La rencontre Faye-Fédier sur Public-Sénat. Premières impressions

.
.

Demain je publierai le fichier son de la rencontre organisée entre Emmanuel Faye, François Fédier, Pascal David, Monique Canto-Sperber et l’historien Edouard Husson par Jean-Pierre Elkabbach pour l’émission, souvent remarquable, Bibliothèque Médicis.

Ma première impression est qu’il me semble inimaginable qu’on puisse encore défendre Heidegger comme le font François Fédier et Pascal David. Cela fait honte à la philosophie. Comment, par exemple, oser argumenter que la fréquentation de la personne même de Heidegger permet de tirer la conclusion que jamais Heidegger n’aurait pu éprouver une quelconque admiration pour Hitler?

Si le risque d’une police de la pensée est réel il y a cet autre risque, auxquels de nombreux lecteurs sont aujourd’hui exposés, en quoi consiste l’instrumentalisation de la philo… sophie…, de notre amour de la vérité, de notre admiration pour la pensée et la spiritualité et cela dans le but de défendre et de propager une mythologie absurde. (Celle d’un Heidegger résistant spirituel au nazisme).  Non pas que les lecteurs soient du coup exposés à une nazification même discrète. Cela n’intéresse pas vraiment les heideggéros-nazis. Il leur suffit que l’aura de leur guide spirituel soit suffisamment en  bon état pour leur permettre de former ça et là des cadres discrets, « virtuels », d’un « néo-nazisme de culture ».

Il y a ici de quoi frémir. Il est urgent que cesse le mythe d’un Heidegger opposé au nazisme. Il en demeure en réalité plus que jamais le maître spirituel. C’est ce qu’il faut continuer à étayer. Il faut étudier Heidegger – le Heidegger de « toujours » – comme un élément intellectuel d’un dispositif (néo)nazi.

François Fédier a cru bon citer le Heidegger, je crois de 1934, pour lequel « le nazisme était un principe barbare ». La personne honnête est alors persuadée que cette phrase est une phrase critique qui signe à jamais le désaccord entre Heidegger et Hitler. Mais cette personne honnête est totalement bernée, notamment par François Fédier car, comme l’a rappelé justement Edouard Husson, « principe barbare » n’est pas nécessairement une notion négative pour Heidegger. (1)

Il est dommage que Monique Canto-Sperber ne soit pas intervenue sur le sujet. Elle qui s’est félicitée que Heidegger avait eu l’immense mérite de libérer la pensée moderne des préjugés de la subjectivité elle aurait pu expliquer que certaines remises en cause de cette subjectivité peuvent précisément consonner « positivement » avec la barbarie. (Cette barbarie est celle de la communauté völkish de sang, de sol, de race…)

François Fédier m’a fait peur. Lui qui, paraît-il, n’a aucune préconception de qui est Heidegger il est favorable à ce que l’accès plein et entier aux archives Heidegger ne soit réservé qu’à ceux qui, à l’inverse de Faye, n’ont également aucun préjugé à propos de Heidegger.

Le mythe du Grand Penseur sert à justifier ici une véritable police de la pensée.

Imaginons une lame de fond néo-nazie s’abattant en Europe…

Mais rendez-vous demain dimanche 25 février pour la publication sur le blog de la bande son de la rencontre.

———–>>>

Parole tenue. Pour écouter la bande-son de l’émission cliquez sur :

http://skildy.blog.lemonde.fr/2007/02/25/le-debat-faye-fedier-sur-heidegger-bande-son-de-biblio-medicis/

_________________________________________________________

(1) Nous sommes ici au coeur même de la rhétorique heideggérienne. Fédier part du principe que le lecteur-auditeur qui est, pour s’intéresser à la pensée, plutôt une « brave personne », interpréte nécessairement l’expression de « principe barbare » comme étant négative et critique à l’égard même du nazisme. Le tour de passe-passe fonctionne bien et l’illusion est totale. En effet Heidegger n’a eu de cesse, dans la foulée de sa critique de la subjectivité, de liquider la conscience morale judéo-chrétienne. Cette liquidation, dans le contexte heideggerien lui-même, est précisément un « principe barbare » et qui plus est en parfaite conformité avec la doctrine hitlérienne.

