intellectuelle allait faire de lui un prophète. Le prophète de la Nouvelle Germanie. « Naissance et rai de lumière » : la solution était là. C’est sur cette alliance héllénico-raciale que s’est constituée la Weltanschauung du NSDAP et à partir d’elle son programme. Il faut « libérer les esclaves de la caverne » 1925), « libérer la terre pour qu’elle soit une terre »(origine de l’oeuvre d’art.1935) et reconstruire le grand empire racial germanique en lui donnant si possible une dimension planétaire. Le regard qu’Heidegger porte sur l’histoire, n’est pas un simple regard d’observateur ou de prophète (le voyant), c’est un regard d’acteur. Il écrit et il enseigne dès 1925 que « l’être a lieu en tant qu’histoire de l’homme, en tant qu’histoire d’un peuple » (De l’essence de la vérité p.167), qu’ »il faut que l’aletheia devienne pour nous histoire » (p.144) que « l’ouvert n’a lieu qu’au sein de l’histoire d’une constante libération. Mais l’histoire est toujours une mission unique, un envoi du destin dans une situation déterminée de l’agir » (p.112). »non pas une ratiocination suspendue dans le vide ».(Ibid.) Il est clair que la « philosophie » de Heidegger n’est pas une philosophie purement spéculative mais que sa fonction première est d’éclairer le peuple afin de changer de monde.

    A la même époque en 1925 dans la première édition de Mein Kampf Hitler précise la division du travail entre le philosophe et l’homme politique. En 1927 la publication du tome II de Mein Kampf et Être et temps ne feront que compléter le tableau en insistant sur la nécessité d’allumer le combat.
    En 1963 , dans La façon dont mon chemin de pensée s’ouvre en ouvrant la phénoménologie elle-même, il écrira: « à partir de 1919, je mis en pratique le regard phénoménologique ». Or, qu’y at-il eu d’important en 1919 du point de vue de la phénoménologie du nouveau Reich, c’est à dire du déploiement de l’être dans l’étant? -La création du NSDAP.

    Philosophie pratique tournée vers la transformation du monde, la pensée de Heidegger ne peut pas en rester à la seule attitude contemplative dans laquelle les philosophes français veulent la maintenir. C’est une idéologie impérialiste dotée d’une très forte tension politique voire mystique (la mission). Bref c’est un impérialisme mystique qui apparaît comme la continuation directe des projets d’impérialisme mystique de Guido List et de Lanz revus et repensés à travers Max Scheler et l’histoire grecque de Burckhardt. Sans oublier l’histoire raciale de Taine, de Nietzsche et de Gumplowitz. Mais si Heidegger est orienté vers l’histoire comme il le répète dans Être et temps, son action politique réelle doit être mise en évidence. Elle ne peut se résumer à « l’erreur du rectorat » dont on sait depuis longtemps qu’elle n’est qu’un masque de carnaval. Le rôle militaire de Heidegger , analogue à celui d’Hypérion, n’a jamais été étudié pourtant il est patent.

    Il y a d’abord les orientations cadrées du discours de rectorat mettant le service militaire au premier plan et n’hésitant pas à se référer à Clauzewitz. Il y a ensuite les relevés des compte-rendus de l’entraînemnt militaire des étudiants, (signalé oar Hugo Ott), il y a encore le début du cours sur Schelling avec la référence appuyée à Scharnhorst, le recours au maniement du fusil modèle 98 (p.83) dans Qu’est-ce qu’une chose? (exemple tout à fait approprié pour enseigner la nature des mathématiques). Et puis il y a l’Introduction à la métaphysique où le recours à la violence est présenté comme une nécéssité devant laquelle on ne devra pas reculer. Bref la nouvelle lumière sur le monde acquise par l’illuminé de la caverne nécessite le passage à l’acte qu’il nomme après Hegel et Max Scheler « l’être en faute ». Hegel employait ce mot à propos de Napoléon en 1807 quand il était pro-napoléonien comme Kleist, avant de retourner sa veste en 1814.
    Seulement Heidegger est plus malin que Napoléon. Riche de la connaissance des expérience malheureuses de ce dernier, de celles de Giordano Bruno et de Savonarole, il va appliquer strictement les consignes politiques de Machiavel. Faire faire son changement de monde par son chancelier que, de surcroît, il fera nommer président pour mieux lui faire endosser toutes les saloperies qu’il a lui-même programmées afin de parfaire sa grandeur divine de « conscience absolue ». Et Hitler obéira aux ordres du « grand homme » comme un somnambule. C’est exactement ce qu’il dit.

    La transformation de l’étant et son extension exigeait deux choses: la constitution d’une armée pour remplacer celle qui avait été humiliée et réduite par le traité de Versailles, de manière détournée (corps francs) et une fois ces corps francs subversifs rôdés, leur incorporation sous un chef unique quitte à décapiter le chef des S.A. Et ceci conformémént au programme de rectorat: » tout ce qui est grand se tient dans la tempête ». Hegel lui avait enseigné dans La constitution de l’Allemagne qu’ »on ne guérit pas les membres gangrénés avec de l’eau de lavande ».

    Seulement pour donner une armée à Dionysos le dieu philosophe libérateur il fallait s’entendre avec l’armée. Il fallait conditionner Blomberg. Ce fut fait. Heidegger nous dit dans le Rhin qu’il s’est mis en travers pour modérer la fougue du mouvement. Quand et comment a-t-il rencontré Blomberg? Je l’ignore. De toute façon puisque la chose a eu lieu la rencontre d’une façon ou d’une autre a nécessairement eu lieu. Messieurs et mesdames les historiens, cherchez.
    Quand à la communication des ordres, rien n’est plus facile à faire avec des estafettes. J’ai moi-même été militaire dans un service de commandement , je sais comment ça se passe. D’ailleurs Junger nous a dit tout ce qu’il fallait savoir à ce sujet dans son journal et dans ses récits. Et il était bien placé. Les cours de Heidegger étaient suivis par un nombre impressionnant de S.A. puis de SS. Parmi eux, il y avait les estafettes. Hitler les recevait régulièrement. Les choses ont commencé à se gâter vers la fin de la guerre car les estafettes commençaient à avoir des difficultés pour accomplir leur tâche.

    Quand on veut transformer l’étant de fond en comble et « changer de monde », on met la main à la pâte.

    Courtine est bien le seul à n’avoir pas vu le côté « pratique » chez Heidegger . on se demande bien à la faveur de quel aveuglement.

    Je pense que ça commence à être suffisant pour commencer, non? Voulez-vous que je vous parle de la méthode de libération des prisonniers de la caverne en commençant par le premier puis par les intellectuels philosophes? Reportez-vous aux pages 107 et 122 de l’Essence de la vérité et vous saurez comment il a formé son chancelier et son état major d’intellectuels philosophes (Bäumler, Stenzel et toute la clique du Handbuch der Philosophie.
    Je n’ai nullement l’intention de donner des leçons à qui que ce soit, monsieur Misslin, encoremoins de faire preuve de condescendance. Je me contente de dire la vérité, c’est tout, et de susciter la réflexion. or on ne peut la susciter qu’en énonçant des propositions sur lesquelles les gens intéressés réfléchissent ensuite. J’ose espérer que vous êtes de ceux-là. Mais vous nous l’avez déjà montré. Et je vous en félicite.
    Michel Bel

    Rédigé par : bel | le 01/03/2006 à 12:22 | Répondre | Modifier
  53. Cher monsieur Bel,
    avec les matériaux que vous avez rassemblés il y avait de quoi faire plus d’une thèse. Tout ce qui a manqué et qui manque encore, c’est je crois simplement du bon sens.
    Celui de remarquer par exemple que Heidegger est né en 1889, et qu’il aurait donc eu la vingtaine dans les années 10. Un universitaire en philosophie n’est pas un mathématicien, et n’est pas bien efficace à cet âge (bon je vous l’accorde à l’exception de Schelling). De là donc à lancer le nazisme…toute la question véritable est celle des relations entretenues à l’époque par Heidegger avec ces fameuses (fumeuses) sociétés ésotérico-racistes d’où est sorti le nazisme « intellectuel ». Je vous demande des preuves de ce que vous avancez à ce sujet depuis le début.

    En parlant de bon sens, j’ai vu que celui qui se fait appeler Zacharie Cohen (et que je crois être uniquement une marionnette de « Parolesdesjours ») a de nouveau lancé une attaque ignominieuse contre vous sur le blog de Pierre Assouline. Vous ne méritez pas qu’on vous jette la pierre, étant bien assez puni de manière « immanente », mais reconnaissez que la manière que vous avez de prêcher porte le flanc à ce type de perfidie inqualifiable.
    Bien à vous,
    Yvon Er.
    PS. Cher monsieur Misslin, il est faux de dire qu’après le rectorat Heidegger n’a eu aucune fonction officielle : Emmanuel Faye en traite notamment dans son ouvrage. Après le rectorat et en plus de son statut de professeur, Heidegger a participé à cette commission nazie pour le droit allemand, et aux entreprises institutionnelles de récupération de Nietzsche, à savoir dans ce second cas à un des piliers essentiels de la politique culturelle du nazisme.
    Avec mes salutations amicales,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 01/03/2006 à 20:26 | Répondre | Modifier
  54. Bonsoir Monsieur Bel,
    Merci d’avoir bien voulu accepter de répondre à certaines de mes interrogations. Même si je ne suis pas persuadé que Heide ait joué le rôle politique massif que vous lui attribuez, il y a un point cependant que je retiendrai de vous c’est le fait que Heide n’écrivait certainement pas pour les anges. Je vous cite: »La philosophie de Heidegger n’est pas une philosophie purement spéculative, mais que sa fonction prmière est d’éclairer le peuple afin de changer de monde. » Ce point me paraît très important, pour l’interprétation de l’oeuvre de Heide. M. Faye suggère fortement qu’à la suite des textes qu’il a analysés et qui montrent effectivement à quel point Heide était politiquement impliqué (alors que lui-même, dans la correspondance avec Hanna par exemple, écrit à cette dernière que contrairement à elle, il ne s’est jamais intéressé à la politique, mais on sait à quoi s’en tenir avec le « menteur invétéré » qu’il était) qu’il convient à présent de lire autrement Heide, avec des yeux plus avertis. Pourquoi, me disai-je en lisant le passage de vous que je viens de citer, ne pourriez-vous pas écrire un article conséquent en proposant, par exemple, votre lecture d’une oeuvre de Heide, comme S u Z, ou encore son cours sur Nietzsche. J’aime bien en particulier l’idée qu’il avait envie « d’éclairer le peuple ». Evidemment, avec son style, cela paraît difficile. Vous connaissez mieux que moi les plaisanteries et les critiques que beaucoup de ses contemporains adressaient à son style filandreux. Je pense en particulier à Jaensch qui me fait beaucoup rire. Mais, avec le formatage de prédicateur qu’il a reçu au séminaire, je suis tout prêt à penser qu’il s’est pris pour le fameux A Santa Clara: je l’adore celui-là, certains de ses délires me font rire aux larmes. Comme primate inspiré, c’est quand même un bon spécimen.
    Un point aussi que vous soulevez juste en passant (mais souvent, hélas, vous soulevez des tas de points, mais aussitôt après, on passe à autre chose), c’est sa lecture de Nietzsche et sa sortie du catholicisme. Comme j’adore Nietzsche (eh! oui, monsieur Bel, j’ose le dire, sans la moindre honte, surtout pas après les saloperies que les nazis ont mis sur le dos de ce penseur qui aimait Montaigne, les moralistes français du 17ème, Stendhal et la musique de Bizet), je me suis demandé si Nietzsche n’a pas servi d’une sorte de désinhibiteur à ses ressentiments. Je ne suis pas du tout d’accord avec les interprétations de Heide (et je ne suis pas le seul, cf Mme Stiegler dans le n° 704-705 de « Critique » pp.116-128), mais je pense que Heide et beaucoup de ses contemporains ont lu Nietzsche d’une façon qui les arrangeait (paganisme, volonté de puissance, anti-morale chrétienne…).
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 01/03/2006 à 21:09 | Répondre | Modifier
  55. Bonsoir Monsieur Er,

    Merci d’avoir redressé mon erreur. C’est important, en effet, de noter la participation de notre muse philosophique aux commissions que vous citez. Je pense que son interprétation de Nietzsche est essentielle dans la mesure où, vu son aura de professeur, il a pu la répandre autour de lui et se servir de Nietzsche comme faire-valoir. Finalement, c’est ce genre de malhonnêteté intellectuelle qui me dégoûte le plus chez Heide. C’est bon pour un politicien, mais pour un penseur, cela fait vomir. Mais, justement, dans le régime allemand de l’époque, le mensonge était sans aucun doute une véritable arme de guerre.
    Bien amicalement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 01/03/2006 à 22:11 | Répondre | Modifier
  56. Monsieur Er,
    il me reste peu de temps pour vous répondre.

    1-sur l’armée allemande. Après 1918 et surtout après Versailles l’armée allemande est complètement déstabilisée. Elle va s’efforcer de se reconstituer clandestinement. Seeckt va jouer un grand rôle mais les prises de position de Seeckt le discréditeront et il sera obligé d’abandonner ses fonctions. De nombreux cadres sont éjectés de l’Armée réduite à 100.000 hommes. Le moral est à zéro . Il faut reconstruire une unité autour d’un idéal. Et un idéal ne se reconstruit pas en huit jours. L’expérience du front a marqué beaucoup d’officiers et de soldats. Les promotions glorifiantes ont été balayées d’un revers de main. Seul Goering garde le moral car il a promis de venger son escadrille et pense qu’avec l’industrialisation dissimulée aux yeux des observateurs étrangers il pourra tenir sa promesse. La plupart des officiers qui, selon certains observateurs, pensaient davantage à la parade , à la vie facile et aux promotions qu’à faire la guerre, sont en plein désarroi. On note également un conflit entre les officiers issus de l’aristocratie et les officiers issus du peuple et de la petite bourgeoisie qui ont obtenu leurs grades dans les combats. La honte de la défaite ajoutée à la honte de l’humiliation pour raisons de moeurs au début du siècle n’arrange pas les choses. Et puis ne vous y trompez pas les officiers sont moins cultivés qu’on ne croit. Heidegger les rappellera à l’ordre sur ce point dans son cours sur Schelling en évoquant Scharnhorst. La vaillance est une chose, la culture c’est mieux. A quelques exceptions près l’armée allemande dans les années 20 et 30 a besoin de se cultiver c’est à dire de se re-nationaliser sur des bases solides capables de lui donner une ampleur de vue. Il faut refaire l’unité en Bavière, en Prusse, et elle mznque de cadres pour cela. Beaucoupo parmi les meilleurs sont morts. Pensez à Hellingrath entre autres. Aussi quand un intellectuel se présente qui a une tendance nationaliste, c’est une aubaine. Il faut une idéologie solide pour lutter contre le communisme qui fait peur à la noblesse terrienne et l’Allemagne n’a pas d’idéologie de rechange. Comme toujours depuis Frédéric II c’est l’université qui va fournir à l’Armée son idéal. Mais dans quel état se trouve l’université? Heidegger dit: elle est minée par les juifs (Verjudung) or les juifs on n’aime pas ça chez les conservateurs protestants et catholiques mais on aime bien la race au sens très vague du terme, et on aime bien la Grèce. Pourquoi ne pas associer les deux? Race, Grèce et « das Vaterländische » vont être les trois piliers de l’idéologie. Tout ça c’est la Heimat, la patrie. Et la patrie, c’est l’être lui-même. Heidegger n’hésitera pas à le dire en 1934. Heidegger dès 1920 devient le porte parole masqué de la nation soldatesque. Là où est le danger croît aussi ce qui sauve. Mais pour que ce porte parole ait du poids il faut qu’il soit nommé professeur, et ça, ce n’est pas du tout cuit. Et pour être nommé professeur il ne faut pas qu’il se fasse trop remarquer. Aussi sera-t-il d’une discrétion absolue jusqu’à la leçon inaugurale. Mais en 1933 il va pousser dans son discours de rectorat et dans son hommage à Schlageter la remilitarisation et l’esprit de dureté à son comble.

    2-L’esprit de finesse est un esprit de compréhension. Il s’exerce là où les preuves ne peuvent pas être apportées, c’est à dire dans la compréhension de la pensée d’autrui à partir de ses actes , de ses paroles et de ses écrits. Il faut refaire une trajectoire mentale. Ce qui est d’autant plus intéressant chez Heidegger que c’est le chemin qu’il propose de suivre pour comprendre l’histoire médiévale. Il critique l’histoire positiviste et considère qu’elle est incapable de comprendre l’essentiel, l’état d’esprit et l’idéal qui meut les hommes. Tout cela est dit dans le Duns Scot en 1916. Il suffit de s’y reporter. N’oubliez pas qu’il connaît bien Pascal. Il faut donc se situer dans ce redoublement de l’esprit de finesse qui associe Pascal, la mystique médiévale et la philosophie hégélienne. Et cela ne se démontre pas. Cela se comprend. Il n’y a pas de faits pour le comprendre, il n’y a que des indices. Et ce sont ces indices qui en constituant un réseau concordant de recoupements, d’allusions, de substitutions et d’imlications deviennent des faits. Tous ceux qui ont longuement pratiqué Heidegger savent de quoi je parle. Il y a chez lui de l’allusion jésuitique, de la substitution mathématique, de l’allégorie platonicienne, bref tout un jeu subtil d’aquivalences et de renvois dont il a lui même fait partiellement la théorie dans le cadre d’une phénoménologie de l’intentionnalité en 1925.

    3- les faux mystiques dont je parle ne sont pas nés des régimes totalitaires que pour ma part je n’appellerai pas fascistes -le fascisme étant propre à l’Italie de Mussolini-, ils se sont développés en Autriche avec la nostalgie d’un passé embelli (Carnuntum) dans le sillage de l’Atlantide de Platon. Ils sont liés de manière assez compliquée à une rupture avec l’Eglise et à des problèmes de moeurs. Guido List, Lanz von Liebenfels et Heidegger ont réagi tous trois de la même façon, mais avec un degré de culture différent.

    4- je n’ai pas compris votre question sur le dévoilement de Heidegger et le mystagogue. Les choses ne me paraissent pas se présenter comme ça. Heidegger apparaît comme un mystagogue dès 1916. Les cours de Marbourg puis les premiers cours de Fribourg vont faire apparaître une utilisation de l’analogie dans le domaine de l’être du langage et de l’être des hommes assez troublante. Cette pédagogie par analogie sonne faux, on flaire le mystagogue qui a une idée derrière la tête et cette idée sera pleinement exprimée dans les cours sur la métaphysique de Nietzsche. ce qui est primordial pour lui c’est la division en souches dans tous les domaines de l’être, certaines étant privilégiées par rapport à d’autres et ayant reçu des missions.

    Le mystagogue apparaît à terme dans l’affirmation du mythe de « l’oubli de l’être » qui est une pure invention sans la moindre réalité. Je ne comprends pas pourquoi les philosophes ont foncé tête la première dans ce guet-apens. Toute la production heideggérienne est une mythologie, une onto-mytho-logie qui a pris la place de l’onto-théo-logie judéo-chrétienne. Et, dans le fond, quand on cherche bien son centre de gravité, rien d’autre. C’est le vide , le néant. La sentinelle du néant a voulu se faire passer pour le berger de l’être. C’est un coup fe force idéologique sans consistance autre que l’orgueil qui pousse des individus à vouloir dominer les autres et à les asservir sous prétexte qu’ils auraient reçu une mission. Psychose grave.

    Je ne pense pas qu’après ce que je viens de vous dire « on en reste au même point ».

    Votre deuxième intervention:

    Ce n’est pas à 20 ans que Heidegger a crée le nazisme. A 22 ans en 1911, il a eu une intuition fugurante dont il a fait part à de nombreux interlocuteurs dont Jaspers. Il a eu le sentiment d’être libéré des chaînes du christianisme et il a tenté d’infléchir dans sa direction quelques éléments de la ligue du Gral dont il était un membre militant jusque là. En 1913 il participera au rassemblement des jeunes Allemands anti républicains et pour la plupart antisémites près de Cassel sur le Haut Meissner.Il en tirera une ligne directrice sur la transformation de l’homme intérieur qui est déjà inquiétante.

    cette volonté de transformation va vouloir s’incarner dans l’histoire en 1916 – Conclusion rapportée du Duns Scot.Ce « regard phénoménologique » sera mis « en pratique » en 1919 dans le DAP. Contrairement à ce que vous pensez Heidegger a déjà à cette date une théorie de la production du capital très élaborée bien qu’érronée empruntée en partie à Feder en partie à Marx . Hitler la transcrira à sa façon dans Mein Kampf. La séparation du capital industriel et du capital financier recouvre sa théorie des races empruntée à Renan: sémitique et aryenne. Une série de dichotomies se recouvrent ainsi chez Heidegger qui vont finir par faire atribuer à une race la nullité à l’autre l’excellence. C’est en 1919, à proprement parler, qu’après une longue maturation le fondement du National socialisme commrnce. Il « libère » les premiers esclaves de la caverne ,dont Hitler. Pour le découvrir il faut prendre les passages clés de Mein Kampf s’y rapportant et les mettre en correspondance avec le cours de 1931-32 sur l’essence de la vérité( p.107). Je n’ai pas le temps de rentrer dans les rapports entre les loges aryennes et les loges maçonniques, mais je vous invite à lire sa théorie du signe de 1925 (histoire du concept de temps) qui vous éclairera beaucoup sur le rôle qu’Heidegger attribue à la symbolique. Cependant la symbolique pour lui n’est qu’un instrument. Ce qui compte à ses yeux, c’est la réalisation de son projet.

    Dans ce domaine-là ce ne sont pas les preuves qui comptent c’est la compréhension du sens des symboles utilisés par Heidegger. Les symboles sont éparpillés tout au long de son oeuvre, mais vous ne les verrez qui si vous êtes initié pour les voir. Ainsi la coupe en argent, le tabler, l’atelier, le chapeau, la canne, le cube, la source ne parlent qu’à ceux qui savent les lire. J’ai fait tout un tavail sur la symbolique heideggérienne que je ne peux pas vous débiter en ciq minutes. Sachez simplement qu’Heidegger a débité avec le Gralbund (on a les documents) qu’il a rencontré Husserl dans son « atelier », que la « Hütte » est un atelier, une « loge » en allemand, que toute la symbolique nazie est une symbolique alchimico-aryenne et que les syboles rosicruciens pullulent dans les conférences de 1949. Ce qui se conçoit aisément puisqu’il était interdit d’enseignement. On a recours à la symbolique quand la parole est survéillée. Du Gral initial à la coupe en argent, le lien est facile à établir. Le reste dépend du degré d’initiation des personnes en présence. Chacun perçoit en fonction de la formation qu’il a reçue. Cela Monsieur ne se démontre pas. Cela se comprend par initiation.

    Les attaques contre moi ne m’intéressent pas. Je sais me défendre. Ce qui me paraît pitoyable c’est l’énergie que mettent bon nombre de philosophes français à défendre l’indéfendable Heidegger. Ou bien ils sont aveugles ou bien ils sont complices, dans les deux cas, dangereux.

    Que ma parole vous apparaisse comme un prêche est quelque chose d’assez surprenant car je ne prêche pour rien. J’avance des énoncéa pour que les auditeurs ou les lecteurs à partir de là se mettent à chercher au lieu de se contenter de la facilité du vraisembleble. Je ne dialogue ensuite qu’avec les gens qui commencent à me poser des questions lorsque ce sont des questions sincères et non des pièges graossièrement tendus. Je sais bien que j’aurai contre moi la réaction de tout le formatage de la caverne dont je fais aussi partie, mais contrairement à Heidegger, je n’ai pas de nouveau regard sur les valeurs qui conduirait le lecteur à la nécessité d’un « être en faute »par l’action qu’il serait amené à exécuter..
    vous m’excuserez si je ne peux vous en dire davantage pour l’instant.
    Michel bel

    Rédigé par : bel | le 02/03/2006 à 01:04 | Répondre | Modifier
  57. Cher monsieur Bel,
    vous n’avez pas compris le sens de ma critique si en me lisant parlant du « bon sens » vous croyez que je fais appel à l’évidence commune. Je parle bien plutôt de droite et saine raison : je ne vous critique pas parce que vos conclusions sont peu vraisemblables, mais pour avoir désobéi à la fin du Tractatus. Cette critique est pour une part logique : je vous ai dit que pour moi un génie du mal est une contradiction en soi, et qu’un homme seul n’accouche pas du nazisme ; en un deuxième temps je pense que vous confondez purement et simplement les mots et les faits, ce qu’a voulu Heidegger (et à cet égard vous pointez des choses importantes) et ce qu’il a été.
    Loin de moi l’idée de vous faire tomber dans un piège (me serais-je moi déguisé en ce que je ne suis pas pour vous accuser de ce que vous n’êtes pas ?), j’ai plutôt espéré un temps vous en sortir.
    En parlant sinon de « prêche » je voulais simplement vous dire que vous nous demandez de croire à des contradictions et des supputations, et que vous semblez vouloir convertir des âmes perdues. J’espère à ce sujet que vous ne retournerez pas sur le blog de Pierre Assouline, absolument honteux…
    Bien à vous tout de même,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 02/03/2006 à 18:13 | Répondre | Modifier
  58. Bonsoir Messieurs,

    Je me permets d’attraper au vol une phrase de votre dernier message, M. Er: « Un homme seul n’accouche pas du nazisme ». J’abonde complètement dans votre sens d’autant qu’il faudrait définir ce que l’entend par nazisme qui ne se confond, par exemple, pas avec national-socialisme que M. Fédier, je crois, appelle socialisme national, ce qui a provoqué l’ironie de certains comme il fallait s’y attendre. Mais, je peux aussi comprendre cette sorte d’euphémisation que pratique M. Fédier, dans la mesure où, avant le national-socialisme historique, il a existé en Allemagne effectivement une sorte de mouvement socialiste national. Tout cela pour dire qu’il ne faudrait pas trop isoler Heidegger de son temps, et plus encore de l’histoire de l’Allemagne et de celle de la philosophie allemande. La pensée de Heide m’apparaît dépourvue d’originalité. D’une part, et vous l’avez déjà souligné M. Er, il y a parfois derrière ses phrases grandioses et ses essences langagières des trivialités absolues. Par exemple, cette histoire de Dasein, franchement, jeté dans l’existence, c’est de la plate littérature néo-romantique. Mais, je ne peux pas manquer aussi de noter que les philosophèmes de Heide sont tout sauf originaux: il suffit de lire Fichte pour s’apercevoir que la philosophie allemande, depuis des lustres, charrie les mêmes thèmes dans une espèce de rabâchage ennuyeux, grandiloquent et bizarre: pureté de la langue allemande (les langues romanes sont batardes), la langue fait une nation, le peuple allemand, un peuple destiné, de par ses origines pures, à sauver les autres peuples européens de leur décadence, et, bien entendu, les sempiternels relents judéophobes. Son « discours à la nation allemande » est un véritable texte fondateur du nationalisme germanique, donc allemand. C’est tout de même curieux que le premier recteur de l’université de Berlin, un philosophe, ait éprouvé le besoin de s’adresser ainsi à son pays. Franchement, est-ce là le rôle d’un philosophe? Qu’est-ce que c’est que cette manie? N’y a-t-il pas déjà pas assez de prophètes, d’éducateurs du peuple, de « dém-agogues » (ça, c’est pour faire du Heide, l’amoureux de la langue grecque). De ce point de vue, Heide est un véritable clone de Fichte. La tradition oraculaire pourrait-on dire: c’est comme si une certaine philosophie, fatiguée d’aider les hommes justement à ne plus attendre des réponses des oracles, des divinités, des prophètes, des illuminés, des gourous, et de leur apprendre à ne pas laisser surdéterminer leurs préoccupations par l’hystérisation affective, c’est comme si, au contraire, cette philosophie éprouvait le besoin de dramatiser l’existence, d’engager les hommes dans des aventures inouïes, dans l’attente d’aurores élouissantes, ou encore de menaces apocalyptiques, béances ouvertes sur le néant abyssal d’une existence rongée par un mal métaphysique sans fond, insondable, comme celle des damnés du dernier cercle de l’Enfer dantesque! Heide avait eu des modèles du genre. Ils nous font braire ces amateurs de pouvoir, ces mythologues du sens qui a perdu tout bon sens.
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 02/03/2006 à 22:05 | Répondre | Modifier
  59. Monsieur Er,
    il y a décidément beaucoup de réglages à faire avant de se comprendre. Ne me prêtez pas des intentions que je n’ai pas, ce serait une erreur. Essayez donc de faire fonctionner les thèses que je défends dans le contexte de l’époque en rentrant dans le détail des actes, des paroles et des personnages. Et peut-être que vous verrez alors le paradoxe se dissiper. Pour atteindre le vrai, il faut écarter beaucoup de fausses évidences. Personne ne croyait ou ne voulait croire à l’extermination en 1945. Il a fallu attendre l’ouverture des camps. Personne ne veut croire au rôle fondamental de Heidegger. Quand on comprendra mieux ses paroles, les choses changeront. Mais il faudra du temps, beaucoup de temps. Moi je ne vous demande pas de croire. Je vous invite à ouvrir plus grand les yeux et à chercher davantage. Je n’assène pas des dogmes, j’invite à faire toujours plus de recherches. Mais pourquoi n’aurais-je pas le droit de vous présenter le résultat de mes recherches? J’ai indiqué à longueur de blogs depuis plus de six mois dans quelle direction il était souhaitable de chercher et avec quelles méthodes. Maintenant si on préfère me critiquer au nom du bon sens plutôt que de chercher à voir si j’ai raison ou non on n’avancera pas beaucoup. Car le bon sens s’est aussi beaucoup dégradé au cours de l’histoire. Mais j’ose encore espérer que vous ne baisserez pas les bras. Vous savez, dans les loges secrètes celui à qui on obéit n’a souvent que l’apparence d’un individu ordinaire qui ne paie pas de mine. Passer incognito aux yeux de tous tout en ayant le pouvoir absolu, voilà en quoi se complaisait Heidegger. Il en tirait une joie profonde. Il ne cesse de le révéler de multiples façons, encore faut-il vouloir l’écouter. Mais en lisant le style très particulier et volontairement équivoque de Heidegger souvent on préfère s’écouter soi-même plutôt que d’écouter ce qu’il dit. On ferait peut-être bien de se reporter alors aux paragraphes 1 et 2 de son introduction à l’histoire du concept de temps et aux divisions 35 et 36 qui ont servi de conclusion à ce cours en 1925. Bien entendu on remplacera « l’être en dette » qui n’a pas sa place ici par « l’être en faute » qu’on interprètera dans son sens d’origine qui est le sens hégélien -schélérien. Ne m’en veuillez pas si je suis obligé de faire ces quelques remarques, je les crois utiles sinon je me tairais. Bien à vous,
    michel bel

    Rédigé par : bel | le 03/03/2006 à 01:10 | Répondre | Modifier
    • Mais non, Heidegger n’était pas le démiurge caché de Hitler, il faut arrêter avec ce délire. Sa biographie et sa correspondance le prouvent : par exemple, il écrit dans les années trente qu’un poste à Berlin lui permettrait de se rapprocher du cercle du pouvoir et de Hitler. Pourquoi écrirait-il une chose pareille s’il était le véritable « Führer caché » donnant ses ordre à Hitler ?

      Ceci dit il a effectivement eu une grande influence sur les hauts dignitaires nazis au même titre qu’un Jünger et qu’un Schmitt, le trio infernal : Mobilisation totale, État total, Extermination totale.

  60. Monsieur Er, vous dites « un homme seul n’accouche pas du nazisme ». Bien évidemment. Qui a jamais prétendu ça? Mais dans la mesure où le nazisme est une idéologie, un homme peut la créer. Il en a été de même du marxisme, du christianisme, et quand la structure est mise en place avec l’aide de collaborateurs convertis à cette vision, un homme peut la diriger et la conduire dans le temps afin de parvenir au but visé. Ce qu’on admet pour le christianisme et le marxisme pourquoi ne veut-on pas l’admettre pour le nazisme? De même on admet des dissidents pour le marxisme et pour le christianisme, pourquoi ne pas en admettre pour le nazisme?

    Seulement pour le nazisme il s’est passé autre chose. Riche de la pensée de Machiavel le fondateur de l’idéologie nazie s’est servi d’un démiurge pour la réaliser, démiurge qui lui a servi à la fois d’écran protecteur et d’instrument d’action efficace. Il avait aussi lu les Possédés de Dostoievski et quand vous réunissez les principes politiques de Machiavel, ceux de Dostoievski (Les Possédés) et ceux du marquis de Posa (Don Carlos) vous avez un mélange détonant. Mais cela est peut-être trop calé pour notre époque. Raymond Aron qui était un fin politologue, l’avait pourtant parfaitement compris. Mais qui lit encore Raymond Aron? On serait peut-être bien inspiré en cette période troublée d’écouter quelques unes de ses leçons, non seulement pour comprendre le passé mais aussi pour appréhender le présent. Raymond Aron et Marx restent deux auteurs indispensables. Ajoutez-y la vision indépassable du Christ et vous aurez les instruments appropriés pour juger sainement notre époque. Et vous comprendrez peut-être aussi un peu mieux, à partir d’eux qui fut réellement Heidegger. je vous souhaite de faire le pas.
    très amicalement
    michel bel

    Rédigé par : bel | le 03/03/2006 à 11:13 | Répondre | Modifier
  61. Bonjour à tous,

    M. Bel écrit: « Personne ne croyait ou ne voulait croire à l’extermination en 1945 ». Je ne pense pas que vous ayez raison, M. Bel, car bien avant la fin de la guerre, bien des gens, et en particulier les Juifs, savaient parfaitement ce qui se passait dans les camps. Il est arrivé à mon père d’emmener à la frontière suisse des Juifs pour les aider à s’enfuir pendant la guerre, car nous habitions à côté de la gare la plus proche de cette frontière. J’ai entendu, enfant, mainte et mainte fois mes parents, mes tantes, exprimer leur horreur en entendant les récits de la bouche des gens que mon père a aidés. C’est parce que mon père savait ce que les « boches » (car nous ne les appelions pas autrement, et pour cause)faisaient, et étaient capables de faire, que mon père a pris les risques d’aider ceux qu’il appelait « les pauvres Juifs » à échapper à la mort. Ma famille avait l’Allemagne d’alors en horreur parce que, en tant qu’Alsaciens, nous avions appris combien ce pays était capable de brutalité, d’arrogance et de terreur.
    En lisant les diverses interventions sur ce blog, mais aussi ailleurs, que le livre de Faye a déclenchées, j’ai fini par me faire ma propre idée sur le
    personnage « Heidegger ». Je ne pense pas que Heide était un nazi, dans le sens précis de ce mot. Heide voulait être un grand philosophe, c’était à mon humble avis son ambition majeure. Il a consacré une très grande partie de sa vie à écrire, écrire, écrire. Quand on pense à la quantité de volumes que constitue l’oeuvre complète, on se dit que cet homme était vraiment animé par un besoin « fou » d’être non pas le penseur des nazis, ça je ne le crois pas, mais le grand penseur de l’Allemagne moderne. Il devait se prouver ça à lui. Nos folies prennent des formes variées et diverses (voir S. Brant). Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il était persuadé qu’il avait une mission, celle de tenter de sauver de la « dévastation » bolchévique et américaine son peuple, et avec lui, l’Europe toute entière. Il croyait que la philosophie, ce qu’il entendait par là, allait aider les élites à trouver les voies nécessaires au salut de la nation. Sa façon de s’isoler autant qu’il pouvait du « bruit » ambiant pour tenter de « penser » ce qui arrivait à son pays, c’était sa façon à lui de lutter contre ce qui lui apparaissait comme une menace grandiose contre la civilisation européenne. Il y avait de quoi être inquiet. Mais, ce qui caractérise la réponse de Heide, c’est ce que je me permettrai d’appeler l’ »illusion » de la philosophie, en général (celle de Platon et de sa tradition), et plus particulièrement l’illusion prétentieuse de l’idéalisme allemand. Pour lutter contre le nazisme, il ne fallait pas passer 15 heures par jour dans sa hütte en cogitant sur Kant, Platon, Nietzsche, Hegel et … Abraham a Sacta Clara (vous savez bien que je l’adore celui-là!), il fallait résister, réellement et modestement, et il y a eu beaucoup d’Allemands qui l’ont fait, plus qu’on ne l’a dit, mais ceux-là n’avaient pas pour ambition première d’être le plus célèbre penseur du XXème siècle. La « trahison des clercs », c’est souvent de faire passer son ambition personnelle avant tout le reste, c’est aussi plat que ça. Assez de mythologie. Il y a des penseurs, et Platon est leur modèle, pour penser que penser c’est la chose la plus importante au monde. Et plus cette pensée est obscure, paradoxale, exprimée sous une forme ésotérique qui donne à penser que derrière ce qui est dit il y a encore bien plus à dire mais comme c’est indicible on ne peut pas le dire, alors il y en a qui se pâment: nous aimons le mystère comme les enfants, et beaucoup de philosophes jouent aux mystérieux, une pose comme une autre. Le grand herménaute de l’âme humaine, J. Lacan, qui aimait bien Heide, car il devait s’y retrouver comme dans un miroir, savait bien que prétendre savoir plus qu’on ne sait est une feinte des plus payantes pour se faire passer pour plus intelligent que les autres. Et, dans le zoo humain, comme dans d’autres zoos, la chose la plus précieuse pour soi est de tenir les autres en respect, peu importent les moyens, car ils sont tous bons.
    Cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 03/03/2006 à 14:10 | Répondre | Modifier
  62. Votre âme est généreuse, monsieur Misslin. Mais quand on organise la déportation de millions de personnes et qu’on les envoie pour finir aux fours crématoires on ne peut plus parler de grand philosophe. La grande force de Heidegger a été de se dissimuler et de faire agir les autres. Que fait le chef d’une très grande entreprise? Rien d’autre. Or le nazisme est une entreprise de domination planétaire au nom d’un principe racial , d’élimination des obstacles et d’extermination afin d’assurer la préservation des scquis.

    Pour commander il n’est pas nécessire d’aller sur le terrain. Il suffit d’avoir un conducteur de travaux bien formé à son service. Quand cette entreprise consiste à changer « de » monde, il faut penser dans le détail ce changement de monde, l’idéologie qui le soutient. Ne soyez pas étonné que Heidegger à cette fin ait fait beaucoup de conférences, formé des agents de maîtrise, des agents d’entretien, des créateurs et des gardiens comme il dit.

    On ne résiste pas en cogitant dans la « loge » mais on peut y peaufiner un conditionnement idéologique qui servira de base à la culture future. Quand on est à la fois pape, général et souverain on peut se permettre d’être presaque immobile une fois la toile d’araignée construite. Quand le dispositf (Gestell) a été mlis en place, une fois que les ordres sont donnés la machine tourne toute seule. Voilà pourquoi Heidegger n’ a pas eu de peine à passer de la direction du Reich au Tao. mais la machine tourne et quand c’est une machine à broyer, elle broie. Méfiez vous de l’eau qu dort et du chat qui fait semblant de dormir.
    michel bel

    Rédigé par : bel | le 04/03/2006 à 00:29 | Répondre | Modifier
  63. A « lien permanent ».

    Enfin quelqu’un qui lit Heidegger! Et quand on lit Heidegger en le pesant à son poids plein, qu’est-ce qui se passe? La réaction ne se fait pas attendre. « Ce qu’on découvre peu à peu en le lisant soulève littéralement le cœur ». Quand on met son œuvre en rapport avec les cadavres qu’elle a provoqués on est pris de vomissement. Combien de fois il m’est arrivé de pleurer après avoir lu des récits et des compte-rendu de captivité, en établissant un lien entre eux et les cours de Heidegger sur Nietzsche, sur Schelling et sur Hölderlin, tout en me remémorant les images monstrueuses des camps d’extermination où on voit des officiers nazis marcher sur des cadavres entassés dans des fosses ou tuer des enfants à bout portant. Combien de fois me suis-je révolté en voyant avec quel cynisme Heidegger appelait cela « la poésie », la « construction de l’habitat poétique » alors que ces gens ne demandaient qu’à vivre, à exprimer leur sensibilité et leur tendresse. Par quelle folie le désir d’être Dieu a-t-il conduit Heidegger à donner ces ordres-là et à dissimuler ses ordres d’extermination sous la couverture d’un commentaire apparemment poétique ?

    Je ne rentrerai pas dans le détail des contrastes qui ont provoqué mon émotion, mon écœurement et ma colère. Mais je voudrais que les lecteurs de Heidegger commencent à comprendre quel « carnaval macabre » ce prétendu philosophe a imposé à l’Europe et au monde . Combien de fois me suis-je dit: » Comment peuvent-ils encenser Heidegger! Ce n’est pas possible, ils ne l’ont pas lu ! ». Et si, pourtant. Jean Greisch l’avait lu, le pasteur Richardson l’avait lu, François Fédier l’avait lu, Michel Haar l’avait lu, Jean-Marie Vaysse l’avait lu, Martineau l’avait lu. Et j’en passe. Alors quoi? Est-ce moi qui lis mal? Pourtant ce que je lis est écrit. Comment se fait-il que, eux le comprennent d’une façon et moi d’une autre? Par quelle ligne de démarcation le clivage passe-t-il?

    J’ai interrogé des admirateurs. Les uns étaient homosexuels, les autres catholiques, les autres juifs. Mais enfin, leur disais-je, que lui trouvez-vous? Êtes-vous pour les assassinats de masse? – Mais pas du tout. Alors quoi ? Tous m’ont répondu: c’est l’enchantement du vocabulaire. L’un avait eu une « expérience mystique », il se retrouvait dans son vocabulaire. L’autre avait souffert de la répression catholique ecclésiastique, il se retrouvait dans cette idéologie qui ne présentait aucune condamnation. Un troisième, juif, pensait qu’Heidegger avait dit la vérité aux forces d’occupation et qu’il avait été poursuivi par les nazis parce qu’il avait défendu les juifs, l’attitude de Krieck le prouvait. -Et les massacres des juifs, leur disais-je, et les massacres des homosexuels, et les massacres des prêtres? – Ah ! Ce n’était pas lui, mais Hitler.

    Mais avez-vous lu Mein Kampf ? leur disais-je, où Hitler parle du philosophe qui l’a formé et qui a tracé le plan d’extermination et de conquête de l’espace vital germanique? -Aucun ne l’avait lu. On avait entendu parler de Mein Kampf, des camps, mais on ne faisait aucun lien entre Heidegger et Hitler. Comment dans ces conditions leur rendre évident le rôle décisif joué par Heidegger? Impossible. Ils étaient formatés. Aucun ne pouvait croire à un rapport entre la parole si douce de martin Heidegger surtout présentée par François Fédier qui ne parle que de « tendresse », et la conduite du Reich. – De toute évidence, j’étais cinglé. Même en leur mettant les passages les plus horribles sous les yeux (les discours sur Abraham a Sancta Clara, l’hommage à Schlageter, les discours politiques, le texte sur l’extermination dans « la métaphysique de Nietzsche » rien n’y faisait. Ils étaient imperméables.

