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La loi faisant mention de l’aspect positif de la colonisation – en l’espèce, je crois, de la « présence française » – a ceci à l’évidence de choquant qu’elle vise à faire de l’histoire une discipline à la botte de la République. Sous réserve d’en savoir plus sur les conditions réelles faites à la recherche historique et à l’enseignement de l’histoire ces dernières apparaissent bien instituées. S’agit-il alors moins de peser sur l’institution elle-même que de tenter de définir un mode d’emploi? L’histoire devra donc mettre en valeur le rôle positif de la colonisation. Injonction électoraliste, sans doute, et qui répond, en ces temps de rude mondialisation, au souci de renforcer des mythes identitaires.
J’avance ici un parallèle. S’il ne fait aucun doute qu’Emmanuel Faye a écrit des phrases provocatrices – et ce n’est probablement pas dans un but étroitement publicitaire – pourquoi, cependant, une telle levée, et aux accents parfois haineux et injurieux, de boucliers? L’auteur est un philosophe et un historien et il conduit une recherche sur le nazisme de Heidegger. Il défend une thèse : Heidegger n’est pas un « repenti » et son projet a été jusqu’au bout d’introduire le… nazisme dans la philosophie. C’est suffisamment impensable pour paraître impossible. Et le chercheur ne peut être qu’un malveillant. Soit mais, quels que soient les termes de sa problèmatique, il s’agit bien d’abord et avant tout d’une recherche. L’attitude me semble-t-il « républicaine » serait alors, quelle que soit la manière avec laquelle on reçoit la problématique et ses termes, de se mettre en position de prendre en compte les résultats, leurs critiques, les perspectives ouvertes par leur confrontation. Les hypothèses d’un Heidegger repenti, voire d’un Heidegger subtilement résistant ne sont pas plus légitimes a priori que celle défendue par Emmanuel Faye. Compte tenu du fait que sont mis à notre disposition de nouveaux textes elles peuvent même apparaître comme devant être remises en cause.
Pour autant que sa recherche ne se réduit pas à un pamphlet sans argument l’honnêteté intellectuelle voudrait que cette recherche soit présentée avec objectivité pour les hypothèses qu’elle soutient et les « risques » qu’elle prend dans le cas où elle ne saurait les étayer ou les soutenir de manière convaincante. Mais, de fait, une bonne partie de la république des philosophes a décrété que Heidegger ne pouvait pas être l’auteur du projet analysé par Emmanuel Faye. Il est « inutile de lire ce livre », dira France-Lanord, pour signifier d’un trait de plume que l’historien-philosophe n’a pas à être reçu dans le cercle républicain en tant que chercheur. Heidegger, dans l’entretien au Spiegel, parlait de « littérature négative »… Sommes-nous dans ce cas? Et parce que le travail de Faye ne carresse pas le mythe dans le sens du poil? On respire alors quelque peu à l’idée que cette république là n’est pas une république platonicienne réelle.
Il est intellectuellement profondément choquant qu’une recherche soit à ce point diabolisée. Aussi est-ce sans doute parce que son auteur s’y attendait qu’il a pris les moyens de la provocation. Comment, cependant, ne pas désirer un examen par principe ouvert et serein à propos des thèses soutenues et des hypothèses avancées?
Je viens de lire un court essai, de Benoît Goetz, sur Le Corbusier et Heidegger. (LC et H dans le texte. [Heidegger et Le Corbusier, Benoît Goetz. Le Portique, Carnets 3. Université de Strasbourg.]). Quel texte « républicain »!
« Beaucoup voudraient voir disparaître ces deux figures monstrueuses dans les oubliettes du XXe siècle! Un nazi archi faschiste d’un côté, un terroriste utopiste de l’autre! (…) Leurs oeuvres échappent complètement à ces injures et à ces diffamations dont on les accable. Que ces oeuvres ne sont pas fascistes ou nazis est tellement acquis qu’il serait ridicule et totalement inutile de le répéter. Mais l’essentiel a toujours été menacé par l’insignifiance ». (Ouvrage cité, page 45).
Le terme de monstrueux est utilisé ici de manière positive. H et LC sont des géants mais, surtout, des monuments. Les petits passants que nous sommes n’ont pas à s’emparer de prétextes, parfois mesquinement moralisateurs, pour laisser libre cours à leur ressentiment. Notons l’association entre Heidegger et Le Corbusier. Heidegger et Freud, pour Nancy, Heidegger et Le Corbusier pour Goetz… Le rappel de leurs « ailes de géant » ne changent rien au problème, ici un peu plus obscurci par le parallèle entre l’architecte et le philosophe, « monstres » dont les qualités sont censées se solidariser contre l’injure et la calomnie. De quoi parle-t-on au juste? La briéveté de l’essai est ici un grave défaut. Nous en savons déjà trop pour ne pas vouloir en savoir plus. Qui injurie et qui calomnie? Nous sommes amenés à considérer que la recherche de Emmanuel Faye, pour lequel H introduit le nazisme dans la philosophie, relève de l’injure et de la calomnie. Pourquoi pas le tribunal tant qu’on y est? Et que dire de la signification philosophique de l’argument de la « doxa républicaine » selon lequel « il est tellement acquis » ? J’avoue que je suis saisi d’une sorte de stupéfaction. Qui est ce « il »? Une nouvelle version du « on »? Cette phrase ne ridiculise-t-elle pas suffisamment son auteur, en plus de souligner le sens du petit « ‘amalgame » Heidegger-Le Corbusier pour que, avec toutes les nuances requises, on cherche à en savoir plus?
