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Je le dis tout de suite, je n’arrive jamais à lire les textes de Gérard Guest jusqu’au bout. (Qu’il se rassure les textes abandonnés en cours de route sont légions.) Et je crois maintenant que c’est parce que je n’ai pas son sens de l’humour. L’oeuvre en cours de GG se présente en effet comme un gag. (GérArd G. = GAG!). GAG in progress.
Il s’agit, et avec les bandelettes d’une rhétorique trés au point, de momifier une sorte de Saint Heidegger en vue de son exposition dans un Mausolée. Le verbe peut-il, à l’instar d’une bulle papiste, fabriquer un saint à partir des lambeaux d’un échec et d’une faillite morale d’une certaine manière sans précédent dans l’histoire de la philosophie? Le ressort comique de GG semble ainsi se fonder sur la répétition mécanique du principe de la "mission impossible".
Mais il est vrai que cela n’est pas sans une certaine efficacité. Quelle que soit l’absurdité des bandelettes leur nombre finit, en défiant le bon sens, par fabriquer une momie plausible. Hannah Arendt comparait le système totalitaire à un oignon. La défense de H par GG recourt quant à elle à une production proliférante de bandelettes.
Une des recettes consiste, après avoir bien préparer le pauvre lecteur par des invectives, des mises en scène désobligeantes de "calomniateurs", des hommages quasi religieux au Dieu, de transformer le plomb de phrases pour le moins problématiques en un supposé or de la pensée.
Exemple.
GG prétend que la thèse d’Emmanuel Faye, à propos du racisme de Heidegger, est injurieuse et repose sur une affligeante méconnaissance de l’oeuvre. Non, Heidegger n’a pas de conception biologisante du peuple. (Soit mais il faudrait sur ce point en savoir plus sur certains aspects "pathologiques" de Heidegger – Cf. certains propos de H. Arendt.)
GG cite ainsi une phrase que Heidegger a "signée" au cours d’une conférence intitulée Vom Ursprung des Kunstwerkes et cela quelque temps aprés la promulgation des "sinistres lois de Nuremberg" (GG).
Heidegger : " Souches et lignées ne percent ni ne prennent, pour former ensemble l’unité d’un peuple, que si elles se saisissent de ce qu’il leur est donné pour tâche, c’est-à-dire si elles deviennent historiques et se tournent vers l’à-venir."
Je veux bien passer pour illétré (rapport à ce que je n’arrive pas à lire GG) mais cette phrase est une phrase d’une limpidité nazie absolue! Je l’interpréte de cette manière : les souches et les lignées ne peuvent définir un peuple dans son unité que si elles sont capables, en se tournant vers l’avenir, d’avoir un projet historique. (On le saura plus loin : un projet historique dont elles sont les responsables par rapport à elles-mêmes… ce qui confirme l’interprétation.)
Dans le monde animal les souches et les lignées sont celles d’espèces et de races d’élevages. Celles-ci caractérisent des populations et non des peuples. Dans la phrase citée Heidegger tente d’échapper à l’aporie entrevue en affirmant que seule la préoccupation de l’avenir, par la médiation d’un projet historique,est susceptible de conférer aux dites souches et lignées le pouvoir de "faire peuple".
Je voudrais qu’on me démontre que les conditions de l’historique et du se-tourner-vers l’avenir ont dans cette phrase une portée dé-biologisante. Au contraire elles confirment les "souches et les lignées" dans leur rôle d’institution du peuple. Et cela de manière absolument conforme à la doctrine hitlérienne. Ce que dit Heidegger-Heidegger – dans ma terminologie Heidegger-Heidegger, ou HH, c’est le Heidegger nazi, ou le Heidegger hitlérisé par Heidegger… – c’est qu’un peuple, pour être UN peuple, ne peut pas se contenter d’intérioriser de manière identitaire les "souches et les lignées", il lui faut aussi développer les potentiels "humains" des dites souches et lignées en (se) projetant dans l’avenir (selon) un projet historique.
Heidegger, ici, est un excellent "pédagogue" nazi. Je traduis autrement la phrase : "Aryens, votre race, pour ne pas être celle d’une race de boeufs vouée à brouter l’herbe identitaire, doit s’épanouir en se tournant vers l’avenir, en se faisant l’artisan d’un projet historique. Ce projet, c’est celui du III° Reich avec, à sa tête, le Fürher." Voilà, ce me semble, la limpidité de la phrase signée par HH un certain 13 novembre 1935.