    Pourquoi en était-il ainsi? Ils ne voulaient pas voir parce qu’ils étaient au chaud dans leur refuge. Et on était vraiment salaud si on voulait les déloger. Comme ils connaissaient ma générosité, ils ne comprenaient pas que je puisse voir de travers et être mal intentionné. -Ce que tu nous dis n’est pas écrit, tu l’inventes.
    C’est alors que brusquement mes yeux se sont ouverts. S’ils ne voient pas, me suis-je dit, c’est parce qu’ils lisent Heidegger sans voir que son vocabulaire a changé de sens. Ce ne sont pas les néologismes qui font problème au niveau de la compréhension, ce sont les glissements de sens. Heidegger a changé le sens des mots fondamentaux sans en avertir son lecteur. Il faut pour le découvrir travailler les textes en profondeur et relever ses déclarations distribuées comme à la volée, ici ou là. Ce qui fait qu’on peut très bien lire un texte sans se rendre compte des changements sémantiques. Ainsi en est-il par exemple pour L’origine de l’œuvre d’art. Les déclarations sur la transmutation du vocabulaire n’apparaîtront que dans les cours sur Nietzsche de 1937, de 1939 et de 1940. Si on n’est pas absolument attentif à ce phénomène, on ne le voit pas. Le glissement se fait souvent à la suite de manipulations étymologiques comme c’était le cas chez Nietzsche dans la Généalogie de la morale (bonus/duonus, par exemple). Eh bien, même en leur mettant le doigt dessus, les yeux ouverts sur les pages en question, ils ne pouvaient pas arriver à le croire. C’est alors que je me suis rendu compte qu’il fallait faire un deuxième LTI (Langue du troisième Reich) consacré exclusivement à Heidegger. Le LTI heideggérien était assurément la tête du LTI général, colligé par Klemperer, qui n’en représentait que le corps. Sans ce travail préalable il était impossible de sensibiliser. La « Umleitung » heideggérienne était vraiment la clé de la compréhension du Reich. La poésie, la justice, la liberté, l’art, le droit, la vérité, le bien, le mal, tous les mots fondamentaux auxquels nous sommes habitués avaient changé de sens. Il y avait eu une véritable « Umsturz » pour reprendre le mot de Max Scheler. Et si Heidegger n’avait écrit qu’à chaque nouvelle époque de l’histoire les mots fondamentaux changent de sens ( Nietzsche I NRF p.133-134), on aurait pu croire que je projetais mes fantasmes sur l’œuvre de Heidegger. Mais c’était écrit par Heidegger lui-même.

    C’est alors que certains ont commencé à me prendre au sérieux et à comprendre ce que voulait dire le « lourd bonheur », « la poésie » est une occupation « terrible », ou encore ce que pouvaient signifier  » la douce rigueur » et « la rigoureuse douceur », ce que pouvait contenir comme sens caché l’appel à la dureté du cœur dans l’éloge de Schlageter. C’est alors que certains commencèrent à comprendre l’éloge de la violence dans l’Introduction à la métaphysique. Je me dis : » C’est gagné ! Tu es arrivé à leur ouvrir les yeux ». Quelle ne fut pas ma déconvenue lorsque l’un d’eux me dit: « Tu crois que c’est vrai? Ce n’est pas possible ». Il venait d’avoir les faits sous les yeux, c’est à dire les textes même de Heidegger. Il ne pouvait pas y croire. Et pourtant c’était là sous ses yeux. Y compris l’appel de Heidegger à la remobilisation de l’Allemagne dans la réédition d’Être et temps de 1953, y compris le texte sur son adhésion aux thèses de Nietzsche exposées de 1937 à 1945 et qu’il republiait (Nietzsche I NRF Préface p.10). Peine perdue! On retournait toujours aux schèmes linguistiques du vocabulaire habituel. Le rapport signifiant/signifié, comme un élastique qu’on aurait tendu revenait à la même position lorsqu’on le relâchait.

    C’est alors que je compris Platon, le Christ, Galilée et Heidegger mieux que jamais. La « caverne » n’était pas une allégorie, c’était une réalité sociologique fondamentale. La caverne avait ses lois et la première de ces lois était la loi d’inertie. Lorsqu’un corps est au repos, il reste au repos, mais lorsqu’un corps est en mouvement il continue son mouvement de manière uniforme s’il ne rencontre pas de résistance. Les lois de la mécanique inventées par Descartes étaient aussi valables pour le conditionnement psychologique. Comment passer de l’inertie au mouvement? Chez Heidegger ce fut « l’aiguillon de la conscience malheureuse », selon ses confidences qui détermina ce passage. Il dut en être de même pour Platon, pour le Christ, pour Galilée. Ce qui déclenchait le mouvement de la conscience et faisait sauter les obstacles épistémologiques ne pouvait être que d’origine affective. Mais la douleur morale n’était peut-être pas nécessaire. Pour Galilée ce fut un changement de comportement dans l’observation des astres. Mais pour Platon, ce fut la condamnation à mort de Socrate, pour le Christ, nous ne savons pas, pour Heidegger ce fut l’esseulement et la frustration dus à la mutation brutale de Gröber. Tous quatre eurent à faire face à l’inertie de la caverne et furent confrontés à la menace de la mort. Comment tous les quatre arrivèrent-ils à créer du mouvement? En créant des disciples avec une fortune plus ou moins heureuse. Pour que la mayonnaise prenne il faut battre les œufs longtemps et verser l’huile avec patience et surtout ne pas arrêter de remuer. Qu’il s’agisse des valeurs de bien ou de mal, le processus d’élévation de la mayonnaise est le même, il obéit aux mêmes lois.

    Ainsi, si Heidegger avait triomphé c’est qu’il avait tiré de la caverne un disciple à qui il avait montré sa nouvelle conception du monde (De l’essence de la vérité p.107) et ce disciple avait, à son tour, après avoir été pleinement convaincu, brassé les esprits de la caverne. Cette diffusion de l’aperception d’une nouvelle vérité les uns l’avaient payée de leur vie (le Christ, Pierre, Paul), les autres avaient failli (Platon, Galilée), les fauteurs du mal en revanche s’en étaient sortis indemnes grâce à leur ruse (Heidegger, Carl Schmitt, Jünger), seul leur fusible avait fondu (Hitler). Pourrais-je espérer faire mieux qu’eux en diffusant ma prise de conscience? Sûrement pas. Ce qui importait c’était de créer le mouvement pour l’éveil à la vérité tout en sachant qu’un mouvement violent inverse se lèverait pour le maintien dans l’erreur. Il fallait composer avec ces lois de la mécanique, avec cette dialectique, on ne pouvait pas y couper. La caverne ne s’éveille que lentement et elle peut s’éveiller aussi bien à « l’illusion du bien » qu’au « bien lui-même ». Heidegger l’a éveillée à l’illusion du bien. Bourdieu, Farias, Jean-pierre Faye, Emmanuel Faye et moi-même, plus modestement, à partir de réflexions et de problématiques différentes, nous tentons de l’éveiller à la reconnaissance de la vérité sur le « mage » de Todtnauberg. Nul ne peut savoir qui dans la caverne s’éveillera mais pour que quelqu’un puisse s’éveiller il faut parler, il faut communiquer ce qu’on a vu avec son regard intérieur comme aurait dit Platon.

    Si Heidegger est dangereux c’est parce qu’ayant vu cela, il a triché pour satisfaire son orgueil et venger sa libido souffrante en tentant de devenir, après la prétendue mort du dieu chrétien, un nouveau dieu. « Quoi, deux mille ans passés et pas encore un nouveau dieu ». Eh bien le voici, Moi, Heidegger. Et pour que l’entreprise impériale réussisse, il fallait procéder avec prudence et éviter la précipitation. C’est pour cette raison que le Dieu a enseigné la patience à ses élèves : en la comparant à la préparation d’un bûcher jusqu’à ce qu’il prenne feu, enfin. Car on ne peut pas « en avoir fini avant de commencer ».(1930 Cours sur la phénoménologie de l’esprit de Hegel). « rien que pour s’allumer le conflit a besoin de préparatifs. C’est du reste dans ce dessein que la présente recherche est en route » (Être et temps.1927). Et, en 1934, après la nuit des longs couteaux: «le Dieu a déjà pris les devants, il veut épargner la hâte. Cette anticipation par laquelle le Dieu intervient est la puissance de l’origine, sous la figure du ralentissement qui réfrène ». Il faut lire tout le paragraphe qui suit dans lequel est encore écrit ceci: « Le Dieu fait qu’il y ait retard dans la véhémence avec laquelle ce qui surgit se veut soi-même. » (Le Rhin NRF p.242)

    Je signale que ce texte a été traduit en 1988 par François Fédier, assorti de la présentation suivante: « ce texte doit être compris comme la continuation encore radicalisée de la tentative du rectorat ou peut-être mieux encore comme la métamorphose que l’échec du rectorat fait subir à la pensée de Heidegger ». (p.8). On pourrait penser qu’il a compris l »hyper-sadisme » de Heidegger, eh bien! Non! Toute la violence du texte va être dissimulée derrière le mot « tendresse ». « Innigkeit » va être traduit par « tendresse ». La trahison du traducteur français est ici totale. Par cette traduction François Fédier a transformé un assassin de masse en un quasi Saint du calendrier chrétien victime de ces horribles nazis. Avec le commentaire heideggérien des Hymnes de Hölderlin, nous prenons le chemin du sacré, de la guérison, du salut, de la « salvation ». C’est le moment de rappeler que , contrairement à ce que veut laisser croire Fédier, Heidegger, en 1937, appela les Français « ce peuple faiseur d’histoire » à la collaborer avec les nazis pour réaliser le salut de l’Occident ( Heidegger Cahier de l’Herne, Poche p . 71 à 77; Vaysse traduit par : la « salvation »). On a vu en quoi cette salvation consistait entre 1940 à 1945. Alphonse de Chateaubriand et Edouard Spenlé étaient là eux aussi, aux côtés du maire nazi de Fribourg ; appel auquel répondra bientôt l’ami de Spenlé : Bachelard. Ce dernier sera nommé à la Sorbonne en 1940, pour remplacer Abel Rey qui avait été le chantre de « l’éternel retour ». Lui, enseignera la Formation de l’esprit scientifique, la Philosophie du non et la poétique du feu abusivement appelée psychanalyse. Il aura deux tabliers, deux établis, l’un scientifique, l’autre « poétique ». Il enseignera dans le cadre de l’esprit allemand de la Nouvelle Sorbonne d’où on a pris soin d’éjecter les professeurs juifs. Jacques Chevalier, Edouard Spenlé et Abel Bonnard, le poète académicien, vont mener un travail conjoint pour épurer les institutions françaises déterminantes aussi bien au ministère de l’Education nationale, qu’à l’Ecole Normale Supérieure et à l’Institut (l’Académie). L’appel de Heidegger lancé dans l’annuaire nazi de la ville de Fribourg en 1937 a porté ses fruits. La « gerbe des forces » s’est constituée. Bien avant 40, le nazisme a gagné la France. Merci monsieur Heidegger. Il était allé lancer le même appel l’année précédente dans l’Italie de Mussolini.

    Et aujourd’hui ça recommence. Aujourd’hui on fait même mieux, on met les « œuvres-chemins » de Heidegger au programme de l’agrégation de philosophie et ce sont des catholiques qui le font. On voudrait crucifier Dieu une troisième fois qu’on ne s’y prendrait pas mieux. Après tout si Hitler a obtenu les pleins pouvoirs en Allemagne, n’est-ce pas la faute au Centrum catholique qui s’est prononcé en sa faveur. Hitler et Heidegger avant de retourner leur veste pour des raisons de mœurs, de répression morale et d’orgueil magistral, étaient deux catholiques. Catholique aussi mais dans un autre sens était l’empire universel rêvé par Heidegger : un même esprit baptisé « christianisme positif » anime le 24° point du Programme du NSDAP et le cours sur Schelling de 1936 (NRF p.251). Ce cours est entièrement consacré à l’infusion chez les auditeurs de « l’efficace du Mal » .Ces deux catholiques renégats – et ils ne sont pas les seuls- se sont élevés contre le message d’amour du Christ pour guérir le monde de ses chaînes. Intelligent, non? ABSURDUS auraient dit les Latins. Oui mais eux voulaient être Grecs. Hitler l’a même confié un jour à Léon Degrelle. « Je suis grec ». Et Heidegger a bâti toute sa politique sur cet « idéal ». (Je ne suis pas sûr que ce soit le bon mot).
    Je n’en dirai pas davantage pour aujourd’hui. Voilà ce que j’appelle les faits. Chers amis lecteurs, lisez le 24° point du programme du NSDAP et lisez la fin du cours sur Schelling professé par Heidegger ensuite, et vous serez édifié. Mais il paraît que Bel est grandement dans l’erreur.
    Où trouve-t-on le programme du NSDAP traduit en français? Dans le livre de
    Werner Maser. Naissance du parti national socialiste allemand édité chez FAYARD en 1967. Annexe documentaire.
    Michel bel 4 mars 2006
    Rédigé par: bel à 4 mars 06 15:31:17

    Rédigé par : bel | le 04/03/2006 à 20:41 | Répondre | Modifier
  64. Deux erreurs de frappe ont quelque peu altéré un passage du texte, je vous prie de trouver ci-joint le passage corrigé:

    « C’est le moment de rappeler que , contrairement à ce que veut laisser croire Fédier, Heidegger, en 1937, appela les Français « ce peuple faiseur d’histoire » à collaborer avec les nazis pour réaliser le salut de l’Occident ( Heidegger Cahier de l’Herne, Poche p . 71 à 77; Vaysse traduit par : la « salvation »). On a vu en quoi cette salvation consistait entre 1940 et 1945. »

    Michel bel

    Rédigé par : bel | le 04/03/2006 à 21:23 | Répondre | Modifier
  65. Bonjour M. Bel,

    Je suis tombé sur un article de Franco Carolini, « Le Dieu de Hitler », (voxnr.com) qui m’a beaucoup intéressé. Voici un extrait que je me permets de porter à votre connaissance: « Hitler ne perdait pas une occasion de se moquer férocement des « professeurs » qui rêvent des gloires archéologiques des anciens Germains, mais qui ensuite servent la cause beaucoup moins utilement qu’un brave garçon des SA ou un robuste ouvrier qui sait jouer des mains… Irréductiblement athée, nihiliste et matérialiste dans son essence, le mouvement national-socialiste était « religieux » dans son appareil de la liturgie politique de masse et, surtout, dans sa conception du monde totalisante. En tant que tel il était une foi… Et F. Cardini de terminer en parlant d’une « savante mosaïque de l’organisation hitlérienne du consentement ». Quand j’ai parlé l’autre fois du « génie » de Hitler, je faisais allusion justement à sa capacité pragmatique de mobiliser les foules afin de réaliser militairement, grâce au « consentement » ainsi obtenu, le triomphe de l’Allemagne et la victoire de son parti. Très franchement, le « professeur » Heidegger me paraît à mille lieues de ce genre de capacité.
    Cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 06/03/2006 à 12:14 | Répondre | Modifier
  66. cher monsieur Misslin, votre référence est précieuse. Mais, j’ai bien peur de vous decevoir en vous disant que Hitler n’était que le nonce de Heidegger, son annonciateur (Cf.Être et temps, le concept de phénomène NRFp.57). Heidegger est le pape-dieu, Hitler se proclame lui-même son tambour et uniquement son tambour. Il se trouve que l’écran annonciateur peut être aussi un écran obstacle. L’écran a une double fonction comme j’ai déjà eu l’occasion de le signaler.

    Je ne connaissais pas ce texte. Je vous remercie de l’avoir porté à ma connaissance. Mais le texte ne suffit pas. Il importe de ne pas commettre d’erreur de lecture.
    Merci monsieur Misslin.

    Michel bel. 06.03.2006

    Rédigé par : bel | le 06/03/2006 à 14:36 | Répondre | Modifier
  67. Cher monsieur Misslin,
    je vous remercie d’avoir précisé ce que vous entendiez par « génie » de Hitler, génie qui fut plus encore peut-être celui de Goebbels.
    Il reste à mes yeux deux choses qui posent problème dans vos derniers commentaires : d’abord il y a bien eu un « socialisme national » en Allemagne, et les nazis en ont joué, mais cela ne veut pas dire que quand Heidegger parle du « mouvement » il renvoie au « socialisme national », et la traduction de François Fédier (« socialisme national » pour « Nationalsozialismus ») est déjà du révisionnisme.
    Je suis sinon d’accord avec vous pour voir en Heidegger un « grand » carriériste, mais à l’époque être carriériste cela voulait dire pour un philosophe être un « penseur » du nazisme, ce qu’il fut.

    Pour monsieur Bel : mes objections demeurent, il faut aussi des preuves en histoire, mais j’ai beaucoup apprécié vos dernières interventions.
    Pourriez-vous développer cette question du détournement des symboliques maçonnes, notamment par des analyses de textes ?
    Je suis d’accord avec vous pour penser que Heidegger parle de tout autre chose que de poésie, et renvoie à tout autre chose qu’à des oeuvres d’art. Il y a ici tout un travail de désintoxication de l’esthétique qui est à faire.
    Bien à vous deux,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 06/03/2006 à 15:09 | Répondre | Modifier
  68. Comme je l’ai dit auparavant je ne peux plus (et je n’en puis plus…) intervenir très régulièrement, mais je ne perds pas de vue cette assemblée.
    En vous saluant,
    Y.E.

    Rédigé par : Yvon Er | le 06/03/2006 à 15:12 | Répondre | Modifier
  69. Monsieur Misslin,
    je viens de lire l’article de Franco Cardini. Il est excellent. Sauf sur un point :le « christianisme positif » qu’il n’a pas compris, mais on ne peut pas le lui reprocher. Il faut être versé dans la philosophie de l’idéalisme allemand pour le comprendre et notamment celle de Schelling. Il a fait une étude très sérieuse et très documentée du modèle hitlérien de dieu. Il ne lui manquait que la connaissance détaillée du modèle de dieu élaboré par Heidegger pour pouvoir mettre un nom sur cette entité raciale, hégelienne,guerrière et « âme du monde ». Et le nom de ce dieu immanent, issu du « sang », obéissant au « destin », pratiquant le mal pour réaliser le « Bien », bien évidemment c’est HEIDEGGER.

    Je vous remercie Monsieur Misslin de m’avoir fait connaître ce document. Je pense que si Kershaw avait pu l’avoir à sa disposition il aurait dit moins de bêtises sur la question de la Providence chez Hitlér. C’est une pièce maîtresse du dossier « racio-mystico-historique » du nazisme.Il date pourtant d’août 1985 mais il n’avait pas eu la diffusion qu’il mérite. Cardini décrit à la perfection les attributs heideggériens de la Providence hitlérienne. Quand on met la colombe dans le pigeonnier tout concorde. Je dis la colombe non seulement en pensant au commentaire heideggérien du Théétète mais encore à la pensée de Nietzsche: « les idées qui bouleversent le monde viennent à nous sur des pattes de colombe ». La conception de la Providence est une des pièces maîtresses de l’emboîtement Heidegger : Hitler. Il y en a d’autres. Si tous les historiens faisaient un travail d’analyse ponctuelle comme celui de Franco Cardini , la réponse clé à la question de la genèse du nazisme, serait vite trouvée. La bonne conception de la « Providence » hitlérienne est en effet la clé principale qu’il faut avoir en main pour ouvrir la serrure de la politique infernale du nazisme.
    Bien à vous
    Michel bel

    Rédigé par : bel | le 06/03/2006 à 17:28 | Répondre | Modifier
  70. Bonjour M. Bel,

    Je suis ravi de vous avoir fait connaître le texte de M. Cardini que je trouve très suggestif. Mais, vous êtes un homme terrible: vous me faites penser à ces personnes (et il y en a beaucoup, parfois très célèbres, comme S. Freud) qui croient avoir trouvé une clé passe-partout capable à elle seule d’ouvrir toutes les serrures. En attendant que vous arriviez à me convaincre de ce qui pour le moment m’apparaît comme une fable grandiose de votre invention (ce serait bien la première fois dans l’histoire qu’un philosophe réussisse un tour de force pareil), je vais essayer de vous apporter de nouveaux éléments pour qu’éventuellement vous utilisiez ce que vous savez de façon plus critique, et donc plus efficace (mais tout cela sans la moindre intention de vous contraindre: ohne Gewalt, nur mit Verstand!)
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 06/03/2006 à 18:48 | Répondre | Modifier
  71. Monsieur Er, le détournement des symboles maçonniques est à prendre à deux niveaux, le niveau des symboles matérialisés et le niveau discursif.Je ne puis vous indiquer tout mon travail sur la question, je vais vous indiquer seulement deux pistes.
    Le symbole matérialisé le plus visible est le svastica. Symbole traditionnel du feu chez les maçons, il est devenu le symbole de l’embrasement du monde et du renouvellement du monde par le feu, dans la conception Rosicrucienne nazie. Il va de pair avec le « Hütte » qui ne désigne pas un chalet de ski mais la « loge » en allemand. Cette loge pour laquelle Hussel dans son « atelier » lui avait donné les « outils » nécessaires à la maîtrise est devenue une loge aryenne. Elle s’insère dans la chaîne des loges aryennes créées dans toute l’Allemagne par le Germanen Orden pour conditionner la population allemande. (pour cette question voir entre autres auteurs Goodrick-Clarke. Naturellement voir aussi l’annuaire maçonnique). Ajoutez à cela la pierre cubique, la source, l’étoile à huit branches, la canne, les trois points, le chapeau, etc.. Point besoin de faire un grand effort pour avoir toute la panoplie. Les Aryens initiés, comme les maçons, se reconnaissent entre eux à leurs symboles.

    Parmi les symboles discursifs les plus évidents il y a la cruche (symbole d’Isis), le tablier, l’atelier, le carré (Geviert)les quatre équerres du « quadriparti », l’Art (objet maçonnique par excellence. Bref le recueil « Essais et conférences  » en est farci. Il y en a partout. Pour celui qui sait voir, la symbolique est ausi nourrie d’autres traditions détournées: la symbolique rosicrucienne, la symbolique nordique, la symbolique de la quête du Graal (le vase contenant le précieux sang qui n’est plus le sang du Christ mais le sang aryen. Cf: la question de la technique (la coupe en argent); la coupe est devenue le symbole du parti et en tant que « cruche » elle sert à verser. Verser quoi? Le sang humain.(Cf la conférence sur « la Chose ».

    Les symboles nietzschéens ont aussi été détournés. le serpent à plumes est devenu l’insigne du parti. Et quand vous lisez la conférence « la chose » en connaissant le sens des symboles je vous prie de croire que vous êtes écoeuré. Essayez donc d’en faire la lecture et vous verrez. Le versement du breuvage en hommage aux dieux, le sacrifice, tout cela vous donne un haut le coeur. Vous vous dites alors: mais qui est Heidegger? Qui? Je n’ose plus le dire, pour ma part.

    Allons plus loin. Le détournement des symboles religieux est patent.Si la coupe est en argent, c’est parce qu’elle n’a pas la noblesse du ciboire qui est en or. La liqueur(le vin) est transvasée du ciboire dans la coupe en argent (i.e.du soleil (Heideger) dans la lune(Hitler) pour être versée ensuite dans les étoiles (les officiers nazis – militaires ou SS)). Quand vous serez habitué à manier les symboles vous serez tout étonné de ne les avoir pas vus avant. C’est cela la méthode de l’initiation par le secret. Cela vous suffit-il pour commencer?

    La description de la « Hütte » dans « Pourquoi nous restons en province? » est tout un programme et tout un parcours initiatique. Mais vous me permettrez de réserver tout cela à mes lecteurs futurs. Dans la collection TEL la maison d’édition Gallimard avait même poussé la plaisanterie jusqu’à représenter sur la première de couverture du recueil « Essais et conférences » une pierre cubique à pointe qui dans le langage des initiés signifie l »Oeuvre » parfait. Une erreur de lecture sur les symboles et le contre sens est total. C’est ce qui s’est produit avec René Char dont Jean Beaufret disait en parlant de lui et de Heidegger: « ils sont frères de pointe ». Heidegger écrira de son côté: »La chère Provence est-elle cette arche secrètement invisible qui relie la pensée matinale de Parménide au poème de Hölderlin? ». Et de dédicacer à René Char l’Acheminement vers la parole: » Pour René Char, en remerciement de l’habitation poétique toute proche au temps des séminaires du Thor avec le salut de l’amitié ». Martin heidegger.

    Mais que de relents de défaite devait lui rappeler la vision de la Sainte Victoire cette colline dont Cézanne avait fait son « motif » préféré. A moins que ce ne fut l’inverse. Les Germains n’ayant pas encore créé leur empire, ils ne pouvaient pas décliner , ils ne pouvaient que croître et recommencer leur ascension dans un temps plus propice.

    Le Grand Oeuvre de heidegger est nourri d’autres symboliques plus pernicieuses encore. Vous me permettrez de les passer sous silence pour l’instant.

    Bien à vous,
    michel bel

    Rédigé par : bel | le 06/03/2006 à 19:00 | Répondre | Modifier
  72. Cher monsieur Misslin,
    pourquoi la question de dieu est-elle une clé principale dans le nazisme? Parce que le nazisme est parti de la haine du dieu chrétien tel que l’a modélisé Heidegger dans son adolescence terriblement dure. Il s’agit de substituer au dieu judéo-chrétien qui châtie éternellement une autre figure de la transcendance qui autorise tous les plaisirs et ne porte pas de châtiment.La conception du monde de Nietzsche convient parfaitement. Heidegger le montre clairement dans son premier cours sur Nietzsche. Il n’était pas le seul à son époque. De nombreux jeunes avaient été terriblement brimés sexuellement. La révolte du sexe contre la religion était violente. Heidegger parle de l’instinct qui fait de la philosophie. Le nazisme est d’abord une révolte contre une conception de dieu. A laquelle se sont associées d’autres révoltes: chômage, humiliations en tout genre. L’opposition germain /sémite est d’abord née de la révolte du sexe contre la répression. Les raisons secondaires ont porté sur l’art, sur la prétendue race, sur la notion d’ennemi du genre humain empruntée à Tacite. La jalousie a églément joué un rôle. Les questions d’argent également. Mais le vrai moteur, comme dit Freud, celui qui génère toutes les cruautés, c’est la libido réprimée. Sans ce ressort il est impossible de comprendre le degré de violence et de cruauté « gratuite » atteint par le nazisme.Pourquoi la haine contre les prêtres , contre l’église et contre les juifs en général. cela n’a rien à voir avec la race. Au contraire le prétexte de la pureté de la race vient camoufler la raison fondamentale, bien cachée parce qu’inavouable dans un monde catholique et protestant très strict. La race juive n’existant pas les nazis l’ont inventée en complétant un schème génétique primaire par l’appartenance religieuse.(Cf,lois de Nuremberg et Ahnenpass). Maintenant vous n’êtes pas obligé de me croire, vous êtes toujours libre de croire à ce qui vous fait plaisir même si le ressort psychologique fondamental n’y est pas. Encore une fois merci pour le texte de Franco Cardini qui est d’une intelligence rare. bien à vous
    michel bel

    Rédigé par : bel | le 07/03/2006 à 01:05 | Répondre | Modifier
  73. Bonjour M. Bel,

    La question n’est pas de suivre mon plaisir, mais de m’informer afin de mieux comprendre Heide et son temps. Ce qui me gêne énormément dans votre manière d’exposer, c’est la passion avec laquelle vous présentez vos informations, lesquelles, emportées par vos certitudes absolues, perdent complètement leur valeur démonstrative. A la fin de chacun de vos messages, je suis déçu. Je veux bien mettre cela sur le compte de mon ignorance. Mais je sais aussi, grâce en particulier à Molière et à Balzac, que la passion envahit le cerveau et se transforme en idée fixe. Pardonnez-moi, mais vous savez bien que je ne veux blesser personne, et en même temps je n’ai pas envie d’être hypocrite à votre égard.
    Ce qui me rend sceptique par rapport à ce que je considère comme votre hypothèse de travail, pour le moment loin d’être rigoureusement étayée, c’est le fait que Heide s’est consacré, de manière acharnée, à son œuvre philosophique tout au long de sa vie. On n’écrit pas une quantité de livres, de cours, de conférences tout en menant une action politique aussi énorme que celle supposée par votre idée. Et je suis de plus en plus convaincu qu’à ses yeux, c’était sa contribution personnelle au redressement de l’Allemagne. A partir des années 20, l’Allemagne, et surtout sa jeunesse, commençait à entrer dans une sorte de bouillonnement lié aux frustrations énormes amplifiées, comme vous l’écrivez, par la défaite militaire. Un besoin effréné de renouveau se faisait sentir partout. Et surtout, ce besoin s’est ancré dans ce que j’appellerai une sorte de complexe d’infériorité du sentiment national quasi historique, lié en particulier au fait que l’Allemagne ne formait pas une unité sûre d’elle (voir la lente émergence de cette unité, voir l’antagonisme religieux, politique, économique nord/sud) et se sentait coincée entre des empires (Autriche, Russie) et des Etats fortement constitués (Angleterre, et l’ennemi héréditaire, la France). La pensée de Heide est effectivement une pensée radicale, réactive, destinée à surmonter le complexe et le ressentiment. D’où la violence de certains de ses écrits. Heide s’est senti investi d’une mission, celle de donner à l’Allemagne de son temps une philosophie digne d’elle, allemande de part en part, implantée, locale, idiosyncratique, plongée dans les racines de la terre allemande (BuB), capable elle seule d’alimenter, par sa sève propre, pure, authentique, son esprit, sa spiritualité, son essence raciale, ethnocentrée d’une manière totale, bref son ETRE. Quand on est habité par une pareille conviction, qu’on consacre sa vie à l’énoncer, à la formuler, à l’exposer, qu’on est comme porté par le Zeitgeist de l’époque qui éclate, en 1933, sous la forme d’une sorte d’euphorie extatique (cf le « Wotan » de C.G. Jung décrit bien l’ambiance), rien d’étonnant à ce que cet homme se soit engagé politiquement à cette date et à ce qu’il n’ait jamais pu revenir sur cet engagement radical : tout le monde n’est pas suicidaire. Son « nazisme » était de circonstance, mais pas son national-socialisme, et j’ai envie de dire surtout son nationalisme (car, compte tenu de la nature très narcissique de ce gaillard, je ne pense pas qu’il pensait beaucoup à la misère). L’Etre selon Heide ne peut s’incarner que dans un peuple, le sien, dans une race, la sienne, dans une époque, la sienne : Deutschland über alles (und so lange wie möglich, warum nicht ein Jahrtausend !). Et, comme tout narcisse qui se respecte (et il se respectait énormément !), il voulait devenir immortel (d’où le soin absolu qu’il prenait de son œuvre , un leitmotiv dans sa correspondance avec Hanna). La boucle est bouclée, c’est le retour sempiternel du même, Dawkins (le sociobiologiste) dirait le retour des « memes », sortes d’analogues mentaux des gènes, qui luttent telles des structures organiques, pour leur survie.
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 07/03/2006 à 13:08 | Répondre | Modifier
  74. Chers amis du blog, chers lecteurs,
    je crois qu’il est inutile de perdre son temps avec les heideggériens, ils ont choisi leur camp, le parti des tueurs. Ils font semblant de ne pas voir mais en réalité ils savent très bien qui est Heidegger. Les universitaires se cachent les yeux en disant: « Ce n’est pas dans le texte ». En réalité ils savent très bien décoder le texte, mais comme ils ont peur de perdre la face après s’être engagés un peu trop vite du côté de Heidegger ils préfèrent défendre la prétendue pureté de Heidegger et traiter par le mépris ceux qui ont le courage de dire la vérité. Nous traiter par le mépris, sous ses trois formes: nous ignorer, nous traiter de menteurs, nous insulter. On ne répond pas à mon courrier, on me traite de falsificateur, on m’insulte. Pourquoi s’en étonner? Mon maître spirituel à Jérusalem a subi le même sort. Il faudrait être bien naïf pour s’attendre à un meilleur traitement.

    Il n’est pas nécessaire d’argumenter, ils n’écoutent pas. Il n’est pas nécessaire de leur montrer des voies de compréhension, ils ne veulent pas les prendre. Alors plutôt que de montrer le combat déloyal que Heidegger a mené contre Husserl en inventant « l’être » qui n’existe pas et « l’être de l’intentionnalité » qui n’existe pas davantage puis en identifiant ce prétendu être au Dasein germanique, je me contenterai de citer les deux derniers paragraphes de la leçon de 1925 sur l’histoire du concept de temps. § 35-36.

    En 1925 Heidegger ne savait pas encore ce qu’il ferait de sa vie mais son principe d’action était arrêté. En 1945, en revanche, nous savons ce qu’il a fait bien que ses ordres aient été habilement dissimulés par lui et par ses continuateurs; en 1976, nous avons appris comment il s’y est pris pour relancer l’immense entreprise criminelle du combat pour l’être, c’est à dire pour le Dasein germanique, c’est à dire, en dernier ressort, pour satisfaire sa paranoïa.

    Les paroles de 1925 résonnent d’une étrange manière depuis que nous savons mieux par la recherche et par la publication de la Gesamtausgabe ce qu’il a pensé et écrit. Je ne ferai que reprendre la traduction d’Alain Boutot en corrigeant toutefois un contre sens magistral: la traduction de « schuldigsein » par « être en dette », car c’est bien de « l’être en faute » qu’il s’agit sans aucune dérogation possible. .Il suffit de relire le § 58 d’Être et temps pour se rendre compte qu’Heidegger lui-même rejette la conception de l’être en dette. La traduction de « schuldigsein » par « être en dette » montre que nous sommes ici dans une mécompréhension totale de Heidegger. Notez que je préfère cette attitude à une adhésion au nazisme.

    Mais il ne faudrait pas que ça dure trop longtemps car le contre sens pourrait conduire au prosélytisme et l’enrôlement s’effectuerait alors quand même. Pour le coup nous serions dans l’être en faute français, c’est à dire dans la pur collaboration.

    La base réelle de Heidegger, ce n’est pas le « Geworfenheit » (l »être jeté »), c’est « l’être en faute » (« schuldigsein »), l’engagement dans « l’être en faute », la « décision résolue » à partir du parti d »y voir clair en conscience ». Mais ce « y voir clair  » est-il réellement « clair »? Le « oui » à la promotion de la race germanique à n’importe quel prix, n’est-il pas plutôt motivé par un rejet passionnel? D’un monde, l’autre. L’attitude de Heidegger est analogue à celle du prêtre renégat Mathan dans Athalie de Racine. « Je servirais encore le dieu chrétien si j’avais obtenu ce que je voulais », dit-il en substance. Mais comme il m’a humilié, eh bien, moi , je vais devenir un nouveau dieu contre lui car il n’a pas plus de transcendance que moi aujourd’hui puisqu’il est mort. Je vais devenir dieu contre lui qui n’est plus qu’une ombre : le grand « dieu temporel » du Léviathan de Hobbes. Pour cela j’ai simplement besoin d’une armée, d’une milice et d’êtres résolus.

    Son entreprise a marché jusqu’en 1945, mais en 45 elle a capoté. Aussi présomptueux que Napoléon, il a échoué. Mais il a évité Sainte-Hélène et surtout, il a évité la potence. Mieux, si on en croit Laure Adler, il s’est encore payé une petite juive après la défaite de son armée. Car pour elle, Martin ne pouvait pas être le criminel qu’il a été. Criminel en puissance peut-être mais meurtrier de masse, non Pour elle, c’était impossible à admettre. Et pourtant!

    Cette décision d’être en faute, Martin l’a prise très tôt. Je dirai en 1911. Lorsqu’il a abandonné l’évangile du Christ pour le négangile de Nietzsche, le Christ pour Zarathoustra, « l’amour du prochain » pour « l’amour du lointain ». La Généalogie de la morale lue à travers Max Scheler lui a parlé de la « vengeance juive ». Vengeance qu’il a aussitôt plaquée sur sa propre situation, à travers laquelle il a interprété son vécu, son humiliation, sa souffrance morale et son esseulement. Explication simpliste mais suffisante pour basculer d’un camp dans l’autre, pour prendre le parti « d’y voir clair en conscience » et d’agir pour « libérer les prisonniers de la caverne », c’est à dire les Germains, de leurs chaînes.

    Voilà pourquoi l’antisémite Max Scheler était pour lui « la force la plus grande de la philosophie allemande ». L’homme du ressentiment est devenu son livre de chevet. Heidegger est passé de l’antisémitisme catholique d’Abraham a Sancta Clara à l’antisémitisme du jeune éraste souffrant et humilié. Cet antisémitisme-là a la violence d’Achille vengeant Patrocle en anéantissant Troie. Une seconde guerre de Troie se préparait. Elle a eu lieu, n’en déplaise à Giraudoux. Il avait suffi pour cela, quelques années plus tard que le parlement donne les « pleins pouvoirs » à Hitler, son écuyer fidèle devenu chancelier de sa Nouvelle Germanie.

    Heidegger n’a pas été seulement le chantre de la Germanie comme on pourrait le croire en passant vite sur son œuvre. Il a été son maître d’œuvre. C’est lui qui a conduit les violons du bal. Car, sous l’apparence des cours de philosophie, c’est autre chose qui se joue: » « Ce qui se passe avec le dire poétique correspond – sans lui être identique -, dit-il, à ce qui se passe avec le dire de la pensée philosophique. Dans un véritable cours de philosophie, par exemple, l’important n’est pas ce qui est directement dit, mais ce qui, dans ce dire est réservé au silence. C’est pourquoi il est facile d’écouter des cours de philosophie et de les prendre en note tout en les entendant à contre sens – non dans le sens accidentel où l’on comprendrait mal certains mots ou concepts, mais au sens fondamental où, par un contresens essentiel, l’on ne remarque pas de quoi et à qui il est réellement parlé ». (La Germanie 49-50).

    Ces paroles du semestre d’hiver 1934-35 m’ont toujours intrigué et ont particulièrement attiré mon attention. A qui parle-t-il? Et, de quoi parle-t-il si ce n’est pas de ce qu’il semble dire? Pourquoi l’important est-il ce qui dans le dire est réservé au silence? Il est manifeste qu’il y a anguille sous roche. L’anguille est d’autant plus visible que quelques pages avant il avait écrit: » Notre entreprise est tout au plus semblable à ces échafaudages de cathédrale qui n’existent que pour être démolis » (p.35). Nous savons par d’autres textes que le nazisme a été assimilé par les nazis à la construction d’une cathédrale. Si les commentaires de Hölderlin sont les échafaudages de la Germanie c’est que Heidegger joue un rôle directeur dans cette entreprise. Il devient évident des lors que ceux à qui il est parlé, ce sont les exécutants et nécessairement des exécutants de haut niveau. Un penseur de la stature de Heidegger successeur de Husserl ne va pas s’abaisser à s’adresser à un balayeur des rues, sauf pour aller à la pêche aux voix pour plébisciter Hitler.

    A qui Heidegger s’adresse-t-il donc du haut de sa chaire de l’université? Je vous laisse le soin de répondre. La nuit des longs couteaux vient d’avoir lieu. La Germanie se construit.les ordres vont être transmis à celui qui exerce les fonctions de maitre d’ouvrage. Comment? A l’armée tout se fait par estafettes interposées. La chose est convenue d’avance.

    Ces paroles font écho à celles du cours sur la Phénoménologie de Hegel de 1930 sur le « silence » sur la préparation du bûcher et sur la nécessité de « se mettre à l’œuvre », que j’ai déjà citées. Pour réaliser la mission dévolue à la Germanie.il sera nécessaire comme cela est dit dans l’introduction à la métaphysique et dans le cours sur Schelling de réaliser le mal car avec la transmutation nietzschéenne des valeurs tout s’inverse, l’ancien Bien devient le mal et l’ancien MAL devient le BIEN. Cela est répété dans le premier cours sur Nietzsche en 1937: la Volonté de puissance en tant qu’ART.

    Voilà ce que représente « l’être en faute » par rapport à la grille des valeurs antérieure. Après l’ère chrétienne, l’ère germanique.

    Qu’est-ce qui a décidé de l’ère chrétienne? Les croisades et la bataille de Lépante contre les Mahométans. Qu’est-ce qui décidera de l’ère germanique? La croisade nazie, c’est à dire la croisade menée au nom de l’inversion des valeurs nietzschéennes contre les geôliers de la Caverne. Le monde aux yeux de Heidegger est devenu une geôle de Reading. Il faut le libérer. Seulement pour créer l’ère germanique pour des millénaires, il faut un nouveau dieu autour duquel tout s’organise, ou pour parler en termes heideggériens « tout se fait monde ». Pour créer la nouvelle ère de la Germanie il faut nécessairement être en faute. Mais être en faute, ici, selon Heidegger, ne signifie pas avoir un comportement déviant , au contraire. Être en faute signifie être dans son être le plus propre, c’est à dire être germain avec toute la puissance de ses instincts. Être ce qu’on était avant que le christianisme ne vienne anéantir nos dieux , lorsque la Terre était la Terre des Aryens comme les nuages sont les nuages du ciel. Pouvoir être dans l’avenir ce qu’on était dans son passé avant l’enjuivement nécessite une action de nettoyage. Effectuer ce nettoyage c’est ce qui s’appelle être en faute par rapport à la morale d’amour du prochain. Mais ne pas vivre pour le lointain c’est aussi être en faute par rapport à son propre devoir être. Que vaut-il mieux? Vivre son pouvoir être, renouer avec la tradition aryenne initiale, la tradition grecque, ou être dans les chaînes des « contempteurs  » du genre humain véritable, la souche aryenne?

    C’est avec des mythes de cette envergure que Heidegger a séduit les jeunes générations qu’il a poussées à la guerre et poussées ensuite au crime de mase et au génocide prétendument « purificateur ». Dès 1913, sur le Haut Meissner, près de Cassel, il prêche la nécessité de se conformer à l’être intérieur, l’ »Eigene », dans tous les sens du terme. Nous ne ferons pas un dessin supplémentaire.

    C’est cet être en faute qu’il préconise en 1925 en n’hésitant pas à dire que le Dasein germanique est le temps lui-même. « Le Dasein temporalise son être en tant que temps ». Nous apprendrons en1934 dans La Germanie que « la patrie est l’être lui-même » ce qui précise le sens de ces paroles de 1925: » L’être en faute qui est ici posé, c’est l’être de l’être été le plus propre. L’être de l’être-été, c’est le passé, de telle sorte, à vrai dire, que, étant ainsi, je suis moi-même et ne suis rien d’autre que le futur du Dasein et par là son passé (Souligné par Heidegger). L’être dans lequel le dasein peut être proprement son entièreté, c’est le temps. (….) le temps que nous sommes nous-mêmes » (Histoire du Concept de temps p.461-462).