En savoir plus? Dans une note de la page 66 il réduit la médiatisation de la recherche d’Emmanuel Faye à quelques phrases ou à quelques expressions dissuasives. « Ainsi on peut entendre, en ce début de l’année 2005, de sérieux universitaires sur des stations de radio trés sérieuses, en appeler à la « purification » (à la « dénazification ») de nos bibliothèques. Ainsi, à propos de H : « Une telle oeuvre ne devrait plus figurer dans nos bibliothèques ». (France Culture, le 19 avril 2005). »
L’emballage est si bien fait qu’on veut être nécessairement du « bon côté » et pas de ceux qui, se ridiculisant, en appellent à la « purification ». Terme que l’auteur se croit tout de même obligé, n’étant peut-être pas sûr de l’avoir entendu prononcé de la bouche de ceux qui cherchent, de traduire par « dénazification ».
La « république » de l’auteur pulvérise, par ces tours jusitifiés par la « petite forme », une recherche de nature historique. Aucune indication bibliographique n’est donnée, le mode d’emploi est fixé, le lecteur « conditionné ». Le travail de Faye… est-ce alors de la « littérature négative »? La suite est extraordinaire. « L’ironie sera qu’une telle oeuvre figure en 2006 pour la première fois au programme de l’agrégation de philosophie. Cette livraison des Carnets du Portique incitera peut-être de jeunes philosophes (et de jeunes architectes) à ne pas obéir trop vite à l’injonction de purification idéologique à laquelle on les soumet ». (Op. cité, page 66).
Voilà ce qu’il en est de la transmission destinée aux élites. La question est ramenée à une « injonction de purification idéologique » – elle est ridicule, n’est-ce pas? De cette manière les jeunes philosophes et les jeunes architectes n’ont pas à prendre connaissance de recherches mettant en cause le « grand penseur du siècle ». La recherche historique doit comme s’arrêter sur le seuil de la bulle où la pensée est censée déployer ses ailes. Qui, en ce sens, pratique la purification? Pour qui Heidegger est ou doit être un objet pur?
Cela ne fait rien si, au reste, on aperçoit quelque tension. « Car H et LC ne sont pas moins des penseurs qui envisagent « le plus grand », pour le meilleur et pour le pire. On connaît le pire : « la vérité interne et la grandeur du National Socialisme. (H) – Le plan voisin (LC). Pour le meilleur : une pensée du don et de la main ouverte, une générosité du geste. » (Op. cité, page 48).
Ce que j’avoue alors ne pas comprendre c’est comment un auteur peut-il rappeler le « pire » en l’espèce de la célébration de la « vérité interne et la grandeur du National Socialisme » tout en fermant son texte, enjoignant dans la foulée le lecteur à ne pas « obéir » à l’injonction qui lui serait faite…, à l’accueil de principe de la recherche historique?
Qui confond l’essentiel et l’insignifiant?
Je parlerai ailleurs de Le Corbusier. Son urbanisme est pour moi de type para-militaire et relève de la problèmatique sécuritaire. Et j’ai en préparation une note relative – elle sera plus favorable – à La Tourette, un couvent dominicain conçu par Le Corbusier.
En attendant je disjoins les deux « monstres ».
On ne peut pas considérer à la légère des recherches historiques surtout quand elles défendent la thèse d’une « introduction du nazisme dans la philosophie ». C’est trop grave pour être évacué au prétexte que cela serait ridicule, impossible, calomniateur, injurieux… Benoît Goetz évoque la tradition. Mais l’époque est en train de changer, et même « l’époque heideggerienne ». La Gesamtausgabe est publiée. Quelles mains vont, dans l’avenir, apprendre à en tourner les pages? Si on peut faire confiance pour l’essentiel à la tradition heideggerienne française elle ne représente pas à elle seule l’avenir de la réception de l’oeuvre heideggerienne. Je sais gré à Emmanuel Faye de contribuer à éveiller notre responsabilité de lecteur et de transmetteur.
Avertissement! On n’en finit pas de découvrir la complexité du problème. Jean Beaufret, le grand initiateur français à la pensée de Heidegger, celui dont Heidegger a dit qu’il était « l’homme le plus intelligent de France », a donné sa caution au négationniste Faurisson… Certains fleurons de la tradition heideggerienne française n’ont donc pas hésité à servir de légitimation à une mouvance où se retrouvent des néo-nazis et des groupes anti-sémites. Faut-il que je retire ma phrase sur la « tradition heideggerienne française »?.. Il est vrai que je pensais surtout à Sartre, Merleau-Ponty, Lacan, Foucault, Derrida… lesquels ont croisé Heidegger sans devenir des épigones.
Dans Heidegger, une introduction du nazisme dans la philosophie, EFaye cite un extrait d’une lettre de Jean Beaufret à Faurisson : « J’ai fait pour ma part à peu près le même chemin que vous, et me suis rendu suspect pour avoir fait état des mêmes doutes. » (Lettre du 22 11 1978 in Opuscule Cité page 504).
