Pie XII, Albert Speer et Martin Heidegger

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Alain Finkielkraut a consacré l’émission Répliques du 14 avril 07 notamment à l’ouvrage de Gitta Sereny Albert Speer, son combat avec la vérité.

Au passage on comprend que G. Sereny et A. Finkielkraut aient pu s’accorder pour considérer que le Pape XII, par ses silences, a plongé l’Eglise ni plus ni moins dans la collaboration. Je partage leur sentiment et leur indignation.

Mais je n’hésiterai pas néanmoins à parler de la naïveté, d’une certaine manière incompréhensible, d’Alain Finkielkraut. Certes il a raison de souligner le rôle majeur qu’a joué Albert Speer dans la « religion hitlérienne ». Mais, par rapport à d’autres intellectuels, l’architecte du Reich semble être destiné à porter le chapeau. Le journaliste insiste sur la vision architecturale et « artiste » que Speer se faisait de la politique. (Cette vision était pour une part aussi celle de Hitler). La politique se fait comme on fabrique quelque chose. De manière biaise on retrouve ainsi toute la critique que Heidegger a fait de la technique et de la philosophie de la production. Néanmoins le résultat est que, de Pie XII, de Speer et de Heidegger c’est Heidegger qui s’en tire (implicitement) le mieux…

Et alors même que Pie XII et Speer peuvent nous initier à ce qu’est la duplicité et l’art du révisionnisme il faudrait donner quittus à Heidegger. C’est le philosophe et l’écrivain de ce trio de circonstance. Le bureaucrate et l’architecte sont coupables alors que le philosophe se trouve implicitement protégé. A. Finkielkraut reste ainsi fidèle à sa politique de défense de Heidegger. Je ne vois plus exactement pourquoi.

Car, en poussant simplement certains des principes mis en oeuvre par des personnalités comme Pie XII et Speer, on comprend comment un intellectuel comme Heidegger a pu précisément « introduire le nazisme dans la philosophie ».

Notamment le nazisme est une (anti-)politique tellement indéfendable que son introduction dans la philosophie, à laquelle le nazi Heidegger a oeuvré avec zèle et succès, ne pouvait se faire qu’à la condition non seulement d’un négationnisme mais aussi de ce qui ressemble à une « critique » du nazisme.

Il reste beaucoup de choses à penser de ce côté là. Cette critique n’est pas seulement une dimension du négationnisme, elle est également indispensable pour opérer la transmutation « alchimique » de l’horreur en soi-disante fondation de civilisation. Dans la perspective d’une introduction du nazisme dans la philosophie Auschwitz ne peut fonder une  « nouvelle europe » que si Auschwitz est « critiqué ». Les guillemets sont importants et renvoient naturellement à l’art consommé avec lequel Heidegger a, paraît-il, « critiqué le nazisme ».

Qu’y-a-t’il alors d’étonnant à ce que l’introducteur du nazisme dans la philosophie abandonne dans leurs poubelles tous ceux qui, avec méthode et « courage », se sont dévoués à commettre les oeuvres hideuses de la doctrine?

C’est la moindre des choses que le « nazi-philosophe » Heidegger prête à croire qu’il a « critiqué » les « producteurs » effectifs du nazisme. Dans le cas contraire il n’aurait jamais pu prétendre ne serait-ce qu’à passer pour le plus grand philosophe du XXeme siècle. En ce sens des trois larrons Pie XII, Albert Speer et Martin Heidegger c’est le philosophe qui est le nazi le plus brillant et le « performant ».

« Que s’est-il passé?.. Comment cela s’est-il passé?.. Pourquoi cela s’est-il passé?.. Ces trois questions nous tourmentent inlassablement et nous ramènent, quoique nous fassions, que nous le voulions ou non,  et en dépit de notre accapparement par une actualité souvent effrayante, aux horreurs abyssales de la deuxième guerre mondiale », déclare Alain Finkielkraut en introduction de son émission.