    Nous sommes maintenant en mesure de comprendre les deux derniers paragraphes de ce cours § 35 et § 36. Il s’agit d’aller au devant de la mort pour ressusciter le passé et ainsi pouvoir être-soi débarrassé de toute gêne (c’est la même racine que géhenne) d’origine étrangère. Ecoutons la leçon de séduction de Méphisto-degger et le pousse au jouir de l’ancien séminariste, de l’être qui s’est défini comme « l’être-jeté »:

    « Dans le choix de moi-même, en tant que ma possibilité, je choisis moi-même mon être. (…)Si le dasein peut se mettre lui-même à s’avancer vers sa mort en tant que décision résolue, il peut devenir responsable de soi-même en un sens absolu. Il « peut » se présupposer soi-même dans son être, c’est à dire se choisir soi-même. Dans ce choix ce qui est choisi n’est pas autre chose que le fait de vouloir avoir conscience. (…) Il s’agit pour le Dasein de se choisir en ayant entente de la pleine transparence du Dasein comme d’un tout. Il n’y a que cette seule possibilité s’avancer vers la mort qui permette de choisir le Dasein non pas pour les deux prochains jours mais dans son être lui-même. S’avancer, c’est choisir de vouloir avoir conscience. Mais celui qui agit, comme le disait déjà Goethe, est toujours sans conscience. Je ne peux être vraiment sans conscience que si j’ai choisi de vouloir-avoir-conscience.
    Celui qui agit est sans conscience, c’est à dire que dans l’être-ensemble-les-uns-avec-les-autres, il est nécessairement en faute, non pas au sens où il aurait commis quelque faux pas, mais dans la mesure où il agit avec les autres, et dans cette mesure même, le Dasein est eo ipso en faute même si – et justement si – il ne sait pas qu’il porte atteinte à autrui ou le détruit dans son Dasein. En choisissant de vouloir avoir conscience, j’ai en même temps choisi d’être en faute. Corrélativement , le véritable mode d’être du Dasein à l’égard de sa possibilité la plus extrême et la plus propre (l’être en avant de soi-même le plus propre accompli à partir de soi-même) consiste à s’avancer de la façon qu’on a dite, c’est à dire à vouloir avoir conscience, ce qui signifie en même temps que le Dasein choisit par essence d’être en faute pour autant qu’il est. »

    « Mais s’avancer dans la possibilité d’être la plus propre n’est rien d’autre qu’être mon devenir-être le plus propre. L’être en faute qui est ici posé du même coup, c’est l’être de l’être-été le plus propre. L’être de l’être-été c’est le passé, de telle sorte à vrai dire que, étant ainsi, je suis moi-même et ne suis rien d’autre que le futur du Dasein et, par là, son passé. L’être dans lequel le Dasein peut être proprement son entièreté en tant qu’être-en-avant-de-soi, c’est le temps.
    Non pas le temps est, mais : le Dasein temporalise son être en tant que temps.(…) Les mouvements de la nature sont totalement hors du temps ; ils ne font encontre dans le temps que pour autant que leur être est mis à découvert comme pure nature. Ils font encontre dans le temps que nous sommes nous-mêmes »

    FIN DU COURS du semestre d’été 1925

    Que conclure de ces pages ? Que le dieu à venir Dionysos qui s’apprête à renaître de ses cendres se prépare des soldats pour engager la guerre contre la Judée et conquérir la domination mondiale grâce à la puissance de la Germanie. (« cette race qui possède l’aptitude à la domination absolue sur la terre » 1940 La métaphysique de Nietzsche),

    Manque de chance .ça a foiré. « La fortune est femme » lui avait pourtant dit Machiavel mais il n’en avait pas tenu compte. Il croyait trop en son étoile. C’est d’ailleurs le seul empire qui lui soit resté.
    50 millions de morts pour une étoile ça fait beaucoup tout de même.. Vous ne croyez pas ? Alors je pense qu’il a bien mérité le nom de Méphisto-degger. Le « Voyant » de Messkirch n’était qu’un faux voyant, un Calchas sanguinaire qui n’a pas hésité à sacrifier toute la Judée pour satisfaire son ambition complètement délirante de domination divine du monde. Divine peut être dans son esprit mais satanique dans les faits. S’avancer vers la mort en regardant vers le lointain cela signifie s’avancer ensemble sur le champ de bataille et tirer. Voire se faire tuer. Mais tirer et se faire tuer pourquoi ? Pour satisfaire le rêve d’empire d’un mégalomane complètement cinglé. Et le pire de tout, c’est que ça a marché. Pauvre humanité !!! Voilà le personnage en qui se complaisent les heideggériens français.

    Michel Bel 07.03.2006

    Rédigé par : bel | le 07/03/2006 à 18:04 | Répondre | Modifier
  75. monsieur Misslin, votre remarque est très intéressante et je vous remercie de vos suggestions. Je voudrais tant pouvoir répondre à votre attente seulement nous ne sommes pas sur la même transmission d’information. Il s’agit bien de la même émission mais l’une est en blanc et noir, l’autre est en couleur. Tout ce que vous avez vu sur l’auteur est juste. Il a consacré sa vie à produire une Weltanschauung pour la Nouvelle Germanie. Tout à fait d’accord. Seulement il n’a pas fait que ça. Et c’est ici qu’intervient la couleur, faible d’abord, puis de plus en plus intense. Dès 1909 Heidegger préside déjà des cérémonies d’une importance non négligeable. Toute sa vie il a présidé et ses présidences ne sont pas honorifiques, elles sont directives. Je crois que nous ne comprenons pas en France ce qu’est la philosophie en Allemagne, pourtant Marx était un bon exemple de philosophie active.Depuis Hegel la philosophie transformatrice du monde est à la fois théorique et pratique. Elle incarne dans l’histoire sa visée du sens et fixe les étapes pour arriver à son but. La politique n’est pas faite d’une multitude d’allées et venues. Cela ce sont les subalternes qui le font. Le dirigeant politique fixe un cap, indique les étapes pour y parvenir et intervient pour le passage d’une étape à l’autre. C’est ce qu’on appelle depuis Kant l’histoire a priori. (Cf. le conflit des facultés). C’est le seul travail du prince. Donner les directives esentielles et dire mlaintenant c’est le moment de passer à l’étape suivante. Tel a été le travail de Heidegger. Ce qui lui laisse tout loisir pour peaufiner son idéologie englobante. Quand je dis qu’Heidegger a dirigé le Reich, c’est cela que je veux dire et rien d’autre. Il y a eu une planification . Heidegger et Hitler le disent, le précisent chacun à sa façon, dans La Germanie, dans le Rhin, dans La volonté de puissance en tant qu’art, dans Mein Kampf. Je ne peux pas me substituer à eux. Je les écoute. Mais chaque fois ce sont de très longues pages qu’il faut écrire pour montrer ce travail dans le détail. C’est pour ça que je dis aux lecteiurs: lisez les tzxtes d’Hitler, lisez les textes de Heidegger. Bien sûr que c’est du boulot. Comment faites vous pour conduire? Vous faites l’effort d’apprendre les réflexes nécessaires. Eh bien c’est pareil. Pour lire Heidegger il y a une foultitude de réflexes à acquérier, de renvois, de cliquetis d’échos, de jeux de miroirs à s’approprier. Les visées se répondent d’un livre à l’autre, s’enrichisent se complexifient mais ces visées ne sont pas purement théoriques. Heidegger vous le dit tout au long de ses cours, de ses conférences, de ses écrits. Le travail sur toute cette manière de procéder est énorme et ce n’est pas dans un blog qu’on peut le mettre en évidence. J’ai indiqué depuis plus de huit mois une multitude de pistes. mais je ne peux pas faire le travail à la place du lecteur. Le style allusif de Heidegger ne se prête pas à un traitement ordinaire. Il faut faire une lecture symptômale très longue puisqu’elle porte sut la globalité de l’oeuvre même si on ne peut atteindre la totalité. Il ne peut pas y avoir de digest de Heidegger. Voilàce que je peux vous dire. Inutile de vous dire que pour les historiens se contenter de travailler sur Hitler était du pain bénit, je dirai presque la solution de facilité. Mais…le ciel étoilé est beaucoup plus vaste.
    A bientôt.
    Michel bel

    Rédigé par : bel | le 07/03/2006 à 19:21 | Répondre | Modifier
  76. Bonjour Monsieur Bel,

    Merci de me répondre avec tant de patience. Je cite un extrait tiré de « Histoire du concept de temps » qui figure dans votre avant-dernier message: « L’être de l’être-été, c’est le passé, de telle sorte, à vrai dire, que, étant ainsi, je suis moi-même et ne suis rien d’autre que le futur du Dasein et par là son passé ». Mon problème est le suivant: de même que je ne peux pas supporter la musique wagnérienne alambiquée, laide, besogneuse, plate derrière son pompiérisme et que je préfère, comme Nietzsche Bizet, de même je n’arrive tout simplement pas à lire cet infâme baraguinage teuton sans tomber dans un ennui si profond, existential en diable, que je m’endors, sous l’effet d’un véritable réflexe de défense contre les éventuelles lésions cérébrales que de pareilles productions pourraient provoquer. Que des penseurs allemands, habitués au teuton, aient pu lire avec intérêt et profit Heide, pourquoi pas. Mais que des penseurs français, habitués à lire du Montaigne, du Descartes, du Diderot ou du Bergson aient pu digérer cette atroce littérature, cela dépsse mon faible entendement. Même si vous n’aimez pas Nietzsche, ce serait drôle si l’on avait pu avoir ses réactions à la lecture de ce charabia, et de même celles d’un Schopenhauer dont l’écriture est si limpide, française ai-je envie d’écrire, mais je ne veux pas être chauvin! Mais comme par hasard, ces deux penseurs fuyaient l’université et écrivaient pour ceux qu’on appelait chez nous, au XVIIème siècle, les « honnêtes hommes ». Je suis prêt à vous suivre quand vous affirmez que les universitaires allemands avaient, depuis du reste le XIXème siècle, l’ambition d’exercer une influence sur le pouvoir politique. Je suppose que les philosophes devaient pourvoir le pouvoir en « idées ». Que Heide ait été animé par ce genre d’ambition, je n’ai aucun mal à l’admettre. Qu’il l’ait fait dans ses cours, ses conférences, ses discours et même dans des commissions ad hoc, et peut-être dans des cercles fermés, ça non plus ne me paraît pas inimaginable. Mais qu’il ait été le véritable décideur des horreurs nazis (guerre, exterminations, terreur), j’avoue que (pour le moment), je n’arrive pas à faire le pas. Il reste pour moi un vrai « boche » de base de l’époque, j’en ai connu un certain nombre durant mon enfance; il leur ressemble comme deux gouttes d’eau: sûr de lui et dominateur, ganz natürlich, und so stimmungsvoll germanisch!
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 08/03/2006 à 14:35 | Répondre | Modifier
  77. Monsieur Misslin,
    si je peux me permettre, lisez ou plutôt relisez Athalie de Racine. La figure concrète du type Heidegger est déjà là. Ce qui vous fait peut-être hésiter à franchir le pas c’est que vous, vous ne l’auriez pas franchi. Et je vous comprends. Mais c’est parce que vous n’êtes pas un passionné vindicatif. Lorsqu’un passionné est frustré surtout à l’adolescence – et Heidegger a été bloqué à l’adolescence par la répression de sa relation d’amitié avec Gröber- il peut aller jusqu’aux crimes en série et aux crimes de masse. Achille est l’exemple le plus célèbre dans la littérature, je n’ose pas dire dans l’histoire mais Fustel de Coulanges dans la Cité antique présente le monde antique en proie à ce genre de passions destructrices. Détruire tout un peuple parce qu’on a été frustré par un membre de ce peuple ou par un membre d’une communauté influencée par ce peuple n’a rien de surprenant. Simplement vingt siècles de christianisme et un peu moins d’années d’humanisme nous avaient fait oublier cela. Mais Kant et Heine nous avaient dit de nous tenir sur nos gardes et de nous méfier. Et Heine n’y allait pas avec le dos de la cuillère lorsqu’il parlait des Allemands.

    On pouvait penser qu’il exagérait, c’était au contraire très sensé. Ceci dit fort heureusement les Allemands comme Heidegger sont rares . Il faut une accumulation de frustrations pour en arriver là et à trois niveaux: sexe, travail, patrie. C’est à dire un sentiment insoutenable de négation totale de soi. Heidegger vous fait la confidence de tout cela. Il faut le lire. Tout comme il faut lire sa leçon inaugurale où il fait aussi beaucoup de confidences. Il va même plus loin que les confidences et il expose son engagement réel dans l’histoire: « La philosophie – ce que nous appelons ainsi – n’est que la mise en marche de la métaphysique par laquelle elle accède à soi-même et à ses tâches explicites. Et la philosophie ne se met en marche que par un saut (« Einsprung »)spécifique de mon « existance propre » (de mon Dasein en personne) dans les possibilités fondamentales du Dasein dans son ensemble ».

    Naturellement pour comprendre ce passage, il faut remettre en cause la traduction de Froment-Meurice, disciple de François Fédier (on les retrouve partout) et les commentaires de Michel Haar. Il faut aller au texte même. Et alors vous ne serez pas surpris de voir que la « mise en marche » de 1929 est aussi celle de 1933 et celle de la tentative de reconstitution du mouvement nazi par Heidegger par la réédition en 1953 de Être et temps et de l’Introduction à la métaphysique. Il s’agit de réaliser le « grand dessein ».

    François Vezin n’y est pas allé par quatre chemins, il a appelé cette mise en marche la mobilisation. Et il a eu entièrement raison. Il a abandonné la traduction littérale pour retrouver le véritable esprit du texte qui exprime les intentions de Heidegger.(Être et temps. Avertissement pour la 7° édition 1953 NRF 1986).

    Combien de fois devrai-je répéter les choses sur les blogs pour que l’esprit de Heidegger commence à pénétrer dans la tête des Français. Si vous, vous ne les avez pas lus, d’éminents philosophes les ont lus et certains les enregistrent en se gardant bien de prendre part au débat. Ces philosopohes « secrets » fuient l’agora, ce lieu d’échanges où la vraie philosophie est pourtant née.

    Que vous soyez allergique aux traductions françaises de la prose de Heidegger, je le comprends. Mais puisque vous connaissez l’allemand, lisez-le donc en allemand. L’esprit de sa prose pénètrera plus facilement en vous. Et surtout vous capterez beaucoup de nuances qui ne passent pas en français sauf en ajoutant des adjectifs ou en faisant des périphrases lourdes et compliquées. Réfléchissez à ce que peuvent signifier à l’époque dans l’esprit de Heidegger les « possibilités fondamentales ». Il n’a pas hésité à parler de gigantomachie en 1927.
    La mise en marche du Dasein allemand, c’était quelque chose avec Heidegger à sa tête. Mais pas à la tête du cortège , non. Trop visible. Ce n’est pas de cette théorie là qu’il rêve. (théoria au sens premier signifie la procession des députations que le peuple voit -theôros-)mais en tant que fer de lance de la métaphysique mettant en marche le Dasein.

    Froment-Meurice a traduit Dasein par « réalité humaine ». C’est un contre sens. Heidegger se fiche totalement de la réalité humaine dans son sens universel. Il combat à mort l’idée de genre humain. Pour lui il n’existe que des souches (traduisez: races) et à la tête de ces souches, une souche privilégiée: le Dasein, qui désigne le Dasein germanique exclusivement comme il le dira cinq ans plus tard dans la Germanie et plus clairement encore l’année suivante dans l’Introduction à la métaphysique. Je ne sais comment il faut faire pour être plus clair. Si on ne veut pas comprendre qui est et qui a été Heidegger quand on connaît ses textes c’est qu’on est devenu son complice. Il n’y a aucune autre explication. Je vous rappelle qu’Adorno disait qu’il ne comprenait pas pourquoi les philosophes français vouaient une telle admiration à Heidegger.

    Pour ma part je peux dire: ou bien c’est parce qu’ils ne le comprennent pas, ou bien parce qu’ils sont complices. Et cela voudrait dire collaborateurs. Ce qui me paraît extrêmement grave dans la situation présente. Je préfère penser qu’ils ne comprennent pas, qu’ils n’ont pas encore vu. Pourtant je me dis, ce n’est pas possible que des penseurs comme Courtine, comme Marquet, comme Vaysse ne comprennent pas. A moins qu’ils aient mis du béton dans leurs yeux. Auquel cas la philosophie se transformerait en « béton-sophie » mais je n’en ai jamais entendu parler. Il ne faudrait pas que par un effet de glissement dommageable, la persévérance dans la recherche se transforme en obstination dans l’aveuglement.
    michel Bel

    Rédigé par : bel | le 08/03/2006 à 18:05 | Répondre | Modifier
  78. Bonjour Monsieur Bel,

    Dans votre scénario, il y a plusieurs points très bizarres qui, faute de preuves (car l’explication de textes n’est évidemment pas suffisante, et de loin), rendent cette hypothèse si invraisemblable:
    – si des spécialistes de philosophie, comme ceux que vous appelez les « heideggeriens », n’ont rien trouvé de louche dans les oeuvres de Heide, croyez-vous vraiment que des gens non initiés au langage philosophique pouvaient comprendre le message codé de Heide?
    – mais, l’obstacle qui me paraît encore plus grand c’est de devoir admettre, si l’on vous suivait, que Hitler, Goebbels, Göring avaient besoin de Heide pour être inspirés. Sur ce point, Monsieur Bel, il vous faudra apporter des arguments autrement plus percutants. Votre hypothèse surestime, à mes yeux, les capacités de Heide, et réduit les protagonistes nazis à n’avoir été que des marionnettes entre les mains de Heide qui les auraient manoeuvrer comme des bleus! Peut-être en tant qu’intellectuel avez-vous tendance à surestimer les idées et à sous-estimer les hommes d’action. Hitler n’était pas le falot qu’on décrit parfois, c’était quelqu’un de redoutable dans la mesure où justement sa paranoïa s’accompagnait d’aptitudes manoeuvrières évidentes. Quant à Goebbels, vous connaissez aussi bien que moi ses remarquables capacités de propagandiste: c’est lui qui a orchestré de mains de maître la formidable intoxication de masse. A côté de ça, les interventions du lettré Heide sont du pipi de chat.Encore une fois, loin de moi l’idée de nier son allégeance au régime, mais pour moi, même si son oeuvre comporte une véritable idéologie d’extrême-droite radicale enrobée dans le baraguignage philosophique, à mon humble avis, il a été complètement dépassé par le régime, comme beaucoup d’autres. Et sans doute, le régime lui-même, à un certain moment, a été emporté dans la débacle parce que plus personne n’était capable de maîtriser l’ouragan qu’il avait déclenché. Ce sont des phénomènes courant dans l’histoire des hommes: cf le délire napoléonien, cf la terreur déclenchée par un Robespierre submergé. Le risque de l’ »ubris » est inhérente à l’homme, car notre cerveau a subi une croissance évolutive allométrique. C’est bien cela le danger des régimes totalitaires: confier un pouvoir politique absolu à un individu est une folie tragique.
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 09/03/2006 à 11:02 | Répondre | Modifier
  79. Monsieur Misslin, tout ce que vous dites est vrai. Vous me décrivez toutes les pièces de la voiture, il manque simplement le conducteur. Un détail, n’est-ce pas? Malheureusement votre manque de connaissance de Heidegger vous fait mettre la charrue avant les boeufs. je ne pense pas que ce soit ainsi qu’on laboure. Goering était une pièce centrale dans le jeu de Heidegger. Reste à savoir ce que vous entendez par « inspirer ». Nous ne mettons sûrement pas la même réalité sous ce mot. Et quand on ne parle pas de la même chose on ne peut pas s’entendre.Bien à vous,
    michel bel

    Rédigé par : bel | le 09/03/2006 à 22:45 | Répondre | Modifier
  80. Bonjour Monsieur Bel,

    La question pour moi n’est pas de lire ou de ne pas lire Heide, la question, c’est le rôle politique central que vous donnez aux écrits de Heide, et quand je dis rôle, c’est peu dire, il faudrait dire que ces textes sont de véritables ordres codés adressés à des exécutants qui s’appelaient Hitler, Goebbels, Göring et Cie. Supposons que Heide écrivait dans ce but. Mais cela est absurde, car pourquoi aurait-il éprouvé le besoin de prendre le risque énorme de publier ses ordres, même sous une forme secrète: il suffisait qu’il ait à sa disposition des émissaires qui transmettent ses ordres à qui de droit. Est-ce qu’il est pensable un instant que Heide, qui était la prudence même, donne des ordres militaires, politiques, économiques sous la forme d’écrits philosophiques? Tant que vous n’aurez pas démontré comment il faisait pour diriger effectivement le IIIè Reich, comme vous le prétendez, autrement qu’à travers SuZ et autres productions, votre hypothèse est celle de quelqu’un qui adore se raconter des histoires. Pourquoi pas!
    Cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 10/03/2006 à 13:40 | Répondre | Modifier
  81. Cher Monsieur Misslin,
    vous avez toutes les preuves sous les yeux et vous ne les voyez pas. la preuve la plus forte, la preuve massive vous est donnée par la volonté de reprise du combat aussitôt après la défaite. La première bataille du combat pour l’être a échoué, Heidegger s’empresse de « remettre ça » aussitôt après sa cure. Les textes de 1949 et de 1953 sont abominables. Ce n’est pas en tant que professeur qu’il a écrit ces textes, c’est en tant que président secret du Reich. Ce président qu’il a fait comprendre qu’il était dans tous ses cours et dans tous ses discours depuis 1916 (conclusion du Duns Scot). Mais quand allez-vous donc ouvrir les yeux? 1916-1976: soixante ans de conception et de dirigisme du Reich. Ne voyez-vous donc pas? Mais relisez donc Machiavel, Langbehn et Sombart! Ils vous éclaireront. Toutes les raisons évoquées par les historiens traditionnels ne sont que des raisons secondaires qui se subordonnent à la raison principale: changer de monde. Passer d’un monde soumis au judéo-christianisme (mission des Juifs- Saint Yves d’Alveydre -1884) à un monde dominé par le germano-nietzschéisme (mission dévolue aux Allemands)- construction de la Germanie planétaire. Ne voyez-vous pas que ce projet recouvre tous les autres et les englobe? Le combat pour l’être tel qu’il est conçu par Heidegger subsume toutes les autres raisons de reprendre le combat et d’entrer en guerre. Les revanchards, les ambitieux, les déracinés, les antisémites, les homosexuels, les anticommunistes, les instituteurs et les ouvriers au chômage, les militaires exclus de l’armée par le traité de Versailles y trouvent leur compte. Tous sont pour le projet de Grand Reich qui réunira et rassemblera tout le Dasein germanique. Heidegger est le grand rassembleur. C’est lui qui parle à l’élite intellectuelle. A partir du moment où les gens sont rassemblés sur le même dessein, lui peut voir plus grand et se prendre pour le Dieu, le dernier Dieu et mener le combat pour son épiphanie. Il a trouvé la bonne « méchané » pour satisfaire son orgueil qui apparaît illimité. Lui le séminariste rabroué, lui le philosophe pauvre , il va prendre sa revanche sur toutes les humiliations et surtout sur celle que lui a infligée Husserl en choisissant Edith Stein pour assistante .(Elle, il l’enverra aux fours crématoires).

    Quand on sait bien lire les lettres à Elfriede on voit qu’en 1916 il est très mécontent de la chose. Il ne prononce pas le nom d’Edith dans les lettres qui ont été publiées mais il se plaint de l’enjuivement. Quand on enquête sur la situation de l’université à cette époque pour connaître la situation particulière de Heidegger, on comprend mieux.

    Ses troupes feront disparaître l’enjuivement. Heidegger est un « forcené » d’apparence calme. Mais d’apparence seulement.

    Il n’y a que quelques personnes dans la confidence. Mais parmi ces quelques personnes toutes cooptées, Hitler est et reste « l’unique frère ». C’est lui qui va exécuter les ordres pour réaliser le dernier empire de l’être, celui qui ferme la boucle de l’Eternel Retour, celui du Surhomme. Et c’est à la Germanie, pour Heidegger, qu’est dévolue cette tâche ( cf. De l’origine de l’oeuvre d’art).

    Je ne sais plus comment faire pour ouvrir les yeux des gens. Qu’est-ce que nous pouvons être coincés par nos catégories de pensée inappropriées! C’était le premier constat d’Heidegger en 1916. Tout son Duns Scot porte sur cette question. Mais qui lit son Duns Scot?, alors que tout son programme ontologico politique est déjà là. Hegel lui a donné le sens de la mission germanique. Nietzsche lui en a donné le contenu. Tels sont les deux axes de la cathédrale qu’il commence à construire. Schelling lui en a fourni le choeur et les autres philosophes ou écrivains , les absides. L’office est nourri de la parole de Hölderlin et il en sera ainsi , dans le grand Dome de Berlin à la fin du combat. Mais Heidegger a vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Ou plutôt la peau du Dieu. Ce dieu chrétien que détestent tant les impérialistes germaniques.

    Quand vous aurez compris la logique interne de Heidegger vous serez surpris de ne pas avoir compris avant. Eh bien , non, il faut rentrer dans les intentionnalités pour comprendre. Cela ne se saisit pas de l’extérieur. il faut à la fois faire intervenir la phénoménologie et la longue durée. Nos plus grands historiens français (Braudel, Le Goff, Duby) ont particulièrement bien compris cela mais ils ne se sont pas attaqués au nazisme. Et ils savaient très bien pourquoi, ils ne maîtrisaient pas l’intentionnalité. La genèse du nazisme est toujours restée en jachère et pour une raison bien simple: les grands historiens n’étaient pas des spécialistes de la philosophie et les spécialistes de la philosophie n’étaient pas des historiens. Le cloisonnement des disciplines a toujours empêché la progression de la recherche. Avec Hegel, Marx et Heidegger la spécilisation sclérosante a volé en éclats mais l’université française ne l’a pas compris. Elle fonctionne toujours dans son cloisonnement stupide comme les dinandiers artisans dans les vieilles boutiques de Sarajevo. Et pourtant Bergson dès ses premiers discours sur la spécialité avait tenté de lui ouvrir les yeux. Peine perdue!

    Heidegger en revanche en a pris de la graine. Sans la vision du monde de Bergson, il n’aurait rien été. Mais cela ni les philosophes ni les historiens français ne l’ont compris, sauf un parce qu’il était cosmopolite et seulement français d’adoption: Lévinas. Ce n’est pas parce que Heidegger a critiqué Bergson qu’il ne l’a pas pillé. Mais combien de parricides Heidegger n’a-t-il pas commis! Il s’est même payé un déicide avec un holocauste en prime, pour mieux le réussir. Ce n’est pas beau, ça? C’est de la grande philosophie, non?. Du « grand style » comme il se plaisait à dire dans sa prédication sur Nietzsche.

    Alors vous savez, votre Goering, votre Goebbels, votre Hitler, ce n’étaient que des sous-fifres. des engrenages du processus. Pas l’ingénieur constructeur de la machine et chargé par sa « voix intérieure » de son fonctionnement. « Commander, seul le peut, celui qui obéit à la voix intérieure ». Excusez-moi de vous le dire, mais vous n’avez pas lu les textes. Vous ne les avez pas pesés à leur poids plein. Vous avez surfé. Mais nous ne sommes pas ici à Hawaï, nous sommes en Germanie et en Germanie on pèse au trébuchet les mots de Hegel, de Nietzsche et de Eugen Fischer. En Germanie, l’ »idéalisme » est un « réalisme ». Schelling a inauguré la lignée de ces funambules de la « conciliation des opposés » proposée par Nicolas de Cuse. L’ »idéalisme-réalisme » allemand chez des êtres puissants, frustrés par le christianisme, et emplis de haine envers lui ne pouvait donner que le nazisme.

    De l’ancien catholicisme au nazisme un seul fil réunit les adeptes de la Germanie: « Un grand amour et une grande haine ». Un grand amour pour la Germanie, une grande haine pour la Judée ». Heidegger s’est réclamé de cet idéal dans « Der Gral » dès 1908 sous la signature ambiguë du Herausgeber: Hg . Mais à cette époque-là, combien il se dissimulait tout en faisant du prosélytisme pour la revue et pour les soldats du « Gral »! On sait ce que la branche du Gralbund qui a suivi Heidegger est devenue: le Nazibund. C’est ce président du Gralbund qui est devenu quelques années plus tard le président du Nazibund.

    Mais qui a étudié cette période trouble de la vie de Heideggar marquée par l’opposition au thomisme imposé par PieX ? On a étudié le modernisme avec quelque soin. Mais l’impact de sa condamnation par Pie X en 1907 est resté en jachère surtout pour ce qui concerne l’Allemagne . Et quand Heidegger dit dans son dialogue « merdique » et méprisable sur « la dévastation et l’attente »: « on nous empêchait de penser », il dit l’exacte vérité. La revue Gral a même fait de ce thème un de ses éditoriaux. Mais la parole n’était pas seule en jeu. Derrière la parole il y avait la libido. On ne nous empêchait pas seulement de penser on nous empêchait aussi d’aimer et de baiser. Et cela c’était trop pour des adolescents qui se sentaient en cage derrière les barreaux de la prison de l’Eglise catholique, pire, des séminaires tenus par des jésuites dont certains pères étaient hyper rigoureux, d’autres laxistes.

    Heidegger, par Hitler interposé, se servira de cet argument en 1937 contre l’Egise catholique pour détruire les Congrégations et faire rentrer toute la jeunesse sous son giron. Ce sera la campagne contre les moeurs de l’Eglise.

    Mais que faut-il donc faire pour ouvrir les yeux des Français qui attendent que se réveille à nouveau la « belle au bois dormant » c’est à dire la « Germanie »? (cf le tableau du château de Goslar (la Kaiserstadt am Harz). C’est bien dans le Harz qu’avait eu lieu en 1913 la rencontre de tous les jeunes Allemands sur le Haut Meissner, à l’exception du Wandervogel qui avait boudé ce type de rassemblement. Le Harz n’avait pas été choisi par hasard.C’est là que Heidegger pour la première fois avait posé les jalons de la transformation de « l’homme intérieur ». Jalons dont il répètera la nécessité avant le cours sur le Sophiste en 1924 à Marbourg. C’est à Kassel , pour la première fois que l’embryon du « Nazibund » s’est constitué. I919 n’en sera que l’amplification.

    Depuis le rassemblement du Harz Heidegger n’est plus un inconnu dans le monde « bündisch ». Mais la guerre de 14 est arrivée trop tôt. La grande ligue pangermaniste n’était pas prête et surtout elle n’était pas unifiée. C’est autour de Heidegger après 1927/1928 que l’unité commencera à croître; autour de celui que certains considèrent alors comme le futur président du Reich : Heidegger. Il a 39 ans. C’est après quarante ans, dira-t-il à Jaspers, qu’un Souabe idéaliste devient réaliste. Il aura très exactement quarante ans lors de la leçon inaugurale.(1889-1929) Il est prêt. Son chancelier est prêt aussi (« Le coureur est sur la ligne de départ n’attendant que le signal »-Métaphysique Têta 3 p.213). En attendant il s’ennuie (Concepts fondamentaux de la métaphysique – 1929). N’étant pas pris au sérieux par le patronat, en 1932 il lance son parti dans la grève générale des transports berlinois. Le coup de poker est réussi. Le patronat a pris peur. Il va avoir un pied à l’étrier. On connaît la suite. A partir de là, en dépit de quelques querelles internes les historiens sont très forts parce que nous ne sommes plus dans le domaine de l’intentionnalité pure mais dans celui des archives. Hélas, il n’y a pas d’archives de l’intentionnalité, sauf dans les cours, les discours et les conférences des protagonistes de l’historialité. Et c’est justement là qu’il faut aller chercher l’origine de l’histoire.

    Je vous remercie de m’avoir écouté.
    michel bel

    Rédigé par : bel | le 10/03/2006 à 15:23 | Répondre | Modifier
  82. Cher Monsieur Bel,

    Je suis tombé par hasard sur un texte qui résume la thèse que Georgette Mouton a consacrée à la genèse du nazisme en relation avec les mouvements de jeunesse (editions-universelles.net). A aucun moment elle ne cite Heidegger. Mais ceraines de ses phrases sont on ne peut plus concaincantes, à mes yeux:
    – « Le nazisme n’a presque rien inventé. Il a simplement exacerbé des tendances néo-romantiques déjà très répandues parmi les mouvements des jeunes (sans exception) par le Wandervogel »;
    « Tous les écrivains allemands ont répandu l’idéologie folle du Wandervogel »;
    – « Le nazisme sort de l’idéologie de la jeunesse: Himmler, Eichmann, Hoess, Darré furent Wandervögel à leur adolescence ».
    Je me demande si vous n’avez pas été contaminé par cette folie à force de fréquenter cette histoire. Que les racines de l’oeuvre de Heide plongent dans ce terreau, que son intention était de sublimer tous ces thèmes gothiques dans une philosophie du Dasein allemand, et strictement, radicalement, absolument allemand, cela me paraît d’autant plus évident qu’il venait d’un terroir on ne peut plus heimlich und völkisch. Les thèmes de ces mouvements de jeunesse contiennent tous les slogans nazis:
    – germanitude
    – paganisme
    – pureté raciale
    – exaltation nationaliste
    – judéophobie
    – culte de la nature, de la force, de la beauté
    – aryanisme.
    Je ne vois vraiment pas pourquoi les leaders nazis auraient eu besoin de chercher tout cela ailleurs, et en particulier chez Heide le confus, le dissimulé, le « talmudique ».
    Non, Monsieur Bel, votre histoire ne tient pas debout.
    Bien à vous
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 10/03/2006 à 20:31 | Répondre | Modifier
  83. Monsieur Misslin,
    je connais bien la thèse de Georgette Mouton que j’aurais bien aimé interroger; malheureusement elle est décédée. Elle contient d’excellentes choses, indispensables pour comprendre le nazisme. Mais elle fait une étude d’atmosphère, non une étude de créateurs.

    Diriger en politique, ce n’est pas insuffler une culture, c’est orienter une action. Dans ses cours et ses conférences Heidegger expose sa vision d’une ontologie historiale qui est en redondance avec celles de Hegel, de Schelling et de Nietzsche. Mais ce n’est pas cela qui est important en politique. Ce qui est important pour Heidegger c’est de réaliser son grand dessein, c’est à dire de libérer l’Allemagne et de retrouver la source d’animation grecque fondée sur l’esclavage, l’art, la puissance guerrière et le culte du corps. Ces cinq orientations Heidegger les a impulsées et il les a impusées par étapes dans la temporalité de l’être en devenir. Mais le consensus était préalable.

    Le seul différend porte sur ce qu’il appelle l’incompréhension des « valets » (Rosenberg et son bureau). Le « balte obtus » comme le nomme Hitler n’a rien compris au nazisme tel que les intellectuels impérialistes nourris de Hölderlin, de Hegel et de Nietzsche le vivent. Hitler en tant que chef du parti issu du mouvement des chrétiens sociaux a été en contact avec ces intellectuels. Rosenberg jamais. Il y a des niveaux dans le parti . Heidegger donne les directives à l’élite, pas aux valets. Et il les donne en langage convenu: le langage poétique de Hölderlin. C’est ouvertement dit dans le Rhin. « Nul ne sait quand viendra le moment de transmettre aux Allemands les poèmes au premier abord les plus obscurs de Hölderlin » (NRF p.233.) S’il y a un moment pour transmettre, c’est qu’il y a une progression certaine dans la transmission des poèmes. On commence par la Germanie, on termine par Der Ister. Ce n’est pas un hasard. Entre temps on fait la corvée de bûches. Tout cela est cousu de fil balnc. Il n’est pas dificile de décider avant les opérations que tel poème correspond à telle étape, tel autre à telle autre étape. La seule chose qu’on ne sait pas, c’est dans combien de temps exactement l’heure propice, l’heure convenable, apparaîtra. il se peut même que les choses tournent au vinaigre au lieu d’aboutir (NRF p.240).

    Si vous envisagez les choses sous cet angle, vous n’avez plus besoin de vous compliquer la vie comme vous l’avez fait pour rendre compte de la politique. Voilà pourquoi Heidegger nous dit que celui qui a bien assimilé Höldelin n’a pas besoin de consulter un traîté politique . Et pour cause! Il suffit qu’Hitler et deux ou trois autres soient dans le coup et tout est joué. La politique, ça se fait à quatre ou cinq, tous les autres sont des exécutants. A la limite ça se fait peut-être à deux, tous les autres sont soumis au président et au chancelier , ce qui n’empêche pas qu’on leur laisse prendre des initiatives ou qu’on les mette en concurrence afin de choisir ensuite la meilleure solution ou pour mieux les assujettir en les rendant rivaux.

    Ce qui me laisse penser qu’Heidegger dirigeait toutes les grandes décisions dans les orientations préalablement choisies, c’est qu’Hitler ne prenait jamais de décisions immédiates. Il attendait toujours un ou plusieurs jours. Pourquoi? Vous l’avez compris. Il attendait « les voies que lui dictait la « Providence » . Alors il marchait avec assurance comme un somnambule. Kershaw qui a bien étudié cette question-là est particulièrement limpide sur ce point. Malheureusement il n’a pas compris qui était la Providence. Il a surfé sur Mein Kampf au lieu de le lire attentivement.
    Je vous en dirai davantage demain. Je n’ai pas inventé de roman contrairement à ce que vous pensez. J’ai suivi de très près les personnages dans leurs actes.

    Michel bel

    Rédigé par : bel | le 11/03/2006 à 00:46 | Répondre | Modifier
  84. Bonjour Monsieur Bel,

    Quand je vous lis, j’ai le sentiment d’assister à un film de Hitchcock, par exemple « Le crime était presque parfait ». Dans le film, c’est vous le détective! Ca c’était pour la détente.
    Dans votre dernier message, vous ne répondez pas à la question centrale que je vous ai posée: pourquoi Heide éprouvait-il le besoin de donner ses ordres en écrivant de la philosophie? Par exemple, cette histoire des poèmes de Hölderlin. Pensez-vous que les Allemands avaient besoin de ces poèmes pour survivre? Et de toute façon, de quoi parle-t-il encore Heide? Pourquoi en retarder la publication? N’étaient-ils pas déjà publiés? Quant aux commentaires de Heide sur ces poèmes, tout le monde sait bien qu’ils sont délirants, encore plus délirants que les poèmes eux-mêmes. C’est fou comme vous attachez de l’importance aux mots. Heide pensait uniquement en mots à la place des choses comme l’a bien montré M. Meschonic. Sa philosophie est l’expression d’un homme en mal d’être, pas d’un homme capable de vivre dans le réel. Il s’est construit un monde imaginaire parallèle, et sans doute ce qu’il écrivait lui permettait d’abord d’éviter de sombrer dans la démence car il était le héros de sa « geste », puisqu’il s’est incarné dans le DASEIN, un personnage sans personne!
    Bien à vous
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 11/03/2006 à 11:04 | Répondre | Modifier
  85. Monsieur Misslin,
    pour bien comprendre le rôle du discours chez Heidegger permettez-moi de vous renvoyer à l’histoire du concept de temps et aux Hymnes de Hölderlin-La Germanie et le Rhin. Le cours sur la volonté de puissance en tant qu’art peut être aussi utile pour comprendre le sens du commandement ainsi que celui sur la volonté de puissance en tant que connaissance. Quand vous les aurez assimilés vous ne pourrez plus poser les questions comme vous les avez posées.

    Michel bel qui aime bien se raconter des histoires, paraît-il.

    Rédigé par : bel | le 11/03/2006 à 11:38 | Répondre | Modifier
  86. Monsieur Misslin,
    si je n’ai pas répondu à votre question c’est parce que je ne peux pas y répondre telle qu’elle est posée.
    En tant qu’universitaire structurant la future vision du monde du Reich en opposition au « on » multiforme pouvait-il se comporter autrement qu’il l’a fait?
    Ma réponse est non? C’est en s’efforçant de faire passer sa vision du monde qu’il donnait en même temps les ordres fondamentaux. Que trouvez-vous d’étonnant à cela? Le « libérateur » proposait une autre vision du monde et les moyens pour se libérer de la première. Tout est logique. Tout se tient ,non.
    Quant à Meschonic, je suis navré de vous le dire, mais il n’a pas compris grand chose à Heidegger. J’attends toujours sa réponse à mon courrier depuis plusieurs années. il n’a pas compris que le nazisme en tant qu’inversion du christianisme et du judaïsme était une messe noire satanique.
    Michel bel

    Rédigé par : bel | le 11/03/2006 à 12:18 | Répondre | Modifier
  87. Bonjour Monsieur Bel,

    C’est bien là votre problème: vous ne pouvez pas démontrer ce que vous avancez. De plus, vous êtes dans la certitude, mais c’est uniquement la vôtre, puisque vous n’avez pas les preuves réelles, concrètes, basées sur des documents historiques dûment analysés, critiqués, vérifiés, vous procédez par affirmations là où vos interlocuteurs vous demandent des faits. Prenons un exemple parmi d’autres: vous affirmez, sans fournir la moindre preuve tangible, que la providence dont parle Adolf dans Mein Kampf c’est Heide. C’est votre interprétation, de nouveau vous ne pourrez pas fournir le moindre fait précis (des échanges de lettres, par exemple, entre Hitler et Heide, des entrevues circonstanciées, des confirmations par d’autres, en particulier par des historiens). Si on me demandait comment comprendre ce passage de Hitler, je dirais que c’est tout simplement une façon courante de parler, qu’il n’y a strictement pas à chercher derrière chaque mot une grosse bête intentionnelle: après tout, Adolf était un catholique de par son origine familiale et même s’il ne croyait plus, les tournures de phrase restent acquises. Faudrait-il dire de tous les athées du monde qui disent « Ah! mon Dieu » que ce sont des croyants qui s’ignorent? Voyons, tout cela ça manque de bon sens.
    Quant à M. Meschonic, s’il ne vous a pas répondu, c’est sans doute parce que vous avez dû le décourager comme vous finissez par lasser ceux-là mêmes qui au départ sont prêts à vous entendre. Son livre est, à mes yeux, d’une remarquable pertinence, car, au lieu de lire Heide « à la lettre », au lieu d’interpréter Heide avec d’autres mots, encore et toujours, comme le feraient des philosophes, Meschonic s’est intéressé à la langue de Heide, si curieuse, si symptômatique. Et qu’est-ce qu’il y a repéré? Une langue « essentialiste », c.à.d. une langue qui aligne des mots abstaits à tour de bras, des mots qui sont délestés de tout contenu expérimental, de toute confrontation avec le réel, des mots qui planent dans une atmosphère dépourvue de toute trace de molécules, vide, creuse. On dirait que Heide écrivait comme pour s’absenter du monde, des autres. Je crois que c’est Lévinas qui a dit à son propos qu’il se prenait pour le berger de l’être, mais qu’il avait oublié les brebis. Je cite de mémoire. C’est la froideur de ce style et l’absence d’émotion et de vibration sensible que je ressens comme effrayante: c’est ce qui m’empêche de lire Heide: étrangement inquiétant comme aurait dit Freud.
    Bien à vous
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 11/03/2006 à 13:18 | Répondre | Modifier
  88. Cher Monsieur Misslin,
    bien que je ne veuille nullement vous vexer je suis obligé de vous faire reconnaître que les arguments que vous avancez et qui sont légitimes au niveau où vous les avancez se situent au niveau de l’apprenti alors que Heidegger se situe au niveau du maître. Pour le comprendre il faut donc travailler au niveau du maître et non plus à celui de l’apprenti. Je ne puis entrer davantage dans le détail. Je crois avoir déjà dit que je ne démontrais rien et que je n’avais rien à démontrer . Le niveau du maître où se situe Heidegger n’est accessible qu’à ceux qui veulent faire l’effort de se hisser à son niveau. Si vous commencez à vous mettre des bâtons dans les roues dès le départ vous n’irez pas très loin. Il y a belle lurette qu’Heidegger avait rompu avec l’histoire positiviste pour travailler dans l’histoire intentionnelle. Ne prenez pas cet Anti-Christ pour moins intelligent qu’il n’est. Ne sous estimez pas Heidegger. Il était plus futé que Meschonic. Quand on conduit le Reich il faut être plus futé que les esclaves de la caverne qu’on veut libérer. Ce qui n’empêche pas comme l’avaient bien vu Platon, Spinoza et Goethe qu’on puisse être esclave de sa passion dominante. Je n’oblige personne à me croire. Je propose simplement aux gens qui savent utiliser l’esprit de finesse la seule et unique piste qui n’a rien d’évident au premier abord, qui leur permettra d’accéder au véritable Heidegger. Si les autres ne veulent pas suivre le chemin de l’intentionnalité heideggérienne je ne les oblige pas. Il en est de la compréhension en herméneutique comme de la densité des fluides, chacun se stabilise à son propre niveau d’équilibre. Peut-être serait-il bon que vous relisiez l’article de Franco Carolini que vous m’avez pourtant permis de découvrir où l’essentiel est dit sur le dieu d’Hitler. Si d’aventure vous aspirez à devenir un maître au niveau de la compréhension, apprenez à ne pas surfer sur les textes et à peser les mots que vous lisez à « leur poids plein ». C’est Heidegger qui utilise cette expression. Et Heidegger est un grand maître. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est excessivement dangereux. Plus rusé que lui il n’y a pas. Mais comme le lui a dit Hannah, il s’est pris à sa propre ruse et bien que ce soit à ses dépens, il a fait souffrir l’humanité au delà du tolérable.
    Bien à vous,
    micel bel.