Mais de nombreuses questions restent en suspens. Nous y reviendrons…
Revenons-y!.. Sous forme de suppléments.
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D’un certain usage du « populisme » en philosophie
Que signifie une expression comme « nazi archi-fasciste » à propos de Heidegger? L’expression est utilisée par Benoît Goetz pour fustiger ceux qui « voudraient voir disparaître ces deux figures monstrueuses dans les oubliettes du XXe siècle ». (Il s’agit, nous l’avons vu, de Le Corbusier, architecte et, bien entendu, de Heidegger).
Comment un « jeune philosophe » – et un « jeune architecte » – reçoit-il aujourd’hui une expression comme celle de « nazi archi-fasciste »? Qu’est-ce qui vient à l’esprit en la lisant ou en l’écoutant mis à part le mouvement attendu de rejet au prétexte que l’expression est attentatoire, ridicule, calomniatrice, injurieuse etc?
Je vais ici développer mon point de vue en un certain nombre de points.
1 Il est arrivé à Alain Finkielkraut de défendre Heidegger en prétextant qu’en son temps il n’était pas aussi évident qu’aujourd’hui que certains thèmes ou que certaines notions étaient susceptibles de contribuer à générer une catastrophe humaine de l’ampleur qu’exprime le symbole d’Auschwitz. Mais, précisément, cela ne nous fait-il pas un devoir de revisiter l’inscription de certaines oeuvres, notamment philosophiques, dans leur contexte? Il serait particulièrement léger et irresponsable de s’en tenir à quelque jugement vague et général. Comment peut-on, en philosophe et dans le champ philosophique, s’en tenir à trouver des excuses? Le problème n’est d’ailleurs pas là. Certes une philosophie morale universelle ne garantit aucunement la moralité de la société elle-même. Mais s’en tenir à fournir des excuses laisse entendre que la philosophie ne peut que démissionner quant à sa participation à la pensée d’un avenir commun à tous les hommes. Précisément, et en acceptant le principe de « circonstances atténuantes », ce qui est arrivé à la philosophie heideggerienne nous fait obligation de « déconstruire » l’ensemble de l’oeuvre. J’ai déjà dit ailleurs qu’on pouvait se la représenter comme un ensemble de chemins qui, du fait même de Heidegger, convergeaient vers un centre, la plupart du temps dénié et occulté, de type (néo)nazi.
2 Il s’ensuit que, à l’encontre de l’affirmation rapide de Benoît Goetz, il ne s’agit nullement de jeter Heidegger dans les oubliettes de l’histoire. Tout au contraire son oeuvre est exemplaire de ce que même un penseur sûr de son génie et de ce que penser même mérite d’attention et de méditation, peut se compromettre dans une conception de la politique, et parce que destructrice de la politique elle-même, débouchant sur une série de crimes monstrueux et profondément déshumanisants. Le fait qu’on puisse lui trouver des excuses, ce qu’à la limite je concéderais, nous fait obligation de penser encore mieux comment une pensée pourtant exigeante peut ou s’aveugler ou se faire la servante du pire.
3 La formule « nazi archi-fasciste » – voyons voyons… Heidegger… un nazi archi-fasciste?.. – contribue en ce sens à occulter à la fois l’aspect douleureux et la complexité du problème. Le « théorème » serait le suivant : si le projet de Heidegger a été d’introduire le nazisme dans la philosophie il ne pouvait le faire qu’en apparaissant le moins possible comme un « nazi archi-fasciste »! Le fait même qu’il est effectivement difficile de valider une représentation de ce type ne prouve aucunement l’inexistence du projet d’introduction tel que le définit Emmanuel Faye. Cela ne le prouve pas non plus. Mais, précisément, il faut alors soutenir le principe de la recherche. C’est un impératif catégorique! Ou alors je ne sais plus ce que philosopher veut dire. Mais il est vrai que Heidegger prétendait substituer la pensée à la philosophie. Soit! mais voyons alors le résultat!
4 Heidegger, dernièrement, a été accouplé à certaines figures caractéristiques. Jean Luc Nancy, en allant à la rescousse de Heidegger à l’aide de Freud, s’est aligné sur le récit officiel de la compromission désastreuse de 1933. Le rapprochement a choqué beaucoup. Et si c’est pour faire remonter le curseur à la date de 1933 c’est assez consternant. Des forumeurs, souvent et de manière classique, rapprochent Heidegger de Céline. La comparaison n’a de sens qu’à faire apparaître une diffèrence essentielle. Un écrivain, un poète peut être un salaud et un grand artiste. (Beaucoup de braves types, mais pas tous, sont de piètres artistes). Mais s’il s’agit d’un philosophe cela signifie que sa philosophie est une philosophie de salaud. Dans ce cas, qui sont les salauds? Certains sont prêts à devenir, si ce n’est déjà fait, de bons heideggeriens. Ces salauds, par temps de mondialisation rude, sont tous ceux qui sont prêts à renoncer à l’universalisme pour construire leur « résidence sécurisée ». La garde de l’être… les bergers de l’être… version nazifiée.