Maintenant, et pour nous amuser un peu, observons comment G(A)G parvient à entraîner le lecteur à se perdre dans les bandelettes de son opération de "mausoléïfication" :
"Où Heidegger tient à souligner aussi expressément que possible que les formes supposées devoir être naturellement déterminées de la "communauté humaine" ("souches et lignées") – à savoir celles-là mêmes dont se réclame l’idéologie ("raciale") propre au "biologisme" et au "racisme" en mal de "vision du monde" de la "doctrine" du Parti – ne sauraient justement jamais donner lieu à "l’unité d’un peuple", si ce n’est au prix d’une métamorphose et d’un changement de nature de la "communauté" : le peuple ne devient justement un "peuple" qu’en s’assignant une "tâche historique", à accomplir dans la dimension de l’ "à-venir" qui lui est le plus propre (conformément à toute la structure "existentiale" du "Dasein") – "tâche" dont il aura, à ce titre, "à répondre lui-même". Nous avons donc ici essentiellement affaire à une version ("germanique", si l’on veut…, et susceptible de l’appui sur le thème hölderlinien du "libre passage du Nationel) de ce que Rousseau pense, dans le Contrat social, comme devant être "l’acte par lequel un peuple est un peuple". Car dans "le libre usage du Nationel", ce dont il y va n’est rien de moins que l’acte d’y transformer "ce qui a été donné en partage" et "ce qui a été donné pour tâche à accomplir" à une commaunauté "de destin" (c’est-à-dire "d’aventure", et non pas de "race"!) et de le " métamorphoser" en "un peuple responsable de lui-même". C’est cette "responsabilité de soi-même", cette "Selbstverantwortung", qui, selon Heidegger, définit proprement "le peuple" comme répondant à l’exigence, pour une "communauté" humaine, de "répondre d’elle-même".
La question serait moins grave on pourrait franchement se taper sur les cuisses. (GG, je vous le dis, est un formidable gagmen.) Car la phrase initiale ne cesse d’être non seulement confirmée dans sa référence aux "souches et lignées" mais sa portée proprement nazie est développée et étendue. Pour le dire de manière simple et imagée – mais le H de HH se prête hélas aisément au jeu – : SI ON NE VEUT PAS ETRE DES VEAUX IL FAUT EDIFIER LE TROISIEME REICH!
GAG perd tous ses moyens en opposant ainsi "aventure" et "race". En supposant que l’histoire puisse se penser comme aventure, cette aventure heideggerienne est précisément celle d’une race.
Compte tenu de la phrase qui intégre, au lieu de les exclure, "les souches et les lignées", la notion d’ un peuple responsable de lui-même est terrifiante. Elle signifie, encore une fois dans le contexte réinscrit du biologisme – et non nié – que ce peuple de "souches" et de "lignées" unifiées par le "projet historique" n’a de compte à rendre qu’à lui-même. Et non, par exemple, en relation à une "loi" comme la loi "mosaïque". (Tu ne tueras pas…).
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On trouvera certainement des déclarations heideggeriennes contradictoires. On ne peut pas être à la fois nazi et philosophe sans brouiller les pistes, voire sans perdre soit même un peu les pédales de l’universel dialogue. En attendant, on peut savourer le fait qu’il arrive parfois que certaines missions soient vraiment impossibles.
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PS. Et que dire du rapprochement fait avec JJ Rousseau pour essayer, par contrat social interposé, d’escamoter la continuité de confirmation entre le biologisme des "lignées et des souches" et leur puissance d’unification par responsabilisation historiale? Le "Heidegger" de GG est ici parfaitement HH, et parfaitement hitlérien.
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A M.Lamy
La seule chose que je désire est le fait que Monsieur Faye réponde aux objections. Maintenant qu’Etienne Pinat a ressorti les archives, ce dont je me réjouis, j’espère que le débat repartira là où il s’était arrété. J’en suis d’autant plus impatient que je pense que la position de Monsieur Faye était intenable.
Je n’avais sinon renvoyé au texte de Guest que parce qu’il comprenait de très nombreuses références au texte de Faye. Ce n’est pas que je sois charmé par son « ton », mais je pense que cela n’a ici pas d’importance si effectivement il y a des arguments. Ce sont eux seuls qui m’intéressent.
J’aurai sinon beaucoup de question à poser à monsieur Faye s’il revient, notamment sur son interprétation du soi authentique dans Être et temps.
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M. C. Lamy a écrit le 20 décembre:
« Je me refuserai quand à moi à répondre en quelque façon (autre que juridique au besoin) à des gens qui renvoient sans distance à ce site où un homme fait preuve d´une telle mufflerie. »
Il déclare aujourd’hui:
« je n’ai par ailleurs menacé encore personne directement de procès ».
Il n’y a pas que Gérard Guest, visiblement, qui ait le sens du gag. Passons.