    Rédigé par : bel | le 12/03/2006 à 01:52 | Répondre | Modifier
  89. Chers lecteurs,
    Avez-vous vu comment se démènent les heideggériens dans le numéro du magazine littéraire de mars? On dirait des poissons dans une poêle. Ce pauvre Fédier,son interview est minable. Poésie,pensée…, il ne sait rien en dire. Mais pour commencer à dire quelque chose d’intelligent sur ce sujet, il faut peut-être se déprendre de Heidegger qui est l’exemple type de la corruption en ce domaine. Et ce louvoyeur de Sloterdijk qui veut faire passer la doctrine nazie dont Heidegger est le fondateur spirituel et organisationnel pour un banal néo réalisme. Nous n’avons pas oublié les « Règles pour le parc humain ».

    Heidegger ne peut pas être à la fois juge en tant qu’observateur impartial, et partie; il est partie. S’il y a eu chemin d’une pensée ,criminelle certes, mais chemin d’une pensée, pour Heidegger, ce numéro du magazine littéraire en revanche, est hélas! le chemin d’une non pensée. Ce numéro est un scandale fait tout au plus pour des agrégés de second niveau. Non seulement il ne trompe personne mais ses auteurs s’enfoncent de plus en plus dans les sables mouvants du non-dit et des contre-vérités qui vont les engloutir à l’heure où le nazisme renaît de plus belle sous les formes du lobbying international de la dictature du capital qui a emprunté au nazisme ses méthodes sous couvert de libéralisme. La ruse est autrement plus subtile encore que celle de Heidegger en son temps. Les néo-libéraux condamnent le nazisme en paroles et lui empruntent ses méthodes en acte. Ne serait-ce pas cela le véritable règne du porteur de lumière? Le Figaro magazine du 11 mars 2006 ne laisse planer aucun doute sur la question. Le néo-libéralisme qui risque de nous conduire très vite à la fin de l’histoire car il en a les moyens militaires et industriels s’affiche libéral en paroles et nazi en acte.

    La volonté de puissance et de domination capitaliste réalise la mondialisation du règne du dieu temporel, ce règne que Heidegger voulait réaliser en son temps avec la Germanie. Entreprise prématurée comme il le dit dans le chemin de campagne. Sans doute. Mais entreprise qui a tracé les voies de la domination planétaire qui nous reconduit à l’opposition radicale déjà repérée par Saint Augustin au temps de l’empire romain entre la « cité de Dieu » et la « cité terrestre ». Je crois que nous n’avons plus d’autre choix que celui-ci: Ou les droits de l’homme à base universaliste chrétienne même si on ne se réclame pas du Christ (la base est là) ou l’oppression capitaliste esclavagiste post keynésienne lancée par les Chicago boys et les Think tanks serviteurs zélés des possesseurs de l’arme de destruction massive. « Ou bien…ou bien… » Pas très réjouissant tout ça.

    La pseudosophie de Heidegger- il faudrait même dire l’allosophie – est bien la doctrine qui convient au néo capitalisme pseudo libéral du XX° siècle. Elle le conduira à sa perte. Mais la passion du capital comme celle du proctos rend aveugle. Quand je vois ce menteur de Conche signer le livre « Heidegger à plus forte raison » patronné par François Fédier, je me dis : qu’est-ce que Gallimard est allé faire dans cette galère? Veut-on une deuxième fois la mort de Michel Gallimard et de Camus? Le « Combat » de Camus est à reprendre à la racine. Il faut jouer à nouveau Les Possédés pour bien comprendre qui était Heidegger. Martin Karamazov, et non plus Yvan cette fois, nous a dit le dernier mot : « puisque dieu n’existe pas tout est permis. » Yvan se contentait de dire : « Si… ». Martin Karamazov dans le « Sophiste en 1924 est passé du « si… » au « puisque… »pour guérir le Dasein germanique et libérer les habitants de la planète aryenne de leurs chaînes …A moins qu’il ne les ait enfermés à vie dans la geôle de Reading où on avait parqué Oscar Wilde.

    Il se pourrait que tous ces porteurs de lumière soient des porteurs de ténèbres. Il y avait un lien très étroit entre le Hölderlin de Heidegger et la Provence de René Char, ce « poète » que n’aimait guère Kozovoï en qui il ne trouvait « l’ombre » d’aucune qualité « de bonté, de générosité,d’abnégation ».(Poésie 112-113 p.102. C’était la vallée du « Thor ». Or ce Thor pourrait bien aujourd’hui sous des masques différents, diriger le monde. Nietzsche lui avait donné sa dimension planétaire et Heidegger l’avait parfaitement compris (dernière ligne de la métaphysique de Nietzsche, Nietzsche II p.266.). Mephisto a fait ses premières armes avec Heidegger. Il pourrait bien terminer la guerre contre Dieu avec un conflit nucléaire puisque selon Heidegger un conflit nucléaire est moins grave que la perte du « fond » sans « fond » tel qu’il l’expose dans son « génie métaphysique ». A suivre…
    Michel bel..

    Rédigé par : bel | le 12/03/2006 à 11:06 | Répondre | Modifier
  90. Bonjour Monsieur Bel,

    Ne vous en faites pas pour mon amour-propre, je ne cède pas facilement à ce réflexe!
    Je regrette depuis le début de nos échanges que vous n’adoptiez pas la méthode objectiviste de la démonstration. C’est bien gentil de se réfugier derrière l’esprit de finesse: à ce jeu-là, vous vous donnez le beau rôle, le même finalement que vous prêtez au prophète de Messkirch. Quant au combat métaphysique que vous livrez contre Satan à travers Heide, cette gigantomachie ne m’intéresse pas.
    Vous me renvoyez à Cardini et cela me convient tout à fait. Mais, si l’on suit Cardini, la religion de Hitler était un darwinisme interprêté de manière raciale (ce qui est un contre-sens, mais à ce niveau cela n’a pas d’importance!), une exaltation de la science et un culte de la mythologique nordique. Je ne vois rien de strictement heideggerien là-dedans: on est loin de la recherche de l’essence de l’être de l’étant et autres fariboles. De plus, Cardini note aussi que Hitler utilisait souvent dans ses discours les termes de « Créateur », « Seigneur », « Providence » et il n’y voit rien d’autre qu’une façon de parler d’Adolf très commune.
    Dans votre dernier message, vous citez la célèbre phrase de Dostoïevski: « Si Dieu n’existe pas… ». Nietzsche aussi était très préoccupé par le fait de l’existence d’une société sans Dieu. On peut même dire que cela le tourmentait beaucoup et qu’il a essayé d’en trouver des substituts. Comme quoi, il semble difficile à certains de renoncer au désir de l’absolu. Nietzsche n’était pas un démocrate et je pense que si Heide a cru pouvoir s’identifier à lui, c’est en particulier en raison de la posture aristocratique de Nietzsche. Il y a du réactionnaire chez ces deux gaillards. Une société égalitaire était inconcevable pour eux (voir les intéressants développements de M. Skildy à propos des ahurissants propos de Heide sur la nécessaire inégalité sociale: c’est cela le vrai visage de Heide: un insupportable lepéniste). En cela, ils étaient des penseurs très classiques, très allergiques à la modernité. Etant agnostique, je souhaite personnellement que nous puissions nous passer de tous les dieux, et surtout de tous les prophètes qui nous promettent des lendemains qui chantent. Car s’il n’y avait pas des prophètes, il n’y aurait ni dieux, ni diables, mais des hommes adultes et raisonnables.
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 12/03/2006 à 13:24 | Répondre | Modifier
  91. Cher Monsieur Misslin,
    je ne sais comment vous lisez Cardini qui nous montre dans son étude très documentée qu’il y a deux conceptions de Dieu chez Hitler, une pour les lecteurs de Mein Kampf, l’autre à usage privé. Cette dernière se trouve dans ses entretiens avec Rauschning et dans les propos de table. Je ne peux pas vous faire un commentaire détaillé paragraphe après paragraphe et vous dire à chaque fois à quoi tel ou tel passage correspond chez Heidegger. Mais je puis vous dire que Cardini est en plein dans le mille. Il a parfaitement vu de quelles idées Hitler était imprégné et s’il ne donne pas le nom du fruit qu’il décrit, ceux qui connaissent ce fruit le reconnaissent tout de suite et savent le nommer sans difficulté.

    Dans ce texte de recherche sur le dieu d’Adolf Hitler Cardini a parfaitement vu ce qu’était le nazisme. Il a compris le caractère éminemment religieux du national socialisme qu’il a pris soin de bien séparer des mouvements religieux qui ont fleuri pendant la période hitlérienne et, après avoir cerné ses caracatères fondamentaux (Weltgeist,nature, destin, sang, force immanente et panthéiste) il déclare: »En tant que tel, il était une foi et il ne pouvait pas tolérer, sinon pour des raisons contingentes et avec tout le cynisme des choix de commodité, la coexistence avec d’autres fois ». Il s’agissait pour le maître spirituel de cette foi de « capturer mystiquement l’âme du peuple allemand et de fournir au matérialisme raciste et au fanatisme antisémite la dignité d’un appareil qui pouvait sembler spirituel ». « Le national socialisme ambitionnait de remplacer toutes les religions puisqu’il entendait se proposer comme un succédané de la religion. »
    La base du nazisme n’est pas, comme vous pouvez le voir, le racisme en tant que tel, c’est à dire le racisme biologique pur dont
    Hitler et Heidegger savent qu’il n’a aucun sens, mais le racisme spirituel c’est à dire la construction d’une lignée humaine -ou plutôt surhumaine- dont la foi n’est plus celle d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et du Christ mais celle de Nietzsche, de Hegel, de Schelling et de Novalis revus par Heidegger , lignée spirituelle dont la foi est prêchée et enseignée par Heidegger qui en expose la teneur, en commente les prétendues prophéties et en accomplit la mission avec l’aide de son vicaire. Ce dernier étant à la fois, annonciateur et chancelier, nonce et bras séculier. Il s’agit d’une chimère de religion et de philosophie dont le point de départ est le néant et le point d’arrivée, après un mirage d’empire, le NEANT. Le tout agrémenté d’un bain de sang sans précédent destiné à éradiquer complètement la religion du Christ de la planète et à lui substituer la religion de la Germanie, c’est à dire, derrière le voile quasi transparent d’Isis, de Heidegger.

    S’il ne s’agit pas de la création du règne d’un Anti-Christ, de quoi s’agit-il? Donnez-moi une réponse vous qui avez l’air de savoir ce qu’est le nazisme. Moi je m’efforce de l’apprendre et de l’apprendre en lisant les textes des pères fondateurs. La Bible de la Nouvelle Religion est la Gesamtausgabe. Son pape , ou plutôt son Dieu incarne parfaitement le Dionysos de Nietzsche, nom que Nietzsche a donné selon ses propres paroles à l’AntiChrist car il ne savait comment le nommer. Dionysos n’est autre que le Dieu apparemment « philosophe », « pipeur de consciences » et « porteur de masques ». Il s’agit de rendre l’homme « plus fort, plus méchant, et plus savant ».
    Pour ma part je n’ai pas d’autres lumières pour comprendre le nazisme de l’intérieur, mais celles-là je les ai. Et elles sont capitales. il ne s’agit pas de croire savoir ce qu’est le national socialisme, il s’agit de le savoir vraiment. Et croyez-moi j’ai passé plus de vingt ans à essayer de le comprendre. Autant dire que j’en ai remué des livres et parcouru des pages et des pages. « Autour du héros tout se fait tragédie, autour du Dieu tout se fait monde… ».Enfin « peut-être ». Et le monde dont rêvait Heidegger ne s’est pas fait. Qu’à cela ne tienne! Ce n’est que reculer pour mieux affiner l’attaque, la rendre plus efficace, le fruit n’était pas mûr, il se fera. La G.A. a été éditée à cette fin. Ce n’est guère réjouissant sauf pour les heideggériens français qui n’ont rien compris à l’antihumanisme de Heidegger et qui croient militer pour la libération des peuples en brandissant très haut l’étendard Heidegger. Heidegger est mort en attendant que l’heure propice à son règne , à son accomplissement advienne.. Car « Celui qui est mort avant de mourir ne meurt pas quand il meurt. » Est-ce son retour qu’attendent les érastes heideggériens?

    Dans quel « agir à l’oeuvre » Jean Luc Nancy veut-il nous conduire? Il y a une autre « poésie  » que celle de Heidegger,
    une poésie « authentique » si l’on entend par ce mot la construction du monde et elle a pour nom : vérité et tendresse. Tendresse, un mot qui manque terriblement chez Heidegger, n’en déplaise à François Fédier qui cherche à l’introduire de force dans la « gigantomachie » criminelle du mage de Todtnauberg. Les Titans heideggériens n’ont aucune tendresse. Ni aucun sourire de bienveillance et d’amour. Martin Heidegger ne sera jamais mon ami. Le Christ, oui.

    Le pipeur de consciences de Messkirch, même mort et enterré au petit cimétière de sa ville natale, a encore de beaux jours devant lui. A moins que…
    michel bel

    Rédigé par : bel | le 12/03/2006 à 20:25 | Répondre | Modifier
  92. Cher Monsieur Bel,

    Je voudrais vous remercier pour m’avoir permis de m’instruire en vous lisant. Que vous m’ayez convaincu ou non, ce n’est pas l’essentiel. Je n’ai pas besoin, en effet, de vous suivre quand vous faites de Heide l’Esprit qui a engendré le IIIème Reich. J’en suis arrivé à me faire de cet homme une certaine idée et j’avoue, en toute simplicité, que cet homme m’est profondément antipathique. Politiquement, c’était un réactionnaire de la plus belle espèce, ce qui fait qu’il s’est fait piéger par les nazis. Il avait des préjugés de cul-terreux d’une banalité effarante pour quelqu’un qui se prenait pour un penseur génial: pour lui, un juif n’était pas un allemand, en dépit de tout, un Allemand, c’était quelqu’un qui était né sur la terre allemande, un homme authentique, c’était quelqu’un d’enraciné dans son trou comme lui (même pas une caverne). Quant à sa philosophie, lui qui prétendait être un phénoménologue, il suffit d’aligner ses concepts familiers: Dasein, Temps, Etre (celui-là ad nauseam), « on » pour se rendre compte que cet homme finalement détestait la vie réelle, les gens réels, l’histoire réelle et ne se sentaient à l’aise que dans des abstractions qui sont justement à l’opposé de ce qu’une certaine phénoménologie de l’incarnation souhaitait. Cet homme était un misanthrope, un solitaire, qui méprisait les autres parce que, contairement à lui qui évoluait dans l’univers majestueux des idéalités,ils se contentaient des petits plaisirs de la vie, recherchaient les satisfactions ordinaires, le bavardage, les futilités et j’en passe. Cet homme était dangereux en ce sens qu’il était prédestiné à se faire piéger par les nazis et leur sens de la destruction, parce qu’au fond de lui, il avait un fantasme destructeur comme tous les misanthropes, ou déçus de la vie. Fort heureusement, il n’était qu’un professeur de philosophie, mais comme vous l’écrivez, Monsieur Bel, il a laissé une oeuvre et cette oeuvre est l’expression de son nihilisme personnel. En effet, la passion (qui est souffrance) misanthropique s’accompagne d’un grave processus projectif: ces personnalités voient le monde à travers le prisme de leur ressentiment et donc le trouve mauvais, et donc veulent le changer, radicalement. La pièce de Molière est extraodinaire de lucidité: Rousseau ne s’est pas trompé, autre misanthrope célèbre qui détestait la pièce, et pour cause (je n’oublie pas que M. Er n’est pas d’accord avec moi sur ce point). Heidegger ne supportait aucune critique de son oeuvre, et personne ne trouvait grâce à ses yeux, sinon ceux qui le flattaient. Benjamin n’a-t-il pas écrit qu’il fallait « buter Heidegger ». Il avait vu juste sur le personnage. C’est pourquoi il convient de ne pas séparer l’oeuvre de l’homme, et M. Faye a raison. Il faut lire cette oeuvre avec le soucis de ne pas se laisser haper par cette rhétorique fumeuse de la même façon qu’il n’aurait pas fallu lire comme on l’a parfois fait l’oeuvre de Rousseau. Il faut demander à cette oeuvre des comptes, je veux dire, nous aide-t-elle à mieux comprendre notre vie de tous les jours, nos joies, nos peines, nos amours, nos haines, à orienter nos choix politiques, à nous instruire, à aimer la science, à nous apprendre à mieux nous orienter et à mieux nous rapprocher des autres? Dispense-t-elle une philosophie concrète, vivante, raisonnable, pratique, aimable, sereine? Fait-elle de nous de meilleurs citoyens, c.à.d. des démocrates sincères qui aiment l’égalité des citoyens, la séparation des pouvoirs et luttent contre tout ce qui menace ce fragile, relatif et historique équilibre: injustices, pouvoirs arbitraires, illégaliés, discriminations de toutes sortes.
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 12/03/2006 à 22:21 | Répondre | Modifier
  93. Monsieur Misslin,
    quel dommage que vous n’alliez pas jusqu’au bout de l’horreur heideggérienne pour pouvoir combattre son intentionnalité, son projet de changement de « monde » qui cherche à substituer au monde d’amour du Christ son monde de haine, d’apartheid, de domination et d’anéantissement..Il ne suffit pas de comprendre cette bête, il faut aussi la combattre et protéger la société humaine contre son retour. Quand on a compris la vraie nature de sa phénoménologie en lisant entre autres leçons son Introduction à la métaphysique (1935) et qu’on sait qu’il a dit en 1963: « En 1919, je mis en pratique le regard phénoménologique » (Mon chemin de pensée et la phénoménologie: « La façon dont mon chemin s’ouvre en ouvrant la phénoménologie elle-même » Questions IV p.168 et 161) et que, de surcroît, Hitler, dans Mein Kampf nous parle de sa rencontre avec le philosophe président du Reich en 1919, lors de son entrée au parti, on n’a pas besoin d’un dessin supplémentaire pour comprendre que le Véritable président du Reich, c’est Martin Heidegger en personne.

    Ses positions en 1933, en 1936 et en 1937 (appel des Allemands à plébisciter Hitler, appel des Italiens et des Français à la collaboration), le confirment. Hitler ne se laisse plus percevoir alors que comme un président apparent, tout comme dans une phrase il y a un sujet réel et un sujet apparent, et en physique newtonienne , un mouvement réel et un mouvement apparent du soleil..Mais comme ce que dit Heidegger en 1963 est noyé dans des considérations sur son rapport à Husserl on a l’impression qu’il parle de Husserl en parlant du regard phénoménologique et de sa « mise en pratique ».

    Or, il suffit de se rappeler ce qu’il dit en 1916, en 1925, en 1927 et en 1930 sur la nécessité de l’ancrage de la philosophie dans l’histoire pour qu’on comprenne aussitôt ce que la « mise en pratique » de son regard phénoménologique signifie. Seules sa prudence et sa ruse qui utilisent des formules entâchées d’imprécision à tour de bras peuvent laisser croire qu’il s’agit d’autre chose. Mais celui qui a étudié de près la malignité de Heidegger ne s’en laisse pas conter.
    Bien à vous
    michel bel

    Rédigé par : bel | le 13/03/2006 à 15:56 | Répondre | Modifier
  94. Cher monsieur Misslin,
    pourriez-vous m’indiquer à quel texte de Benjamin vous pensez, et développer quelque peu si vous en avez le temps ?
    Pour ce qui est de Rousseau, je vous ai déjà effectivement exposé mon amical désaccord, et vous pourriez peut-être me donner l’occasion de vous répondre si vous me disiez ce qui vous pose problème dans sa pensée.
    J’espère au moins que vous reconnaîtrez que sur le plan de la langue au moins, on a là deux écrivains différents avec Rousseau et Heidegger !
    Bien à vous,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 13/03/2006 à 18:09 | Répondre | Modifier
  95. Bonjour Monsieur Er,

    Je ne peux pas vous donner de référence quant au propos attribué à Benjamin, en 1930, quand il parlait de « démolir Heidegger »: je l’ai trouvé sur le site: pedagogie.ac-toulouse.fr (cf l’analyse du livre de Anders « sur la pseudo-concrétude de la philosophie de Heidegger »). Je me demande si ce propos ne se trouve pas dans la correspondance de Benjamin. J’adore Anders. La façon dont il raconte ses rencontres avec Heide (dans « Et si je suis désespéré »)en dit, pour moi, mille fois plus sur la personnalité du négateur de la pensée que beaucoup de commentaires « littéraires ».Les excentricités langagières de ce personnage tragi-comique me font irrésistiblement rire. Commnent a-t-on pu prendre tout ce galimatias au sérieux alors qu’on est en présence d’un type d’une effarante banalité qui se gonfle d’air comme la grenouille de La Fontaine? Il vaut mieux lire T. Bernard qui croque à merveille sa suffisance impayable.
    Quant à Rousseau, je vous accorde bien sûr qu’il est un authentique écrivain. Je l’adorais, quand j’étais jeune, au point de prendre un jour, à 17 ans, mon vélo pour visiter l’île St Pierre sur le lac de Bienne tellement la cinquième Rêverie m’enchantait! Mais, c’est la forme de son affectivité qui me fait penser à Heide, cette façon de se plaindre de la réalité, des autres, et de recourir, pour compenser ce mécontentement, à des échappatoires imaginaires vers la recherche d’ origines mythiques idéalisées, pures, exemptes de cette dégradation qui, à ses yeux, caractérise les sociétés modernes, la « civilisation ». Je trouve chez l’un et l’autre une profonde misanthropie: pensez au goût de Jean-Jacques pour les refuges, l’île et … l’utopie et vous verrez que Heide n’est pas loin de partager avec lui la même tendance au repli sur soi comme symptôme d’un malaise analogue. La Hütte de Todnauberg n’a pas pour moi la même signification que pour Monsieur Bel, avec tout le respect que je tiens à témoigner à ce dernier! Et ce que Anders dit de Heidegger va vraiment dans le sens de mes intuitions. Je trouve dans l’oeuvre de l’un et de l’autre du mysticisme teinté de religiosité, des désirs de révolution, mais bizarrement de révolutions régressives, passéistes, nostalgiques d’un paradis imaginaire perdu. L’un et l’autre me font penser à Platon, politiquement et métaphysiquement parlé: des pensées réactionnaires, totalisantes, radicales et, à mon humble avis, dangereuses parce que radicales, irréalistes et pleines de ressentiment contre la condition humaine. Je me méfie comme de la peste contre ce genre de types qui veulent rééduquer l’humanité selon leurs fantasmes de frustrés de l’existence!
    Bien amicalement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 14/03/2006 à 13:26 | Répondre | Modifier
  96. Bonjour Monsieur Bel,

    Ne soyez pas désolé du fait que je n’arrive pas à croire que Heide ait pu réellement jouer le rôle que vous lui prêtez: pour moi, il suffit de constater combien il aurait voulu être le Guide du peuple allemand vers l’accomplissement du monde nouveau que cet alchimiste fumeux lui a concocté dans la marmite de la Hütte. Laissez-moi la liberté d’apprécier les choses comme je peux de même que vous êtes libre de présenter vos propres résultats. Vous préférez utiliser la méthode inductive et j’ai besoin, personnellement, de davantage de factualité. Je ne cherche pas forcément un consensus, je suis au contraire sensible à la diversité de nos approches, de nos opinions, de nos attentes. La forme de conviction que vous voulez me faire partager est trop loin de mon tempérament agnostique, de mon scepticisme que je veux gai et souriant. Votre foi que je sens ardente est trop loin de mes capacités. Une foi comme la vôtre ne peut se partager qu’à l’intérieur d’une « église », je veux dire d’une communauté de croyants. Je respecte entièrement l’horreur que peut vous inspirer Heide, et son égarement religieux, car sur ce point je suis d’accord avec vous: il a cru en la capacité du national-socialisme de régénérer l’Allemagne, donc le monde!. Et pour ce genre de fantasme, il faut de la foi. C’est pour cela que je trouve nécessaire de mettre l’oeuvre et la vie de cet homme sur la place publique, à la lumière du grand jour: qu’on en parle sur l’agora de la démocratie et pas seulement dans les bibliothèques feutrées des universités. Bravo aux Farias et autres Faye. On verra bien si elle résiste au regard de ceux qui lisent Heidegger en suivant le principe de réalité plutôt que celui du plaisir narcissique. J’évite autant que possible l’adulation que la condamnation fanatiques, sachant trop que nous sommes humains, trop humains, mais contrairement à l’autre (!), je ne rêve pas de surhomme!
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 14/03/2006 à 14:44 | Répondre | Modifier
  97. Cher monsieur Misslin,
    deux mots simplement sur Rousseau : d’abord, comme je vous l’ai dit, on peut peut-être juger avec sévérité certaines conséquences possibles de sa réflexion politique, mais ce sont des conséquences : on ne trouvera pas chez lui de virulence antisémite ou d’apologétique de la supériorité raciale de qui on voudra sur qui on voudra (dont les applications politiques sont pour le coup immédiates). Il y a de plus chez Rousseau un désir de justice et d’égalité que l’on a le droit de trouver utopique, sans devoir pour autant affirmer, comme certains « libéraux » que tout désir d’égalité sociale soit « totalitaire » par essence.
    Par ailleurs il n’y a pas vraiment non plus chez lui de désir de révolution « régressive » : il n’a jamais voulu nous renvoyer à un quelconque état originel, dont il dit bien qu’il est une hypothèse de travail pour comprendre le présent, non un idéal vers lequel il nous faudrait retourner.
    Bien cordialement,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 17/03/2006 à 16:20 | Répondre | Modifier
  98. Bonsoir Monsieur Er,

    Merci pour vos commentaires toujours éclairants. Je suis tout à fait d’accord qu’il ne serait pas convenable d’identifier ces deux auteurs l’un avec l’autre. Mais je suis sensible chez les deux à une sorte de déception affective, de désenchantement lié à une perte de foi: je me rends compte que j’écris là sans doute des bizarreries qui peuvent paraître n’avoir ni queue ni tête. Cette perte de foi, ils en rendent responsable la société dans laquelle ils ont vécu, l’accusant d’être futile, sperficielle, artificielle. Et, comme par hasard, je trouve chez l’un et chez l’autre une sorte de religiosité mystique qui les porte à se projeter dans un avenir qui serait la restauration d’une forme d’existence antérieure, plus authentique et moins frelatée. Mais je me trompe peut-être complètement. Dans ce cas, je compte sur vous pour me corriger!
    Bien amicalement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 17/03/2006 à 23:19 | Répondre | Modifier
  99. Cher monsieur Misslin,
    je vous ai déjà dit en effet pourquoi, si il y a chez les deux des formes de religiosité (« naturelle » pour l’un, pour l’autre je ne saurais comment la qualifier…), ils ne sauraient s’identifier.
    De même chez Heidegger si il y a une dimension très fortement anti-moderniste, il y a aussi on le sait maintenant des textes à la gloire de la motorisation de la Wehrmacht, ce qui n’est d’ailleurs bien sûr pas nécessairement contradictoire avec l’anti-modernisme. Pour le rapport rousseauiste avec un passé idéalisé, ou ce que vous croyez être tel, je vous ai déjà répondu je pense, même si ce fut succintement (je ne suis pas un spécialiste de Rousseau). Si vous souhaitez avoir une vision à la fois de l’homme et de l’oeuvre Rousseau qui réponde à vos interrogations sur sa personnalité, le livre de Jean Starobinski (psychiatre de formation, vous devriez vous y retrouver…et il écrit bien) peut être une aide si vous ne l’avez déjà lu : « Jean-Jacques Rousseau : la transparence et l’obstacle ».
    Je ne pense pas qu’il y ait une « perte de foi » chez Rousseau, même si il y a bien chez lui une critique des apparences sociales qui n’a rien à voir avec celle de l’ »Öffentlichkeit » chez Heide.
    Si vous me répondez à nouveau je ne pourrai rebondir rapidement, mais comme l’a dit dans un film immortel un ancien champion autrichien de culturisme devenu depuis gouverneur de Californie,
    « I’ll be back. »
    Bien amicalement,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 19/03/2006 à 21:42 | Répondre | Modifier
  100. Bonjour Monsieur Er,

    Merci pour votre éclairante réponse. Ce qui me frappe particulièrement chez Heide, c’est le côté « révolté » de sa personnalité: révolte contre sa religion d’enfance, contre la philosophie occidentale c.à.d. critique, contre le régime démocratique de Weimar, contre l’évolution industrielle réduite au Gestell. Or, il s’agit d’une véritable posture oppositionnelle qu’on rencontre souvent chez la jeunesse. En lisant l’autre jour « Les chemins de Heidegger » de Gadamer, j’ai été frappé par le nombre de fois où Gadamer parle (de façon d’ailleurs béatement naïve)de la « violence » de Heide. Pas étonnant qu’il ait été fasciné par le national-socialisme. Jaspers écrit à Heide en 1950 ceci: « Vous me pardonnerez si je dis ce qu’il m’est arrivé de penser: que vous sembliez vous être conduit, à l’égard des phénomènes du national-socialisme, comme un enfant qui rêve, ne sait ce qu’il fait, s’embarque comme un aveugle et comme sans y penser dans une entreprise qui lui apparaît ainsi autrement qu’elle n’est dans sa réalité, puis reste bientôt avec son désarroi devant un amas de décombres et se laisse entraîner plus loin. » A quoi Heide a répondu: « Vous y êtes tout à fait, avec l’image de l’enfant qui rêve. » Et dire que c’est en somme un demeuré qui passe aux yeux de certains comme un philosophe, non, que dis-je, comme LE philosophe du XXème siècle. Désespérant!
    Bien cordialement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 26/03/2006 à 17:37 | Répondre | Modifier
  101. Cher monsieur Misslin,
    si Heidegger a été un rebelle, c’est au sens de la « révolution conservatrice », c’est à dire contre l’ensemble de l’héritage des Lumières. Une rebellion de vieux plutôt que de jeunes, même si l’âge n’a pas nécessairement à voir là-dedans.
    Quant à Jaspers, après avoir eu des mots très durs à l’égard de Heidegger, ce type de commentaires ultérieurs que vous citez a permis à Heide de rebondir après guerre. On comprend que ce dernier l’ait approuvé : c’était bien généreux que de limiter son engagement à celui d’un enfant qui rêve. Le problème est que lorsqu’on est recteur de l’université de Fribourg, à savoir du laboratoire du nazisme académique, on n’est plus vraiment un enfant, même si on est dominé par des pulsions infantiles.
    Ne vous laissez donc pas abuser par les pseudo-autocritiques de ce genre, où sous couvert d’admettre une « erreur » on se lave de toute responsabilité. J’aurais préféré pour ma part que Heidegger se taise plutôt que d’admettre une « große Dummheit », tant cette pseudo-autocritique est d’une mauvaise foi à des années lumières de la gravité de ses actes et de ses dires.
    Bien cordialement,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 31/03/2006 à 11:43 | Répondre | Modifier
  102. Bonsoir Monsieur Er,

    Vous avez tout à fait raison d’écrire que la bienveillance de Jaspers à l’égard de Heide a pu permettre à ce dernier de se défiler. Mais, il ne faut pas oublier que ce personnage a très vite pu jouir (ce qu’il a fait sans mesure)d’une réputation des plus flatteuses dans le milieu philosophique national, et international. Pourquoi, dans ces conditions, se serait-il donné des verges pour se battre, alors qu’il a été encensé comme un dieu! C’est cette forme d’adoration qui me rend perplexe chez les humains. Le rapport gourou-jobards est une des nombreuses extravagances de notre espèce. Il suffit de penser au délire qu’avaient provoqué en son temps les pitreries de Lacan, autre grande figure narcissique infantile de notre panthéon. Ces personnages infantiles entrent en résonnance affective avec l’attente infantile de leurs adorateurs, se drapent dans les postures de toute-puissance (infantile aussi selon papa Freud)et en jouissent comme des drogués. C’est cela l’éternel retour, en fait, celui des idoles et de leurs idolâtres. Il faut dire que Heide avait en Adolf un modèle des plus réussis. Il y a des jours où je me dis, à l’encontre de mon agnosticisme qui m’est pourtant cher, que finalement peut-être que nous les humains nous ne pouvons pas nous passer des dieux et que dans ces conditions, il vaudrait mieux nous réinventer un vrai panthéon au lieu de reporter cette pulsion sur de simples mortels!
    Bien amicalement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 01/04/2006 à 21:30 | Répondre | Modifier
  103. Cher monsieur Misslin,
    il y a sans doute un besoin de dévotion ancré en nous, à savoir satisfaire de manière saine.
    Je trouve amusant de l’entendre de la part d’un anticlérical aussi décidé que vous l’êtes ! Je serais assez d’accord avec votre dureté envers Lacan.
    J’ai répondu à ce que je crois être une lettre envoyée par vous au Monde à la suite de notre conversation après l’article écrit par Emmanuel Faye en réponse à Catherine Malabou. A la relire je trouve cette réponse un peu sèche mais considérez là comme une réponse à la lettre et non à l’homme. Nous en rediscuterons.
    A vous,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 02/04/2006 à 12:57 | Répondre | Modifier
  104. Cher Monsieur Er,

    C’est exact, j’ai bien écrit un mot au Monde où je suggérai, si je me souviens bien, qu’il était bon que les étudiants puissent accéder à l’oeuvre toute entière de Heide, et en particulier à ses magnifiques textes anthropologiques (!)où il engageait la jeunesse allemande à promouvoir cet admirable mouvement régénérateur de salut public! Ne serait-ce que pour leur montrer que l’homme est un être faillible et qu’il est bon de l’apprendre très vite. Est-ce bien à cette lettre que vous faites allusion? Je n’ai malheureusement pas lu votre réponse (il m’arrive de louper parfois pendant plusieurs jours la lecture du Monde) et j’en suis fort marri. N’ayez crainte, j’accepte en toute simplicité qu’on ne partage pas forcément mes idées, car je trouve que la confrontation est une chance formidable que la vie nous offre pour ne pas sombrer dans un solipsisme idiot et stérile. S’il vous plaît, qu’aviez-vous à trouver à redire dans la lettre que j’ai adressée au Monde? Cela m’intéresse beaucoup.
    Il y avait dans ma proposition de réinventer un panthéon une pointe d’humour. Mais, mon agnosticisme ( que je ne confonds pas avec l’athéisme) ne me rend pas insensible au besoin religieux des hommes. Quand je vois ces foules qui ont accompagné la dépouille du pape et qui se rassemblent aujourd’hui, de nouveau, pour commémorer sa disparition, je ne peux pas m’empêcher d’éprouver un sentiment de peine en voyant celle qu’éprouvent ces milliers de gens d’avoir perdu leur père.
    A plusieurs reprises, au cours de nos discussions, je vous ai fait part d’une sorte de désarroi existentiel que je perçois dans l’oeuvre de Heide, désarroi que j’ai du mal à ne pas relier au sentiment d’une perte que cet homme exprime dans sa quête lancinante et monomaniaque de l’être en tant qu’être. Vous allez me trouver trop indulgent à son égard, mais ce n’est pas de l’indulgence, c’est quelque chose de très différent. Je ne sais pas si vous avez lu les textes admirables de Hans Jonas que lui ont inspirés ses lectures de biologie. J’ai été particulièrement sensible à ce qu’il a écrit de la cellule, quand il la décrit comme un système matériel qui a pris le risque de s’émanciper du tout inerte et de se doter d’une autonomie toujours menacée par la mort. Je comprends bien cette fragilité inhérente à toute forme de vie, ainsi que l’angoisse qu’elle suscite chez tout être vivant. Sans doute pourrait-on lire certains aspects de l’oeuvre de Heide comme l’expression d’un homme jeté dans une tourmente contre laquelle il a essayé, à sa façon, de se défendre, c.à.d. en adoptant une posture réactionnaire et passéiste. Ils étaient nombreux, à l’époque, ceux qui, en Allemagne et ailleurs, ont salué Hitler en tant que rempart de l’Occident contre le modernisme. Il fallait bien autre chose pour engager une lutte contre les nazis que « la rhétorique molle de l’homélie » dont parle Bourdieu à propos de Heide (je trouve l’expression de Bourdieu extraordinaire). Il fallait surtout du courage, or Heide en était vraiment dépourvu. Il était sans doute trop préoccupé par son confort!
    Amicalement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 02/04/2006 à 17:17 | Répondre | Modifier
  105. Cher monsieur Misslin,
    votre attention aux besoins des hommes fait honneur à l’éthologue et à l’humaniste en vous : ce n’est donc pas contradictoire.
    La pensée Heidegger me paraît en effet un symptôme d’une réaction typique (on a envie de dire : d’une posture ou d’un comportement typique) face à un certain état du développement technique et aux problèmes qu’il pose (mais le fascisme lui même n’est peut-être pas autre chose, même si il est aussi plus que cela, ce serait à creuser). D’où, comme je vous l’ai dit, l’intérêt d’une approche sociologique du « cas » ; la citation de Bourdieu est en effet excellente !
    Sinon je me suis mal fait comprendre : j’ai répondu à votre lettre au Monde ici même, sur le site de Skildy, à la suite de l’article de E.Faye en réponse à C. Malabou, vous en souvenez-vous ? Il est maintenant situé vers le milieu de la page « Heidegger et le nazisme », après la retranscription de l’émission de radio.
    J’ai écrit cette réponse pour vous faire comprendre les problèmes que peuvent poser votre lettre, suite au signalement de cette dernière par un ami. Alors que je lui parlais avec une certaine chaleur des échanges que nous avons eu ensemble il m’a parlé de la lettre en question en vous assimilant à ceux qui depuis le début noient le débat par des considérations oiseuses et illogiques, à côté du problème posé par M. Faye, le plus souvent afin que l’on en parle pas. Comme je n’en crois rien, je me suis néanmoins chargé d’une réponse afin de montrer ce qu’on peut penser de vos intentions à partir du courrier tel qu’il a été publié.
    J’ai par ailleurs vu que le dit courrier a été coupé en plusieurs endroits : peut-être pourrriez-vous ici nous le donner en entier, afin que je vous fasse une réponse plus fine.
    A bientôt sur un coin du blog,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 03/04/2006 à 19:03 | Répondre | Modifier
  106. Bonsoir Monsieur Er,

    Ca y est, j’ai pris connaissance du commentaire que vous avez fait de ma lettre au Monde. Je vous communique tout d’abord, la lettre intégrale:
    « Fallait-il vraiment faire figurer Heidegger au programme de l’écrit d’agrégation ?