5 En ce sens le rapprochement avec Le Corbusier a pour moi un sens voisin de celui qui est fait avec Céline. L’artiste, le plasticien, au secours du penseur. Il sera en effet toujours plus facile de contempler la chapelle de Ronchamp que d’adhérer aux principes à l’oeuvre dans le plan Voisin. Mais cette chapelle de Ronchamp ne doit pas occulter l’hypothèse de recherche de l’introduction du nazisme dans la philosophie. Il est question, dans l’essai de Goetz, d’avoir le courage de reconnaître, notamment contre l’interprétation lévinassienne des limites de la pensée heideggerienne, l’existence d’une éthique profonde chez Heidegger. Aprés hésitation je déclare également qu’il y a effectivement une éthique heideggerienne. Mais on sait qu’une éthique ne fait pas nécessairement une morale. L’éthique de Heidegger existe mais il faudra la « moraliser ». C’est une éthique de la « Rasse », c’est une éthique de la « tenue raciale » de ceux qui sont dans la grâce de la langue de l’être.
6 Ce n’est pas vrai! C’est une calomnie! Et bien attendons patiemment les résultats – et leurs digestion par la république des philosophes – des recherches en cours.
7 Document. Extrait d’une intervention de Emmanuel Faye sur le phiblogzophe.
« … les recherches philosophiques et historiques que j’ai effectuées sur les fondements de l’œuvre de Heidegger ne sauraient d’aucune façon s’apparenter à une « dénonciation politique et morale ». Il faut savoir qu’il existe en Allemagne tout un ensemble de recherches sur le national-socialisme dans la philosophie et les sciences humaines, dont témoignent les ouvrages et articles de Volker Böhnigk sur Erich Rothacker, de Teresa Orozko sur Hans-Georg Gadamer, de Reinhard Linde sur Heidegger, de Raphaël Gross sur Carl Schmitt, de Gedeon Volters sur Oskar Becker, de Lucia Scherzberg sur Karl Adam, etc. Mon livre s’apparente en partie à ces recherches, avec la différence que mon travail ne portait pas au départ sur le racisme nazi de Heidegger, mais sur sa conception de l’homme. C’est très progressivement que mes recherches m’ont conduit à mettre à jour les fondements racistes de son œuvre. Une telle découverte ne s’apparente en aucune manière à une « dénonciation ». Que l’on puisse dire aujourd’hui cela montre l’étendue du retard pris par la France dans le domaine de recherche que j’ai évoqué.En effet, les recherches philosophiques et historiques que j’ai effectuées sur les fondements de l’œuvre de Heidegger ne sauraient d’aucune façon s’apparenter à une « dénonciation politique et morale ». Il faut savoir qu’il existe en Allemagne tout un ensemble de recherches sur le national-socialisme dans la philosophie et les sciences humaines, dont témoignent les ouvrages et articles de Volker Böhnigk sur Erich Rothacker, de Teresa Orozko sur Hans-Georg Gadamer, de Reinhard Linde sur Heidegger, de Raphaël Gross sur Carl Schmitt, de Gedeon Volters sur Oskar Becker, de Lucia Scherzberg sur Karl Adam, etc. Mon livre s’apparente en partie à ces recherches, avec la différence que mon travail ne portait pas au départ sur le racisme nazi de Heidegger, mais sur sa conception de l’homme. C’est très progressivement que mes recherches m’ont conduit à mettre à jour les fondements racistes de son œuvre. Une telle découverte ne s’apparente en aucune manière à une « dénonciation ». Que l’on puisse dire aujourd’hui cela montre l’étendue du retard pris par la France dans le domaine de recherche que j’ai évoqué. »
Emmanuel Faye. L’intégralité de la mise au point est lisible sur la page à propos du rapprochement opéré par Jean-Luc Nancy entre Heidegger et Freud. (« Négationnisme ontologique »…)
Qui c’est « il ».
Il serait donc évident que Le Corbusier et Heidegger ne seraient pas « nazo-fachos » etc. L’auteur qui utilise cette formule ne peut parler que pour lui-même même si c’est au nom d’une partie de la république des philosophes. Et en tentant de couvrir Heidegger par l’artiste-architecte Le Corbusier.
Ne font cependant pas partie de ce « il » un certain nombre de penseurs antérieurs à la recherche de Faye. Günther Anders, par exemple, a soutenu dés 1948 la thèse d’une affinité entre Etre et Temps et la barbarie nazie.
Jaspers, qui n’a pourtant jamais trahi l’ami – mais qui du ruser pour protéger sa femme d’origine juive – recommandait la plus extrême prudence à l’égard de Heidegger. Il est suffisamment « fort » pour perservérer dans une forme trés sophistiquée et séductrice de prosélytisme pro-nazi. Cela a été dit après la seconde guerre. Jaspers a attendu en vain une clarification qui lui aurait permis de participer avec Heidegger à la régénérescence spirituelle de l’Allemagne.
A l’occasion d’un colloque strasbourgeois sur Heidegger G. Bensoussan rappelait à quel point le silence du philosophe, aprés la guerre, était plus insupportable encore que son discours du rectorat.