Quand au fond de son objection, j’y reviens: il y aurait dans le texte de G. Guest une menace d’extermination physique à l’encontre d’E. Faye, voire de l’ensemble des gens qui le soutiennent. Citons donc l’extrait mis en cause:
« Cette étrange et mystérieuse efficace de la pensée de Heidegger (Emmanuel Faye s´en plaint assez…), elle est au fond d´ores et déjà partout à l´oeuvre. Nul doute qu´elle ne doive apparaître comme particulièrement redoutable à ceux-là mêmes qui s´acharnent le plus à l´empêcher de faire son oeuvre et d´être à l´oeuvre dans le temps présent -et à l´avenir. Ceux qui sont manifestement prêts à tout pour faire „interdire“ Heidegger -voire : pour en „finir avec Heidegger“ ! -semblent devoir redouter plus que tout au monde la lumière de l´“histoire de l´Être“ ; plus encore, à ce qu´il semble, que les vampires ne craignent la première lumière du jour, qui leur coupera la respiration… C´est à croire que la moindre radiation de la dite „lumière“ à elle seule, dût leur être assurément fatale, pour peu qu´elle vînt seulement à les effleurer ; à croire que l´“éclairage“ de l´“histoire de l´Être“, une fois répandu sur le paysage de la „métaphysique occidentale“ parvenue enfin „à sa fin“, entrée dans sa phase „terminale“, leur rendrait la vie impossible…“En quoi“-d´ailleurs (comme eût pu dire Descartes)- „il n´est pas invraisemblable que tous se trompent“.
J’ai invité M. Lamy à lire un peu plus soigneusement ce qu’il cite. Ce qui est ici entré dans sa fin, ce qui est en phase terminale (comme le dit Heidegger lui-même) ce ne sont pas Faye ou ses défenseurs, mais bien la métaphysique elle-même telle qu’elle s’achève dans le nihilisme. Il reviendrait à Heidegger de jeter une lumière des plus crues sur ce nihilisme entendu comme essence même de notre modernité: il y aurait là une vérité (terrible) que beaucoup seraient prêts à ne surtout pas voir (parce qu’elle pointe la possibilité de l’anéantissement pur et simple), fût-ce au prix (dérisoire? ) d’une interdiction pure et simple de Heidegger.
La thèse est donc contestable (elles le sont toutes); elle ne saurait cependant constituer une menace, même voilée, à l’encontre d’E. Faye — faut-il rappeler que lors de la réunion organisée à la Sorbonne, Gérard Guest a qualifié d’ « interférences » les attaques grossières dont E. Faye avait été l’objet lors du débat, qu’il s’en est démarqué avec soin avant de déclarer avoir lu l’ouvrage en question « avec l’attention qu’il méritait » (afin d’éviter toute contestation inutile, je cite ici le compte-rendu publié par l’APPEP de cette même réunion).
Quant à l’interprétation que donne Skildy d’un autre passage de Heidegger —peut-être faudrait-il, par souci de compréhension sinon d’équité, citer les autres textes qui l’accompagnent, par exemple ceux où Heidegger dit que suivre implique le pouvoir de résister, ou qu’un peuple ne saurait imposer ses choix aux autres. Faut-il rappeler également pour Heidegger que le « destin » n’a rien de fatal, et est oeuvre de liberté, cette liberté fût-elle une liberté finie? Comment alors concilier une pensée du choix avec un racisme plus ou moins biologisant? Ne faut-il pas plutôt voir (comme le dit Gérard Guest, précisément), et loin de l’obsession nazie des origines, l’idée qu’un peuple est un peuple par les choix qu’il fait eu égard à son avenir, et que c’est à la mesure de ses choix qu’il peut se réapproprier son propre passé?
La question demeure bien entendu ouverte. J’ai déjà, ici ou ailleurs, cité nombre de textes attestant du mépris profond de Heidegger pour toute conception raciale du peuple, lesquels abondent précisément dans les cours sur Nietzsche (tiens… Nietzsche ne serait-il pas, et à son corps défendant, le « philosophe pauvre » de Hitler? ).
Je sais que les pseudonymes rendent très courageux, et que les blogs donnent lieu à des déchaînements tels qu’ils ne se produiraient jamais en cas de rencontre « réelle » entre les différents participants. Il ne me semble cependant pas très adroit de la part de Skildy de vouloir ainsi ridiculiser quelqu’un qui a (qu’on le veuille ou non) l’entière reconnaissance de ses pairs (y compris des gens comme Franck, Marion, Courtine, etc.). Pourquoi systématiquement tenter de réfuter une thèse en ridiculisant celui qui la soutient? Vous pouviez, ce me semble, contester vigoureusement les interprétations de Guest sans pour autant être injurieux, et je ne suis pas sûr que parler de gagman apporte quoi que ce soit à votre propos. Ce débat a déjà largement tendance à quitter le champ du rationnel sans qu’on lui prête la main… Là encore, la discussion ne me paraît pas être placée sous les plus favorables auspices. Encore une fois, je m’en désole — mais peut-être, comme le rappelle justement S. Domeraki, ce blog n’a-t-il pas la prétention d’ouvrir un lieu pour de tels échanges.
Pierre Teitgen
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