Les heideggériens manipulent de manière savante le « désir d’innocence » du lecteur. Heidegger est un grand penseur, non un nazi. Quand il dit « principe barbare » c’est nécessairement critique à l’égard du nazisme. Manque de bol : c’est plutôt un compliment, et même un grand compliment.

Cela signifie que la « révolution conservatrice » est parvenue à subvertir toutes les normes, entrâvantes pour l’essor historique du peuple völkisch, de la conscience morale judéo-chrétienne.

…..
.
.

5 commentaires

  1. bonjour,

    J’ai suivi les cours de F.Fédier et je voudrais dire que je n’ai rencontré personne de plus antinazi que lui. C’était un ami de René Char qui fut résistant.

    De plus je pense que quand heidegger dit que le nazisme est un principe barbare, c’est une insulte. Je n’ai pas trouvé chez Heidegger d’éloge de la barbarie.

    bien à vous

    joseph

    J’aime

  2. La source de l’expression telle que Heidegger l’emploie est probablement Schelling, qui s’en sert dans le sens expliqué par Merleau-Ponty, Résumé des cours, Collège de France (1952-1960), p. 106-107: « De même que l’absolu n’est plus l’être, cause de soi, antithèse absolue du néant, de même la Nature n’a plus l’absolue positivité du « seul monde possible »: la ERSTE NATUR est un principe ambigu, « barbare » comme il [Schelling] le dit, qui peut être dépassé mais ne sera jamais comme s’il n’avait pas été, et ne pourra jamais être considéré comme second par rapport à Dieu même. » Voir aussi Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Notes de travail, p. 321: « Éternité existentielle. L’indistructible, le Principe barbare ». Husson a donc raison, dans le débat Faye-Fédier, de dire que le sens donné à cette expression par Heidegger n’est pas, pace Fédier, négatif.

    J’aime

  3. La référence explique que le barbare ne peut être anéanti, pas que c’est quelque chose de bien.
    je souhaiterais préciser ma remarque personnelle sur l’antinazisme de Fédier comme professeur:
    aucun de mes professeurs de philo (et j’en ai eu beaucoup) n’a comme lui tenté d’éveiller l’esprit critique de ses élèves et n’a fait autant preuve d’honnêteté intellectuelle. Ses cours étaient tous des moments forts d’humanisme (au sens courant du terme), qui redonnaient foi en l’humanité. Soljenitsine, Péguy ou Alain faisaient partie de ses fréquentes références. Mais c’était en commentant Heidegger qu’il parvenait le plus à ouvrir l’esprit de ses élèves à l’amour des hommes et de leurs différences. Lire Heidegger rend ainsi ennemi de tout ce qui ressemble au nazisme.

    ____________________________

    Je ne doute pas de la sincérité de votre témoignage.

    Mais il ne modifie en rien mes hypothèses. Introduire le nazisme en philosophie n’est pas une mince affaire. Il faut notamment, pour assurer le succès de l’entreprise, dissimuler au maximum le projet aux yeux des « enseignés » de bonne foi.

    La meilleure manière de donner un coup de main au projet heideggérien est encore d’aider à cette dissimulation. Mais en souhaitant que les archives Heidegger soient fermées à des chercheurs tels que E Faye monsieur Fédier, à mes yeux, a tombé le masque.

    Ce n’est que dans une société explicitement nazifiée que Heidegger pourrait être, au moins en partie, « dévoilé ». Ce qui a déjà eu lieu et qui pourrait à nouveau se reproduire.

    Skildy

    J’aime

  4. pourtant je ne suis pas quelqu’un qu’on « enseigne » ou qu’on endoctrine comme cela, au contraire. je pense être non seulement sincère mais absolument objectif. bien à vous.

    J’aime

  5. Heidegger et la nazisme?? Ce qui me trouble le plus c’est l’amitié fidèle et le respect d’Hannah Arendt pour ce philosophe. Pouvez-vous m’indiquer un document où elle s’explique à ce sujet? Merci

    J’aime

Laisser un commentaire