Quant à Hannah Arendt… Je suis plutôt ignorant en psychiatrie. Mais l’amie fidèle de Heidegger a eu des mots trés durs. C’est « un meurtrier en puissance » a-t-elle dit à propos du fait que Heidegger aurait accepté de signer une circulaire administrative faisant mention de l’interdiction de Husserl, d’origine juive et maître initiateur de Heidegger, à l’Université. Elle a dénoncé le menteur. Mais elle a parlé de pathologie. Il y a là une piste, piste qui rendrait compte des « raisons » pour lesquelles Hannah Arendt est demeurée une fidèle amie autant qu’une lectrice de l’oeuvre philosophique de Heidegger.
L’hypothèse serait donc qu’il y aurait effectivement une phathologie heideggerienne.
Quand on parle de philosophie on a nécessairement une philosophie de la philosophie. En ce sens on peut et doit toujours s’interroger sur ce que philosophie veut dire. Dans la perspective de la « Destruktion » Heidegger a pu envisager une fin de la philosophie, un au-delà de la philosophie.
Cela ne fait-il pas signe d’une pathologie? Heidegger, philosophe ET nazi. Et donc élaborant, en nazi, une fin de la philosophie. (Sous couvert d’un dépassement d’une métaphysique réalisée en l’espèce de la techno-science « Gestellisée ».) Mais, aussi, philosophe OU nazi, les deux épithètes étant effectivement inconciliables…
Cela dit, et malgré le beau mot de monstre – quoique Le Corbusier me paraisse enrôlé pour secourir l’image de Heidegger – Benoît Goetz opte pour une vision « aseptisée » de Heidegger. Il tente, mais vainement de toutes façons, d’en faire un objet philosophiquement pur… monstrueusement pur… purement monstrueux?
En tous les cas les agrégatifs devront étudier des textes dont certains ont été trafiqués par Heidegger et son clan. Trafiqués pour effacer la « pathologie » d’un philosophe qui s’est obstiné jusqu’au bout à imaginer que son « nazisme » à lui était suffisamment fondé « éthiquement » pour l’autoriser à ne rien dire, ou presque – et alors de quelle manière! – du nazisme réel qu’il a pourtant soutenu, notamment à l’université, de tout le poids de sa renommée.
Propos inacceptables? Je demande seulement qu’on accepte d’envisager l’hypothèse d’une « introduction du nazisme dans la philosophie » et tout ce que cela implique d’équilibrisme et de « schizophrénie » tactique. Tactique?
Comme philo-sophe – et non comme Philosophe – je veux savoir ce qu’il en est de Heidegger et du nazisme, d’une éventuelle pathologie, de l’étendue de la manipulation des textes etc.
Certaines défenses sont contre-productives car elles apparaissent comme dirigées contre la liberté de recherche… et contre la philo-sophie elle-même.
Monstre… mais pas trop!
Benoît Goetz vient peut être d’inventer le monstrueux kitsch. Le monstrueux kitsch c’est le monstrueux adouci, le monstrueux pas trop monstrueux, le monstrueux qui fait chic mais qui ne choque pas, le monstrueux destiné à cacher la monstruosité elle-même.
Beaucoup d’intellectuels semblent avoir l’obsession de l’ impolitiquement correct. C’est tellement honteux, le politiquement correct, tellement pré-nietzschéen, qu’il vaut mieux surfer sur l’impolitiquement correct. Alors on dit d’une part que Heidegger est un monstre – je laisse LC de côté – mais que ceux qui soutiennent qu’il a jusqu’à la fin oeuvré à une introduction du nazisme dans la philosophie sont ridicules et des calomniateurs. On veut bien du monstre mais pas que le monstre soit monstreux. Comme le dit ce philosophe… on veut le chocolat moins le chocolat.
Là, effectivement, le mot est peut-être maladroit. Car qui dit monstre ne doit pas nécessairement s’attendre à ce que la monstruosité du monstre accepte de demeurer à l’intérieur de certaines limites. Certes il est vrai que le monstre c’est le « monumentum ». Mais en vertu de quoi ce que montrerait le monumentum heideggerien ne devrait pas être, a priori, la monstruosité d’une faillite morale en un sens sans précédent?
Les enfants ont leur doudou. Les philosophes ont-ils maintenant leur monstre? De gentils monstres destinés à former des « philosophes » privés de toute échelle capable de leur permettre de mesurer à quel point certains dénonciateurs du nihilisme ont parfois eux-mêmes oeuvré à creuser la tombe de l’humanité?
Que se passe-t-il si je dis, par exemple, que le Quadriparti est une sorte de croix gammée?
Avant de rejeter le rapprochement, ou de le valider, voyons ce qu’il peut en être.
1 Le rapprochement est sans fondement. Si on le fait c’est du délire d’interprétation. C’est de la paranoïa calomniatrice.
2 C’est une coïncidence sans portée. Peut-être, effectivement, facilitée par le passé hitlérien de Heidegger. Mais cela n’a pas de conséquence.
3 C’est la provocation d’un intellectuel d’envergure qui a vu s’effondrer un système qu’il a à la fois soutenu mais aussi critiqué. Négligeable.
4 C’est un trait obsessionnel d’un homme vieillissant qui a cru en Hitler. « Noblesse et grandeur du mouvement… ». On peut passer outre.
5 Le Quadriparti est peut-être un svastika de contrebande. Mais l’ignorer est la meilleure réponse à un geste qui ne peut par ailleurs avoir une grande portée.