    Emmanuel Faye s’élève contre l’inscription de « Etre et temps » et deux cours des années 1927 et 1929-1930 de Heidegger au programme de l’écrit de l’agrégation de philosophie (voir « Débats » dans « Le Monde » du 5 janvier , p. 22). Les arguments de l’auteur du livre « L’introduction du nazisme dans la philosophie » sont connus : l’œuvre philosophique de Heidegger, loin d’être « une méditation pure et désintéressée », comme dirait Steiner, reflète au contraire les engagements politiques de Heidegger, à savoir son nationalisme farouche, son antisémitisme, son allégeance au nazisme et son racisme. E. Faye s’élève d’autant plus contre la décision de mettre Heidegger au programme de l’agrégation que le fils de Heidegger n’autorise pas tous les chercheurs à consulter les archives de son père avant 2026. Je n’ai pas la moindre intention de contester « l’ontologie » politique de Heidegger pour reprendre l’expression du très éclairant livre de P. Bourdieu, « L’ontologie politique de Martin Heidegger » (éd. De Minuit, 1988). Ce dernier livre a le mérite d’inscrire la vie et l’œuvre de Heidegger dans le « Zeitgeist » de l’époque, ce qui permet de voir effectivement que le philosophe participait au même titre que de nombreux autres universitaires allemands à ce que Bourdieu appelle « la révolution conservatrice ». La question que je me permets de poser à E. Faye est double : peut-on vraiment imaginer un être humain, philosophe ou pas, complètement désengagé de son temps et de son pays ? Ce genre de désincarnation est-il même souhaitable ? Même s’il existe en philosophie, mais pas seulement dans cette discipline, une certaine mythologie de l’universalisme, de la pureté de la pensée par rapport aux contraintes triviales de la quotidienneté, il me paraît évident qu’il s’agit là d’une prétention, c’est-à-dire d’un effet de ce mouvement de surestimation de soi qui nous caractérise d’une manière si ridicule, nous les humains. A cette question, j’en ajouterai une seconde, plus délicate. Faudrait-il interdire l’œuvre de Heidegger parce qu’elle est marquée par le racisme, l’antisémitisme et le nazisme de son auteur, et donc pour sa dangerosité ? J’aurais envie de répondre, bien au contraire. Je trouverais très fâcheux qu’on évite aux agrégatifs ce genre de lecture dans la mesure où on les jugerait, a priori, incapables de faire la part des choses. Encore une fois, je ne veux pas nier l’intérêt des travaux de Farias ou de Faye qui ont su mettre en évidence l’importance des positions politiques pour comprendre la portée de l’œuvre de Heidegger. Loin de moi l’idée d’une lecture purement philosophique : la pureté n’est que le symptôme de la tartufferie. Mais, j’encourage une lecture critique de toute production humaine, car je trouve que c’est la seule méthode d’augmenter ses chances de ne pas mourir complètement idiot. »
    Quant à vos remarques, non seulement elles ne me choquent pas, mais au contraire, je les trouve complètement pertinentes. Simplement, l’idée (mais c’est moi qui me suis sans doute monté le bourrichon) que l’on puisse vouloir éviter à des étudiants la lecture de Heidegger a déclenché chez moi une crainte, celle qu’on pourrait juger les jeunes incapables de lire avec un esprit critique Heide (entre nous, je les plains, j’aurais préféré qu’on leur fasse lire des textes plus gais et moins soporifiques). Dans le fond, compte tenu des idolâtres de Heide, j’aurais presque envie d’écrire qu’il vaudrait mieux que les jeunes lisent eux-mêmes, tout seuls Heide, sans les charmantes interprétations à l’eau de rose des amoureux de l’archange de Messkirch. De toute façon, ils sont à présent bien au courant des engagements politiques de Heide, les livres de Farias et de Faye sont là pour cela, et c’est sain pour tout le monde que les choses soient étalées sur la place publique puisque l’engagement de cet hypocrite a été public.
    Je comprends aussi les craintes de votre ami. Je suis désolé d’avoir pu passer pour lénifiant. Je ne suis pas trop le genre, même si mon intérêt, c’est de comprendre le comportement de mes congénères. Ecrire, penser, parler, chanter, plaisanter, c’est toujours (et seulement) se comporter. Et le livre de Faye a éveillé mon attention sur le comportement de Heide, d’autant que je suis né pas très loin de Messkirch (de l’autre côté du Rhin CEPENDANT!), que j’ai eu une enfance cathocatho dans un patelin alémanique, près de Bâle, et que j’ai connu la guerre sous l’occupation teutonique (par les Schwowa, comme nous les appelions dans notre dialecte alémanique). Je comprends de l’intérieur, si je puis dire, le côté da-sein (ni dort-sein, encore moins fort-sein) de Heide, car les paysans de mon pays étaient pareillement encavernés dans leur Heimat. C’étaient des villages néolithiques et Heide était un homme préhistorique. Ca a l’air d’une blague grotesque ce que j’écris là, mais même si j’accentue le trait pour rire, j’en suis profondément convaincu. Vous vous souvenez des scènes où Heide raconte son plaisir d’être en compagnie des paysans et souligne le fait qu’ils se comprenaient sans parler. Combien de fois j’ai observé ces scènes chez nous à la campagne. Je me le représente chez les Cassirer, des gens urbanisés, à l’aise, brillants, intellectuels, parleurs (mon père nous traitait souvent de « parleurs », ma femme et moi, car lui aussi était d’origine paysanne), sérieux, complexé, intimidé, mal à l’aise. Je suis persuadé que beaucoup de traits, de manies, d’habitus de Heide sont liés à ses origines. Sa rancune contre les Juifs, son nationalisme borné jusqu’à la stupidité, sa conviction ahurissante du caractère sacré de la langue allemande, son goût du secret (voir certains personnages balzaciens), enfin son rapport au Führer, tout cela sent férocement le terroir (beaucoup de villages alsaciens votent abondamment pour Jean-Marie encore aujourd’hui: ah! le village comme éco-système, qui chantera ta fermeture!). Balzac est un de mes écrivains préférés avec Molière: ce sont de merveilleux éthologistes!
    Je termine (mais je suis très bavard ce soir)avec Lacan. Je l’ai entendu personnellement une fois, et j’ai falli tomber de la chaise tellement je pouffais. Inutile de vous dire que le charme (carmina) n’avait pas agi. Il paraît que Heide aurait dit de Lacan, après avoir lu les Ecrits de la Pythie de l’Ecole Normale de la rue d’Ulm, que Lacan était un psychiatre qui avait besoin d’un psychiatre. Eh bien, je dirai que le philosophe Heide aurait vraiment eu besoin d’un philosophe thérapeute tel Ludwig Wittgenstein (lequel m’enchante et me fait rire).
    Bien amicalement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 03/04/2006 à 22:52 | Répondre | Modifier
  107. Cher monsieur Misslin,
    je suis heureux de la bonne réception de mes remarques.
    Vous expliquez bien je crois le sens de votre lettre, même si elle repose je pense sur un malentendu : il ne s’agissait pas de nier tout esprit critique aux agrégatifs, mais remarquons que l’on ne fait rien pour l’éveiller.
    Il est vrai qu’il faut « comprendre » comme le diraient aussi des heideggériens en citant parfois à contre sens Spinoza, laissant entendre que M. Faye notamment s’en tiendrait à une dénonciation morale voire moralisatrice…si vous ne l’avez pas encore fait et recherchez une lecture de Heide remis dans son contexte historique, je ne peux que vous conseiller la lecture de « L’introduction du nazisme dans la philosophie ».
    Tout le problème est sans doute de comprendre sans excuser, ce que Spinoza s’est défendu de vouloir faire en précisant que l’on ne détruisait pas les bases du droit et de la justice par une approche déterministe, du moins du type de la sienne.
    Par ailleurs que nous soyions inscrits dans une histoire ne signifie pas que les notions d’humanité dont se revendique Emmanuel Faye ne relèveraient que d’un quelconque « mythe de l’universalité »…
    il y a bien je crois une unité de l’espèce animale humaine, ne serait-ce que celle d’un corps souffrant (et on a là déjà assez pour penser une « nature humaine »).
    Bien amicalement,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 04/04/2006 à 13:55 | Répondre | Modifier
  108. Bonjour Monsieur Er,

    Merci pour votre réponse. J’ai effectivement lu le livre de M. Faye. J’avais en fait peur que ceux qui ont fait semblant d’être scandalisés par ce livre puissent se retourner contre M. Faye en lui prêtant des intentions de censeur.
    Tout à fait d’accord avec vous pour penser qu’il y a une « nature humaine ». Je me suis bagarré avec les psychanalystes lacaniens quand ils se sont mis à la nier et à développer un culturalisme échevelé. Avec Spinoza, je pense que le déterminisme n’empêche pas l’initiative, et ceci n’est pas seulement vrai pour les humains. Il y a des formes de « culture » chez d’autres espèces. Du reste, les biologistes ne parlent plus, comme dans les années 1950, de « programme génétique », car les gènes ne forment pas programme, il y a à la fois des facteurs génétiques et épigénétiques de détermination. Qu’il faille aujourd’hui envisager un droit international (cf les droits de l’homme) me paraît absolument nécessaire pour au moins deux motifs: la mondialisation, mais aussi la prolifération des armes nucléaires.
    Ce qui est si paradoxal (mais ça c’est la vie, voir Hans Jonas) c’est que les règles culturelles d’une société (rites, mythes, croyances)sont les supports de son identification beaucoup plus que les déterminismes naturels. En éthologie, on parle de barrières pour rendre compte que deux espèces potentiellement interfécondes ne s’interfécondent cependant pas parce que les individus des deux espèces n’ont pas les mêmes systèmes de communication. Par analogie, on peut dire que chez les humains, ce sont les barrières culturelles qui isolent les individus de deux cultures différentes. Le contexte culturel de Heide (sa ruralité et son marquage religieux) me paraît pouvoir rendre compte de ses orientations philosophico-politiques. Je suis tout à fait d’accord avec M. Faye pour penser qu’entre l’oeuvre de Heide et sa grosse Dummheit (sic), il y a une unité profonde que Heide n’a jamais pu penser, d’où ses pitoyables manoeuvres de diversion. Mais là, on soulève un énorme problème, celui de savoir jusqu’où, pour rappeler la réflexion lumineuse de Nietzsche, nous sommes capables de supporter la vérité!
    Bien amicalement
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 05/04/2006 à 09:49 | Répondre | Modifier
  109. Cher monsieur Misslin,
    merci pour ce message. Vous savez que j’apprécie votre « éthologie appliquée à la philosophie ».
    Pour revenir sur notre récent échange, je dois corriger une impression que j’ai pu laisser : M. Faye n’a jamais dit vouloir interdire Heidegger, pas même en terminale, mais qu’il s’agissait de reconsidérer sa place dans l’enseignement, et que la pensée heideggérienne n’était pas appropriée à l’enseignement élémentaire (voir la fin du débat à l’APPEP).
    Du reste il n’y a que très peu d’ »heideggérianisme » (de copies heideggero-jargonisantes) au bac, et il est rarissime (rarissimantesque, pour suivre notre immortel président) de voir un élève arriver à l’oral du baccalauréat avec une oeuvre de Heidegger.
    L’ »endoctrinement » si je puis me permettre, a souvent lieu en khâgne. Heide semble avoir profondemment partie liée avec l’institution philosophique française, pour des raisons historiques notamment qu’il serait long de décrire en entier, mais je crois avoir donné des éléments (le rôle de Beaufret et la manière indirecte qu’il a eu d’introduire Heidegger, en « heideggerianisant » toutes ses lectures sans le citer, est important. Cette « beaufret-attitude » a été reprise longtemps au niveau des doctorats, où faire une « thèse heideggerienne sur » était très couru). Je suis de fait pessimiste sur la capacité des agregatifs à prendre leurs distances avec Heide, surtout avec ce jury disons, clerical.
    Ce que vise je crois M. Faye c’est une reconsidération du statut de Heidegger en « grand philosophe classique », ce dont on est en droit d’espérer que cela viendra un jour. Les « paradigmes » changent. Les dictatures intellectuelles aussi.
    Bien à vous,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 05/04/2006 à 18:53 | Répondre | Modifier
  110. Bonsoir Monsieur Er,

    Vous me rassurez en m’informant que les élèves et les étudiants ne lisent guère Heide: c’est une réaction de bonne santé. Quant à la khâgne, que j’ai pratiquée comme étudiant (j’ai enseigné, par la suite, les lettres classiques avant de passer à la bio), c’est un lieu qui m’a épouvanté car j’avais le sentiment de vivre chez des extra-terrestres. Lasciate ogni speranza voi che’ntrate. Horribile visu et auditu! Heide est bon pour la khâgne: ils vont l’embaumer! Comme momie, il ne fera plus aucun mal!
    Je vous adresse mes salutations très cordiales
    R. Misslin

    Rédigé par : Misslin René | le 05/04/2006 à 23:47 | Répondre | Modifier
  111. Cher monsieur Misslin,
    les étudiants lisent au contraire pas mal de Heidegger : celui-ci a inspiré comme je l’ai dit un grand nombre de travaux universitaires peu soucieux de probité philologique, et ce au nom d’une histoire non « érudite », mais dévoilant ce qui serait l’impensé des auteurs étudiés (l’impensé en question étant en pratique toujours heideggérien).
    Enfin Heidegger est comme je l’ai dit très en vogue chez les professeurs de khâgne ainsi que dans certaines universités, à commencer par la Sorbonne (du moins Paris 4) et Caen.
    Un auteur « institutionnel », c’est bien un auteur qui constitue la pitance d’un certain nombre d’étudiants et d’un nombre certain de carrières.
    Mais je vois que nous avons déjà envoyé bien des messages sur ce blog : plutôt que de définitivement le noyer, nous reprendrons peut-être nos échanges plus tard ailleurs qu’ici.
    Bien à vous,
    Yvon Er.

    Rédigé par : Yvon Er | le 06/04/2006 à 18:00 | Répondre | Modifier

112 commentaires

  1. A monsieur Bel,

    Selon vous :

    * Heidegger aurait créé le nazisme
    * Il aurait été l’inspirateur, l’alter ego de Hitler
    * Il aurait commandé l’armée allemande
    * Il serait le véritable concepteur de la solution finale.

    CES THESES SONT ABSURDES ET RIDICULES.

    NOUS N’AVONS PAS BESOIN DE CES « SCOOPS » POUR SAVOIR A QUOI NOUS EN TENIR A PROPOS DE HEIDEGGER.

    Depuis des années vous vous obstinez à vendre votre « concept » d’un Heidegger extraterrestre du nazisme et cela contre toute objection de bon sens.

    Vous vous adressez à moi en ses termes :

    « Les choses sont encore plus claires dans le cours de 1943 exposé dans Chemins : »le mot de nietzsche: « dieu est mort » p.193,194 et suivantes. Hitler ne cessera de dire quant à lui: « Je suis la voix que me dicte la providence avec l’assurance d’un somnambule ». Qui est la providence pour Hitler si ce n’est le philosophe qui lui trace le chemin (Cf. Mein Kampf NEL. 109 et 379). Relisez les passages sur Calchas dans « La parole d’Anaximandre ».

    Si à partir de là vous n’êtes pas convaincu que c’est Heidegger qui a dirigé le Reich, je ne sais plus comment vous le montrer. »

    Et bien c’est simple : je vous prie instamment de ne plus vous obstiner à tenter de me convertir à votre religion absurde et délirante.

    Elle compromet vos analyses les plus intéressantes. Et discréditent de fait les raisons que beaucoup ont à estimer fondée la thèse selon laquelle Heidegger « introduit le nazisme dans la philosophie ».

    Vos conclusions sont absolument contreproductives. Comment se fait-il que vous ne vous en rendiez pas compte?

    J’aime

  2. Monsieur Misslin,
    vous posez les bonnes questions et je m’en réjouis. Commençons par le commencement. Si je n’ai rien publié, c’est parce que la caverne n’était pas prête à m’entendre. Aucun prof de fac n’aurait voulu assumer cette thèse et j’ai testé les plus avancés en la matière. Que dire des autres? Deuxièmement l’opinion publique était tellement formatée sur la question de l’origine du nazisme qu’il était impossible de lui faire entendre raison. On lui avait dit que les responsables étaient Gobineau et les industriels allemands et cela suffisait pour satisfaire ses préoccupations. Le capital et la théorie raciale de Gobineau étaient responsables du national socialisme. Tout le monde était content. Mais comment tout cela pouvait-il expliquer l’holocauste? Des historiens plus malins firent intervenir les circonstances et au plan d’extermination on substitua la pression des événements. Vous comprenez que toutes ces pseudo explications généralistes étaient loin de me satisfaire.

    Pour comprendre il fallait refaire le chemin qui permettrait de voir comment un allemand, un intellectuel, un économiste, un industriel, un employé,un homme politique pouvait devenir nazi. Et d’abord qu’est-ce que cela signifiait: devenir nazi? Vous comprendrez que le charisme d’Hitler dont se repaît encore Kershaw a du mal à passer dans l’esprit d’un philosophe rompu à l’esprit critique par toute une carrière d’enseignement. Il fallait balayer toutes ces ombres et revenir au soleil ou comme on dit, aux choses même.

    Comme je l’ai déjà expliqué, c’est après avoir lu La sorcière de Michelet que j’ai découvert la bonne méthode historique. Pour comprendre l’histoire, il faut rentrer mentalement dans les personnages qui font l’histoire. Non pas les regarder de l’extérieur mais les comprendre de l’intérieur. il faut les replacer dans leur contexte historique. Comment en Allemagne, pays à forte coloration socialiste entre les deux guerres a-t-on pu devenir nazi? Il fallait se pencher sur la littérature allemande pour comprendre.

    Mes premiers introducteurs ont été Fest et Andler. Et de fil en aiguille j’ai appris à connaître ce qui s’était publié en Allemagne depuis Lessing jusqu’à Heidegger pour fixer un cadre d’idées. Comment l’Allemagne était-elle passée de la franc-maçonnerie d’Etat à l’aryanisation? Vous comprendrez aisément que Gobineau ne suffisait pas surtout quand on sait comment ses premières publications ont été reçues en Allemagne. La deuxième vague d’édition de ses oeuvres a eu un écho différent parce que des gens comme Woltmann er Max Scheler étaient passés par là ainsi que l’entourage des de Latour et Taxis. Mais c’est surtout avec l’influence de Renan et d’Eugen Fischer après le massacre des Herreros dans la colonie allemande de Namibie que les choses ont basculé. C’est en 1910, en gros , pour fixer une date que les rapports entre les questions raciales, les questions politiques et l’histoire se sont mis en place. Donc bien avant la première guerre mondiale. C’est justement l’époque où Heidegger en rupture vindicative avec l’église qui l’a humilié va se mettre à la lecture de Nietzsche et bientôt de Max Scheler – l’homme de ressentiment-. A cette époque-là le temps change en Allemagne. Dans les hautes sphères intellectuelles et politiques on commence à substituer aux valeurs chrétiennes, sous l’influence de Fischer, de de Vries, de Renan et de Nietzsche, les valeurs raciales, les valeurs « grecques », et les valeurs nietzschéennes. La branche commence à craquer imperceptiblement mais après la défaite de 1918 les événements vont très vite se précipiter. Si l’Allemagne avait perdu la guerre, disait-on, c’était à cause de la trahison juive. Aux valeurs raciales a succédé une campagne raciste orchestrée par Ludendorff. Un général comme lui ne pouvait pas perdre la guerre. C’était la faute aux autres et en premier lieu aux socialistes et aux juifs, d’ailleurs pour lui, c’était la même chose.

    Mais tout cela ne fait pas un impérialisme en état de marche et bien coordonné. L’armée ne peut rien faire sans une idéologie et sans la finance, surtout lorsqu’elle a été réduite à néant, limitée à un effectif de 100.000 hommes, moins que le nombre de cadres en activité. L’humiliation est totale et les humiliés vont se rejoindre et décider d’une reprise en main du grand empire germanique passé. Le pan germanisme conduit par des hommes sans envergure a fait fiasco en tant que mouvement politique mais le conditionnement de la population par le presse et par la création de loges aryennes dans toute l’Allemagne commence à porter ses fruits idéologiques. C’est en tant que penseur et acteur du pangermanisme que Heidegger et Hitler vont se présenter. Les loges maçonniques chrétiennes (où l’on n’admettait pas les juifs) de plus en plus transformées en loges aryennes font leur effet. Il ne manque qu’un pape pour unifier tous ces cardinaux. Un grand libérateur. Mais « Dans le péril croît aussi ce qui sauve ». Heidegger est là. Möller van den Bruck s’est suicidé. Le coup d’Etat a raté. Il faut reprendre le conditionnement idéologique à la racine. Il faut proposer aux Allemands une nouvelle conception du monde. Mais l’idéologie raciale ne suffit pas. Il faut spiritualiser la conception raciale. Comment? L’Allemagne connait depuis longtemps un poète de prédilection qui est aussi un chouchou de l’armée: Hölderlin. George et Hellingrath avaient eu l’idée de faire de lui un prophète. La solution était trouvée. Copiant la tradition judéo-chrétienne dont elle était imprégnée, l’Allemagne militaro intellectuelle allait faire de lui un prophète. Le prophète de la Nouvelle Germanie. « Naissance et rai de lumière » : la solution était là. C’est sur cette alliance héllénico-raciale que s’est constituée la Weltanschauung du NSDAP et à partir d’elle son programme. Il faut « libérer les esclaves de la caverne » 1925), « libérer la terre pour qu’elle soit une terre »(origine de l’oeuvre d’art.1935) et reconstruire le grand empire racial germanique en lui donnant si possible une dimension planétaire. Le regard qu’Heidegger porte sur l’histoire, n’est pas un simple regard d’observateur ou de prophète (le voyant), c’est un regard d’acteur. Il écrit et il enseigne dès 1925 que « l’être a lieu en tant qu’histoire de l’homme, en tant qu’histoire d’un peuple » (De l’essence de la vérité p.167), qu' »il faut que l’aletheia devienne pour nous histoire » (p.144) que « l’ouvert n’a lieu qu’au sein de l’histoire d’une constante libération. Mais l’histoire est toujours une mission unique, un envoi du destin dans une situation déterminée de l’agir » (p.112). »non pas une ratiocination suspendue dans le vide ».(Ibid.) Il est clair que la « philosophie » de Heidegger n’est pas une philosophie purement spéculative mais que sa fonction première est d’éclairer le peuple afin de changer de monde.

    A la même époque en 1925 dans la première édition de Mein Kampf Hitler précise la division du travail entre le philosophe et l’homme politique. En 1927 la publication du tome II de Mein Kampf et Être et temps ne feront que compléter le tableau en insistant sur la nécessité d’allumer le combat.
    En 1963 , dans La façon dont mon chemin de pensée s’ouvre en ouvrant la phénoménologie elle-même, il écrira: « à partir de 1919, je mis en pratique le regard phénoménologique ». Or, qu’y at-il eu d’important en 1919 du point de vue de la phénoménologie du nouveau Reich, c’est à dire du déploiement de l’être dans l’étant? -La création du NSDAP.

    Philosophie pratique tournée vers la transformation du monde, la pensée de Heidegger ne peut pas en rester à la seule attitude contemplative dans laquelle les philosophes français veulent la maintenir. C’est une idéologie impérialiste dotée d’une très forte tension politique voire mystique (la mission). Bref c’est un impérialisme mystique qui apparaît comme la continuation directe des projets d’impérialisme mystique de Guido List et de Lanz revus et repensés à travers Max Scheler et l’histoire grecque de Burckhardt. Sans oublier l’histoire raciale de Taine, de Nietzsche et de Gumplowitz. Mais si Heidegger est orienté vers l’histoire comme il le répète dans Être et temps, son action politique réelle doit être mise en évidence. Elle ne peut se résumer à « l’erreur du rectorat » dont on sait depuis longtemps qu’elle n’est qu’un masque de carnaval. Le rôle militaire de Heidegger , analogue à celui d’Hypérion, n’a jamais été étudié pourtant il est patent.

    Il y a d’abord les orientations cadrées du discours de rectorat mettant le service militaire au premier plan et n’hésitant pas à se référer à Clauzewitz. Il y a ensuite les relevés des compte-rendus de l’entraînemnt militaire des étudiants, (signalé oar Hugo Ott), il y a encore le début du cours sur Schelling avec la référence appuyée à Scharnhorst, le recours au maniement du fusil modèle 98 (p.83) dans Qu’est-ce qu’une chose? (exemple tout à fait approprié pour enseigner la nature des mathématiques). Et puis il y a l’Introduction à la métaphysique où le recours à la violence est présenté comme une nécéssité devant laquelle on ne devra pas reculer. Bref la nouvelle lumière sur le monde acquise par l’illuminé de la caverne nécessite le passage à l’acte qu’il nomme après Hegel et Max Scheler « l’être en faute ». Hegel employait ce mot à propos de Napoléon en 1807 quand il était pro-napoléonien comme Kleist, avant de retourner sa veste en 1814.
    Seulement Heidegger est plus malin que Napoléon. Riche de la connaissance des expérience malheureuses de ce dernier, de celles de Giordano Bruno et de Savonarole, il va appliquer strictement les consignes politiques de Machiavel. Faire faire son changement de monde par son chancelier que, de surcroît, il fera nommer président pour mieux lui faire endosser toutes les saloperies qu’il a lui-même programmées afin de parfaire sa grandeur divine de « conscience absolue ». Et Hitler obéira aux ordres du « grand homme » comme un somnambule. C’est exactement ce qu’il dit.

    La transformation de l’étant et son extension exigeait deux choses: la constitution d’une armée pour remplacer celle qui avait été humiliée et réduite par le traité de Versailles, de manière détournée (corps francs) et une fois ces corps francs subversifs rôdés, leur incorporation sous un chef unique quitte à décapiter le chef des S.A. Et ceci conformémént au programme de rectorat: » tout ce qui est grand se tient dans la tempête ». Hegel lui avait enseigné dans La constitution de l’Allemagne qu' »on ne guérit pas les membres gangrénés avec de l’eau de lavande ».

    Seulement pour donner une armée à Dionysos le dieu philosophe libérateur il fallait s’entendre avec l’armée. Il fallait conditionner Blomberg. Ce fut fait. Heidegger nous dit dans le Rhin qu’il s’est mis en travers pour modérer la fougue du mouvement. Quand et comment a-t-il rencontré Blomberg? Je l’ignore. De toute façon puisque la chose a eu lieu la rencontre d’une façon ou d’une autre a nécessairement eu lieu. Messieurs et mesdames les historiens, cherchez.
    Quand à la communication des ordres, rien n’est plus facile à faire avec des estafettes. J’ai moi-même été militaire dans un service de commandement , je sais comment ça se passe. D’ailleurs Junger nous a dit tout ce qu’il fallait savoir à ce sujet dans son journal et dans ses récits. Et il était bien placé. Les cours de Heidegger étaient suivis par un nombre impressionnant de S.A. puis de SS. Parmi eux, il y avait les estafettes. Hitler les recevait régulièrement. Les choses ont commencé à se gâter vers la fin de la guerre car les estafettes commençaient à avoir des difficultés pour accomplir leur tâche.

    Quand on veut transformer l’étant de fond en comble et « changer de monde », on met la main à la pâte.

    Courtine est bien le seul à n’avoir pas vu le côté « pratique » chez Heidegger . on se demande bien à la faveur de quel aveuglement.

    Je pense que ça commence à être suffisant pour commencer, non? Voulez-vous que je vous parle de la méthode de libération des prisonniers de la caverne en commençant par le premier puis par les intellectuels philosophes? Reportez-vous aux pages 107 et 122 de l’Essence de la vérité et vous saurez comment il a formé son chancelier et son état major d’intellectuels philosophes (Bäumler, Stenzel et toute la clique du Handbuch der Philosophie.
    Je n’ai nullement l’intention de donner des leçons à qui que ce soit, monsieur Misslin, encoremoins de faire preuve de condescendance. Je me contente de dire la vérité, c’est tout, et de susciter la réflexion. or on ne peut la susciter qu’en énonçant des propositions sur lesquelles les gens intéressés réfléchissent ensuite. J’ose espérer que vous êtes de ceux-là. Mais vous nous l’avez déjà montré. Et je vous en félicite.
    Michel Bel

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  3. Cher monsieur Bel,
    avec les matériaux que vous avez rassemblés il y avait de quoi faire plus d’une thèse. Tout ce qui a manqué et qui manque encore, c’est je crois simplement du bon sens.
    Celui de remarquer par exemple que Heidegger est né en 1889, et qu’il aurait donc eu la vingtaine dans les années 10. Un universitaire en philosophie n’est pas un mathématicien, et n’est pas bien efficace à cet âge (bon je vous l’accorde à l’exception de Schelling). De là donc à lancer le nazisme…toute la question véritable est celle des relations entretenues à l’époque par Heidegger avec ces fameuses (fumeuses) sociétés ésotérico-racistes d’où est sorti le nazisme « intellectuel ». Je vous demande des preuves de ce que vous avancez à ce sujet depuis le début.

    En parlant de bon sens, j’ai vu que celui qui se fait appeler Zacharie Cohen (et que je crois être uniquement une marionnette de « Parolesdesjours ») a de nouveau lancé une attaque ignominieuse contre vous sur le blog de Pierre Assouline. Vous ne méritez pas qu’on vous jette la pierre, étant bien assez puni de manière « immanente », mais reconnaissez que la manière que vous avez de prêcher porte le flanc à ce type de perfidie inqualifiable.
    Bien à vous,
    Yvon Er.
    PS. Cher monsieur Misslin, il est faux de dire qu’après le rectorat Heidegger n’a eu aucune fonction officielle : Emmanuel Faye en traite notamment dans son ouvrage. Après le rectorat et en plus de son statut de professeur, Heidegger a participé à cette commission nazie pour le droit allemand, et aux entreprises institutionnelles de récupération de Nietzsche, à savoir dans ce second cas à un des piliers essentiels de la politique culturelle du nazisme.
    Avec mes salutations amicales,
    Yvon Er.

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  4. Bonsoir Monsieur Bel,
    Merci d’avoir bien voulu accepter de répondre à certaines de mes interrogations. Même si je ne suis pas persuadé que Heide ait joué le rôle politique massif que vous lui attribuez, il y a un point cependant que je retiendrai de vous c’est le fait que Heide n’écrivait certainement pas pour les anges. Je vous cite: »La philosophie de Heidegger n’est pas une philosophie purement spéculative, mais que sa fonction prmière est d’éclairer le peuple afin de changer de monde. » Ce point me paraît très important, pour l’interprétation de l’oeuvre de Heide. M. Faye suggère fortement qu’à la suite des textes qu’il a analysés et qui montrent effectivement à quel point Heide était politiquement impliqué (alors que lui-même, dans la correspondance avec Hanna par exemple, écrit à cette dernière que contrairement à elle, il ne s’est jamais intéressé à la politique, mais on sait à quoi s’en tenir avec le « menteur invétéré » qu’il était) qu’il convient à présent de lire autrement Heide, avec des yeux plus avertis. Pourquoi, me disai-je en lisant le passage de vous que je viens de citer, ne pourriez-vous pas écrire un article conséquent en proposant, par exemple, votre lecture d’une oeuvre de Heide, comme S u Z, ou encore son cours sur Nietzsche. J’aime bien en particulier l’idée qu’il avait envie « d’éclairer le peuple ». Evidemment, avec son style, cela paraît difficile. Vous connaissez mieux que moi les plaisanteries et les critiques que beaucoup de ses contemporains adressaient à son style filandreux. Je pense en particulier à Jaensch qui me fait beaucoup rire. Mais, avec le formatage de prédicateur qu’il a reçu au séminaire, je suis tout prêt à penser qu’il s’est pris pour le fameux A Santa Clara: je l’adore celui-là, certains de ses délires me font rire aux larmes. Comme primate inspiré, c’est quand même un bon spécimen.
    Un point aussi que vous soulevez juste en passant (mais souvent, hélas, vous soulevez des tas de points, mais aussitôt après, on passe à autre chose), c’est sa lecture de Nietzsche et sa sortie du catholicisme. Comme j’adore Nietzsche (eh! oui, monsieur Bel, j’ose le dire, sans la moindre honte, surtout pas après les saloperies que les nazis ont mis sur le dos de ce penseur qui aimait Montaigne, les moralistes français du 17ème, Stendhal et la musique de Bizet), je me suis demandé si Nietzsche n’a pas servi d’une sorte de désinhibiteur à ses ressentiments. Je ne suis pas du tout d’accord avec les interprétations de Heide (et je ne suis pas le seul, cf Mme Stiegler dans le n° 704-705 de « Critique » pp.116-128), mais je pense que Heide et beaucoup de ses contemporains ont lu Nietzsche d’une façon qui les arrangeait (paganisme, volonté de puissance, anti-morale chrétienne…).
    Bien cordialement
    R. Misslin

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  5. Bonsoir Monsieur Er,

    Merci d’avoir redressé mon erreur. C’est important, en effet, de noter la participation de notre muse philosophique aux commissions que vous citez. Je pense que son interprétation de Nietzsche est essentielle dans la mesure où, vu son aura de professeur, il a pu la répandre autour de lui et se servir de Nietzsche comme faire-valoir. Finalement, c’est ce genre de malhonnêteté intellectuelle qui me dégoûte le plus chez Heide. C’est bon pour un politicien, mais pour un penseur, cela fait vomir. Mais, justement, dans le régime allemand de l’époque, le mensonge était sans aucun doute une véritable arme de guerre.
    Bien amicalement
    R. Misslin

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  6. Monsieur Er,
    il me reste peu de temps pour vous répondre.

    1-sur l’armée allemande. Après 1918 et surtout après Versailles l’armée allemande est complètement déstabilisée. Elle va s’efforcer de se reconstituer clandestinement. Seeckt va jouer un grand rôle mais les prises de position de Seeckt le discréditeront et il sera obligé d’abandonner ses fonctions. De nombreux cadres sont éjectés de l’Armée réduite à 100.000 hommes. Le moral est à zéro . Il faut reconstruire une unité autour d’un idéal. Et un idéal ne se reconstruit pas en huit jours. L’expérience du front a marqué beaucoup d’officiers et de soldats. Les promotions glorifiantes ont été balayées d’un revers de main. Seul Goering garde le moral car il a promis de venger son escadrille et pense qu’avec l’industrialisation dissimulée aux yeux des observateurs étrangers il pourra tenir sa promesse. La plupart des officiers qui, selon certains observateurs, pensaient davantage à la parade , à la vie facile et aux promotions qu’à faire la guerre, sont en plein désarroi. On note également un conflit entre les officiers issus de l’aristocratie et les officiers issus du peuple et de la petite bourgeoisie qui ont obtenu leurs grades dans les combats. La honte de la défaite ajoutée à la honte de l’humiliation pour raisons de moeurs au début du siècle n’arrange pas les choses. Et puis ne vous y trompez pas les officiers sont moins cultivés qu’on ne croit. Heidegger les rappellera à l’ordre sur ce point dans son cours sur Schelling en évoquant Scharnhorst. La vaillance est une chose, la culture c’est mieux. A quelques exceptions près l’armée allemande dans les années 20 et 30 a besoin de se cultiver c’est à dire de se re-nationaliser sur des bases solides capables de lui donner une ampleur de vue. Il faut refaire l’unité en Bavière, en Prusse, et elle mznque de cadres pour cela. Beaucoupo parmi les meilleurs sont morts. Pensez à Hellingrath entre autres. Aussi quand un intellectuel se présente qui a une tendance nationaliste, c’est une aubaine. Il faut une idéologie solide pour lutter contre le communisme qui fait peur à la noblesse terrienne et l’Allemagne n’a pas d’idéologie de rechange. Comme toujours depuis Frédéric II c’est l’université qui va fournir à l’Armée son idéal. Mais dans quel état se trouve l’université? Heidegger dit: elle est minée par les juifs (Verjudung) or les juifs on n’aime pas ça chez les conservateurs protestants et catholiques mais on aime bien la race au sens très vague du terme, et on aime bien la Grèce. Pourquoi ne pas associer les deux? Race, Grèce et « das Vaterländische » vont être les trois piliers de l’idéologie. Tout ça c’est la Heimat, la patrie. Et la patrie, c’est l’être lui-même. Heidegger n’hésitera pas à le dire en 1934. Heidegger dès 1920 devient le porte parole masqué de la nation soldatesque. Là où est le danger croît aussi ce qui sauve. Mais pour que ce porte parole ait du poids il faut qu’il soit nommé professeur, et ça, ce n’est pas du tout cuit. Et pour être nommé professeur il ne faut pas qu’il se fasse trop remarquer. Aussi sera-t-il d’une discrétion absolue jusqu’à la leçon inaugurale. Mais en 1933 il va pousser dans son discours de rectorat et dans son hommage à Schlageter la remilitarisation et l’esprit de dureté à son comble.

    2-L’esprit de finesse est un esprit de compréhension. Il s’exerce là où les preuves ne peuvent pas être apportées, c’est à dire dans la compréhension de la pensée d’autrui à partir de ses actes , de ses paroles et de ses écrits. Il faut refaire une trajectoire mentale. Ce qui est d’autant plus intéressant chez Heidegger que c’est le chemin qu’il propose de suivre pour comprendre l’histoire médiévale. Il critique l’histoire positiviste et considère qu’elle est incapable de comprendre l’essentiel, l’état d’esprit et l’idéal qui meut les hommes. Tout cela est dit dans le Duns Scot en 1916. Il suffit de s’y reporter. N’oubliez pas qu’il connaît bien Pascal. Il faut donc se situer dans ce redoublement de l’esprit de finesse qui associe Pascal, la mystique médiévale et la philosophie hégélienne. Et cela ne se démontre pas. Cela se comprend. Il n’y a pas de faits pour le comprendre, il n’y a que des indices. Et ce sont ces indices qui en constituant un réseau concordant de recoupements, d’allusions, de substitutions et d’imlications deviennent des faits. Tous ceux qui ont longuement pratiqué Heidegger savent de quoi je parle. Il y a chez lui de l’allusion jésuitique, de la substitution mathématique, de l’allégorie platonicienne, bref tout un jeu subtil d’aquivalences et de renvois dont il a lui même fait partiellement la théorie dans le cadre d’une phénoménologie de l’intentionnalité en 1925.

    3- les faux mystiques dont je parle ne sont pas nés des régimes totalitaires que pour ma part je n’appellerai pas fascistes -le fascisme étant propre à l’Italie de Mussolini-, ils se sont développés en Autriche avec la nostalgie d’un passé embelli (Carnuntum) dans le sillage de l’Atlantide de Platon. Ils sont liés de manière assez compliquée à une rupture avec l’Eglise et à des problèmes de moeurs. Guido List, Lanz von Liebenfels et Heidegger ont réagi tous trois de la même façon, mais avec un degré de culture différent.

    4- je n’ai pas compris votre question sur le dévoilement de Heidegger et le mystagogue. Les choses ne me paraissent pas se présenter comme ça. Heidegger apparaît comme un mystagogue dès 1916. Les cours de Marbourg puis les premiers cours de Fribourg vont faire apparaître une utilisation de l’analogie dans le domaine de l’être du langage et de l’être des hommes assez troublante. Cette pédagogie par analogie sonne faux, on flaire le mystagogue qui a une idée derrière la tête et cette idée sera pleinement exprimée dans les cours sur la métaphysique de Nietzsche. ce qui est primordial pour lui c’est la division en souches dans tous les domaines de l’être, certaines étant privilégiées par rapport à d’autres et ayant reçu des missions.

    Le mystagogue apparaît à terme dans l’affirmation du mythe de « l’oubli de l’être » qui est une pure invention sans la moindre réalité. Je ne comprends pas pourquoi les philosophes ont foncé tête la première dans ce guet-apens. Toute la production heideggérienne est une mythologie, une onto-mytho-logie qui a pris la place de l’onto-théo-logie judéo-chrétienne. Et, dans le fond, quand on cherche bien son centre de gravité, rien d’autre. C’est le vide , le néant. La sentinelle du néant a voulu se faire passer pour le berger de l’être. C’est un coup fe force idéologique sans consistance autre que l’orgueil qui pousse des individus à vouloir dominer les autres et à les asservir sous prétexte qu’ils auraient reçu une mission. Psychose grave.

    Je ne pense pas qu’après ce que je viens de vous dire « on en reste au même point ».

    Votre deuxième intervention:

    Ce n’est pas à 20 ans que Heidegger a crée le nazisme. A 22 ans en 1911, il a eu une intuition fugurante dont il a fait part à de nombreux interlocuteurs dont Jaspers. Il a eu le sentiment d’être libéré des chaînes du christianisme et il a tenté d’infléchir dans sa direction quelques éléments de la ligue du Gral dont il était un membre militant jusque là. En 1913 il participera au rassemblement des jeunes Allemands anti républicains et pour la plupart antisémites près de Cassel sur le Haut Meissner.Il en tirera une ligne directrice sur la transformation de l’homme intérieur qui est déjà inquiétante.

    cette volonté de transformation va vouloir s’incarner dans l’histoire en 1916 – Conclusion rapportée du Duns Scot.Ce « regard phénoménologique » sera mis « en pratique » en 1919 dans le DAP. Contrairement à ce que vous pensez Heidegger a déjà à cette date une théorie de la production du capital très élaborée bien qu’érronée empruntée en partie à Feder en partie à Marx . Hitler la transcrira à sa façon dans Mein Kampf. La séparation du capital industriel et du capital financier recouvre sa théorie des races empruntée à Renan: sémitique et aryenne. Une série de dichotomies se recouvrent ainsi chez Heidegger qui vont finir par faire atribuer à une race la nullité à l’autre l’excellence. C’est en 1919, à proprement parler, qu’après une longue maturation le fondement du National socialisme commrnce. Il « libère » les premiers esclaves de la caverne ,dont Hitler. Pour le découvrir il faut prendre les passages clés de Mein Kampf s’y rapportant et les mettre en correspondance avec le cours de 1931-32 sur l’essence de la vérité( p.107). Je n’ai pas le temps de rentrer dans les rapports entre les loges aryennes et les loges maçonniques, mais je vous invite à lire sa théorie du signe de 1925 (histoire du concept de temps) qui vous éclairera beaucoup sur le rôle qu’Heidegger attribue à la symbolique. Cependant la symbolique pour lui n’est qu’un instrument. Ce qui compte à ses yeux, c’est la réalisation de son projet.

    Dans ce domaine-là ce ne sont pas les preuves qui comptent c’est la compréhension du sens des symboles utilisés par Heidegger. Les symboles sont éparpillés tout au long de son oeuvre, mais vous ne les verrez qui si vous êtes initié pour les voir. Ainsi la coupe en argent, le tabler, l’atelier, le chapeau, la canne, le cube, la source ne parlent qu’à ceux qui savent les lire. J’ai fait tout un tavail sur la symbolique heideggérienne que je ne peux pas vous débiter en ciq minutes. Sachez simplement qu’Heidegger a débité avec le Gralbund (on a les documents) qu’il a rencontré Husserl dans son « atelier », que la « Hütte » est un atelier, une « loge » en allemand, que toute la symbolique nazie est une symbolique alchimico-aryenne et que les syboles rosicruciens pullulent dans les conférences de 1949. Ce qui se conçoit aisément puisqu’il était interdit d’enseignement. On a recours à la symbolique quand la parole est survéillée. Du Gral initial à la coupe en argent, le lien est facile à établir. Le reste dépend du degré d’initiation des personnes en présence. Chacun perçoit en fonction de la formation qu’il a reçue. Cela Monsieur ne se démontre pas. Cela se comprend par initiation.

    Les attaques contre moi ne m’intéressent pas. Je sais me défendre. Ce qui me paraît pitoyable c’est l’énergie que mettent bon nombre de philosophes français à défendre l’indéfendable Heidegger. Ou bien ils sont aveugles ou bien ils sont complices, dans les deux cas, dangereux.

    Que ma parole vous apparaisse comme un prêche est quelque chose d’assez surprenant car je ne prêche pour rien. J’avance des énoncéa pour que les auditeurs ou les lecteurs à partir de là se mettent à chercher au lieu de se contenter de la facilité du vraisembleble. Je ne dialogue ensuite qu’avec les gens qui commencent à me poser des questions lorsque ce sont des questions sincères et non des pièges graossièrement tendus. Je sais bien que j’aurai contre moi la réaction de tout le formatage de la caverne dont je fais aussi partie, mais contrairement à Heidegger, je n’ai pas de nouveau regard sur les valeurs qui conduirait le lecteur à la nécessité d’un « être en faute »par l’action qu’il serait amené à exécuter..
    vous m’excuserez si je ne peux vous en dire davantage pour l’instant.
    Michel bel

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  7. Cher monsieur Bel,
    vous n’avez pas compris le sens de ma critique si en me lisant parlant du « bon sens » vous croyez que je fais appel à l’évidence commune. Je parle bien plutôt de droite et saine raison : je ne vous critique pas parce que vos conclusions sont peu vraisemblables, mais pour avoir désobéi à la fin du Tractatus. Cette critique est pour une part logique : je vous ai dit que pour moi un génie du mal est une contradiction en soi, et qu’un homme seul n’accouche pas du nazisme ; en un deuxième temps je pense que vous confondez purement et simplement les mots et les faits, ce qu’a voulu Heidegger (et à cet égard vous pointez des choses importantes) et ce qu’il a été.
    Loin de moi l’idée de vous faire tomber dans un piège (me serais-je moi déguisé en ce que je ne suis pas pour vous accuser de ce que vous n’êtes pas ?), j’ai plutôt espéré un temps vous en sortir.
    En parlant sinon de « prêche » je voulais simplement vous dire que vous nous demandez de croire à des contradictions et des supputations, et que vous semblez vouloir convertir des âmes perdues. J’espère à ce sujet que vous ne retournerez pas sur le blog de Pierre Assouline, absolument honteux…
    Bien à vous tout de même,
    Yvon Er.