Absolument d’accord. Sauf que Heidegger fait partie du problème et non de la solution. (Pour écouter l’émission cliquez sur la flèche).

……………Téléchargement aspeerstanglrplik140407.mp3

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En faisant un clic droit sur téléchargement, puis un clic gauche sur « enregistrer la cible sous… » on peut enregister l’émission dans ses propres documents (musique).

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4 commentaires

  1. Concernant Pie XII, je vous invite à jeter un coup d’oeil sur le nouveau blog consacré à ce sujet et qui montre que le révisionnisme historique est celui qui est né en 1963, avec la pièce de Rolf Hochhuht.

    Je vous signale particulièrement la rubrique consacrée à ce qui est appelée « la légende noire », et la synthèse historique téléchargeable en bas de la colonne de gauche.

    Voici l’adresse : http://www.pie12.com

    Bravo sinon pour la réflexion que vous poursuivez et que je suis avec intérêt.

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  2. Oui, il semble que sur ce point, vous, d’habitude si clairvoyant et bien informé vous racontez vraiment n’importe quoi. Sans doute avez vous été manipulé.
    Avez-vous lu l’encyclique Mit Brennender Sorge que Pie XII écrivit en 1937 ? C’est la dénonciation la plus claire et la plus nette du nazisme. Ni Churchill, ni Roosevelt, ni Staline, ni bien sûr Jean-Paul Sartre n’ont rien écrit de tel.
    Au lieu de vous égarer à accuser sans fondement un homme qui a sans doute sauvé plus de Juifs que tout autre, j »attends que vous nous parliez tous les communistes qui ont collaboré avec les Allemands jusqu’en août 1941, toute la gauche collaborationniste française.
    Et aussi, parce malheureusement le nazisme n’est pas le seule régime génocidaire du 20e siècle, tous ceux qui ont collaboré avec les régimes communistes génocidaires qui ont fait plus de cent millions de morts.
    Que vous dénonciez « Le Monde » qui titrait « Pnom Penh libéré » cinq colonnes à la une quand les Khmers Rouges y sont entrés.
    Car le procès de tous des génocides là et de tous ses compagnons de route et idiots utiles est encore à faire.

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    Réponse du phiblogZophe :

    Cher monsieur,

    Je suis d’accord avec vous pour condamner et étudier tous les génocides.

    Peut-être, mais il faudrait de longues recherches historiques pour l’établir, que la fonction  des fascismes génocidaires ne s’explique pas intrinséquement par leur lieu « idéologique » d’origine. L’existence d’un christianisme d’extreme-droite, hyper violent et raciste, ne fait pas du christianisme un nazisme ou une religion nazie.

    J’ai comme l’idée… que le fascisme est un réseau complexe fondamentalement destiné à casser et à broyer ce qu’avec Ernst Bloch j’appelle le « principe espèrance ». Et celui-ci a pu être soutenu en terre chrétienne comme en terre « communiste ». L’espérance chrétienne et l’espérance communiste ne sont pas génocidaires, nazies etc. Mais, en leur sein, se sont développés des monstres génocidaires pour lesquels il convient de n’avoir aucune indulgence. Et aucun frein dans l’analyse généalogique.

    En réalité il y a beaucoup de proximité dans l’histoire du communisme stalinien et du catholicisme (par exemple) : inquisition, pratiques exterminatrices dans les colonies (amérique etc.)…

    Pour le moment j’ai acquis la conviction de la fragilité et de la préciosité du « principe espérance ». (Que je n’oppose nullement au « principe responsabilité » de Hans Jonas).

    C’est pourquoi je respecte autant profondément un chrétien qu’un communiste « motivé » de manière « espérancielle ».

    Mais l’histoire nous impose de cruelles obligations d’analyse.

    Sachez tout d’abord que l’encyclique dont vous me parlez est due à Pie XI et non à Pie XII.

    Je comprends cela dit le sens de votre protestation.