6 C’est un signe. Entre les mains de l’extreme-droite culturelle – certains heideggeriens français ont été proches, semble-t-il, de Faurisson – c’est inquiétant. Il faut s’en inquiéter.
On pourra proposer d’autres entrées. ( 7 : on s’en fout!…). Mais pourquoi devrait-on taire le problème que pose, dans ce contexte, certaines modalités de constitution des textes? Pour quelles raisons faudrait-il qu’on parle à la fois du pire et qu’on traite de calomniateur ceux qui l’envisage, le pire?
C’est ce qui me choque profondément. Je n’arrive pas à accepter qu’il faudrait fixer l’implication de Heidegger dans le nazisme à une certaine « profondeur ». La république des philosophes n’a pas à déterminer par avance cette profondeur.
« L’innocence » de l’étudiant, du lycéen ou du lecteur n’est pas celle de l’auteur. Nous prendrions le risque, en refusant sérieusement d’envisager le pire, d’exposer cette innocence à se voir imprégnée d’éléments discrets mais « en relation de champ » avec l’ensemble d’un dispositif qu’il faut inventorier dans tous ses attendus.
Que se passe-t-il, par exemple, avec les textes proposés à l’agrégation? Il me semble avoir entendu ou lu que certains auraient été trafiqués par le « clan ».
On ne peut vouloir le monstre sans sa monstruosité. Au fond, pour que le monstre soit un « gentil monstre », un k-monstre (kitsch-monstre), il faut écarter a priori l’éventualité de sa véritable monstruosité. Le prix à payer, dans l’avenir, m’apparaît pouvoir être trop grand pour apprécier une telle « monstration ». S’il y a une véritable monstruosité il faut alors la reconnaître pour la combattre.
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Signé un calomniateur.
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6 commentaires à La république des philosophes et l’histoire de la philosophie
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Je pense qu’il y a peu de risques qu’il y ait dans l’avenir des étudiants lisant l’oeuvre de Heidegger comme incitation à la haine. D’abord,parce que la pression populaire va dans le sens de la justice et de la tolérance, ensuite parce que si cette pression ne va pas dans ce sens-là, alors ce nazisme heideggerien n’aurait alors gère plus de force agissante sur l’histoire qu’elle n’en a eu sur le parti de 33 à 45.
A mon sens , l’entreprise de Faye serait méritoire si elle nous mettait en garde en traduisant des textes non encore publiés. Mais lorsque elle analyse les écrits et ne les interprète que dans le sens du racisme, afin de préserver la pensée de demain , il se bat contre des moulins : car déjà à l’époque , il semble que la pensée heideggerienne soit historiquement stérile : sa sotériologie est justement trop subtile et abstraite pour les bâtes à cornes du nazisme Ce n’est que mon avis…
Tout d’abord merci pour votre avis.
Le problème c’est que le nazisme a pris parce que de nombreux « intellectuels » – savants, enseignants… – ont justifié le pire.
On pourrait craindre que de nombreux épigones, qui n’auraient rien à faire ni de Sartre, ni de Lévinas… ni de Pierre Teitgen trouvent dans la Gesamtausgabe précisément de quoi relooker un projet néo nazi.
… c’est mon avis à moi.
Skildy.
PS. Ils le feront de toutes manières. C’est pourquoi il faut redoubler de vigilance.
Qu’ils le fassent ou non: je ne joue pas aux Cassandre du dimanche.
Un élément retient mon attention: que justement ce sont bien des nééo-nazis qui voudraient relooker comme vou sidtes leurs misérables desseins : mais pas Heidegger qui changerait ses lecteurs en néo-nazis! En l’occurence personne ne se réclame de lui pour justifier son racisme- ce, depuis 1945!Donc si ce n’est que ça : moi je veux bien que quelques uns le lise de travers et promeuve le nazisme grâce à lui : tant que ce ne sont que de rares imbéciles…Il faut certes être vigilant contre le racisme de bas-étage : le racisme philosophique repéré chez Heidegger semble bien inoffensif.Et là je sens que vous allez me dire que je le sous-estime. Or moi je ne connais que trois personnes qui le craignent : vous, Faye et Bel! Pas étonnant que ce blog recherche la diffusion de ces idées aux génération futurees car pour l’instant les défenseurs de la liberté et de la probité sont bien seuls!
A noter que tous ceux qui ont signer le soutien en Faye pour qu’il puisse sans quolibets pouruivre ses recherches ne sont pas vraiment connus pour leur connaissance précise et efficace de l’oeuvre heideggerienne.Je ne les compte pas alors dans ceux qui craignent un hypothétique retour massif du nazisme par l’intermédiaire de l’oeuvre du professeur de Fribourg. Non : vous êtes seuls.Bêni par la grâce de la vérité ou à côté de la plaque…Mais seuls ; j’attends des signes de manifestation de soutien envers vos thèses farfelues qui pourraient étayer celles-ci.