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  8. Bonsoir Messieurs,

    Je me permets d’attraper au vol une phrase de votre dernier message, M. Er: « Un homme seul n’accouche pas du nazisme ». J’abonde complètement dans votre sens d’autant qu’il faudrait définir ce que l’entend par nazisme qui ne se confond, par exemple, pas avec national-socialisme que M. Fédier, je crois, appelle socialisme national, ce qui a provoqué l’ironie de certains comme il fallait s’y attendre. Mais, je peux aussi comprendre cette sorte d’euphémisation que pratique M. Fédier, dans la mesure où, avant le national-socialisme historique, il a existé en Allemagne effectivement une sorte de mouvement socialiste national. Tout cela pour dire qu’il ne faudrait pas trop isoler Heidegger de son temps, et plus encore de l’histoire de l’Allemagne et de celle de la philosophie allemande. La pensée de Heide m’apparaît dépourvue d’originalité. D’une part, et vous l’avez déjà souligné M. Er, il y a parfois derrière ses phrases grandioses et ses essences langagières des trivialités absolues. Par exemple, cette histoire de Dasein, franchement, jeté dans l’existence, c’est de la plate littérature néo-romantique. Mais, je ne peux pas manquer aussi de noter que les philosophèmes de Heide sont tout sauf originaux: il suffit de lire Fichte pour s’apercevoir que la philosophie allemande, depuis des lustres, charrie les mêmes thèmes dans une espèce de rabâchage ennuyeux, grandiloquent et bizarre: pureté de la langue allemande (les langues romanes sont batardes), la langue fait une nation, le peuple allemand, un peuple destiné, de par ses origines pures, à sauver les autres peuples européens de leur décadence, et, bien entendu, les sempiternels relents judéophobes. Son « discours à la nation allemande » est un véritable texte fondateur du nationalisme germanique, donc allemand. C’est tout de même curieux que le premier recteur de l’université de Berlin, un philosophe, ait éprouvé le besoin de s’adresser ainsi à son pays. Franchement, est-ce là le rôle d’un philosophe? Qu’est-ce que c’est que cette manie? N’y a-t-il pas déjà pas assez de prophètes, d’éducateurs du peuple, de « dém-agogues » (ça, c’est pour faire du Heide, l’amoureux de la langue grecque). De ce point de vue, Heide est un véritable clone de Fichte. La tradition oraculaire pourrait-on dire: c’est comme si une certaine philosophie, fatiguée d’aider les hommes justement à ne plus attendre des réponses des oracles, des divinités, des prophètes, des illuminés, des gourous, et de leur apprendre à ne pas laisser surdéterminer leurs préoccupations par l’hystérisation affective, c’est comme si, au contraire, cette philosophie éprouvait le besoin de dramatiser l’existence, d’engager les hommes dans des aventures inouïes, dans l’attente d’aurores élouissantes, ou encore de menaces apocalyptiques, béances ouvertes sur le néant abyssal d’une existence rongée par un mal métaphysique sans fond, insondable, comme celle des damnés du dernier cercle de l’Enfer dantesque! Heide avait eu des modèles du genre. Ils nous font braire ces amateurs de pouvoir, ces mythologues du sens qui a perdu tout bon sens.
    Bien cordialement
    R. Misslin

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  9. Monsieur Er,
    il y a décidément beaucoup de réglages à faire avant de se comprendre. Ne me prêtez pas des intentions que je n’ai pas, ce serait une erreur. Essayez donc de faire fonctionner les thèses que je défends dans le contexte de l’époque en rentrant dans le détail des actes, des paroles et des personnages. Et peut-être que vous verrez alors le paradoxe se dissiper. Pour atteindre le vrai, il faut écarter beaucoup de fausses évidences. Personne ne croyait ou ne voulait croire à l’extermination en 1945. Il a fallu attendre l’ouverture des camps. Personne ne veut croire au rôle fondamental de Heidegger. Quand on comprendra mieux ses paroles, les choses changeront. Mais il faudra du temps, beaucoup de temps. Moi je ne vous demande pas de croire. Je vous invite à ouvrir plus grand les yeux et à chercher davantage. Je n’assène pas des dogmes, j’invite à faire toujours plus de recherches. Mais pourquoi n’aurais-je pas le droit de vous présenter le résultat de mes recherches? J’ai indiqué à longueur de blogs depuis plus de six mois dans quelle direction il était souhaitable de chercher et avec quelles méthodes. Maintenant si on préfère me critiquer au nom du bon sens plutôt que de chercher à voir si j’ai raison ou non on n’avancera pas beaucoup. Car le bon sens s’est aussi beaucoup dégradé au cours de l’histoire. Mais j’ose encore espérer que vous ne baisserez pas les bras. Vous savez, dans les loges secrètes celui à qui on obéit n’a souvent que l’apparence d’un individu ordinaire qui ne paie pas de mine. Passer incognito aux yeux de tous tout en ayant le pouvoir absolu, voilà en quoi se complaisait Heidegger. Il en tirait une joie profonde. Il ne cesse de le révéler de multiples façons, encore faut-il vouloir l’écouter. Mais en lisant le style très particulier et volontairement équivoque de Heidegger souvent on préfère s’écouter soi-même plutôt que d’écouter ce qu’il dit. On ferait peut-être bien de se reporter alors aux paragraphes 1 et 2 de son introduction à l’histoire du concept de temps et aux divisions 35 et 36 qui ont servi de conclusion à ce cours en 1925. Bien entendu on remplacera « l’être en dette » qui n’a pas sa place ici par « l’être en faute » qu’on interprètera dans son sens d’origine qui est le sens hégélien -schélérien. Ne m’en veuillez pas si je suis obligé de faire ces quelques remarques, je les crois utiles sinon je me tairais. Bien à vous,
    michel bel

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    1. Mais non, Heidegger n’était pas le démiurge caché de Hitler, il faut arrêter avec ce délire. Sa biographie et sa correspondance le prouvent : par exemple, il écrit dans les années trente qu’un poste à Berlin lui permettrait de se rapprocher du cercle du pouvoir et de Hitler. Pourquoi écrirait-il une chose pareille s’il était le véritable « Führer caché » donnant ses ordre à Hitler ?

      Ceci dit il a effectivement eu une grande influence sur les hauts dignitaires nazis au même titre qu’un Jünger et qu’un Schmitt, le trio infernal : Mobilisation totale, État total, Extermination totale.

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  10. Monsieur Er, vous dites « un homme seul n’accouche pas du nazisme ». Bien évidemment. Qui a jamais prétendu ça? Mais dans la mesure où le nazisme est une idéologie, un homme peut la créer. Il en a été de même du marxisme, du christianisme, et quand la structure est mise en place avec l’aide de collaborateurs convertis à cette vision, un homme peut la diriger et la conduire dans le temps afin de parvenir au but visé. Ce qu’on admet pour le christianisme et le marxisme pourquoi ne veut-on pas l’admettre pour le nazisme? De même on admet des dissidents pour le marxisme et pour le christianisme, pourquoi ne pas en admettre pour le nazisme?

    Seulement pour le nazisme il s’est passé autre chose. Riche de la pensée de Machiavel le fondateur de l’idéologie nazie s’est servi d’un démiurge pour la réaliser, démiurge qui lui a servi à la fois d’écran protecteur et d’instrument d’action efficace. Il avait aussi lu les Possédés de Dostoievski et quand vous réunissez les principes politiques de Machiavel, ceux de Dostoievski (Les Possédés) et ceux du marquis de Posa (Don Carlos) vous avez un mélange détonant. Mais cela est peut-être trop calé pour notre époque. Raymond Aron qui était un fin politologue, l’avait pourtant parfaitement compris. Mais qui lit encore Raymond Aron? On serait peut-être bien inspiré en cette période troublée d’écouter quelques unes de ses leçons, non seulement pour comprendre le passé mais aussi pour appréhender le présent. Raymond Aron et Marx restent deux auteurs indispensables. Ajoutez-y la vision indépassable du Christ et vous aurez les instruments appropriés pour juger sainement notre époque. Et vous comprendrez peut-être aussi un peu mieux, à partir d’eux qui fut réellement Heidegger. je vous souhaite de faire le pas.
    très amicalement
    michel bel

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  11. Bonjour à tous,

    M. Bel écrit: « Personne ne croyait ou ne voulait croire à l’extermination en 1945 ». Je ne pense pas que vous ayez raison, M. Bel, car bien avant la fin de la guerre, bien des gens, et en particulier les Juifs, savaient parfaitement ce qui se passait dans les camps. Il est arrivé à mon père d’emmener à la frontière suisse des Juifs pour les aider à s’enfuir pendant la guerre, car nous habitions à côté de la gare la plus proche de cette frontière. J’ai entendu, enfant, mainte et mainte fois mes parents, mes tantes, exprimer leur horreur en entendant les récits de la bouche des gens que mon père a aidés. C’est parce que mon père savait ce que les « boches » (car nous ne les appelions pas autrement, et pour cause)faisaient, et étaient capables de faire, que mon père a pris les risques d’aider ceux qu’il appelait « les pauvres Juifs » à échapper à la mort. Ma famille avait l’Allemagne d’alors en horreur parce que, en tant qu’Alsaciens, nous avions appris combien ce pays était capable de brutalité, d’arrogance et de terreur.
    En lisant les diverses interventions sur ce blog, mais aussi ailleurs, que le livre de Faye a déclenchées, j’ai fini par me faire ma propre idée sur le
    personnage « Heidegger ». Je ne pense pas que Heide était un nazi, dans le sens précis de ce mot. Heide voulait être un grand philosophe, c’était à mon humble avis son ambition majeure. Il a consacré une très grande partie de sa vie à écrire, écrire, écrire. Quand on pense à la quantité de volumes que constitue l’oeuvre complète, on se dit que cet homme était vraiment animé par un besoin « fou » d’être non pas le penseur des nazis, ça je ne le crois pas, mais le grand penseur de l’Allemagne moderne. Il devait se prouver ça à lui. Nos folies prennent des formes variées et diverses (voir S. Brant). Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il était persuadé qu’il avait une mission, celle de tenter de sauver de la « dévastation » bolchévique et américaine son peuple, et avec lui, l’Europe toute entière. Il croyait que la philosophie, ce qu’il entendait par là, allait aider les élites à trouver les voies nécessaires au salut de la nation. Sa façon de s’isoler autant qu’il pouvait du « bruit » ambiant pour tenter de « penser » ce qui arrivait à son pays, c’était sa façon à lui de lutter contre ce qui lui apparaissait comme une menace grandiose contre la civilisation européenne. Il y avait de quoi être inquiet. Mais, ce qui caractérise la réponse de Heide, c’est ce que je me permettrai d’appeler l' »illusion » de la philosophie, en général (celle de Platon et de sa tradition), et plus particulièrement l’illusion prétentieuse de l’idéalisme allemand. Pour lutter contre le nazisme, il ne fallait pas passer 15 heures par jour dans sa hütte en cogitant sur Kant, Platon, Nietzsche, Hegel et … Abraham a Sacta Clara (vous savez bien que je l’adore celui-là!), il fallait résister, réellement et modestement, et il y a eu beaucoup d’Allemands qui l’ont fait, plus qu’on ne l’a dit, mais ceux-là n’avaient pas pour ambition première d’être le plus célèbre penseur du XXème siècle. La « trahison des clercs », c’est souvent de faire passer son ambition personnelle avant tout le reste, c’est aussi plat que ça. Assez de mythologie. Il y a des penseurs, et Platon est leur modèle, pour penser que penser c’est la chose la plus importante au monde. Et plus cette pensée est obscure, paradoxale, exprimée sous une forme ésotérique qui donne à penser que derrière ce qui est dit il y a encore bien plus à dire mais comme c’est indicible on ne peut pas le dire, alors il y en a qui se pâment: nous aimons le mystère comme les enfants, et beaucoup de philosophes jouent aux mystérieux, une pose comme une autre. Le grand herménaute de l’âme humaine, J. Lacan, qui aimait bien Heide, car il devait s’y retrouver comme dans un miroir, savait bien que prétendre savoir plus qu’on ne sait est une feinte des plus payantes pour se faire passer pour plus intelligent que les autres. Et, dans le zoo humain, comme dans d’autres zoos, la chose la plus précieuse pour soi est de tenir les autres en respect, peu importent les moyens, car ils sont tous bons.
    Cordialement
    R. Misslin

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  12. Votre âme est généreuse, monsieur Misslin. Mais quand on organise la déportation de millions de personnes et qu’on les envoie pour finir aux fours crématoires on ne peut plus parler de grand philosophe. La grande force de Heidegger a été de se dissimuler et de faire agir les autres. Que fait le chef d’une très grande entreprise? Rien d’autre. Or le nazisme est une entreprise de domination planétaire au nom d’un principe racial , d’élimination des obstacles et d’extermination afin d’assurer la préservation des scquis.

    Pour commander il n’est pas nécessire d’aller sur le terrain. Il suffit d’avoir un conducteur de travaux bien formé à son service. Quand cette entreprise consiste à changer « de » monde, il faut penser dans le détail ce changement de monde, l’idéologie qui le soutient. Ne soyez pas étonné que Heidegger à cette fin ait fait beaucoup de conférences, formé des agents de maîtrise, des agents d’entretien, des créateurs et des gardiens comme il dit.

    On ne résiste pas en cogitant dans la « loge » mais on peut y peaufiner un conditionnement idéologique qui servira de base à la culture future. Quand on est à la fois pape, général et souverain on peut se permettre d’être presaque immobile une fois la toile d’araignée construite. Quand le dispositf (Gestell) a été mlis en place, une fois que les ordres sont donnés la machine tourne toute seule. Voilà pourquoi Heidegger n’ a pas eu de peine à passer de la direction du Reich au Tao. mais la machine tourne et quand c’est une machine à broyer, elle broie. Méfiez vous de l’eau qu dort et du chat qui fait semblant de dormir.
    michel bel

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  13. A « lien permanent ».

    Enfin quelqu’un qui lit Heidegger! Et quand on lit Heidegger en le pesant à son poids plein, qu’est-ce qui se passe? La réaction ne se fait pas attendre. « Ce qu’on découvre peu à peu en le lisant soulève littéralement le cœur ». Quand on met son œuvre en rapport avec les cadavres qu’elle a provoqués on est pris de vomissement. Combien de fois il m’est arrivé de pleurer après avoir lu des récits et des compte-rendu de captivité, en établissant un lien entre eux et les cours de Heidegger sur Nietzsche, sur Schelling et sur Hölderlin, tout en me remémorant les images monstrueuses des camps d’extermination où on voit des officiers nazis marcher sur des cadavres entassés dans des fosses ou tuer des enfants à bout portant. Combien de fois me suis-je révolté en voyant avec quel cynisme Heidegger appelait cela « la poésie », la « construction de l’habitat poétique » alors que ces gens ne demandaient qu’à vivre, à exprimer leur sensibilité et leur tendresse. Par quelle folie le désir d’être Dieu a-t-il conduit Heidegger à donner ces ordres-là et à dissimuler ses ordres d’extermination sous la couverture d’un commentaire apparemment poétique ?

    Je ne rentrerai pas dans le détail des contrastes qui ont provoqué mon émotion, mon écœurement et ma colère. Mais je voudrais que les lecteurs de Heidegger commencent à comprendre quel « carnaval macabre » ce prétendu philosophe a imposé à l’Europe et au monde . Combien de fois me suis-je dit: » Comment peuvent-ils encenser Heidegger! Ce n’est pas possible, ils ne l’ont pas lu ! ». Et si, pourtant. Jean Greisch l’avait lu, le pasteur Richardson l’avait lu, François Fédier l’avait lu, Michel Haar l’avait lu, Jean-Marie Vaysse l’avait lu, Martineau l’avait lu. Et j’en passe. Alors quoi? Est-ce moi qui lis mal? Pourtant ce que je lis est écrit. Comment se fait-il que, eux le comprennent d’une façon et moi d’une autre? Par quelle ligne de démarcation le clivage passe-t-il?

    J’ai interrogé des admirateurs. Les uns étaient homosexuels, les autres catholiques, les autres juifs. Mais enfin, leur disais-je, que lui trouvez-vous? Êtes-vous pour les assassinats de masse? – Mais pas du tout. Alors quoi ? Tous m’ont répondu: c’est l’enchantement du vocabulaire. L’un avait eu une « expérience mystique », il se retrouvait dans son vocabulaire. L’autre avait souffert de la répression catholique ecclésiastique, il se retrouvait dans cette idéologie qui ne présentait aucune condamnation. Un troisième, juif, pensait qu’Heidegger avait dit la vérité aux forces d’occupation et qu’il avait été poursuivi par les nazis parce qu’il avait défendu les juifs, l’attitude de Krieck le prouvait. -Et les massacres des juifs, leur disais-je, et les massacres des homosexuels, et les massacres des prêtres? – Ah ! Ce n’était pas lui, mais Hitler.

    Mais avez-vous lu Mein Kampf ? leur disais-je, où Hitler parle du philosophe qui l’a formé et qui a tracé le plan d’extermination et de conquête de l’espace vital germanique? -Aucun ne l’avait lu. On avait entendu parler de Mein Kampf, des camps, mais on ne faisait aucun lien entre Heidegger et Hitler. Comment dans ces conditions leur rendre évident le rôle décisif joué par Heidegger? Impossible. Ils étaient formatés. Aucun ne pouvait croire à un rapport entre la parole si douce de martin Heidegger surtout présentée par François Fédier qui ne parle que de « tendresse », et la conduite du Reich. – De toute évidence, j’étais cinglé. Même en leur mettant les passages les plus horribles sous les yeux (les discours sur Abraham a Sancta Clara, l’hommage à Schlageter, les discours politiques, le texte sur l’extermination dans « la métaphysique de Nietzsche » rien n’y faisait. Ils étaient imperméables.

    Pourquoi en était-il ainsi? Ils ne voulaient pas voir parce qu’ils étaient au chaud dans leur refuge. Et on était vraiment salaud si on voulait les déloger. Comme ils connaissaient ma générosité, ils ne comprenaient pas que je puisse voir de travers et être mal intentionné. -Ce que tu nous dis n’est pas écrit, tu l’inventes.
    C’est alors que brusquement mes yeux se sont ouverts. S’ils ne voient pas, me suis-je dit, c’est parce qu’ils lisent Heidegger sans voir que son vocabulaire a changé de sens. Ce ne sont pas les néologismes qui font problème au niveau de la compréhension, ce sont les glissements de sens. Heidegger a changé le sens des mots fondamentaux sans en avertir son lecteur. Il faut pour le découvrir travailler les textes en profondeur et relever ses déclarations distribuées comme à la volée, ici ou là. Ce qui fait qu’on peut très bien lire un texte sans se rendre compte des changements sémantiques. Ainsi en est-il par exemple pour L’origine de l’œuvre d’art. Les déclarations sur la transmutation du vocabulaire n’apparaîtront que dans les cours sur Nietzsche de 1937, de 1939 et de 1940. Si on n’est pas absolument attentif à ce phénomène, on ne le voit pas. Le glissement se fait souvent à la suite de manipulations étymologiques comme c’était le cas chez Nietzsche dans la Généalogie de la morale (bonus/duonus, par exemple). Eh bien, même en leur mettant le doigt dessus, les yeux ouverts sur les pages en question, ils ne pouvaient pas arriver à le croire. C’est alors que je me suis rendu compte qu’il fallait faire un deuxième LTI (Langue du troisième Reich) consacré exclusivement à Heidegger. Le LTI heideggérien était assurément la tête du LTI général, colligé par Klemperer, qui n’en représentait que le corps. Sans ce travail préalable il était impossible de sensibiliser. La « Umleitung » heideggérienne était vraiment la clé de la compréhension du Reich. La poésie, la justice, la liberté, l’art, le droit, la vérité, le bien, le mal, tous les mots fondamentaux auxquels nous sommes habitués avaient changé de sens. Il y avait eu une véritable « Umsturz » pour reprendre le mot de Max Scheler. Et si Heidegger n’avait écrit qu’à chaque nouvelle époque de l’histoire les mots fondamentaux changent de sens ( Nietzsche I NRF p.133-134), on aurait pu croire que je projetais mes fantasmes sur l’œuvre de Heidegger. Mais c’était écrit par Heidegger lui-même.

    C’est alors que certains ont commencé à me prendre au sérieux et à comprendre ce que voulait dire le « lourd bonheur », « la poésie » est une occupation « terrible », ou encore ce que pouvaient signifier  » la douce rigueur » et « la rigoureuse douceur », ce que pouvait contenir comme sens caché l’appel à la dureté du cœur dans l’éloge de Schlageter. C’est alors que certains commencèrent à comprendre l’éloge de la violence dans l’Introduction à la métaphysique. Je me dis : » C’est gagné ! Tu es arrivé à leur ouvrir les yeux ». Quelle ne fut pas ma déconvenue lorsque l’un d’eux me dit: « Tu crois que c’est vrai? Ce n’est pas possible ». Il venait d’avoir les faits sous les yeux, c’est à dire les textes même de Heidegger. Il ne pouvait pas y croire. Et pourtant c’était là sous ses yeux. Y compris l’appel de Heidegger à la remobilisation de l’Allemagne dans la réédition d’Être et temps de 1953, y compris le texte sur son adhésion aux thèses de Nietzsche exposées de 1937 à 1945 et qu’il republiait (Nietzsche I NRF Préface p.10). Peine perdue! On retournait toujours aux schèmes linguistiques du vocabulaire habituel. Le rapport signifiant/signifié, comme un élastique qu’on aurait tendu revenait à la même position lorsqu’on le relâchait.

    C’est alors que je compris Platon, le Christ, Galilée et Heidegger mieux que jamais. La « caverne » n’était pas une allégorie, c’était une réalité sociologique fondamentale. La caverne avait ses lois et la première de ces lois était la loi d’inertie. Lorsqu’un corps est au repos, il reste au repos, mais lorsqu’un corps est en mouvement il continue son mouvement de manière uniforme s’il ne rencontre pas de résistance. Les lois de la mécanique inventées par Descartes étaient aussi valables pour le conditionnement psychologique. Comment passer de l’inertie au mouvement? Chez Heidegger ce fut « l’aiguillon de la conscience malheureuse », selon ses confidences qui détermina ce passage. Il dut en être de même pour Platon, pour le Christ, pour Galilée. Ce qui déclenchait le mouvement de la conscience et faisait sauter les obstacles épistémologiques ne pouvait être que d’origine affective. Mais la douleur morale n’était peut-être pas nécessaire. Pour Galilée ce fut un changement de comportement dans l’observation des astres. Mais pour Platon, ce fut la condamnation à mort de Socrate, pour le Christ, nous ne savons pas, pour Heidegger ce fut l’esseulement et la frustration dus à la mutation brutale de Gröber. Tous quatre eurent à faire face à l’inertie de la caverne et furent confrontés à la menace de la mort. Comment tous les quatre arrivèrent-ils à créer du mouvement? En créant des disciples avec une fortune plus ou moins heureuse. Pour que la mayonnaise prenne il faut battre les œufs longtemps et verser l’huile avec patience et surtout ne pas arrêter de remuer. Qu’il s’agisse des valeurs de bien ou de mal, le processus d’élévation de la mayonnaise est le même, il obéit aux mêmes lois.

    Ainsi, si Heidegger avait triomphé c’est qu’il avait tiré de la caverne un disciple à qui il avait montré sa nouvelle conception du monde (De l’essence de la vérité p.107) et ce disciple avait, à son tour, après avoir été pleinement convaincu, brassé les esprits de la caverne. Cette diffusion de l’aperception d’une nouvelle vérité les uns l’avaient payée de leur vie (le Christ, Pierre, Paul), les autres avaient failli (Platon, Galilée), les fauteurs du mal en revanche s’en étaient sortis indemnes grâce à leur ruse (Heidegger, Carl Schmitt, Jünger), seul leur fusible avait fondu (Hitler). Pourrais-je espérer faire mieux qu’eux en diffusant ma prise de conscience? Sûrement pas. Ce qui importait c’était de créer le mouvement pour l’éveil à la vérité tout en sachant qu’un mouvement violent inverse se lèverait pour le maintien dans l’erreur. Il fallait composer avec ces lois de la mécanique, avec cette dialectique, on ne pouvait pas y couper. La caverne ne s’éveille que lentement et elle peut s’éveiller aussi bien à « l’illusion du bien » qu’au « bien lui-même ». Heidegger l’a éveillée à l’illusion du bien. Bourdieu, Farias, Jean-pierre Faye, Emmanuel Faye et moi-même, plus modestement, à partir de réflexions et de problématiques différentes, nous tentons de l’éveiller à la reconnaissance de la vérité sur le « mage » de Todtnauberg. Nul ne peut savoir qui dans la caverne s’éveillera mais pour que quelqu’un puisse s’éveiller il faut parler, il faut communiquer ce qu’on a vu avec son regard intérieur comme aurait dit Platon.

    Si Heidegger est dangereux c’est parce qu’ayant vu cela, il a triché pour satisfaire son orgueil et venger sa libido souffrante en tentant de devenir, après la prétendue mort du dieu chrétien, un nouveau dieu. « Quoi, deux mille ans passés et pas encore un nouveau dieu ». Eh bien le voici, Moi, Heidegger. Et pour que l’entreprise impériale réussisse, il fallait procéder avec prudence et éviter la précipitation. C’est pour cette raison que le Dieu a enseigné la patience à ses élèves : en la comparant à la préparation d’un bûcher jusqu’à ce qu’il prenne feu, enfin. Car on ne peut pas « en avoir fini avant de commencer ».(1930 Cours sur la phénoménologie de l’esprit de Hegel). « rien que pour s’allumer le conflit a besoin de préparatifs. C’est du reste dans ce dessein que la présente recherche est en route » (Être et temps.1927). Et, en 1934, après la nuit des longs couteaux: «le Dieu a déjà pris les devants, il veut épargner la hâte. Cette anticipation par laquelle le Dieu intervient est la puissance de l’origine, sous la figure du ralentissement qui réfrène ». Il faut lire tout le paragraphe qui suit dans lequel est encore écrit ceci: « Le Dieu fait qu’il y ait retard dans la véhémence avec laquelle ce qui surgit se veut soi-même. » (Le Rhin NRF p.242)

    Je signale que ce texte a été traduit en 1988 par François Fédier, assorti de la présentation suivante: « ce texte doit être compris comme la continuation encore radicalisée de la tentative du rectorat ou peut-être mieux encore comme la métamorphose que l’échec du rectorat fait subir à la pensée de Heidegger ». (p.8). On pourrait penser qu’il a compris l »hyper-sadisme » de Heidegger, eh bien! Non! Toute la violence du texte va être dissimulée derrière le mot « tendresse ». « Innigkeit » va être traduit par « tendresse ». La trahison du traducteur français est ici totale. Par cette traduction François Fédier a transformé un assassin de masse en un quasi Saint du calendrier chrétien victime de ces horribles nazis. Avec le commentaire heideggérien des Hymnes de Hölderlin, nous prenons le chemin du sacré, de la guérison, du salut, de la « salvation ». C’est le moment de rappeler que , contrairement à ce que veut laisser croire Fédier, Heidegger, en 1937, appela les Français « ce peuple faiseur d’histoire » à la collaborer avec les nazis pour réaliser le salut de l’Occident ( Heidegger Cahier de l’Herne, Poche p . 71 à 77; Vaysse traduit par : la « salvation »). On a vu en quoi cette salvation consistait entre 1940 à 1945. Alphonse de Chateaubriand et Edouard Spenlé étaient là eux aussi, aux côtés du maire nazi de Fribourg ; appel auquel répondra bientôt l’ami de Spenlé : Bachelard. Ce dernier sera nommé à la Sorbonne en 1940, pour remplacer Abel Rey qui avait été le chantre de « l’éternel retour ». Lui, enseignera la Formation de l’esprit scientifique, la Philosophie du non et la poétique du feu abusivement appelée psychanalyse. Il aura deux tabliers, deux établis, l’un scientifique, l’autre « poétique ». Il enseignera dans le cadre de l’esprit allemand de la Nouvelle Sorbonne d’où on a pris soin d’éjecter les professeurs juifs. Jacques Chevalier, Edouard Spenlé et Abel Bonnard, le poète académicien, vont mener un travail conjoint pour épurer les institutions françaises déterminantes aussi bien au ministère de l’Education nationale, qu’à l’Ecole Normale Supérieure et à l’Institut (l’Académie). L’appel de Heidegger lancé dans l’annuaire nazi de la ville de Fribourg en 1937 a porté ses fruits. La « gerbe des forces » s’est constituée. Bien avant 40, le nazisme a gagné la France. Merci monsieur Heidegger. Il était allé lancer le même appel l’année précédente dans l’Italie de Mussolini.

    Et aujourd’hui ça recommence. Aujourd’hui on fait même mieux, on met les « œuvres-chemins » de Heidegger au programme de l’agrégation de philosophie et ce sont des catholiques qui le font. On voudrait crucifier Dieu une troisième fois qu’on ne s’y prendrait pas mieux. Après tout si Hitler a obtenu les pleins pouvoirs en Allemagne, n’est-ce pas la faute au Centrum catholique qui s’est prononcé en sa faveur. Hitler et Heidegger avant de retourner leur veste pour des raisons de mœurs, de répression morale et d’orgueil magistral, étaient deux catholiques. Catholique aussi mais dans un autre sens était l’empire universel rêvé par Heidegger : un même esprit baptisé « christianisme positif » anime le 24° point du Programme du NSDAP et le cours sur Schelling de 1936 (NRF p.251). Ce cours est entièrement consacré à l’infusion chez les auditeurs de « l’efficace du Mal » .Ces deux catholiques renégats – et ils ne sont pas les seuls- se sont élevés contre le message d’amour du Christ pour guérir le monde de ses chaînes. Intelligent, non? ABSURDUS auraient dit les Latins. Oui mais eux voulaient être Grecs. Hitler l’a même confié un jour à Léon Degrelle. « Je suis grec ». Et Heidegger a bâti toute sa politique sur cet « idéal ». (Je ne suis pas sûr que ce soit le bon mot).
    Je n’en dirai pas davantage pour aujourd’hui. Voilà ce que j’appelle les faits. Chers amis lecteurs, lisez le 24° point du programme du NSDAP et lisez la fin du cours sur Schelling professé par Heidegger ensuite, et vous serez édifié. Mais il paraît que Bel est grandement dans l’erreur.
    Où trouve-t-on le programme du NSDAP traduit en français? Dans le livre de
    Werner Maser. Naissance du parti national socialiste allemand édité chez FAYARD en 1967. Annexe documentaire.
    Michel bel 4 mars 2006
    Rédigé par: bel à 4 mars 06 15:31:17

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  14. Deux erreurs de frappe ont quelque peu altéré un passage du texte, je vous prie de trouver ci-joint le passage corrigé:

    « C’est le moment de rappeler que , contrairement à ce que veut laisser croire Fédier, Heidegger, en 1937, appela les Français « ce peuple faiseur d’histoire » à collaborer avec les nazis pour réaliser le salut de l’Occident ( Heidegger Cahier de l’Herne, Poche p . 71 à 77; Vaysse traduit par : la « salvation »). On a vu en quoi cette salvation consistait entre 1940 et 1945. »

    Michel bel

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  15. Bonjour M. Bel,

    Je suis tombé sur un article de Franco Carolini, « Le Dieu de Hitler », (voxnr.com) qui m’a beaucoup intéressé. Voici un extrait que je me permets de porter à votre connaissance: « Hitler ne perdait pas une occasion de se moquer férocement des « professeurs » qui rêvent des gloires archéologiques des anciens Germains, mais qui ensuite servent la cause beaucoup moins utilement qu’un brave garçon des SA ou un robuste ouvrier qui sait jouer des mains… Irréductiblement athée, nihiliste et matérialiste dans son essence, le mouvement national-socialiste était « religieux » dans son appareil de la liturgie politique de masse et, surtout, dans sa conception du monde totalisante. En tant que tel il était une foi… Et F. Cardini de terminer en parlant d’une « savante mosaïque de l’organisation hitlérienne du consentement ». Quand j’ai parlé l’autre fois du « génie » de Hitler, je faisais allusion justement à sa capacité pragmatique de mobiliser les foules afin de réaliser militairement, grâce au « consentement » ainsi obtenu, le triomphe de l’Allemagne et la victoire de son parti. Très franchement, le « professeur » Heidegger me paraît à mille lieues de ce genre de capacité.
    Cordialement
    R. Misslin

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  16. cher monsieur Misslin, votre référence est précieuse. Mais, j’ai bien peur de vous decevoir en vous disant que Hitler n’était que le nonce de Heidegger, son annonciateur (Cf.Être et temps, le concept de phénomène NRFp.57). Heidegger est le pape-dieu, Hitler se proclame lui-même son tambour et uniquement son tambour. Il se trouve que l’écran annonciateur peut être aussi un écran obstacle. L’écran a une double fonction comme j’ai déjà eu l’occasion de le signaler.

    Je ne connaissais pas ce texte. Je vous remercie de l’avoir porté à ma connaissance. Mais le texte ne suffit pas. Il importe de ne pas commettre d’erreur de lecture.
    Merci monsieur Misslin.

    Michel bel. 06.03.2006

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  17. Cher monsieur Misslin,
    je vous remercie d’avoir précisé ce que vous entendiez par « génie » de Hitler, génie qui fut plus encore peut-être celui de Goebbels.
    Il reste à mes yeux deux choses qui posent problème dans vos derniers commentaires : d’abord il y a bien eu un « socialisme national » en Allemagne, et les nazis en ont joué, mais cela ne veut pas dire que quand Heidegger parle du « mouvement » il renvoie au « socialisme national », et la traduction de François Fédier (« socialisme national » pour « Nationalsozialismus ») est déjà du révisionnisme.
    Je suis sinon d’accord avec vous pour voir en Heidegger un « grand » carriériste, mais à l’époque être carriériste cela voulait dire pour un philosophe être un « penseur » du nazisme, ce qu’il fut.

    Pour monsieur Bel : mes objections demeurent, il faut aussi des preuves en histoire, mais j’ai beaucoup apprécié vos dernières interventions.
    Pourriez-vous développer cette question du détournement des symboliques maçonnes, notamment par des analyses de textes ?
    Je suis d’accord avec vous pour penser que Heidegger parle de tout autre chose que de poésie, et renvoie à tout autre chose qu’à des oeuvres d’art. Il y a ici tout un travail de désintoxication de l’esthétique qui est à faire.
    Bien à vous deux,
    Yvon Er.

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  18. Comme je l’ai dit auparavant je ne peux plus (et je n’en puis plus…) intervenir très régulièrement, mais je ne perds pas de vue cette assemblée.
    En vous saluant,
    Y.E.

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  19. Monsieur Misslin,
    je viens de lire l’article de Franco Cardini. Il est excellent. Sauf sur un point :le « christianisme positif » qu’il n’a pas compris, mais on ne peut pas le lui reprocher. Il faut être versé dans la philosophie de l’idéalisme allemand pour le comprendre et notamment celle de Schelling. Il a fait une étude très sérieuse et très documentée du modèle hitlérien de dieu. Il ne lui manquait que la connaissance détaillée du modèle de dieu élaboré par Heidegger pour pouvoir mettre un nom sur cette entité raciale, hégelienne,guerrière et « âme du monde ». Et le nom de ce dieu immanent, issu du « sang », obéissant au « destin », pratiquant le mal pour réaliser le « Bien », bien évidemment c’est HEIDEGGER.

    Je vous remercie Monsieur Misslin de m’avoir fait connaître ce document. Je pense que si Kershaw avait pu l’avoir à sa disposition il aurait dit moins de bêtises sur la question de la Providence chez Hitlér. C’est une pièce maîtresse du dossier « racio-mystico-historique » du nazisme.Il date pourtant d’août 1985 mais il n’avait pas eu la diffusion qu’il mérite. Cardini décrit à la perfection les attributs heideggériens de la Providence hitlérienne. Quand on met la colombe dans le pigeonnier tout concorde. Je dis la colombe non seulement en pensant au commentaire heideggérien du Théétète mais encore à la pensée de Nietzsche: « les idées qui bouleversent le monde viennent à nous sur des pattes de colombe ». La conception de la Providence est une des pièces maîtresses de l’emboîtement Heidegger : Hitler. Il y en a d’autres. Si tous les historiens faisaient un travail d’analyse ponctuelle comme celui de Franco Cardini , la réponse clé à la question de la genèse du nazisme, serait vite trouvée. La bonne conception de la « Providence » hitlérienne est en effet la clé principale qu’il faut avoir en main pour ouvrir la serrure de la politique infernale du nazisme.
    Bien à vous
    Michel bel

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  20. Bonjour M. Bel,

    Je suis ravi de vous avoir fait connaître le texte de M. Cardini que je trouve très suggestif. Mais, vous êtes un homme terrible: vous me faites penser à ces personnes (et il y en a beaucoup, parfois très célèbres, comme S. Freud) qui croient avoir trouvé une clé passe-partout capable à elle seule d’ouvrir toutes les serrures. En attendant que vous arriviez à me convaincre de ce qui pour le moment m’apparaît comme une fable grandiose de votre invention (ce serait bien la première fois dans l’histoire qu’un philosophe réussisse un tour de force pareil), je vais essayer de vous apporter de nouveaux éléments pour qu’éventuellement vous utilisiez ce que vous savez de façon plus critique, et donc plus efficace (mais tout cela sans la moindre intention de vous contraindre: ohne Gewalt, nur mit Verstand!)
    Bien cordialement
    R. Misslin

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  21. Monsieur Er, le détournement des symboles maçonniques est à prendre à deux niveaux, le niveau des symboles matérialisés et le niveau discursif.Je ne puis vous indiquer tout mon travail sur la question, je vais vous indiquer seulement deux pistes.
    Le symbole matérialisé le plus visible est le svastica. Symbole traditionnel du feu chez les maçons, il est devenu le symbole de l’embrasement du monde et du renouvellement du monde par le feu, dans la conception Rosicrucienne nazie. Il va de pair avec le « Hütte » qui ne désigne pas un chalet de ski mais la « loge » en allemand. Cette loge pour laquelle Hussel dans son « atelier » lui avait donné les « outils » nécessaires à la maîtrise est devenue une loge aryenne. Elle s’insère dans la chaîne des loges aryennes créées dans toute l’Allemagne par le Germanen Orden pour conditionner la population allemande. (pour cette question voir entre autres auteurs Goodrick-Clarke. Naturellement voir aussi l’annuaire maçonnique). Ajoutez à cela la pierre cubique, la source, l’étoile à huit branches, la canne, les trois points, le chapeau, etc.. Point besoin de faire un grand effort pour avoir toute la panoplie. Les Aryens initiés, comme les maçons, se reconnaissent entre eux à leurs symboles.

    Parmi les symboles discursifs les plus évidents il y a la cruche (symbole d’Isis), le tablier, l’atelier, le carré (Geviert)les quatre équerres du « quadriparti », l’Art (objet maçonnique par excellence. Bref le recueil « Essais et conférences  » en est farci. Il y en a partout. Pour celui qui sait voir, la symbolique est ausi nourrie d’autres traditions détournées: la symbolique rosicrucienne, la symbolique nordique, la symbolique de la quête du Graal (le vase contenant le précieux sang qui n’est plus le sang du Christ mais le sang aryen. Cf: la question de la technique (la coupe en argent); la coupe est devenue le symbole du parti et en tant que « cruche » elle sert à verser. Verser quoi? Le sang humain.(Cf la conférence sur « la Chose ».

    Les symboles nietzschéens ont aussi été détournés. le serpent à plumes est devenu l’insigne du parti. Et quand vous lisez la conférence « la chose » en connaissant le sens des symboles je vous prie de croire que vous êtes écoeuré. Essayez donc d’en faire la lecture et vous verrez. Le versement du breuvage en hommage aux dieux, le sacrifice, tout cela vous donne un haut le coeur. Vous vous dites alors: mais qui est Heidegger? Qui? Je n’ose plus le dire, pour ma part.

    Allons plus loin. Le détournement des symboles religieux est patent.Si la coupe est en argent, c’est parce qu’elle n’a pas la noblesse du ciboire qui est en or. La liqueur(le vin) est transvasée du ciboire dans la coupe en argent (i.e.du soleil (Heideger) dans la lune(Hitler) pour être versée ensuite dans les étoiles (les officiers nazis – militaires ou SS)). Quand vous serez habitué à manier les symboles vous serez tout étonné de ne les avoir pas vus avant. C’est cela la méthode de l’initiation par le secret. Cela vous suffit-il pour commencer?

    La description de la « Hütte » dans « Pourquoi nous restons en province? » est tout un programme et tout un parcours initiatique. Mais vous me permettrez de réserver tout cela à mes lecteurs futurs. Dans la collection TEL la maison d’édition Gallimard avait même poussé la plaisanterie jusqu’à représenter sur la première de couverture du recueil « Essais et conférences » une pierre cubique à pointe qui dans le langage des initiés signifie l »Oeuvre » parfait. Une erreur de lecture sur les symboles et le contre sens est total. C’est ce qui s’est produit avec René Char dont Jean Beaufret disait en parlant de lui et de Heidegger: « ils sont frères de pointe ». Heidegger écrira de son côté: »La chère Provence est-elle cette arche secrètement invisible qui relie la pensée matinale de Parménide au poème de Hölderlin? ». Et de dédicacer à René Char l’Acheminement vers la parole: » Pour René Char, en remerciement de l’habitation poétique toute proche au temps des séminaires du Thor avec le salut de l’amitié ». Martin heidegger.

    Mais que de relents de défaite devait lui rappeler la vision de la Sainte Victoire cette colline dont Cézanne avait fait son « motif » préféré. A moins que ce ne fut l’inverse. Les Germains n’ayant pas encore créé leur empire, ils ne pouvaient pas décliner , ils ne pouvaient que croître et recommencer leur ascension dans un temps plus propice.

    Le Grand Oeuvre de heidegger est nourri d’autres symboliques plus pernicieuses encore. Vous me permettrez de les passer sous silence pour l’instant.

    Bien à vous,
    michel bel

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  22. Cher monsieur Misslin,
    pourquoi la question de dieu est-elle une clé principale dans le nazisme? Parce que le nazisme est parti de la haine du dieu chrétien tel que l’a modélisé Heidegger dans son adolescence terriblement dure. Il s’agit de substituer au dieu judéo-chrétien qui châtie éternellement une autre figure de la transcendance qui autorise tous les plaisirs et ne porte pas de châtiment.La conception du monde de Nietzsche convient parfaitement. Heidegger le montre clairement dans son premier cours sur Nietzsche. Il n’était pas le seul à son époque. De nombreux jeunes avaient été terriblement brimés sexuellement. La révolte du sexe contre la religion était violente. Heidegger parle de l’instinct qui fait de la philosophie. Le nazisme est d’abord une révolte contre une conception de dieu. A laquelle se sont associées d’autres révoltes: chômage, humiliations en tout genre. L’opposition germain /sémite est d’abord née de la révolte du sexe contre la répression. Les raisons secondaires ont porté sur l’art, sur la prétendue race, sur la notion d’ennemi du genre humain empruntée à Tacite. La jalousie a églément joué un rôle. Les questions d’argent également. Mais le vrai moteur, comme dit Freud, celui qui génère toutes les cruautés, c’est la libido réprimée. Sans ce ressort il est impossible de comprendre le degré de violence et de cruauté « gratuite » atteint par le nazisme.Pourquoi la haine contre les prêtres , contre l’église et contre les juifs en général. cela n’a rien à voir avec la race. Au contraire le prétexte de la pureté de la race vient camoufler la raison fondamentale, bien cachée parce qu’inavouable dans un monde catholique et protestant très strict. La race juive n’existant pas les nazis l’ont inventée en complétant un schème génétique primaire par l’appartenance religieuse.(Cf,lois de Nuremberg et Ahnenpass). Maintenant vous n’êtes pas obligé de me croire, vous êtes toujours libre de croire à ce qui vous fait plaisir même si le ressort psychologique fondamental n’y est pas. Encore une fois merci pour le texte de Franco Cardini qui est d’une intelligence rare. bien à vous
    michel bel

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  23. Bonjour M. Bel,

    La question n’est pas de suivre mon plaisir, mais de m’informer afin de mieux comprendre Heide et son temps. Ce qui me gêne énormément dans votre manière d’exposer, c’est la passion avec laquelle vous présentez vos informations, lesquelles, emportées par vos certitudes absolues, perdent complètement leur valeur démonstrative. A la fin de chacun de vos messages, je suis déçu. Je veux bien mettre cela sur le compte de mon ignorance. Mais je sais aussi, grâce en particulier à Molière et à Balzac, que la passion envahit le cerveau et se transforme en idée fixe. Pardonnez-moi, mais vous savez bien que je ne veux blesser personne, et en même temps je n’ai pas envie d’être hypocrite à votre égard.
    Ce qui me rend sceptique par rapport à ce que je considère comme votre hypothèse de travail, pour le moment loin d’être rigoureusement étayée, c’est le fait que Heide s’est consacré, de manière acharnée, à son œuvre philosophique tout au long de sa vie. On n’écrit pas une quantité de livres, de cours, de conférences tout en menant une action politique aussi énorme que celle supposée par votre idée. Et je suis de plus en plus convaincu qu’à ses yeux, c’était sa contribution personnelle au redressement de l’Allemagne. A partir des années 20, l’Allemagne, et surtout sa jeunesse, commençait à entrer dans une sorte de bouillonnement lié aux frustrations énormes amplifiées, comme vous l’écrivez, par la défaite militaire. Un besoin effréné de renouveau se faisait sentir partout. Et surtout, ce besoin s’est ancré dans ce que j’appellerai une sorte de complexe d’infériorité du sentiment national quasi historique, lié en particulier au fait que l’Allemagne ne formait pas une unité sûre d’elle (voir la lente émergence de cette unité, voir l’antagonisme religieux, politique, économique nord/sud) et se sentait coincée entre des empires (Autriche, Russie) et des Etats fortement constitués (Angleterre, et l’ennemi héréditaire, la France). La pensée de Heide est effectivement une pensée radicale, réactive, destinée à surmonter le complexe et le ressentiment. D’où la violence de certains de ses écrits. Heide s’est senti investi d’une mission, celle de donner à l’Allemagne de son temps une philosophie digne d’elle, allemande de part en part, implantée, locale, idiosyncratique, plongée dans les racines de la terre allemande (BuB), capable elle seule d’alimenter, par sa sève propre, pure, authentique, son esprit, sa spiritualité, son essence raciale, ethnocentrée d’une manière totale, bref son ETRE. Quand on est habité par une pareille conviction, qu’on consacre sa vie à l’énoncer, à la formuler, à l’exposer, qu’on est comme porté par le Zeitgeist de l’époque qui éclate, en 1933, sous la forme d’une sorte d’euphorie extatique (cf le « Wotan » de C.G. Jung décrit bien l’ambiance), rien d’étonnant à ce que cet homme se soit engagé politiquement à cette date et à ce qu’il n’ait jamais pu revenir sur cet engagement radical : tout le monde n’est pas suicidaire. Son « nazisme » était de circonstance, mais pas son national-socialisme, et j’ai envie de dire surtout son nationalisme (car, compte tenu de la nature très narcissique de ce gaillard, je ne pense pas qu’il pensait beaucoup à la misère). L’Etre selon Heide ne peut s’incarner que dans un peuple, le sien, dans une race, la sienne, dans une époque, la sienne : Deutschland über alles (und so lange wie möglich, warum nicht ein Jahrtausend !). Et, comme tout narcisse qui se respecte (et il se respectait énormément !), il voulait devenir immortel (d’où le soin absolu qu’il prenait de son œuvre , un leitmotiv dans sa correspondance avec Hanna). La boucle est bouclée, c’est le retour sempiternel du même, Dawkins (le sociobiologiste) dirait le retour des « memes », sortes d’analogues mentaux des gènes, qui luttent telles des structures organiques, pour leur survie.
    Bien cordialement
    R. Misslin

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  24. Chers amis du blog, chers lecteurs,
    je crois qu’il est inutile de perdre son temps avec les heideggériens, ils ont choisi leur camp, le parti des tueurs. Ils font semblant de ne pas voir mais en réalité ils savent très bien qui est Heidegger. Les universitaires se cachent les yeux en disant: « Ce n’est pas dans le texte ». En réalité ils savent très bien décoder le texte, mais comme ils ont peur de perdre la face après s’être engagés un peu trop vite du côté de Heidegger ils préfèrent défendre la prétendue pureté de Heidegger et traiter par le mépris ceux qui ont le courage de dire la vérité. Nous traiter par le mépris, sous ses trois formes: nous ignorer, nous traiter de menteurs, nous insulter. On ne répond pas à mon courrier, on me traite de falsificateur, on m’insulte. Pourquoi s’en étonner? Mon maître spirituel à Jérusalem a subi le même sort. Il faudrait être bien naïf pour s’attendre à un meilleur traitement.