    Mais, quoiqu’il en soit, il faut admettre que toutes les horreurs du siècle passé prouve malheureusement qu’une déclaration, serait-elle donc de Pie XII, ne prouve rien. Ni le sauvetage de « quelques » juifs. (Toute vie étant précieuse).

    Les minorités peuvent être tellement fragiles, et peuvent faire l’objet de chantages si odieux, qu’elles peuvent être elles-mêmes amenées à feindre que tous leurs protecteurs et sauveurs agissent de manière pure et sans calcul.

    Je reste sur le fond ouvert à toutes les hypothèses sur les rapports exacts que l’église a eu avec le nazisme.

    Mais je me permets de souligner que le sauvetage de « quelques juifs » par un Pape peut faire partie d’un calcul.

    L’Eglise pouvait-elle, dés le début, s’engager de manière résolue et entière dans la protection qu’elle devait de toutes manières à des non chrétiens menacés d’injustice et de mort?

    Mais là, comme souvent, il y a la foi, les textes, le principe espérance et les appareils… lesquels sont l’objet d’âpres et le plus souvent invisibles et inaudibles luttes de pouvoir. Et des luttes qui sont profondément politiques.

    Cordialement

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  3. Bonjour,

    Plustôt que de pourrir votre blog par une avalanche de faits, je vous invite vraiment à lire la synthèse téléchargeable qui se trouve sur le site suivant : http://www.pie12.com Il répond en très grande partie à votre post.

    Juste 2 petites remarques :
    – Si Pie XI a bien été le dernier correcteur et le signataire de l’encyclique Mit Brennender Sorge, les cardinaux Faulhaber (Munich) et Pacelli (futur Pie XII) en furent bien les rédacteurs principaux. Ce n’est un secret pour personne que l’antinazisme profond de Mgr Pacelli : l’historien David Dalin, rabbin de New-York, révèle dans son étude que, sur 44 discours que Mgr Pacelli a prononcés en Allemagne entre 1917 et 1929, 40 dénoncent les dangers imminents de l’idéologie nazie. Soit… 4 ans et plus avant l’arrivée de Adolf Hitler au pouvoir.

    – Il ne s’agit pas de quelques vies sauvées par Pie XII. Il sera difficile d’avoir avec certitude un chiffre exact, mais les historiens donnent la fourchette suivante : 700 000 à 1, 2 million.

    Pour finir je vous conseille la lecture de l’ouvrage du rabbin et professeur David Dalin qui paraîtra en France le jeudi 21 juin prochain aux éditions Tempora. L’auteur a déjà été primé pour la rigueur de ses analyses historiques. Et son ouvrage (je l’ai lu en anglais) est magistral, même je mets des réserves sur l’avant-dernier chapitre sur le grand mufti de Jérusalem.

    Bonne continuation.

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  4. L’internaute a absolument raison. Personne ne peut plus nier que Pie XII a sauvé des Juifs de l’extermination, directement ou indirectement, sans risquer le ridicule. Il ne les a certes pas sauvé par de grands discours à la Zola, comme le souhaiterait tous ceux qui aiment se payer de mots, mais par des actions bien concrètes et souvent très risquées.
    http://www.pie12.com ou http://wikipie12.telemack.net

    Quant à l’Inquisition (puisque vous la mentionnez), je me contenterai de vous renvoyer sur le « Que sais-je » qui traite de cette question, où vous constaterez par vous même que comparer les purges staliniennes à cette institution [certes pas la plus brillante création de l’Eglise] relève là encore d’une crasse ignorance du sujet. En plus de cinq siècles elle fit sans doute beaucoup moins de victimes que le bourreau de Nantes Carrier sous la Révolution française. Nous ne mentionerons même pas la période stalinienne…
    Je vous invite aussi à lire le rapport écrit vers 1761 par le cardinal Ganganelli, futur pape Clément XIV et consultant du Saint Office [l’Inquisition], sur les soi-disant meurtres rituels de Juifs en Pologne. Vous verrez que l’Inquisition fut aussi parfois une institution qui protègea de l’injustice, y compris les Juifs.

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