Juste un mot à Skildy pour aller (pour une fois) dans son sens. L’une des conséquences les plus malheureuses, ironiques et profondément attristantes(pour moi) de cette polémique qui dure depuis longtemps, et qui revient à peu près tout les dix ans, c’est une récupération tout à fait inquiétante de Heidegger par une certaine extrême-droite, par exemple française, pour des raisons d’ailleurs plus ou moins délirantes (je me souviens d’un jeune étudiant très remonté de l’IPC me déclarant qu’il travaillait sur Heidegger parce que Heidegger, c’était le retour à Aristote donc à Saint Thomas d’Aquin…). Quoi qu’on essaye de nous faire croire, Heidegger n’a jamais été le philosophe officiel du IIIè Reich; il risque de devenir celui du FN — j’en retire, pour ma part, la nécessité d’une défense d’autant plus opiniâtre, qu’elle me semble (on l’aura compris) faire justice aux textes.
Pierre Teitgen
REPONSE AU MESSAGE DE M.TEITGEN
DU 21.12.2005
QUI N’A PAS PU ÊTRE MISE EN LIGNE
SUR « HEIDEGGER, FREUD ET LE « NEGATIONNISME ONTOLOGIQUE »
CAR LA POSSIBILITE D’ENREGISTRER DES COMMENTAIRES A ETE SUSPENDUE
Si ce que vous dites est vrai, monsieur Teitgen, à savoir que » le désaveu du livre d’E.Faye, au sein des spécialistes de phénoménologie du moins, y est quasi général » SI CE QUE VOUS DITES EST VRAI, cela signifie que ces phénoménologues refusent d’admettre tous les documents produits par Heidegger et qu’Emmanuel Faye a portés à la connaissance des lecteurs français et, au-delà, de toute la communauté internationale. Ces documents sont bruts de décoffrage. Ils ne nécessitent aucune interprétation. Ils sont d’une limpidité de cristal.
Bien qu’Emmanuel Faye soit encore réticent à l’admettre ils montrent clairement le rôle dirigeant joué par Heidegger dans le mouvement nazi. Ils montrent que Heidegger ne se situe pas à mi-hauteur dans la hiérarchie nazie mais au sommet. « Ce qui a germé dans la tête d’un seul, dit Hitler dans Mein Kampf,en parlant du PHILOSOPHE créateur de la doctrine (anti marxiste, anti chrétienne et raciste) s’est propagé ensuite progressivement par la parole et a fini par gagner toute la masse. La personnalité est irremplaçable ».
Puisqu ‘Hitler ne s’attribue pas ce pouvoir, il faut bien que quelqu’un d’autre l’ait exercé. Le seul qui ait manifesté l’exercice de ce pouvoir créateur de doctrine avec le plus d’évidence et qui ait été reconnu comme tel par les nazis (par les étudiants et par les philosophes Baeumler et Stenzel notamment) est Martin Heidegger.
Refuser la vérité de ces documents signifie être ouvertement négationniste. Le négationnisme ne se définit pas par rapport aux interprétations des historiens à partir des documents en leur possession, mais par rapport à la réalité des faits. Personne ne peut plus nier aujourd’hui que Heidegger a réellement introduit le nazisme dans la philosophie puisque les documents exposés par Faye ne sont pas des déclarations péri-philosophiques comme l’étaient les textes politiques, mais les cours mêmes de Heidegger. Nul ne peut nier la réalité de ces textes. On n’a même pas le droit d’escamoter ou de falsifier leur traduction comme vous l’avez fait sur les blogs de cet été monsieur Teitgen à la vue et au su de tous. Ayant produit des cours de ce type , Heidegger est indéfendable. Par voie de conséquence ce sont toutes les interprétations des écrits de Heidegger, données en France qui sont à revoir à commencer par le sens de sa déclaration à Jaspers du 5 juillet 1949: » au printemps 1934 quand je suis entré dans l’opposition ». Nous comprenons aujourd’hui parfaitement à qui et à quoi il s’opposait alors. Ce n’était pas au nazisme comme on l’a trop longtemps cru mais à la direction des S.A. et au clan Rosenberg, Krieck, Baeumler. L’ambiguité de la formulation de Heidegger a donné lieu à une méprise comme je l’ai indiqué par lettre à monsieur Jean-François Courtine .
J’aimerais donc connaître les noms des phénoménologues, car il y en a des milliers de par le monde, qui se sont livrés à un « désaveu du livre de Faye ». Cela permettrait au moins de s’expliquer. Car il ne s’agit plus ici de révisionnisme , on ne révise rien du tout. Il s’agit de nier des faits ou de les passer sous silence alors qu’ils doivent être mis en évidence. J’ai porté des extraits de ces cours, de manière très précise,(texte, page, original et traduction) à la connaissance du Conseiller du ministre de l’éducation nationale, monsieur Nembrini, fort soucieux par ailleurs de la qualité de l’enseignement de l’instruction civique, j’attends encore la réponse.
Je veux bien croire que la révélation de la réalité de Heidegger soit gênante notamment quand on est engagé dans des relations France-Allemagne, mais le premier devoir d’un philosophe comme disait Jaurès, lui-même philosophe, est « de chercher la vérité et de la dire ». – il se trouve, coïncidence de l’histoire, que nous sommes originaires du même terroir-.
Pourquoi a-t-on gardé un tel silence sur Heidegger depuis qu’on sait, non plus seulement l’existence de ces cours, car Farias l’avait révélée, mais leur CONTENU ? Qui cette vérité gêne-t-elle?