    Il n’est pas nécessaire d’argumenter, ils n’écoutent pas. Il n’est pas nécessaire de leur montrer des voies de compréhension, ils ne veulent pas les prendre. Alors plutôt que de montrer le combat déloyal que Heidegger a mené contre Husserl en inventant « l’être » qui n’existe pas et « l’être de l’intentionnalité » qui n’existe pas davantage puis en identifiant ce prétendu être au Dasein germanique, je me contenterai de citer les deux derniers paragraphes de la leçon de 1925 sur l’histoire du concept de temps. § 35-36.

    En 1925 Heidegger ne savait pas encore ce qu’il ferait de sa vie mais son principe d’action était arrêté. En 1945, en revanche, nous savons ce qu’il a fait bien que ses ordres aient été habilement dissimulés par lui et par ses continuateurs; en 1976, nous avons appris comment il s’y est pris pour relancer l’immense entreprise criminelle du combat pour l’être, c’est à dire pour le Dasein germanique, c’est à dire, en dernier ressort, pour satisfaire sa paranoïa.

    Les paroles de 1925 résonnent d’une étrange manière depuis que nous savons mieux par la recherche et par la publication de la Gesamtausgabe ce qu’il a pensé et écrit. Je ne ferai que reprendre la traduction d’Alain Boutot en corrigeant toutefois un contre sens magistral: la traduction de « schuldigsein » par « être en dette », car c’est bien de « l’être en faute » qu’il s’agit sans aucune dérogation possible. .Il suffit de relire le § 58 d’Être et temps pour se rendre compte qu’Heidegger lui-même rejette la conception de l’être en dette. La traduction de « schuldigsein » par « être en dette » montre que nous sommes ici dans une mécompréhension totale de Heidegger. Notez que je préfère cette attitude à une adhésion au nazisme.

    Mais il ne faudrait pas que ça dure trop longtemps car le contre sens pourrait conduire au prosélytisme et l’enrôlement s’effectuerait alors quand même. Pour le coup nous serions dans l’être en faute français, c’est à dire dans la pur collaboration.

    La base réelle de Heidegger, ce n’est pas le « Geworfenheit » (l »être jeté »), c’est « l’être en faute » (« schuldigsein »), l’engagement dans « l’être en faute », la « décision résolue » à partir du parti d »y voir clair en conscience ». Mais ce « y voir clair  » est-il réellement « clair »? Le « oui » à la promotion de la race germanique à n’importe quel prix, n’est-il pas plutôt motivé par un rejet passionnel? D’un monde, l’autre. L’attitude de Heidegger est analogue à celle du prêtre renégat Mathan dans Athalie de Racine. « Je servirais encore le dieu chrétien si j’avais obtenu ce que je voulais », dit-il en substance. Mais comme il m’a humilié, eh bien, moi , je vais devenir un nouveau dieu contre lui car il n’a pas plus de transcendance que moi aujourd’hui puisqu’il est mort. Je vais devenir dieu contre lui qui n’est plus qu’une ombre : le grand « dieu temporel » du Léviathan de Hobbes. Pour cela j’ai simplement besoin d’une armée, d’une milice et d’êtres résolus.

    Son entreprise a marché jusqu’en 1945, mais en 45 elle a capoté. Aussi présomptueux que Napoléon, il a échoué. Mais il a évité Sainte-Hélène et surtout, il a évité la potence. Mieux, si on en croit Laure Adler, il s’est encore payé une petite juive après la défaite de son armée. Car pour elle, Martin ne pouvait pas être le criminel qu’il a été. Criminel en puissance peut-être mais meurtrier de masse, non Pour elle, c’était impossible à admettre. Et pourtant!

    Cette décision d’être en faute, Martin l’a prise très tôt. Je dirai en 1911. Lorsqu’il a abandonné l’évangile du Christ pour le négangile de Nietzsche, le Christ pour Zarathoustra, « l’amour du prochain » pour « l’amour du lointain ». La Généalogie de la morale lue à travers Max Scheler lui a parlé de la « vengeance juive ». Vengeance qu’il a aussitôt plaquée sur sa propre situation, à travers laquelle il a interprété son vécu, son humiliation, sa souffrance morale et son esseulement. Explication simpliste mais suffisante pour basculer d’un camp dans l’autre, pour prendre le parti « d’y voir clair en conscience » et d’agir pour « libérer les prisonniers de la caverne », c’est à dire les Germains, de leurs chaînes.

    Voilà pourquoi l’antisémite Max Scheler était pour lui « la force la plus grande de la philosophie allemande ». L’homme du ressentiment est devenu son livre de chevet. Heidegger est passé de l’antisémitisme catholique d’Abraham a Sancta Clara à l’antisémitisme du jeune éraste souffrant et humilié. Cet antisémitisme-là a la violence d’Achille vengeant Patrocle en anéantissant Troie. Une seconde guerre de Troie se préparait. Elle a eu lieu, n’en déplaise à Giraudoux. Il avait suffi pour cela, quelques années plus tard que le parlement donne les « pleins pouvoirs » à Hitler, son écuyer fidèle devenu chancelier de sa Nouvelle Germanie.

    Heidegger n’a pas été seulement le chantre de la Germanie comme on pourrait le croire en passant vite sur son œuvre. Il a été son maître d’œuvre. C’est lui qui a conduit les violons du bal. Car, sous l’apparence des cours de philosophie, c’est autre chose qui se joue: » « Ce qui se passe avec le dire poétique correspond – sans lui être identique -, dit-il, à ce qui se passe avec le dire de la pensée philosophique. Dans un véritable cours de philosophie, par exemple, l’important n’est pas ce qui est directement dit, mais ce qui, dans ce dire est réservé au silence. C’est pourquoi il est facile d’écouter des cours de philosophie et de les prendre en note tout en les entendant à contre sens – non dans le sens accidentel où l’on comprendrait mal certains mots ou concepts, mais au sens fondamental où, par un contresens essentiel, l’on ne remarque pas de quoi et à qui il est réellement parlé ». (La Germanie 49-50).

    Ces paroles du semestre d’hiver 1934-35 m’ont toujours intrigué et ont particulièrement attiré mon attention. A qui parle-t-il? Et, de quoi parle-t-il si ce n’est pas de ce qu’il semble dire? Pourquoi l’important est-il ce qui dans le dire est réservé au silence? Il est manifeste qu’il y a anguille sous roche. L’anguille est d’autant plus visible que quelques pages avant il avait écrit: » Notre entreprise est tout au plus semblable à ces échafaudages de cathédrale qui n’existent que pour être démolis » (p.35). Nous savons par d’autres textes que le nazisme a été assimilé par les nazis à la construction d’une cathédrale. Si les commentaires de Hölderlin sont les échafaudages de la Germanie c’est que Heidegger joue un rôle directeur dans cette entreprise. Il devient évident des lors que ceux à qui il est parlé, ce sont les exécutants et nécessairement des exécutants de haut niveau. Un penseur de la stature de Heidegger successeur de Husserl ne va pas s’abaisser à s’adresser à un balayeur des rues, sauf pour aller à la pêche aux voix pour plébisciter Hitler.

    A qui Heidegger s’adresse-t-il donc du haut de sa chaire de l’université? Je vous laisse le soin de répondre. La nuit des longs couteaux vient d’avoir lieu. La Germanie se construit.les ordres vont être transmis à celui qui exerce les fonctions de maitre d’ouvrage. Comment? A l’armée tout se fait par estafettes interposées. La chose est convenue d’avance.

    Ces paroles font écho à celles du cours sur la Phénoménologie de Hegel de 1930 sur le « silence » sur la préparation du bûcher et sur la nécessité de « se mettre à l’œuvre », que j’ai déjà citées. Pour réaliser la mission dévolue à la Germanie.il sera nécessaire comme cela est dit dans l’introduction à la métaphysique et dans le cours sur Schelling de réaliser le mal car avec la transmutation nietzschéenne des valeurs tout s’inverse, l’ancien Bien devient le mal et l’ancien MAL devient le BIEN. Cela est répété dans le premier cours sur Nietzsche en 1937: la Volonté de puissance en tant qu’ART.

    Voilà ce que représente « l’être en faute » par rapport à la grille des valeurs antérieure. Après l’ère chrétienne, l’ère germanique.

    Qu’est-ce qui a décidé de l’ère chrétienne? Les croisades et la bataille de Lépante contre les Mahométans. Qu’est-ce qui décidera de l’ère germanique? La croisade nazie, c’est à dire la croisade menée au nom de l’inversion des valeurs nietzschéennes contre les geôliers de la Caverne. Le monde aux yeux de Heidegger est devenu une geôle de Reading. Il faut le libérer. Seulement pour créer l’ère germanique pour des millénaires, il faut un nouveau dieu autour duquel tout s’organise, ou pour parler en termes heideggériens « tout se fait monde ». Pour créer la nouvelle ère de la Germanie il faut nécessairement être en faute. Mais être en faute, ici, selon Heidegger, ne signifie pas avoir un comportement déviant , au contraire. Être en faute signifie être dans son être le plus propre, c’est à dire être germain avec toute la puissance de ses instincts. Être ce qu’on était avant que le christianisme ne vienne anéantir nos dieux , lorsque la Terre était la Terre des Aryens comme les nuages sont les nuages du ciel. Pouvoir être dans l’avenir ce qu’on était dans son passé avant l’enjuivement nécessite une action de nettoyage. Effectuer ce nettoyage c’est ce qui s’appelle être en faute par rapport à la morale d’amour du prochain. Mais ne pas vivre pour le lointain c’est aussi être en faute par rapport à son propre devoir être. Que vaut-il mieux? Vivre son pouvoir être, renouer avec la tradition aryenne initiale, la tradition grecque, ou être dans les chaînes des « contempteurs  » du genre humain véritable, la souche aryenne?

    C’est avec des mythes de cette envergure que Heidegger a séduit les jeunes générations qu’il a poussées à la guerre et poussées ensuite au crime de mase et au génocide prétendument « purificateur ». Dès 1913, sur le Haut Meissner, près de Cassel, il prêche la nécessité de se conformer à l’être intérieur, l' »Eigene », dans tous les sens du terme. Nous ne ferons pas un dessin supplémentaire.

    C’est cet être en faute qu’il préconise en 1925 en n’hésitant pas à dire que le Dasein germanique est le temps lui-même. « Le Dasein temporalise son être en tant que temps ». Nous apprendrons en1934 dans La Germanie que « la patrie est l’être lui-même » ce qui précise le sens de ces paroles de 1925: » L’être en faute qui est ici posé, c’est l’être de l’être été le plus propre. L’être de l’être-été, c’est le passé, de telle sorte, à vrai dire, que, étant ainsi, je suis moi-même et ne suis rien d’autre que le futur du Dasein et par là son passé (Souligné par Heidegger). L’être dans lequel le dasein peut être proprement son entièreté, c’est le temps. (….) le temps que nous sommes nous-mêmes » (Histoire du Concept de temps p.461-462).

    Nous sommes maintenant en mesure de comprendre les deux derniers paragraphes de ce cours § 35 et § 36. Il s’agit d’aller au devant de la mort pour ressusciter le passé et ainsi pouvoir être-soi débarrassé de toute gêne (c’est la même racine que géhenne) d’origine étrangère. Ecoutons la leçon de séduction de Méphisto-degger et le pousse au jouir de l’ancien séminariste, de l’être qui s’est défini comme « l’être-jeté »:

    « Dans le choix de moi-même, en tant que ma possibilité, je choisis moi-même mon être. (…)Si le dasein peut se mettre lui-même à s’avancer vers sa mort en tant que décision résolue, il peut devenir responsable de soi-même en un sens absolu. Il « peut » se présupposer soi-même dans son être, c’est à dire se choisir soi-même. Dans ce choix ce qui est choisi n’est pas autre chose que le fait de vouloir avoir conscience. (…) Il s’agit pour le Dasein de se choisir en ayant entente de la pleine transparence du Dasein comme d’un tout. Il n’y a que cette seule possibilité s’avancer vers la mort qui permette de choisir le Dasein non pas pour les deux prochains jours mais dans son être lui-même. S’avancer, c’est choisir de vouloir avoir conscience. Mais celui qui agit, comme le disait déjà Goethe, est toujours sans conscience. Je ne peux être vraiment sans conscience que si j’ai choisi de vouloir-avoir-conscience.
    Celui qui agit est sans conscience, c’est à dire que dans l’être-ensemble-les-uns-avec-les-autres, il est nécessairement en faute, non pas au sens où il aurait commis quelque faux pas, mais dans la mesure où il agit avec les autres, et dans cette mesure même, le Dasein est eo ipso en faute même si – et justement si – il ne sait pas qu’il porte atteinte à autrui ou le détruit dans son Dasein. En choisissant de vouloir avoir conscience, j’ai en même temps choisi d’être en faute. Corrélativement , le véritable mode d’être du Dasein à l’égard de sa possibilité la plus extrême et la plus propre (l’être en avant de soi-même le plus propre accompli à partir de soi-même) consiste à s’avancer de la façon qu’on a dite, c’est à dire à vouloir avoir conscience, ce qui signifie en même temps que le Dasein choisit par essence d’être en faute pour autant qu’il est. »

    « Mais s’avancer dans la possibilité d’être la plus propre n’est rien d’autre qu’être mon devenir-être le plus propre. L’être en faute qui est ici posé du même coup, c’est l’être de l’être-été le plus propre. L’être de l’être-été c’est le passé, de telle sorte à vrai dire que, étant ainsi, je suis moi-même et ne suis rien d’autre que le futur du Dasein et, par là, son passé. L’être dans lequel le Dasein peut être proprement son entièreté en tant qu’être-en-avant-de-soi, c’est le temps.
    Non pas le temps est, mais : le Dasein temporalise son être en tant que temps.(…) Les mouvements de la nature sont totalement hors du temps ; ils ne font encontre dans le temps que pour autant que leur être est mis à découvert comme pure nature. Ils font encontre dans le temps que nous sommes nous-mêmes »

    FIN DU COURS du semestre d’été 1925

    Que conclure de ces pages ? Que le dieu à venir Dionysos qui s’apprête à renaître de ses cendres se prépare des soldats pour engager la guerre contre la Judée et conquérir la domination mondiale grâce à la puissance de la Germanie. (« cette race qui possède l’aptitude à la domination absolue sur la terre » 1940 La métaphysique de Nietzsche),

    Manque de chance .ça a foiré. « La fortune est femme » lui avait pourtant dit Machiavel mais il n’en avait pas tenu compte. Il croyait trop en son étoile. C’est d’ailleurs le seul empire qui lui soit resté.
    50 millions de morts pour une étoile ça fait beaucoup tout de même.. Vous ne croyez pas ? Alors je pense qu’il a bien mérité le nom de Méphisto-degger. Le « Voyant » de Messkirch n’était qu’un faux voyant, un Calchas sanguinaire qui n’a pas hésité à sacrifier toute la Judée pour satisfaire son ambition complètement délirante de domination divine du monde. Divine peut être dans son esprit mais satanique dans les faits. S’avancer vers la mort en regardant vers le lointain cela signifie s’avancer ensemble sur le champ de bataille et tirer. Voire se faire tuer. Mais tirer et se faire tuer pourquoi ? Pour satisfaire le rêve d’empire d’un mégalomane complètement cinglé. Et le pire de tout, c’est que ça a marché. Pauvre humanité !!! Voilà le personnage en qui se complaisent les heideggériens français.

    Michel Bel 07.03.2006

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  25. monsieur Misslin, votre remarque est très intéressante et je vous remercie de vos suggestions. Je voudrais tant pouvoir répondre à votre attente seulement nous ne sommes pas sur la même transmission d’information. Il s’agit bien de la même émission mais l’une est en blanc et noir, l’autre est en couleur. Tout ce que vous avez vu sur l’auteur est juste. Il a consacré sa vie à produire une Weltanschauung pour la Nouvelle Germanie. Tout à fait d’accord. Seulement il n’a pas fait que ça. Et c’est ici qu’intervient la couleur, faible d’abord, puis de plus en plus intense. Dès 1909 Heidegger préside déjà des cérémonies d’une importance non négligeable. Toute sa vie il a présidé et ses présidences ne sont pas honorifiques, elles sont directives. Je crois que nous ne comprenons pas en France ce qu’est la philosophie en Allemagne, pourtant Marx était un bon exemple de philosophie active.Depuis Hegel la philosophie transformatrice du monde est à la fois théorique et pratique. Elle incarne dans l’histoire sa visée du sens et fixe les étapes pour arriver à son but. La politique n’est pas faite d’une multitude d’allées et venues. Cela ce sont les subalternes qui le font. Le dirigeant politique fixe un cap, indique les étapes pour y parvenir et intervient pour le passage d’une étape à l’autre. C’est ce qu’on appelle depuis Kant l’histoire a priori. (Cf. le conflit des facultés). C’est le seul travail du prince. Donner les directives esentielles et dire mlaintenant c’est le moment de passer à l’étape suivante. Tel a été le travail de Heidegger. Ce qui lui laisse tout loisir pour peaufiner son idéologie englobante. Quand je dis qu’Heidegger a dirigé le Reich, c’est cela que je veux dire et rien d’autre. Il y a eu une planification . Heidegger et Hitler le disent, le précisent chacun à sa façon, dans La Germanie, dans le Rhin, dans La volonté de puissance en tant qu’art, dans Mein Kampf. Je ne peux pas me substituer à eux. Je les écoute. Mais chaque fois ce sont de très longues pages qu’il faut écrire pour montrer ce travail dans le détail. C’est pour ça que je dis aux lecteiurs: lisez les tzxtes d’Hitler, lisez les textes de Heidegger. Bien sûr que c’est du boulot. Comment faites vous pour conduire? Vous faites l’effort d’apprendre les réflexes nécessaires. Eh bien c’est pareil. Pour lire Heidegger il y a une foultitude de réflexes à acquérier, de renvois, de cliquetis d’échos, de jeux de miroirs à s’approprier. Les visées se répondent d’un livre à l’autre, s’enrichisent se complexifient mais ces visées ne sont pas purement théoriques. Heidegger vous le dit tout au long de ses cours, de ses conférences, de ses écrits. Le travail sur toute cette manière de procéder est énorme et ce n’est pas dans un blog qu’on peut le mettre en évidence. J’ai indiqué depuis plus de huit mois une multitude de pistes. mais je ne peux pas faire le travail à la place du lecteur. Le style allusif de Heidegger ne se prête pas à un traitement ordinaire. Il faut faire une lecture symptômale très longue puisqu’elle porte sut la globalité de l’oeuvre même si on ne peut atteindre la totalité. Il ne peut pas y avoir de digest de Heidegger. Voilàce que je peux vous dire. Inutile de vous dire que pour les historiens se contenter de travailler sur Hitler était du pain bénit, je dirai presque la solution de facilité. Mais…le ciel étoilé est beaucoup plus vaste.
    A bientôt.
    Michel bel

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  26. Bonjour Monsieur Bel,

    Merci de me répondre avec tant de patience. Je cite un extrait tiré de « Histoire du concept de temps » qui figure dans votre avant-dernier message: « L’être de l’être-été, c’est le passé, de telle sorte, à vrai dire, que, étant ainsi, je suis moi-même et ne suis rien d’autre que le futur du Dasein et par là son passé ». Mon problème est le suivant: de même que je ne peux pas supporter la musique wagnérienne alambiquée, laide, besogneuse, plate derrière son pompiérisme et que je préfère, comme Nietzsche Bizet, de même je n’arrive tout simplement pas à lire cet infâme baraguinage teuton sans tomber dans un ennui si profond, existential en diable, que je m’endors, sous l’effet d’un véritable réflexe de défense contre les éventuelles lésions cérébrales que de pareilles productions pourraient provoquer. Que des penseurs allemands, habitués au teuton, aient pu lire avec intérêt et profit Heide, pourquoi pas. Mais que des penseurs français, habitués à lire du Montaigne, du Descartes, du Diderot ou du Bergson aient pu digérer cette atroce littérature, cela dépsse mon faible entendement. Même si vous n’aimez pas Nietzsche, ce serait drôle si l’on avait pu avoir ses réactions à la lecture de ce charabia, et de même celles d’un Schopenhauer dont l’écriture est si limpide, française ai-je envie d’écrire, mais je ne veux pas être chauvin! Mais comme par hasard, ces deux penseurs fuyaient l’université et écrivaient pour ceux qu’on appelait chez nous, au XVIIème siècle, les « honnêtes hommes ». Je suis prêt à vous suivre quand vous affirmez que les universitaires allemands avaient, depuis du reste le XIXème siècle, l’ambition d’exercer une influence sur le pouvoir politique. Je suppose que les philosophes devaient pourvoir le pouvoir en « idées ». Que Heide ait été animé par ce genre d’ambition, je n’ai aucun mal à l’admettre. Qu’il l’ait fait dans ses cours, ses conférences, ses discours et même dans des commissions ad hoc, et peut-être dans des cercles fermés, ça non plus ne me paraît pas inimaginable. Mais qu’il ait été le véritable décideur des horreurs nazis (guerre, exterminations, terreur), j’avoue que (pour le moment), je n’arrive pas à faire le pas. Il reste pour moi un vrai « boche » de base de l’époque, j’en ai connu un certain nombre durant mon enfance; il leur ressemble comme deux gouttes d’eau: sûr de lui et dominateur, ganz natürlich, und so stimmungsvoll germanisch!
    Bien cordialement
    R. Misslin

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  27. Monsieur Misslin,
    si je peux me permettre, lisez ou plutôt relisez Athalie de Racine. La figure concrète du type Heidegger est déjà là. Ce qui vous fait peut-être hésiter à franchir le pas c’est que vous, vous ne l’auriez pas franchi. Et je vous comprends. Mais c’est parce que vous n’êtes pas un passionné vindicatif. Lorsqu’un passionné est frustré surtout à l’adolescence – et Heidegger a été bloqué à l’adolescence par la répression de sa relation d’amitié avec Gröber- il peut aller jusqu’aux crimes en série et aux crimes de masse. Achille est l’exemple le plus célèbre dans la littérature, je n’ose pas dire dans l’histoire mais Fustel de Coulanges dans la Cité antique présente le monde antique en proie à ce genre de passions destructrices. Détruire tout un peuple parce qu’on a été frustré par un membre de ce peuple ou par un membre d’une communauté influencée par ce peuple n’a rien de surprenant. Simplement vingt siècles de christianisme et un peu moins d’années d’humanisme nous avaient fait oublier cela. Mais Kant et Heine nous avaient dit de nous tenir sur nos gardes et de nous méfier. Et Heine n’y allait pas avec le dos de la cuillère lorsqu’il parlait des Allemands.

    On pouvait penser qu’il exagérait, c’était au contraire très sensé. Ceci dit fort heureusement les Allemands comme Heidegger sont rares . Il faut une accumulation de frustrations pour en arriver là et à trois niveaux: sexe, travail, patrie. C’est à dire un sentiment insoutenable de négation totale de soi. Heidegger vous fait la confidence de tout cela. Il faut le lire. Tout comme il faut lire sa leçon inaugurale où il fait aussi beaucoup de confidences. Il va même plus loin que les confidences et il expose son engagement réel dans l’histoire: « La philosophie – ce que nous appelons ainsi – n’est que la mise en marche de la métaphysique par laquelle elle accède à soi-même et à ses tâches explicites. Et la philosophie ne se met en marche que par un saut (« Einsprung »)spécifique de mon « existance propre » (de mon Dasein en personne) dans les possibilités fondamentales du Dasein dans son ensemble ».

    Naturellement pour comprendre ce passage, il faut remettre en cause la traduction de Froment-Meurice, disciple de François Fédier (on les retrouve partout) et les commentaires de Michel Haar. Il faut aller au texte même. Et alors vous ne serez pas surpris de voir que la « mise en marche » de 1929 est aussi celle de 1933 et celle de la tentative de reconstitution du mouvement nazi par Heidegger par la réédition en 1953 de Être et temps et de l’Introduction à la métaphysique. Il s’agit de réaliser le « grand dessein ».

    François Vezin n’y est pas allé par quatre chemins, il a appelé cette mise en marche la mobilisation. Et il a eu entièrement raison. Il a abandonné la traduction littérale pour retrouver le véritable esprit du texte qui exprime les intentions de Heidegger.(Être et temps. Avertissement pour la 7° édition 1953 NRF 1986).

    Combien de fois devrai-je répéter les choses sur les blogs pour que l’esprit de Heidegger commence à pénétrer dans la tête des Français. Si vous, vous ne les avez pas lus, d’éminents philosophes les ont lus et certains les enregistrent en se gardant bien de prendre part au débat. Ces philosopohes « secrets » fuient l’agora, ce lieu d’échanges où la vraie philosophie est pourtant née.

    Que vous soyez allergique aux traductions françaises de la prose de Heidegger, je le comprends. Mais puisque vous connaissez l’allemand, lisez-le donc en allemand. L’esprit de sa prose pénètrera plus facilement en vous. Et surtout vous capterez beaucoup de nuances qui ne passent pas en français sauf en ajoutant des adjectifs ou en faisant des périphrases lourdes et compliquées. Réfléchissez à ce que peuvent signifier à l’époque dans l’esprit de Heidegger les « possibilités fondamentales ». Il n’a pas hésité à parler de gigantomachie en 1927.
    La mise en marche du Dasein allemand, c’était quelque chose avec Heidegger à sa tête. Mais pas à la tête du cortège , non. Trop visible. Ce n’est pas de cette théorie là qu’il rêve. (théoria au sens premier signifie la procession des députations que le peuple voit -theôros-)mais en tant que fer de lance de la métaphysique mettant en marche le Dasein.

    Froment-Meurice a traduit Dasein par « réalité humaine ». C’est un contre sens. Heidegger se fiche totalement de la réalité humaine dans son sens universel. Il combat à mort l’idée de genre humain. Pour lui il n’existe que des souches (traduisez: races) et à la tête de ces souches, une souche privilégiée: le Dasein, qui désigne le Dasein germanique exclusivement comme il le dira cinq ans plus tard dans la Germanie et plus clairement encore l’année suivante dans l’Introduction à la métaphysique. Je ne sais comment il faut faire pour être plus clair. Si on ne veut pas comprendre qui est et qui a été Heidegger quand on connaît ses textes c’est qu’on est devenu son complice. Il n’y a aucune autre explication. Je vous rappelle qu’Adorno disait qu’il ne comprenait pas pourquoi les philosophes français vouaient une telle admiration à Heidegger.

    Pour ma part je peux dire: ou bien c’est parce qu’ils ne le comprennent pas, ou bien parce qu’ils sont complices. Et cela voudrait dire collaborateurs. Ce qui me paraît extrêmement grave dans la situation présente. Je préfère penser qu’ils ne comprennent pas, qu’ils n’ont pas encore vu. Pourtant je me dis, ce n’est pas possible que des penseurs comme Courtine, comme Marquet, comme Vaysse ne comprennent pas. A moins qu’ils aient mis du béton dans leurs yeux. Auquel cas la philosophie se transformerait en « béton-sophie » mais je n’en ai jamais entendu parler. Il ne faudrait pas que par un effet de glissement dommageable, la persévérance dans la recherche se transforme en obstination dans l’aveuglement.
    michel Bel

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  28. Bonjour Monsieur Bel,

    Dans votre scénario, il y a plusieurs points très bizarres qui, faute de preuves (car l’explication de textes n’est évidemment pas suffisante, et de loin), rendent cette hypothèse si invraisemblable:
    – si des spécialistes de philosophie, comme ceux que vous appelez les « heideggeriens », n’ont rien trouvé de louche dans les oeuvres de Heide, croyez-vous vraiment que des gens non initiés au langage philosophique pouvaient comprendre le message codé de Heide?
    – mais, l’obstacle qui me paraît encore plus grand c’est de devoir admettre, si l’on vous suivait, que Hitler, Goebbels, Göring avaient besoin de Heide pour être inspirés. Sur ce point, Monsieur Bel, il vous faudra apporter des arguments autrement plus percutants. Votre hypothèse surestime, à mes yeux, les capacités de Heide, et réduit les protagonistes nazis à n’avoir été que des marionnettes entre les mains de Heide qui les auraient manoeuvrer comme des bleus! Peut-être en tant qu’intellectuel avez-vous tendance à surestimer les idées et à sous-estimer les hommes d’action. Hitler n’était pas le falot qu’on décrit parfois, c’était quelqu’un de redoutable dans la mesure où justement sa paranoïa s’accompagnait d’aptitudes manoeuvrières évidentes. Quant à Goebbels, vous connaissez aussi bien que moi ses remarquables capacités de propagandiste: c’est lui qui a orchestré de mains de maître la formidable intoxication de masse. A côté de ça, les interventions du lettré Heide sont du pipi de chat.Encore une fois, loin de moi l’idée de nier son allégeance au régime, mais pour moi, même si son oeuvre comporte une véritable idéologie d’extrême-droite radicale enrobée dans le baraguignage philosophique, à mon humble avis, il a été complètement dépassé par le régime, comme beaucoup d’autres. Et sans doute, le régime lui-même, à un certain moment, a été emporté dans la débacle parce que plus personne n’était capable de maîtriser l’ouragan qu’il avait déclenché. Ce sont des phénomènes courant dans l’histoire des hommes: cf le délire napoléonien, cf la terreur déclenchée par un Robespierre submergé. Le risque de l' »ubris » est inhérente à l’homme, car notre cerveau a subi une croissance évolutive allométrique. C’est bien cela le danger des régimes totalitaires: confier un pouvoir politique absolu à un individu est une folie tragique.
    Bien cordialement
    R. Misslin

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  29. Monsieur Misslin, tout ce que vous dites est vrai. Vous me décrivez toutes les pièces de la voiture, il manque simplement le conducteur. Un détail, n’est-ce pas? Malheureusement votre manque de connaissance de Heidegger vous fait mettre la charrue avant les boeufs. je ne pense pas que ce soit ainsi qu’on laboure. Goering était une pièce centrale dans le jeu de Heidegger. Reste à savoir ce que vous entendez par « inspirer ». Nous ne mettons sûrement pas la même réalité sous ce mot. Et quand on ne parle pas de la même chose on ne peut pas s’entendre.Bien à vous,
    michel bel

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  30. Bonjour Monsieur Bel,

    La question pour moi n’est pas de lire ou de ne pas lire Heide, la question, c’est le rôle politique central que vous donnez aux écrits de Heide, et quand je dis rôle, c’est peu dire, il faudrait dire que ces textes sont de véritables ordres codés adressés à des exécutants qui s’appelaient Hitler, Goebbels, Göring et Cie. Supposons que Heide écrivait dans ce but. Mais cela est absurde, car pourquoi aurait-il éprouvé le besoin de prendre le risque énorme de publier ses ordres, même sous une forme secrète: il suffisait qu’il ait à sa disposition des émissaires qui transmettent ses ordres à qui de droit. Est-ce qu’il est pensable un instant que Heide, qui était la prudence même, donne des ordres militaires, politiques, économiques sous la forme d’écrits philosophiques? Tant que vous n’aurez pas démontré comment il faisait pour diriger effectivement le IIIè Reich, comme vous le prétendez, autrement qu’à travers SuZ et autres productions, votre hypothèse est celle de quelqu’un qui adore se raconter des histoires. Pourquoi pas!
    Cordialement
    R. Misslin

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  31. Cher Monsieur Misslin,
    vous avez toutes les preuves sous les yeux et vous ne les voyez pas. la preuve la plus forte, la preuve massive vous est donnée par la volonté de reprise du combat aussitôt après la défaite. La première bataille du combat pour l’être a échoué, Heidegger s’empresse de « remettre ça » aussitôt après sa cure. Les textes de 1949 et de 1953 sont abominables. Ce n’est pas en tant que professeur qu’il a écrit ces textes, c’est en tant que président secret du Reich. Ce président qu’il a fait comprendre qu’il était dans tous ses cours et dans tous ses discours depuis 1916 (conclusion du Duns Scot). Mais quand allez-vous donc ouvrir les yeux? 1916-1976: soixante ans de conception et de dirigisme du Reich. Ne voyez-vous donc pas? Mais relisez donc Machiavel, Langbehn et Sombart! Ils vous éclaireront. Toutes les raisons évoquées par les historiens traditionnels ne sont que des raisons secondaires qui se subordonnent à la raison principale: changer de monde. Passer d’un monde soumis au judéo-christianisme (mission des Juifs- Saint Yves d’Alveydre -1884) à un monde dominé par le germano-nietzschéisme (mission dévolue aux Allemands)- construction de la Germanie planétaire. Ne voyez-vous pas que ce projet recouvre tous les autres et les englobe? Le combat pour l’être tel qu’il est conçu par Heidegger subsume toutes les autres raisons de reprendre le combat et d’entrer en guerre. Les revanchards, les ambitieux, les déracinés, les antisémites, les homosexuels, les anticommunistes, les instituteurs et les ouvriers au chômage, les militaires exclus de l’armée par le traité de Versailles y trouvent leur compte. Tous sont pour le projet de Grand Reich qui réunira et rassemblera tout le Dasein germanique. Heidegger est le grand rassembleur. C’est lui qui parle à l’élite intellectuelle. A partir du moment où les gens sont rassemblés sur le même dessein, lui peut voir plus grand et se prendre pour le Dieu, le dernier Dieu et mener le combat pour son épiphanie. Il a trouvé la bonne « méchané » pour satisfaire son orgueil qui apparaît illimité. Lui le séminariste rabroué, lui le philosophe pauvre , il va prendre sa revanche sur toutes les humiliations et surtout sur celle que lui a infligée Husserl en choisissant Edith Stein pour assistante .(Elle, il l’enverra aux fours crématoires).

    Quand on sait bien lire les lettres à Elfriede on voit qu’en 1916 il est très mécontent de la chose. Il ne prononce pas le nom d’Edith dans les lettres qui ont été publiées mais il se plaint de l’enjuivement. Quand on enquête sur la situation de l’université à cette époque pour connaître la situation particulière de Heidegger, on comprend mieux.

    Ses troupes feront disparaître l’enjuivement. Heidegger est un « forcené » d’apparence calme. Mais d’apparence seulement.

    Il n’y a que quelques personnes dans la confidence. Mais parmi ces quelques personnes toutes cooptées, Hitler est et reste « l’unique frère ». C’est lui qui va exécuter les ordres pour réaliser le dernier empire de l’être, celui qui ferme la boucle de l’Eternel Retour, celui du Surhomme. Et c’est à la Germanie, pour Heidegger, qu’est dévolue cette tâche ( cf. De l’origine de l’oeuvre d’art).

    Je ne sais plus comment faire pour ouvrir les yeux des gens. Qu’est-ce que nous pouvons être coincés par nos catégories de pensée inappropriées! C’était le premier constat d’Heidegger en 1916. Tout son Duns Scot porte sur cette question. Mais qui lit son Duns Scot?, alors que tout son programme ontologico politique est déjà là. Hegel lui a donné le sens de la mission germanique. Nietzsche lui en a donné le contenu. Tels sont les deux axes de la cathédrale qu’il commence à construire. Schelling lui en a fourni le choeur et les autres philosophes ou écrivains , les absides. L’office est nourri de la parole de Hölderlin et il en sera ainsi , dans le grand Dome de Berlin à la fin du combat. Mais Heidegger a vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Ou plutôt la peau du Dieu. Ce dieu chrétien que détestent tant les impérialistes germaniques.

    Quand vous aurez compris la logique interne de Heidegger vous serez surpris de ne pas avoir compris avant. Eh bien , non, il faut rentrer dans les intentionnalités pour comprendre. Cela ne se saisit pas de l’extérieur. il faut à la fois faire intervenir la phénoménologie et la longue durée. Nos plus grands historiens français (Braudel, Le Goff, Duby) ont particulièrement bien compris cela mais ils ne se sont pas attaqués au nazisme. Et ils savaient très bien pourquoi, ils ne maîtrisaient pas l’intentionnalité. La genèse du nazisme est toujours restée en jachère et pour une raison bien simple: les grands historiens n’étaient pas des spécialistes de la philosophie et les spécialistes de la philosophie n’étaient pas des historiens. Le cloisonnement des disciplines a toujours empêché la progression de la recherche. Avec Hegel, Marx et Heidegger la spécilisation sclérosante a volé en éclats mais l’université française ne l’a pas compris. Elle fonctionne toujours dans son cloisonnement stupide comme les dinandiers artisans dans les vieilles boutiques de Sarajevo. Et pourtant Bergson dès ses premiers discours sur la spécialité avait tenté de lui ouvrir les yeux. Peine perdue!

    Heidegger en revanche en a pris de la graine. Sans la vision du monde de Bergson, il n’aurait rien été. Mais cela ni les philosophes ni les historiens français ne l’ont compris, sauf un parce qu’il était cosmopolite et seulement français d’adoption: Lévinas. Ce n’est pas parce que Heidegger a critiqué Bergson qu’il ne l’a pas pillé. Mais combien de parricides Heidegger n’a-t-il pas commis! Il s’est même payé un déicide avec un holocauste en prime, pour mieux le réussir. Ce n’est pas beau, ça? C’est de la grande philosophie, non?. Du « grand style » comme il se plaisait à dire dans sa prédication sur Nietzsche.

    Alors vous savez, votre Goering, votre Goebbels, votre Hitler, ce n’étaient que des sous-fifres. des engrenages du processus. Pas l’ingénieur constructeur de la machine et chargé par sa « voix intérieure » de son fonctionnement. « Commander, seul le peut, celui qui obéit à la voix intérieure ». Excusez-moi de vous le dire, mais vous n’avez pas lu les textes. Vous ne les avez pas pesés à leur poids plein. Vous avez surfé. Mais nous ne sommes pas ici à Hawaï, nous sommes en Germanie et en Germanie on pèse au trébuchet les mots de Hegel, de Nietzsche et de Eugen Fischer. En Germanie, l' »idéalisme » est un « réalisme ». Schelling a inauguré la lignée de ces funambules de la « conciliation des opposés » proposée par Nicolas de Cuse. L' »idéalisme-réalisme » allemand chez des êtres puissants, frustrés par le christianisme, et emplis de haine envers lui ne pouvait donner que le nazisme.

    De l’ancien catholicisme au nazisme un seul fil réunit les adeptes de la Germanie: « Un grand amour et une grande haine ». Un grand amour pour la Germanie, une grande haine pour la Judée ». Heidegger s’est réclamé de cet idéal dans « Der Gral » dès 1908 sous la signature ambiguë du Herausgeber: Hg . Mais à cette époque-là, combien il se dissimulait tout en faisant du prosélytisme pour la revue et pour les soldats du « Gral »! On sait ce que la branche du Gralbund qui a suivi Heidegger est devenue: le Nazibund. C’est ce président du Gralbund qui est devenu quelques années plus tard le président du Nazibund.

    Mais qui a étudié cette période trouble de la vie de Heideggar marquée par l’opposition au thomisme imposé par PieX ? On a étudié le modernisme avec quelque soin. Mais l’impact de sa condamnation par Pie X en 1907 est resté en jachère surtout pour ce qui concerne l’Allemagne . Et quand Heidegger dit dans son dialogue « merdique » et méprisable sur « la dévastation et l’attente »: « on nous empêchait de penser », il dit l’exacte vérité. La revue Gral a même fait de ce thème un de ses éditoriaux. Mais la parole n’était pas seule en jeu. Derrière la parole il y avait la libido. On ne nous empêchait pas seulement de penser on nous empêchait aussi d’aimer et de baiser. Et cela c’était trop pour des adolescents qui se sentaient en cage derrière les barreaux de la prison de l’Eglise catholique, pire, des séminaires tenus par des jésuites dont certains pères étaient hyper rigoureux, d’autres laxistes.

    Heidegger, par Hitler interposé, se servira de cet argument en 1937 contre l’Egise catholique pour détruire les Congrégations et faire rentrer toute la jeunesse sous son giron. Ce sera la campagne contre les moeurs de l’Eglise.

    Mais que faut-il donc faire pour ouvrir les yeux des Français qui attendent que se réveille à nouveau la « belle au bois dormant » c’est à dire la « Germanie »? (cf le tableau du château de Goslar (la Kaiserstadt am Harz). C’est bien dans le Harz qu’avait eu lieu en 1913 la rencontre de tous les jeunes Allemands sur le Haut Meissner, à l’exception du Wandervogel qui avait boudé ce type de rassemblement. Le Harz n’avait pas été choisi par hasard.C’est là que Heidegger pour la première fois avait posé les jalons de la transformation de « l’homme intérieur ». Jalons dont il répètera la nécessité avant le cours sur le Sophiste en 1924 à Marbourg. C’est à Kassel , pour la première fois que l’embryon du « Nazibund » s’est constitué. I919 n’en sera que l’amplification.