J’ai rappelé sur ce blog, références à l’appui, les passages les plus sordides du cours du semestre d’hiver 33/34 dans ma communication du 20-XII de 19h.22. Et je n’ai aucun mérite à cela, Emmanuel Faye l’a fait avant moi dans son livre sur Heidegger. Je n’ai fait que rappeler les faits.
Pourquoi l’éditeur allemand a-t-il tant tardé à publier ces cours portant sur le projet mondial de transformation totale de l’homme et sur l’anéantissement ? Depuis la parution du livre de Farias en 1987,nous guettions leur parution puisqu’il était impossible de les consulter aux archives de Marbach. Il a fallu attendre 2001 pour qu’ils soient publiés en Allemagne. Et depuis cette date aucun heideggérien français ne s’est empressé de les faire connaître. Lâcheté ou malaise? On voudrait bien savoir. Quoi qu’il en soit les faits sont là. Il faudra bien que les phénoménologues sortent de leur tourbière.
Au lieu de s’empresser de montrer l’horreur heideggérienne, qu’ont fait les philosophes français? Ils ont mis les écrits de Heidegger préparatoires au génocide au programme de l’agrégation. Car le projet de Heidegger ne date pas de 1933. Heidegger, comme l’ont montré les étudiants allemands dans le journal Der Alemanne en mai 1933, a contribué activement à la mise en place du nazisme et ce, depuis les années difficiles. On a laissé entendre que les nazis voulaient récupérer Heidegger à cause de sa notoriété alors que c’est exactement du contraire qu’il s’agit. C’est Heidegger qui, en tant que fondateur idéologique du nazisme, conséquence logique et existentielle de sa mutation morale de 1911 où il s’est senti « poussé hors de la métaphysique et de la théologie », a récupéré les étudiants sur lesquels il avait déjà, depuis 1909, en tant que diffuseur de Der Gral, une très grande emprise, pour les faire adhérer à sa conception de « l’homme intérieur » et ce, dès 1913. Il en a fait l’aveu à Marbourg en 1924, dans son hommage à Natorp avant le cours sur le Sophiste. La déclaration finale de la rencontre sur le Haut Meissner, des jeunes allemands hostiles à la démocratie, sera reprise presque mot pour mot dans la lettre à Krebs de 1919; elle est dans le droit fil des propos tenus par le jeune Heidegger sur Abraham a Sancta Clara dans sa recension de 1910.
Or, 1913, c’est six ans avant « la mise en pratique de son regard phénoménologique » qu’il situe en 1919. Quel est le sens exact de cette « mise en pratique »? L’expression est pour le moins étrange. Elle ne peut être que la première étape de la préparation de son « grand dessein » qui se révèlera progressivement tout au long des années 30/40). De nombreux indices disséminés, de ci-de là, dans les écrits connus depuis 1915 montrent que la pensée de Heidegger est tendue, quoique patiente, vers la réalisation de cet objectif qui inclut la pratique du « bûcher » purificateur (cours sur la phénoménologie de 1930). Il s’agit, il le dira en 1937, de « sauver l’Occident ». De le sauver de quoi? Non pas du nazisme, puisque Heidegger écrit, à cette date, son appel à la collaboration des Français dans l’annuaire de la ville de Fribourg aux côtés du maire nazi de la ville; il s’agit, non pas du marxisme seul (marxisme qu’il identifie à une doctrine étrangère – et on sait ce que veut dire étranger dans sa bouche-), il s’agit de le sauver de l’action prétendument maléfique d’un « peuple » qu’il ne nommera que par périphrases ou par pseudo synonymes substitutifs dans un style typiquement mallarméen.
1933 constitue la date charnière de l’ »EVENEMENT » vers lequel tout monte et à partir duquel le monde nouveau conçu par Heidegger commence. Et il commence par une loi qui est l’amorce de l’Ahnenpass (le passeport racial) de 1934 puis, ultérieurement des lois de Nuremberg, la loi imposant la nécessité de prouver la pureté raciale sur cinq générations afin de pouvoir être fonctionnaire. Ces lois sont l’exact opposé des droits de l’homme qui reconnaissent l’universalité humaine, de la loi de Moïse (la Torah) et de l’enseignement du Christ.
Après la défaite, en 1953, grâce à la publication de Être et temps et de l’Introduction à la métaphysique dans laquelle il révèlera l’existence de son grand dessein, il tentera d’effectuer une reprise du mouvement. Il s’efforcera de « remettre en marche » le peuple allemand, de le remobiliser pour « la question de l’être ». On a vu clairement de 1933 à 1945 ce que cette mise en marche signifiait: deux génocides -juif et tzigane- et cinquante millions de morts, sans compter les blessés, les infirmes et les estropiés.
Qui sont donc les phénoménologues qui veulent revenir à cela? De l’aveu même de Heidegger dans le cours sur les Concepts fondamentaux, les oeuvres antérieures à 1933 constituaient un conditionnement nécessaire pour pouvoir réaliser l’Evénement et parvenir à partir de lui à une planification pour des millénaires. (Concepts de fond p.32,121-122).
Si ce que vous dites sur les phénoménologues est vrai, Monsieur Teitgen, alors, qu’ils soient conscients ou non de la « Chose », leur attitude prouve que l’université française, de manière mondaine et feutrée se trouve contaminée par l’idéologie nazie. Et c’est très grave.
Michel BEL 21.12.2005 21 : 56 : 29