    Depuis le rassemblement du Harz Heidegger n’est plus un inconnu dans le monde « bündisch ». Mais la guerre de 14 est arrivée trop tôt. La grande ligue pangermaniste n’était pas prête et surtout elle n’était pas unifiée. C’est autour de Heidegger après 1927/1928 que l’unité commencera à croître; autour de celui que certains considèrent alors comme le futur président du Reich : Heidegger. Il a 39 ans. C’est après quarante ans, dira-t-il à Jaspers, qu’un Souabe idéaliste devient réaliste. Il aura très exactement quarante ans lors de la leçon inaugurale.(1889-1929) Il est prêt. Son chancelier est prêt aussi (« Le coureur est sur la ligne de départ n’attendant que le signal »-Métaphysique Têta 3 p.213). En attendant il s’ennuie (Concepts fondamentaux de la métaphysique – 1929). N’étant pas pris au sérieux par le patronat, en 1932 il lance son parti dans la grève générale des transports berlinois. Le coup de poker est réussi. Le patronat a pris peur. Il va avoir un pied à l’étrier. On connaît la suite. A partir de là, en dépit de quelques querelles internes les historiens sont très forts parce que nous ne sommes plus dans le domaine de l’intentionnalité pure mais dans celui des archives. Hélas, il n’y a pas d’archives de l’intentionnalité, sauf dans les cours, les discours et les conférences des protagonistes de l’historialité. Et c’est justement là qu’il faut aller chercher l’origine de l’histoire.

    Je vous remercie de m’avoir écouté.
    michel bel

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  32. Cher Monsieur Bel,

    Je suis tombé par hasard sur un texte qui résume la thèse que Georgette Mouton a consacrée à la genèse du nazisme en relation avec les mouvements de jeunesse (editions-universelles.net). A aucun moment elle ne cite Heidegger. Mais ceraines de ses phrases sont on ne peut plus concaincantes, à mes yeux:
    – « Le nazisme n’a presque rien inventé. Il a simplement exacerbé des tendances néo-romantiques déjà très répandues parmi les mouvements des jeunes (sans exception) par le Wandervogel »;
    « Tous les écrivains allemands ont répandu l’idéologie folle du Wandervogel »;
    – « Le nazisme sort de l’idéologie de la jeunesse: Himmler, Eichmann, Hoess, Darré furent Wandervögel à leur adolescence ».
    Je me demande si vous n’avez pas été contaminé par cette folie à force de fréquenter cette histoire. Que les racines de l’oeuvre de Heide plongent dans ce terreau, que son intention était de sublimer tous ces thèmes gothiques dans une philosophie du Dasein allemand, et strictement, radicalement, absolument allemand, cela me paraît d’autant plus évident qu’il venait d’un terroir on ne peut plus heimlich und völkisch. Les thèmes de ces mouvements de jeunesse contiennent tous les slogans nazis:
    – germanitude
    – paganisme
    – pureté raciale
    – exaltation nationaliste
    – judéophobie
    – culte de la nature, de la force, de la beauté
    – aryanisme.
    Je ne vois vraiment pas pourquoi les leaders nazis auraient eu besoin de chercher tout cela ailleurs, et en particulier chez Heide le confus, le dissimulé, le « talmudique ».
    Non, Monsieur Bel, votre histoire ne tient pas debout.
    Bien à vous
    R. Misslin

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  33. Monsieur Misslin,
    je connais bien la thèse de Georgette Mouton que j’aurais bien aimé interroger; malheureusement elle est décédée. Elle contient d’excellentes choses, indispensables pour comprendre le nazisme. Mais elle fait une étude d’atmosphère, non une étude de créateurs.

    Diriger en politique, ce n’est pas insuffler une culture, c’est orienter une action. Dans ses cours et ses conférences Heidegger expose sa vision d’une ontologie historiale qui est en redondance avec celles de Hegel, de Schelling et de Nietzsche. Mais ce n’est pas cela qui est important en politique. Ce qui est important pour Heidegger c’est de réaliser son grand dessein, c’est à dire de libérer l’Allemagne et de retrouver la source d’animation grecque fondée sur l’esclavage, l’art, la puissance guerrière et le culte du corps. Ces cinq orientations Heidegger les a impulsées et il les a impusées par étapes dans la temporalité de l’être en devenir. Mais le consensus était préalable.

    Le seul différend porte sur ce qu’il appelle l’incompréhension des « valets » (Rosenberg et son bureau). Le « balte obtus » comme le nomme Hitler n’a rien compris au nazisme tel que les intellectuels impérialistes nourris de Hölderlin, de Hegel et de Nietzsche le vivent. Hitler en tant que chef du parti issu du mouvement des chrétiens sociaux a été en contact avec ces intellectuels. Rosenberg jamais. Il y a des niveaux dans le parti . Heidegger donne les directives à l’élite, pas aux valets. Et il les donne en langage convenu: le langage poétique de Hölderlin. C’est ouvertement dit dans le Rhin. « Nul ne sait quand viendra le moment de transmettre aux Allemands les poèmes au premier abord les plus obscurs de Hölderlin » (NRF p.233.) S’il y a un moment pour transmettre, c’est qu’il y a une progression certaine dans la transmission des poèmes. On commence par la Germanie, on termine par Der Ister. Ce n’est pas un hasard. Entre temps on fait la corvée de bûches. Tout cela est cousu de fil balnc. Il n’est pas dificile de décider avant les opérations que tel poème correspond à telle étape, tel autre à telle autre étape. La seule chose qu’on ne sait pas, c’est dans combien de temps exactement l’heure propice, l’heure convenable, apparaîtra. il se peut même que les choses tournent au vinaigre au lieu d’aboutir (NRF p.240).

    Si vous envisagez les choses sous cet angle, vous n’avez plus besoin de vous compliquer la vie comme vous l’avez fait pour rendre compte de la politique. Voilà pourquoi Heidegger nous dit que celui qui a bien assimilé Höldelin n’a pas besoin de consulter un traîté politique . Et pour cause! Il suffit qu’Hitler et deux ou trois autres soient dans le coup et tout est joué. La politique, ça se fait à quatre ou cinq, tous les autres sont des exécutants. A la limite ça se fait peut-être à deux, tous les autres sont soumis au président et au chancelier , ce qui n’empêche pas qu’on leur laisse prendre des initiatives ou qu’on les mette en concurrence afin de choisir ensuite la meilleure solution ou pour mieux les assujettir en les rendant rivaux.

    Ce qui me laisse penser qu’Heidegger dirigeait toutes les grandes décisions dans les orientations préalablement choisies, c’est qu’Hitler ne prenait jamais de décisions immédiates. Il attendait toujours un ou plusieurs jours. Pourquoi? Vous l’avez compris. Il attendait « les voies que lui dictait la « Providence » . Alors il marchait avec assurance comme un somnambule. Kershaw qui a bien étudié cette question-là est particulièrement limpide sur ce point. Malheureusement il n’a pas compris qui était la Providence. Il a surfé sur Mein Kampf au lieu de le lire attentivement.
    Je vous en dirai davantage demain. Je n’ai pas inventé de roman contrairement à ce que vous pensez. J’ai suivi de très près les personnages dans leurs actes.

    Michel bel

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  34. Bonjour Monsieur Bel,

    Quand je vous lis, j’ai le sentiment d’assister à un film de Hitchcock, par exemple « Le crime était presque parfait ». Dans le film, c’est vous le détective! Ca c’était pour la détente.
    Dans votre dernier message, vous ne répondez pas à la question centrale que je vous ai posée: pourquoi Heide éprouvait-il le besoin de donner ses ordres en écrivant de la philosophie? Par exemple, cette histoire des poèmes de Hölderlin. Pensez-vous que les Allemands avaient besoin de ces poèmes pour survivre? Et de toute façon, de quoi parle-t-il encore Heide? Pourquoi en retarder la publication? N’étaient-ils pas déjà publiés? Quant aux commentaires de Heide sur ces poèmes, tout le monde sait bien qu’ils sont délirants, encore plus délirants que les poèmes eux-mêmes. C’est fou comme vous attachez de l’importance aux mots. Heide pensait uniquement en mots à la place des choses comme l’a bien montré M. Meschonic. Sa philosophie est l’expression d’un homme en mal d’être, pas d’un homme capable de vivre dans le réel. Il s’est construit un monde imaginaire parallèle, et sans doute ce qu’il écrivait lui permettait d’abord d’éviter de sombrer dans la démence car il était le héros de sa « geste », puisqu’il s’est incarné dans le DASEIN, un personnage sans personne!
    Bien à vous
    R. Misslin

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  35. Monsieur Misslin,
    pour bien comprendre le rôle du discours chez Heidegger permettez-moi de vous renvoyer à l’histoire du concept de temps et aux Hymnes de Hölderlin-La Germanie et le Rhin. Le cours sur la volonté de puissance en tant qu’art peut être aussi utile pour comprendre le sens du commandement ainsi que celui sur la volonté de puissance en tant que connaissance. Quand vous les aurez assimilés vous ne pourrez plus poser les questions comme vous les avez posées.

    Michel bel qui aime bien se raconter des histoires, paraît-il.

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  36. Monsieur Misslin,
    si je n’ai pas répondu à votre question c’est parce que je ne peux pas y répondre telle qu’elle est posée.
    En tant qu’universitaire structurant la future vision du monde du Reich en opposition au « on » multiforme pouvait-il se comporter autrement qu’il l’a fait?
    Ma réponse est non? C’est en s’efforçant de faire passer sa vision du monde qu’il donnait en même temps les ordres fondamentaux. Que trouvez-vous d’étonnant à cela? Le « libérateur » proposait une autre vision du monde et les moyens pour se libérer de la première. Tout est logique. Tout se tient ,non.
    Quant à Meschonic, je suis navré de vous le dire, mais il n’a pas compris grand chose à Heidegger. J’attends toujours sa réponse à mon courrier depuis plusieurs années. il n’a pas compris que le nazisme en tant qu’inversion du christianisme et du judaïsme était une messe noire satanique.
    Michel bel

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  37. Bonjour Monsieur Bel,

    C’est bien là votre problème: vous ne pouvez pas démontrer ce que vous avancez. De plus, vous êtes dans la certitude, mais c’est uniquement la vôtre, puisque vous n’avez pas les preuves réelles, concrètes, basées sur des documents historiques dûment analysés, critiqués, vérifiés, vous procédez par affirmations là où vos interlocuteurs vous demandent des faits. Prenons un exemple parmi d’autres: vous affirmez, sans fournir la moindre preuve tangible, que la providence dont parle Adolf dans Mein Kampf c’est Heide. C’est votre interprétation, de nouveau vous ne pourrez pas fournir le moindre fait précis (des échanges de lettres, par exemple, entre Hitler et Heide, des entrevues circonstanciées, des confirmations par d’autres, en particulier par des historiens). Si on me demandait comment comprendre ce passage de Hitler, je dirais que c’est tout simplement une façon courante de parler, qu’il n’y a strictement pas à chercher derrière chaque mot une grosse bête intentionnelle: après tout, Adolf était un catholique de par son origine familiale et même s’il ne croyait plus, les tournures de phrase restent acquises. Faudrait-il dire de tous les athées du monde qui disent « Ah! mon Dieu » que ce sont des croyants qui s’ignorent? Voyons, tout cela ça manque de bon sens.
    Quant à M. Meschonic, s’il ne vous a pas répondu, c’est sans doute parce que vous avez dû le décourager comme vous finissez par lasser ceux-là mêmes qui au départ sont prêts à vous entendre. Son livre est, à mes yeux, d’une remarquable pertinence, car, au lieu de lire Heide « à la lettre », au lieu d’interpréter Heide avec d’autres mots, encore et toujours, comme le feraient des philosophes, Meschonic s’est intéressé à la langue de Heide, si curieuse, si symptômatique. Et qu’est-ce qu’il y a repéré? Une langue « essentialiste », c.à.d. une langue qui aligne des mots abstaits à tour de bras, des mots qui sont délestés de tout contenu expérimental, de toute confrontation avec le réel, des mots qui planent dans une atmosphère dépourvue de toute trace de molécules, vide, creuse. On dirait que Heide écrivait comme pour s’absenter du monde, des autres. Je crois que c’est Lévinas qui a dit à son propos qu’il se prenait pour le berger de l’être, mais qu’il avait oublié les brebis. Je cite de mémoire. C’est la froideur de ce style et l’absence d’émotion et de vibration sensible que je ressens comme effrayante: c’est ce qui m’empêche de lire Heide: étrangement inquiétant comme aurait dit Freud.
    Bien à vous
    R. Misslin

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  38. Cher Monsieur Misslin,
    bien que je ne veuille nullement vous vexer je suis obligé de vous faire reconnaître que les arguments que vous avancez et qui sont légitimes au niveau où vous les avancez se situent au niveau de l’apprenti alors que Heidegger se situe au niveau du maître. Pour le comprendre il faut donc travailler au niveau du maître et non plus à celui de l’apprenti. Je ne puis entrer davantage dans le détail. Je crois avoir déjà dit que je ne démontrais rien et que je n’avais rien à démontrer . Le niveau du maître où se situe Heidegger n’est accessible qu’à ceux qui veulent faire l’effort de se hisser à son niveau. Si vous commencez à vous mettre des bâtons dans les roues dès le départ vous n’irez pas très loin. Il y a belle lurette qu’Heidegger avait rompu avec l’histoire positiviste pour travailler dans l’histoire intentionnelle. Ne prenez pas cet Anti-Christ pour moins intelligent qu’il n’est. Ne sous estimez pas Heidegger. Il était plus futé que Meschonic. Quand on conduit le Reich il faut être plus futé que les esclaves de la caverne qu’on veut libérer. Ce qui n’empêche pas comme l’avaient bien vu Platon, Spinoza et Goethe qu’on puisse être esclave de sa passion dominante. Je n’oblige personne à me croire. Je propose simplement aux gens qui savent utiliser l’esprit de finesse la seule et unique piste qui n’a rien d’évident au premier abord, qui leur permettra d’accéder au véritable Heidegger. Si les autres ne veulent pas suivre le chemin de l’intentionnalité heideggérienne je ne les oblige pas. Il en est de la compréhension en herméneutique comme de la densité des fluides, chacun se stabilise à son propre niveau d’équilibre. Peut-être serait-il bon que vous relisiez l’article de Franco Carolini que vous m’avez pourtant permis de découvrir où l’essentiel est dit sur le dieu d’Hitler. Si d’aventure vous aspirez à devenir un maître au niveau de la compréhension, apprenez à ne pas surfer sur les textes et à peser les mots que vous lisez à « leur poids plein ». C’est Heidegger qui utilise cette expression. Et Heidegger est un grand maître. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est excessivement dangereux. Plus rusé que lui il n’y a pas. Mais comme le lui a dit Hannah, il s’est pris à sa propre ruse et bien que ce soit à ses dépens, il a fait souffrir l’humanité au delà du tolérable.
    Bien à vous,
    micel bel.

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  39. Chers lecteurs,
    Avez-vous vu comment se démènent les heideggériens dans le numéro du magazine littéraire de mars? On dirait des poissons dans une poêle. Ce pauvre Fédier,son interview est minable. Poésie,pensée…, il ne sait rien en dire. Mais pour commencer à dire quelque chose d’intelligent sur ce sujet, il faut peut-être se déprendre de Heidegger qui est l’exemple type de la corruption en ce domaine. Et ce louvoyeur de Sloterdijk qui veut faire passer la doctrine nazie dont Heidegger est le fondateur spirituel et organisationnel pour un banal néo réalisme. Nous n’avons pas oublié les « Règles pour le parc humain ».

    Heidegger ne peut pas être à la fois juge en tant qu’observateur impartial, et partie; il est partie. S’il y a eu chemin d’une pensée ,criminelle certes, mais chemin d’une pensée, pour Heidegger, ce numéro du magazine littéraire en revanche, est hélas! le chemin d’une non pensée. Ce numéro est un scandale fait tout au plus pour des agrégés de second niveau. Non seulement il ne trompe personne mais ses auteurs s’enfoncent de plus en plus dans les sables mouvants du non-dit et des contre-vérités qui vont les engloutir à l’heure où le nazisme renaît de plus belle sous les formes du lobbying international de la dictature du capital qui a emprunté au nazisme ses méthodes sous couvert de libéralisme. La ruse est autrement plus subtile encore que celle de Heidegger en son temps. Les néo-libéraux condamnent le nazisme en paroles et lui empruntent ses méthodes en acte. Ne serait-ce pas cela le véritable règne du porteur de lumière? Le Figaro magazine du 11 mars 2006 ne laisse planer aucun doute sur la question. Le néo-libéralisme qui risque de nous conduire très vite à la fin de l’histoire car il en a les moyens militaires et industriels s’affiche libéral en paroles et nazi en acte.

    La volonté de puissance et de domination capitaliste réalise la mondialisation du règne du dieu temporel, ce règne que Heidegger voulait réaliser en son temps avec la Germanie. Entreprise prématurée comme il le dit dans le chemin de campagne. Sans doute. Mais entreprise qui a tracé les voies de la domination planétaire qui nous reconduit à l’opposition radicale déjà repérée par Saint Augustin au temps de l’empire romain entre la « cité de Dieu » et la « cité terrestre ». Je crois que nous n’avons plus d’autre choix que celui-ci: Ou les droits de l’homme à base universaliste chrétienne même si on ne se réclame pas du Christ (la base est là) ou l’oppression capitaliste esclavagiste post keynésienne lancée par les Chicago boys et les Think tanks serviteurs zélés des possesseurs de l’arme de destruction massive. « Ou bien…ou bien… » Pas très réjouissant tout ça.

    La pseudosophie de Heidegger- il faudrait même dire l’allosophie – est bien la doctrine qui convient au néo capitalisme pseudo libéral du XX° siècle. Elle le conduira à sa perte. Mais la passion du capital comme celle du proctos rend aveugle. Quand je vois ce menteur de Conche signer le livre « Heidegger à plus forte raison » patronné par François Fédier, je me dis : qu’est-ce que Gallimard est allé faire dans cette galère? Veut-on une deuxième fois la mort de Michel Gallimard et de Camus? Le « Combat » de Camus est à reprendre à la racine. Il faut jouer à nouveau Les Possédés pour bien comprendre qui était Heidegger. Martin Karamazov, et non plus Yvan cette fois, nous a dit le dernier mot : « puisque dieu n’existe pas tout est permis. » Yvan se contentait de dire : « Si… ». Martin Karamazov dans le « Sophiste en 1924 est passé du « si… » au « puisque… »pour guérir le Dasein germanique et libérer les habitants de la planète aryenne de leurs chaînes …A moins qu’il ne les ait enfermés à vie dans la geôle de Reading où on avait parqué Oscar Wilde.

    Il se pourrait que tous ces porteurs de lumière soient des porteurs de ténèbres. Il y avait un lien très étroit entre le Hölderlin de Heidegger et la Provence de René Char, ce « poète » que n’aimait guère Kozovoï en qui il ne trouvait « l’ombre » d’aucune qualité « de bonté, de générosité,d’abnégation ».(Poésie 112-113 p.102. C’était la vallée du « Thor ». Or ce Thor pourrait bien aujourd’hui sous des masques différents, diriger le monde. Nietzsche lui avait donné sa dimension planétaire et Heidegger l’avait parfaitement compris (dernière ligne de la métaphysique de Nietzsche, Nietzsche II p.266.). Mephisto a fait ses premières armes avec Heidegger. Il pourrait bien terminer la guerre contre Dieu avec un conflit nucléaire puisque selon Heidegger un conflit nucléaire est moins grave que la perte du « fond » sans « fond » tel qu’il l’expose dans son « génie métaphysique ». A suivre…
    Michel bel..

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  40. Bonjour Monsieur Bel,

    Ne vous en faites pas pour mon amour-propre, je ne cède pas facilement à ce réflexe!
    Je regrette depuis le début de nos échanges que vous n’adoptiez pas la méthode objectiviste de la démonstration. C’est bien gentil de se réfugier derrière l’esprit de finesse: à ce jeu-là, vous vous donnez le beau rôle, le même finalement que vous prêtez au prophète de Messkirch. Quant au combat métaphysique que vous livrez contre Satan à travers Heide, cette gigantomachie ne m’intéresse pas.
    Vous me renvoyez à Cardini et cela me convient tout à fait. Mais, si l’on suit Cardini, la religion de Hitler était un darwinisme interprêté de manière raciale (ce qui est un contre-sens, mais à ce niveau cela n’a pas d’importance!), une exaltation de la science et un culte de la mythologique nordique. Je ne vois rien de strictement heideggerien là-dedans: on est loin de la recherche de l’essence de l’être de l’étant et autres fariboles. De plus, Cardini note aussi que Hitler utilisait souvent dans ses discours les termes de « Créateur », « Seigneur », « Providence » et il n’y voit rien d’autre qu’une façon de parler d’Adolf très commune.
    Dans votre dernier message, vous citez la célèbre phrase de Dostoïevski: « Si Dieu n’existe pas… ». Nietzsche aussi était très préoccupé par le fait de l’existence d’une société sans Dieu. On peut même dire que cela le tourmentait beaucoup et qu’il a essayé d’en trouver des substituts. Comme quoi, il semble difficile à certains de renoncer au désir de l’absolu. Nietzsche n’était pas un démocrate et je pense que si Heide a cru pouvoir s’identifier à lui, c’est en particulier en raison de la posture aristocratique de Nietzsche. Il y a du réactionnaire chez ces deux gaillards. Une société égalitaire était inconcevable pour eux (voir les intéressants développements de M. Skildy à propos des ahurissants propos de Heide sur la nécessaire inégalité sociale: c’est cela le vrai visage de Heide: un insupportable lepéniste). En cela, ils étaient des penseurs très classiques, très allergiques à la modernité. Etant agnostique, je souhaite personnellement que nous puissions nous passer de tous les dieux, et surtout de tous les prophètes qui nous promettent des lendemains qui chantent. Car s’il n’y avait pas des prophètes, il n’y aurait ni dieux, ni diables, mais des hommes adultes et raisonnables.
    Bien cordialement
    R. Misslin

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  41. Cher Monsieur Misslin,
    je ne sais comment vous lisez Cardini qui nous montre dans son étude très documentée qu’il y a deux conceptions de Dieu chez Hitler, une pour les lecteurs de Mein Kampf, l’autre à usage privé. Cette dernière se trouve dans ses entretiens avec Rauschning et dans les propos de table. Je ne peux pas vous faire un commentaire détaillé paragraphe après paragraphe et vous dire à chaque fois à quoi tel ou tel passage correspond chez Heidegger. Mais je puis vous dire que Cardini est en plein dans le mille. Il a parfaitement vu de quelles idées Hitler était imprégné et s’il ne donne pas le nom du fruit qu’il décrit, ceux qui connaissent ce fruit le reconnaissent tout de suite et savent le nommer sans difficulté.

    Dans ce texte de recherche sur le dieu d’Adolf Hitler Cardini a parfaitement vu ce qu’était le nazisme. Il a compris le caractère éminemment religieux du national socialisme qu’il a pris soin de bien séparer des mouvements religieux qui ont fleuri pendant la période hitlérienne et, après avoir cerné ses caracatères fondamentaux (Weltgeist,nature, destin, sang, force immanente et panthéiste) il déclare: »En tant que tel, il était une foi et il ne pouvait pas tolérer, sinon pour des raisons contingentes et avec tout le cynisme des choix de commodité, la coexistence avec d’autres fois ». Il s’agissait pour le maître spirituel de cette foi de « capturer mystiquement l’âme du peuple allemand et de fournir au matérialisme raciste et au fanatisme antisémite la dignité d’un appareil qui pouvait sembler spirituel ». « Le national socialisme ambitionnait de remplacer toutes les religions puisqu’il entendait se proposer comme un succédané de la religion. »
    La base du nazisme n’est pas, comme vous pouvez le voir, le racisme en tant que tel, c’est à dire le racisme biologique pur dont
    Hitler et Heidegger savent qu’il n’a aucun sens, mais le racisme spirituel c’est à dire la construction d’une lignée humaine -ou plutôt surhumaine- dont la foi n’est plus celle d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et du Christ mais celle de Nietzsche, de Hegel, de Schelling et de Novalis revus par Heidegger , lignée spirituelle dont la foi est prêchée et enseignée par Heidegger qui en expose la teneur, en commente les prétendues prophéties et en accomplit la mission avec l’aide de son vicaire. Ce dernier étant à la fois, annonciateur et chancelier, nonce et bras séculier. Il s’agit d’une chimère de religion et de philosophie dont le point de départ est le néant et le point d’arrivée, après un mirage d’empire, le NEANT. Le tout agrémenté d’un bain de sang sans précédent destiné à éradiquer complètement la religion du Christ de la planète et à lui substituer la religion de la Germanie, c’est à dire, derrière le voile quasi transparent d’Isis, de Heidegger.

    S’il ne s’agit pas de la création du règne d’un Anti-Christ, de quoi s’agit-il? Donnez-moi une réponse vous qui avez l’air de savoir ce qu’est le nazisme. Moi je m’efforce de l’apprendre et de l’apprendre en lisant les textes des pères fondateurs. La Bible de la Nouvelle Religion est la Gesamtausgabe. Son pape , ou plutôt son Dieu incarne parfaitement le Dionysos de Nietzsche, nom que Nietzsche a donné selon ses propres paroles à l’AntiChrist car il ne savait comment le nommer. Dionysos n’est autre que le Dieu apparemment « philosophe », « pipeur de consciences » et « porteur de masques ». Il s’agit de rendre l’homme « plus fort, plus méchant, et plus savant ».
    Pour ma part je n’ai pas d’autres lumières pour comprendre le nazisme de l’intérieur, mais celles-là je les ai. Et elles sont capitales. il ne s’agit pas de croire savoir ce qu’est le national socialisme, il s’agit de le savoir vraiment. Et croyez-moi j’ai passé plus de vingt ans à essayer de le comprendre. Autant dire que j’en ai remué des livres et parcouru des pages et des pages. « Autour du héros tout se fait tragédie, autour du Dieu tout se fait monde… ».Enfin « peut-être ». Et le monde dont rêvait Heidegger ne s’est pas fait. Qu’à cela ne tienne! Ce n’est que reculer pour mieux affiner l’attaque, la rendre plus efficace, le fruit n’était pas mûr, il se fera. La G.A. a été éditée à cette fin. Ce n’est guère réjouissant sauf pour les heideggériens français qui n’ont rien compris à l’antihumanisme de Heidegger et qui croient militer pour la libération des peuples en brandissant très haut l’étendard Heidegger. Heidegger est mort en attendant que l’heure propice à son règne , à son accomplissement advienne.. Car « Celui qui est mort avant de mourir ne meurt pas quand il meurt. » Est-ce son retour qu’attendent les érastes heideggériens?

    Dans quel « agir à l’oeuvre » Jean Luc Nancy veut-il nous conduire? Il y a une autre « poésie  » que celle de Heidegger,
    une poésie « authentique » si l’on entend par ce mot la construction du monde et elle a pour nom : vérité et tendresse. Tendresse, un mot qui manque terriblement chez Heidegger, n’en déplaise à François Fédier qui cherche à l’introduire de force dans la « gigantomachie » criminelle du mage de Todtnauberg. Les Titans heideggériens n’ont aucune tendresse. Ni aucun sourire de bienveillance et d’amour. Martin Heidegger ne sera jamais mon ami. Le Christ, oui.

    Le pipeur de consciences de Messkirch, même mort et enterré au petit cimétière de sa ville natale, a encore de beaux jours devant lui. A moins que…
    michel bel

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  42. Cher Monsieur Bel,

    Je voudrais vous remercier pour m’avoir permis de m’instruire en vous lisant. Que vous m’ayez convaincu ou non, ce n’est pas l’essentiel. Je n’ai pas besoin, en effet, de vous suivre quand vous faites de Heide l’Esprit qui a engendré le IIIème Reich. J’en suis arrivé à me faire de cet homme une certaine idée et j’avoue, en toute simplicité, que cet homme m’est profondément antipathique. Politiquement, c’était un réactionnaire de la plus belle espèce, ce qui fait qu’il s’est fait piéger par les nazis. Il avait des préjugés de cul-terreux d’une banalité effarante pour quelqu’un qui se prenait pour un penseur génial: pour lui, un juif n’était pas un allemand, en dépit de tout, un Allemand, c’était quelqu’un qui était né sur la terre allemande, un homme authentique, c’était quelqu’un d’enraciné dans son trou comme lui (même pas une caverne). Quant à sa philosophie, lui qui prétendait être un phénoménologue, il suffit d’aligner ses concepts familiers: Dasein, Temps, Etre (celui-là ad nauseam), « on » pour se rendre compte que cet homme finalement détestait la vie réelle, les gens réels, l’histoire réelle et ne se sentaient à l’aise que dans des abstractions qui sont justement à l’opposé de ce qu’une certaine phénoménologie de l’incarnation souhaitait. Cet homme était un misanthrope, un solitaire, qui méprisait les autres parce que, contairement à lui qui évoluait dans l’univers majestueux des idéalités,ils se contentaient des petits plaisirs de la vie, recherchaient les satisfactions ordinaires, le bavardage, les futilités et j’en passe. Cet homme était dangereux en ce sens qu’il était prédestiné à se faire piéger par les nazis et leur sens de la destruction, parce qu’au fond de lui, il avait un fantasme destructeur comme tous les misanthropes, ou déçus de la vie. Fort heureusement, il n’était qu’un professeur de philosophie, mais comme vous l’écrivez, Monsieur Bel, il a laissé une oeuvre et cette oeuvre est l’expression de son nihilisme personnel. En effet, la passion (qui est souffrance) misanthropique s’accompagne d’un grave processus projectif: ces personnalités voient le monde à travers le prisme de leur ressentiment et donc le trouve mauvais, et donc veulent le changer, radicalement. La pièce de Molière est extraodinaire de lucidité: Rousseau ne s’est pas trompé, autre misanthrope célèbre qui détestait la pièce, et pour cause (je n’oublie pas que M. Er n’est pas d’accord avec moi sur ce point). Heidegger ne supportait aucune critique de son oeuvre, et personne ne trouvait grâce à ses yeux, sinon ceux qui le flattaient. Benjamin n’a-t-il pas écrit qu’il fallait « buter Heidegger ». Il avait vu juste sur le personnage. C’est pourquoi il convient de ne pas séparer l’oeuvre de l’homme, et M. Faye a raison. Il faut lire cette oeuvre avec le soucis de ne pas se laisser haper par cette rhétorique fumeuse de la même façon qu’il n’aurait pas fallu lire comme on l’a parfois fait l’oeuvre de Rousseau. Il faut demander à cette oeuvre des comptes, je veux dire, nous aide-t-elle à mieux comprendre notre vie de tous les jours, nos joies, nos peines, nos amours, nos haines, à orienter nos choix politiques, à nous instruire, à aimer la science, à nous apprendre à mieux nous orienter et à mieux nous rapprocher des autres? Dispense-t-elle une philosophie concrète, vivante, raisonnable, pratique, aimable, sereine? Fait-elle de nous de meilleurs citoyens, c.à.d. des démocrates sincères qui aiment l’égalité des citoyens, la séparation des pouvoirs et luttent contre tout ce qui menace ce fragile, relatif et historique équilibre: injustices, pouvoirs arbitraires, illégaliés, discriminations de toutes sortes.
    Bien cordialement
    R. Misslin

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  43. Monsieur Misslin,
    quel dommage que vous n’alliez pas jusqu’au bout de l’horreur heideggérienne pour pouvoir combattre son intentionnalité, son projet de changement de « monde » qui cherche à substituer au monde d’amour du Christ son monde de haine, d’apartheid, de domination et d’anéantissement..Il ne suffit pas de comprendre cette bête, il faut aussi la combattre et protéger la société humaine contre son retour. Quand on a compris la vraie nature de sa phénoménologie en lisant entre autres leçons son Introduction à la métaphysique (1935) et qu’on sait qu’il a dit en 1963: « En 1919, je mis en pratique le regard phénoménologique » (Mon chemin de pensée et la phénoménologie: « La façon dont mon chemin s’ouvre en ouvrant la phénoménologie elle-même » Questions IV p.168 et 161) et que, de surcroît, Hitler, dans Mein Kampf nous parle de sa rencontre avec le philosophe président du Reich en 1919, lors de son entrée au parti, on n’a pas besoin d’un dessin supplémentaire pour comprendre que le Véritable président du Reich, c’est Martin Heidegger en personne.

    Ses positions en 1933, en 1936 et en 1937 (appel des Allemands à plébisciter Hitler, appel des Italiens et des Français à la collaboration), le confirment. Hitler ne se laisse plus percevoir alors que comme un président apparent, tout comme dans une phrase il y a un sujet réel et un sujet apparent, et en physique newtonienne , un mouvement réel et un mouvement apparent du soleil..Mais comme ce que dit Heidegger en 1963 est noyé dans des considérations sur son rapport à Husserl on a l’impression qu’il parle de Husserl en parlant du regard phénoménologique et de sa « mise en pratique ».

    Or, il suffit de se rappeler ce qu’il dit en 1916, en 1925, en 1927 et en 1930 sur la nécessité de l’ancrage de la philosophie dans l’histoire pour qu’on comprenne aussitôt ce que la « mise en pratique » de son regard phénoménologique signifie. Seules sa prudence et sa ruse qui utilisent des formules entâchées d’imprécision à tour de bras peuvent laisser croire qu’il s’agit d’autre chose. Mais celui qui a étudié de près la malignité de Heidegger ne s’en laisse pas conter.
    Bien à vous
    michel bel

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  44. Cher monsieur Misslin,
    pourriez-vous m’indiquer à quel texte de Benjamin vous pensez, et développer quelque peu si vous en avez le temps ?
    Pour ce qui est de Rousseau, je vous ai déjà effectivement exposé mon amical désaccord, et vous pourriez peut-être me donner l’occasion de vous répondre si vous me disiez ce qui vous pose problème dans sa pensée.
    J’espère au moins que vous reconnaîtrez que sur le plan de la langue au moins, on a là deux écrivains différents avec Rousseau et Heidegger !
    Bien à vous,
    Yvon Er.

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  45. Bonjour Monsieur Er,

    Je ne peux pas vous donner de référence quant au propos attribué à Benjamin, en 1930, quand il parlait de « démolir Heidegger »: je l’ai trouvé sur le site: pedagogie.ac-toulouse.fr (cf l’analyse du livre de Anders « sur la pseudo-concrétude de la philosophie de Heidegger »). Je me demande si ce propos ne se trouve pas dans la correspondance de Benjamin. J’adore Anders. La façon dont il raconte ses rencontres avec Heide (dans « Et si je suis désespéré »)en dit, pour moi, mille fois plus sur la personnalité du négateur de la pensée que beaucoup de commentaires « littéraires ».Les excentricités langagières de ce personnage tragi-comique me font irrésistiblement rire. Commnent a-t-on pu prendre tout ce galimatias au sérieux alors qu’on est en présence d’un type d’une effarante banalité qui se gonfle d’air comme la grenouille de La Fontaine? Il vaut mieux lire T. Bernard qui croque à merveille sa suffisance impayable.
    Quant à Rousseau, je vous accorde bien sûr qu’il est un authentique écrivain. Je l’adorais, quand j’étais jeune, au point de prendre un jour, à 17 ans, mon vélo pour visiter l’île St Pierre sur le lac de Bienne tellement la cinquième Rêverie m’enchantait! Mais, c’est la forme de son affectivité qui me fait penser à Heide, cette façon de se plaindre de la réalité, des autres, et de recourir, pour compenser ce mécontentement, à des échappatoires imaginaires vers la recherche d’ origines mythiques idéalisées, pures, exemptes de cette dégradation qui, à ses yeux, caractérise les sociétés modernes, la « civilisation ». Je trouve chez l’un et l’autre une profonde misanthropie: pensez au goût de Jean-Jacques pour les refuges, l’île et … l’utopie et vous verrez que Heide n’est pas loin de partager avec lui la même tendance au repli sur soi comme symptôme d’un malaise analogue. La Hütte de Todnauberg n’a pas pour moi la même signification que pour Monsieur Bel, avec tout le respect que je tiens à témoigner à ce dernier! Et ce que Anders dit de Heidegger va vraiment dans le sens de mes intuitions. Je trouve dans l’oeuvre de l’un et de l’autre du mysticisme teinté de religiosité, des désirs de révolution, mais bizarrement de révolutions régressives, passéistes, nostalgiques d’un paradis imaginaire perdu. L’un et l’autre me font penser à Platon, politiquement et métaphysiquement parlé: des pensées réactionnaires, totalisantes, radicales et, à mon humble avis, dangereuses parce que radicales, irréalistes et pleines de ressentiment contre la condition humaine. Je me méfie comme de la peste contre ce genre de types qui veulent rééduquer l’humanité selon leurs fantasmes de frustrés de l’existence!
    Bien amicalement
    R. Misslin

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  46. Bonjour Monsieur Bel,

    Ne soyez pas désolé du fait que je n’arrive pas à croire que Heide ait pu réellement jouer le rôle que vous lui prêtez: pour moi, il suffit de constater combien il aurait voulu être le Guide du peuple allemand vers l’accomplissement du monde nouveau que cet alchimiste fumeux lui a concocté dans la marmite de la Hütte. Laissez-moi la liberté d’apprécier les choses comme je peux de même que vous êtes libre de présenter vos propres résultats. Vous préférez utiliser la méthode inductive et j’ai besoin, personnellement, de davantage de factualité. Je ne cherche pas forcément un consensus, je suis au contraire sensible à la diversité de nos approches, de nos opinions, de nos attentes. La forme de conviction que vous voulez me faire partager est trop loin de mon tempérament agnostique, de mon scepticisme que je veux gai et souriant. Votre foi que je sens ardente est trop loin de mes capacités. Une foi comme la vôtre ne peut se partager qu’à l’intérieur d’une « église », je veux dire d’une communauté de croyants. Je respecte entièrement l’horreur que peut vous inspirer Heide, et son égarement religieux, car sur ce point je suis d’accord avec vous: il a cru en la capacité du national-socialisme de régénérer l’Allemagne, donc le monde!. Et pour ce genre de fantasme, il faut de la foi. C’est pour cela que je trouve nécessaire de mettre l’oeuvre et la vie de cet homme sur la place publique, à la lumière du grand jour: qu’on en parle sur l’agora de la démocratie et pas seulement dans les bibliothèques feutrées des universités. Bravo aux Farias et autres Faye. On verra bien si elle résiste au regard de ceux qui lisent Heidegger en suivant le principe de réalité plutôt que celui du plaisir narcissique. J’évite autant que possible l’adulation que la condamnation fanatiques, sachant trop que nous sommes humains, trop humains, mais contrairement à l’autre (!), je ne rêve pas de surhomme!
    Bien cordialement
    R. Misslin

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  47. Cher monsieur Misslin,
    deux mots simplement sur Rousseau : d’abord, comme je vous l’ai dit, on peut peut-être juger avec sévérité certaines conséquences possibles de sa réflexion politique, mais ce sont des conséquences : on ne trouvera pas chez lui de virulence antisémite ou d’apologétique de la supériorité raciale de qui on voudra sur qui on voudra (dont les applications politiques sont pour le coup immédiates). Il y a de plus chez Rousseau un désir de justice et d’égalité que l’on a le droit de trouver utopique, sans devoir pour autant affirmer, comme certains « libéraux » que tout désir d’égalité sociale soit « totalitaire » par essence.
    Par ailleurs il n’y a pas vraiment non plus chez lui de désir de révolution « régressive » : il n’a jamais voulu nous renvoyer à un quelconque état originel, dont il dit bien qu’il est une hypothèse de travail pour comprendre le présent, non un idéal vers lequel il nous faudrait retourner.
    Bien cordialement,
    Yvon Er.

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  48. Bonsoir Monsieur Er,

    Merci pour vos commentaires toujours éclairants. Je suis tout à fait d’accord qu’il ne serait pas convenable d’identifier ces deux auteurs l’un avec l’autre. Mais je suis sensible chez les deux à une sorte de déception affective, de désenchantement lié à une perte de foi: je me rends compte que j’écris là sans doute des bizarreries qui peuvent paraître n’avoir ni queue ni tête. Cette perte de foi, ils en rendent responsable la société dans laquelle ils ont vécu, l’accusant d’être futile, sperficielle, artificielle. Et, comme par hasard, je trouve chez l’un et chez l’autre une sorte de religiosité mystique qui les porte à se projeter dans un avenir qui serait la restauration d’une forme d’existence antérieure, plus authentique et moins frelatée. Mais je me trompe peut-être complètement. Dans ce cas, je compte sur vous pour me corriger!
    Bien amicalement
    R. Misslin

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  49. Cher monsieur Misslin,
    je vous ai déjà dit en effet pourquoi, si il y a chez les deux des formes de religiosité (« naturelle » pour l’un, pour l’autre je ne saurais comment la qualifier…), ils ne sauraient s’identifier.
    De même chez Heidegger si il y a une dimension très fortement anti-moderniste, il y a aussi on le sait maintenant des textes à la gloire de la motorisation de la Wehrmacht, ce qui n’est d’ailleurs bien sûr pas nécessairement contradictoire avec l’anti-modernisme. Pour le rapport rousseauiste avec un passé idéalisé, ou ce que vous croyez être tel, je vous ai déjà répondu je pense, même si ce fut succintement (je ne suis pas un spécialiste de Rousseau). Si vous souhaitez avoir une vision à la fois de l’homme et de l’oeuvre Rousseau qui réponde à vos interrogations sur sa personnalité, le livre de Jean Starobinski (psychiatre de formation, vous devriez vous y retrouver…et il écrit bien) peut être une aide si vous ne l’avez déjà lu : « Jean-Jacques Rousseau : la transparence et l’obstacle ».
    Je ne pense pas qu’il y ait une « perte de foi » chez Rousseau, même si il y a bien chez lui une critique des apparences sociales qui n’a rien à voir avec celle de l' »Öffentlichkeit » chez Heide.
    Si vous me répondez à nouveau je ne pourrai rebondir rapidement, mais comme l’a dit dans un film immortel un ancien champion autrichien de culturisme devenu depuis gouverneur de Californie,
    « I’ll be back. »
    Bien amicalement,
    Yvon Er.

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  50. Bonjour Monsieur Er,

    Merci pour votre éclairante réponse. Ce qui me frappe particulièrement chez Heide, c’est le côté « révolté » de sa personnalité: révolte contre sa religion d’enfance, contre la philosophie occidentale c.à.d. critique, contre le régime démocratique de Weimar, contre l’évolution industrielle réduite au Gestell. Or, il s’agit d’une véritable posture oppositionnelle qu’on rencontre souvent chez la jeunesse. En lisant l’autre jour « Les chemins de Heidegger » de Gadamer, j’ai été frappé par le nombre de fois où Gadamer parle (de façon d’ailleurs béatement naïve)de la « violence » de Heide. Pas étonnant qu’il ait été fasciné par le national-socialisme. Jaspers écrit à Heide en 1950 ceci: « Vous me pardonnerez si je dis ce qu’il m’est arrivé de penser: que vous sembliez vous être conduit, à l’égard des phénomènes du national-socialisme, comme un enfant qui rêve, ne sait ce qu’il fait, s’embarque comme un aveugle et comme sans y penser dans une entreprise qui lui apparaît ainsi autrement qu’elle n’est dans sa réalité, puis reste bientôt avec son désarroi devant un amas de décombres et se laisse entraîner plus loin. » A quoi Heide a répondu: « Vous y êtes tout à fait, avec l’image de l’enfant qui rêve. » Et dire que c’est en somme un demeuré qui passe aux yeux de certains comme un philosophe, non, que dis-je, comme LE philosophe du XXème siècle. Désespérant!
    Bien cordialement
    R. Misslin

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